Pie XI, Pape
Pour perpétuer la mémoire du fait.
Le 27 décembre de l’an 1726, Notre prédécesseur de vénérée mémoire le Pape Benoit XIII mit au nombre des Saints saint Jean de la Croix, premier profès de l’Ordre des Carmes déchaussés, et, avec Thérèse de Jésus, réformateur de l’Ordre carmélitain. Or, la bulle de canonisation exalte magnifiquement la vie admirable de ce saint, faite d’austérité et rompue à la pratique de toutes les vertus, en même temps que sa profonde connaissance des choses divines. Ne fut-il pas de toute évidence très providentiellement suscité de Dieu, au xvie siècle, entre tant d’hommes éminents en science et en sainteté et, comme tels, véritables lumières de l’Eglise à leur époque, pour réparer les dommages et les préjudices que l’Epouse mystique du Christ avait soufferts de la pari des hérétiques protestants, et aussi pour réfuter leurs erreurs spéciales ?
Né dans la bourgade espagnole de Fontiveros, le 24 juin 1542, et entré chez les Carmes à vingt et un ans, il apprit la philosophie et la théologie en la très célèbre Université de Salamanque. L’année même de son ordination sacerdotale, en 1567, il connut sainte Thérèse, au moment où celle-ci, après avoir amené les Sœurs du Carmel à une plus stricte observance de leur Règle, songeait très sérieusement à introduire aussi cette réforme chez les religieux du même Ordre. Jean adhéra pleinement aux projets de sainte Thérèse et favorisa avec zèle leur première réalisation : il prit l’habit des Carmes Réformés et se mit à observer leur Règle. C’est ainsi qu’il fut choisi comme maître des novices et premier directeur de la maison d’Alcala de Hénarès ; mais nommé peu après confesseur des Sœurs Carmélites d’Avila, encore attachées à l’ancienne observance, il fut enlevé de force et jeté en prison. Il resta en captivité neuf mois, durant lesquels il écrivit son Cantique spirituel. Cet ouvrage, qu’il enrichira plus tard de notes et de remarques explicatives, est tout ensemble un chant lyrique, où l’auteur magnifie l’union mystique de l’âme fidèle avec le Christ, son époux, et un traité didactique sur les multiples effets de l’oraison et les douces affections qu’on y éprouve.
Délivré miraculeusement, il revint habiter le couvent du Calvaire. Là comme ailleurs, en quelque maison que ses fonctions ultérieures le contraignissent de résider, il composa de nouveaux écrits que l’on dirait inspirés d’en haut, tant il y témoigne de clairvoyance dans l’étude des charismes divins, ces jalons de la voie parfaite qu’il propose aux âmes. Quelque ardues, quelque voilées de mystère que puissent paraître La Montée du Carmel, La nuit obscure, La vive Flamme d’amour, y compris plusieurs autres de ses œuvres, ainsi que ses Lettres, elles révèlent néanmoins une spiritualité si substantielle et une si excellente méthode d’adaptation à l’intelligence du lecteur, que leur ensemble mérite d’être regardé comme le code et le guide de l’âme fidèle en marche vers une plus haute perfection de vie. La bulle de canonisation affirme donc avec raison que Jean de la Croix écrivit « des livres sur la théologie mystique remplis d’une sagesse toute céleste » : jugement par lui-même fort appréciable, mais dont le verdict presque unanime de la postérité a encore accentué la valeur intrinsèque. Après la mort de Jean, survenue en Fan de grâce 1591, son autorité dans le domaine mystique progressa si bien avec le temps que depuis lors les auteurs écrivant sur cette science sacrée, voire les saints personnages, n’ont jamais cessé ni de le reconnaître expérimentalement pour un maître en matière de sainteté et de piété ni de puiser en sa doctrine et ses écrits, comme à une source très pure du sentiment chrétien et de l’esprit de l’Eglise, les principes de leurs traités de spiritualité.
Ne nous étonnons donc pas si, dès l’année 1891, troisième centenaire de sa mort, plusieurs cardinaux ainsi que les évêques d’Espagne prièrent instamment Notre prédécesseur le Pape Léon XIII de bien vouloir déclarer saint Jean de la Croix docteur de l’Eglise. Depuis lors, suppliques de même nature adressées à ce Saint-Siège soit par des recteurs d’Universités catholiques, soit par des supérieurs de communautés religieuses, se succédèrent en grand nombre et sans interruption.
Pour ces motifs, et attendu qu’en prévision des fêtes qui marqueront bientôt le deuxième centenaire de la canonisation du Saint le Préposé général actuel de l’Ordre des Carmes déchaussés, déférant en cela au vœu unanime du Chapitre général de son Ordre, Nous a supplié de vouloir bien décerner à Jean de la Croix le titre de docteur de l’Eglise ; qu’à sa requête sont venues s’ajouter beaucoup d’autres, émanant de cardinaux, archevêques, évêques, de membres illustres soit du clergé, soit du laïcat, d’hommes de science agrégés à diverses Académies ou sociétés de hautes éludes, il Nous parut souverainement opportun de saisir d’une affaire si importante, pour avis et étude approfondie, la S. Congrégation des Rites, laquelle, obtempérant à Nos ordres, désigna d’office des rapporteurs qualifiés en la matière. Leurs suffrages émis et recueillis séparément ayant été imprimés, il ne s’agissait plus que de pressentir les cardinaux préposés à la S. Congrégation des Rites en leur demandant si, après s’être assurés des trois titres requis, depuis Notre prédécesseur de vénérée mémoire le Pape Benoit XIV, pour être proclamé docteur de l’Eglise universelle, à savoir une vie sainte, une doctrine éminente et la déclaration du Souverain Pontife, ils étaient d’avis que l’on pût procéder à la déclaration de saint Jean de la Croix comme docteur de l’Eglise universelle. Dans la réunion ordinaire tenue au palais du Vatican le 27 juillet dernier, après un rapport de Notre Vénérable Frère Antoine cardinal Vico, évêque de Porto et Sainte-Rufine, préfet de cette Sacrée Congrégation, et après avoir entendu Notre cher Fils Charles Sarlotti, promoteur général de la foi, les cardinaux de la Sainte Eglise Romaine préposés à la Sacrée Congrégation des Rites rendirent, à l’unanimité, une sentence affirmative.
C’est donc très volontiers que, répondant aux vœux de tous les Carmes déchaussés et de tous ceux qui sollicitèrent la môme faveur, par la teneur des présentes Lettres, de science certaine et après mûre délibération, dans la plénitude de l’autorité apostolique, Nous constituons et déclarons docteur de l’Eglise universelle le saint confesseur Jean de la Croix. Et cela nonobstant toutes constitutions, ordonnances apostoliques ou autres dispositions contraires. Nous décidons que les présentes Lettres soient et demeurent toujours fermes, valides et efficaces ; elles ont et gardent leurs effets pleins et entiers. Nous voulons qu’on en juge et en décide ainsi. Dès maintenant, toute atteinte portée à ces Lettres, sciemment ou par ignorance, par qui que ce soit, de quelque autorité qu’il puisse se prévaloir, est irritée et déclarée vaine.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 24 août 1926, de Notre Pontificat la cinquième année.
P. card. Gasparri, Secrétaire d’Etat.
Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 3, pp. 249–254.