Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

5 août 1898

Lettre encyclique Spesse volte

Sur la suppression des institutions catholiques

Aux évêques, au cler­gé et au peuple d’Italie

Léon XIII, Pape

Vénérables frères, fils bien aimés,
Salut et béné­dic­tion apostolique.

Souvent, dans le cours de Notre pon­ti­fi­cat, mû par le devoir sacré du minis­tère apos­to­lique, Nous avons dû expri­mer des plaintes et des pro­tes­ta­tions à l’occasion d’actes accom­plis au détri­ment de l’Eglise et de la reli­gion par ceux qui, à la suite de bou­le­ver­se­ments bien connus, dirigent, en Italie, les affaires publiques.

Il Nous est dou­lou­reux d’avoir à le faire encore sur un très grave sujet, et qui nous rem­plit l’âme d’une tris­tesse pro­fonde. Nous vou­lons par­ler de la sup­pres­sion de tant d’institutions catho­liques, récem­ment décré­tée en diverses par­ties de la Péninsule. Cette mesure immé­ri­tée et injuste a sou­le­vé la répro­ba­tion de toutes les âmes hon­nêtes, et Nous y voyons, avec une extrême dou­leur, ras­semblées et ren­dues même plus cruelles les offenses que Nous avons eu à souf­frir pen­dant les années écoulées.

Quoique les faits vous soient bien connus, Vénérables Frères, Nous esti­mons cepen­dant oppor­tun de reve­nir sur les ori­gines et la néces­si­té de ces ins­ti­tu­tions, fruit de Notre sol­li­ci­tude et de vos soins affec­tueux, afin que tous com­prennent la pen­sée qui les avait ins­pi­rées et le but reli­gieux, moral et cha­ri­table où elles tendaient.

Après avoir ren­ver­sé le prin­ci­pat civil des papes, on en vint en Italie à dépouiller gra­duel­le­ment l’Eglise catho­lique de ses élé­ments de vie et d’action et de son influence native et sécu­laire dans l’or­ganisation publique et sociale. Par une série pro­gres­sive d’actes sys­té­ma­ti­que­ment coor­don­nés, on fer­ma les monas­tères et les cou­vents ; on dis­si­pa, par la confis­ca­tion des biens ecclé­sias­tiques, la plus grande par­tie du patri­moine de l’Eglise ; on impo­sa aux clercs le ser­vice mili­taire ; on entra­va la liber­té du minis­tère ecclé­sias­tique par d’injustes mesures d’exception ; on s’efforça constam­ment d’ef­facer de toutes les ins­ti­tu­tions publiques l’empreinte reli­gieuse et chré­tienne ; on favo­ri­sa les cultes dis­si­dents ; et, pen­dant que l’on concé­dait aux sectes maçon­niques la plus ample liber­té, on réser­vait l’intolérance et d’odieuses vexa­tions à cette unique reli­gion qui fut tou­jours la gloire, le sou­tien et la force des Italiens.

Nous ne man­quâmes jamais de déplo­rer ces graves et fré­quents atten­tats. Nous les déplo­râmes à cause de notre sainte reli­gion, expo­sée à de suprêmes dan­gers ; Nous les déplo­râmes aus­si, et Nous le disons dans toute la sin­cé­ri­té de Notre cœur, à cause de notre patrie, puisque la reli­gion est une source de pros­pé­ri­té et de gran­deur pour une nation, et le fon­de­ment prin­ci­pal de toute socié­té bien ordon­née. Et, en effet, lorsqu’on affai­blit le sen­ti­ment reli­gieux qui élève lame, qui l’en­no­blit et y imprime pro­fon­dé­ment les notions du juste et de l’honnête, l’homme décline et s’abandonne aux ins­tincts sau­vages et à la recherche unique des inté­rêts maté­riels, d’où résultent, comme consé­quence logique, les ran­cunes, les dis­sen­sions, la dépra­va­tion, les conflits, la per­tur­ba­tion du bon ordre, maux aux­quels ne peuvent remé­dier sûre­ment et plei­ne­ment ni la sévé­ri­té des lois, ni les rigueurs des tri­bu­naux, ni même l’em­ploi de la force armée.

Plus d’une fois, par des actés publics adres­sés aux Italiens, Nous avons aver­ti ceux aux­quels incombe la for­mi­dable res­pon­sa­bi­li­té du pou­voir de cette connexion natu­relle et intrin­sèque entre la déca­dence reli­gieuse et le déve­lop­pe­ment de l’esprit de sub­ver­sion et de désordre ; Nous avons appe­lé l’attention sur les pro­grès iné­vitables du socia­lisme et de l’anarchie, et sur les maux sans fin aux­quels ils expo­saient la nation.

Mais on ne Nous écou­ta pas. Le pré­ju­gé mes­quin et sec­taire s’im­posa comme un voile sur l’intelligence, et la guerre contre la reli­gion fut conti­nuée avec la même inten­si­té. Non seule­ment on ne prit aucune mesure répa­ra­trice, mais par les livres, les jour­naux, les écoles, les chaires, les cercles, les théâtres, on conti­nua à semer lar­ge­ment les germes de l’irréligion et de l’immoralité, à ébran­ler les prin­cipes qui engendrent dans un peuple les mœurs hon­nêtes et fortes, à répandre les maximes qui ont pour suite infaillible la per­ver­sion de l’intelligence et la cor­rup­tion du cœur.

Ce fut alors, véné­rables Frères, qu’entrevoyant pour Notre pays un ave­nir sombre et rem­pli de périls, Nous crûmes venu le moment d’élever la voix et de dire aux Italiens : La reli­gion et la socié­té sont en dan­ger ; il est temps de déployer toute votre acti­vi­té, et d’opposer au mal qui vous enva­hit une digue solide par la parole, par les œuvres, par les asso­cia­tions, par les comi­tés, par la presse, par les congrès, par les ins­ti­tu­tions de cha­ri­té et de prière, enfin par tous les moyens paci­fiques et légaux qui soient propres à main­tenir dans le peuple le sen­ti­ment reli­gieux et à sou­la­ger sa misère, cette mau­vaise conseillère, ren­due si pro­fonde et si géné­rale par la fâcheuse situa­tion éco­no­mique de l’Italie. Telles furent Nos recom­mandations plu­sieurs fois renou­ve­lées, en par­ti­cu­lier dans les deux lettres que Nous adres­sâmes au peuple ita­lien, le 15 octobre 1890 et le 8 décembre 1892.

Il Nous est ici agréable de décla­rer que Nos exhor­ta­tions tombè­rent sur un sol fécond. Par vos géné­reux efforts, Vénérables Frères, et par ceux du cler­gé et des fidèles qui vous sont confiés, on obtint des résul­tats heu­reux et salu­taires qui pou­vaient en faire pré­sa­ger de plus grands encore dans un ave­nir pro­chain. Des cen­taines d’as­sociations et de Comités sur­girent en diverses contrées de l’Italie, et leur zèle infa­ti­gable lit naître des caisses rurales, des four­neaux éco­no­miques, des asiles de nuit, des cercles de récréa­tion pour les fêtes, des œuvres de caté­chisme, d’autres ayant pour but l’assistance des malades ou la tutelle des veuves et des orphe­lins, et tant d’autres ins­ti­tu­tions de bien­fai­sance, qui furent saluées par la reconnais­sance et les béné­dic­tions du peuple et reçurent, sou­vent même de la bouche d’hommes appar­te­nant à un autre par­ti, des éloges bien mérités.

Et, dans le déploie­ment de cette louable acti­vi­té chré­tienne, les catho­liques, n’ayant rien à cacher, se mon­trèrent selon leur cou­tume à la lumière du jour et se tinrent constam­ment dans les limites de la légalité.

Mais sur­vinrent alors les évé­ne­ments néfastes, mêlés de désordres et de l’effusion du sang des citoyens, qui mirent dans le deuil quelques contrées de l’Italie. Nul plus que Nous ne souf­frit au plus pro­fond de l’âme, nul plus que Nous ne s’émut à ce spectacle.

Nous pen­sions cepen­dant qu’en recher­chant les ori­gines pre­mières de ces sédi­tions et de ces luttes fra­tri­cides, ceux qui ont la direc­tion des affaires publiques recon­naî­traient le fruit funeste mais natu­rel de la mau­vaise semence impu­né­ment répan­due dans la Péninsule, si lar­ge­ment et pen­dant si long­temps ; Nous pen­sions que, remon­tant des effets aux causes, et fai­sant leur pro­fit de la dure leçon qu’ils venaient de rece­voir, ils revien­draient aux règles chré­tiennes de l’organisation sociale, à l’aide des­quelles les nations doi­vent se renou­ve­ler si elles ne veulent pas se lais­ser périr, et que, par consé­quent, ils met­traient en hon­neur les prin­cipes de jus­tice, de pro­bi­té et de reli­gion d’où dérive prin­ci­pa­le­ment même le bien-​être maté­riel d’un peuple. Nous pen­sions que, du moins, vou­lant décou­vrir les auteurs et les com­plices de ces sou­lè­ve­ments, ils s’aviseraient de les cher­cher par­mi ceux qui ont en aver­sion la doc­trine catho­lique et qui excitent les âmes à toutes les convoi­tises déré­glées par le natu­ra­lisme et le maté­ria­lisme scien­ti­fique et poli­tique, par­mi ceux enfin qui cachent leurs inten­tions cou­pables à l’ombre des assem­blées sec­taires où ils aiguisent leurs armes contre l’ordre et la sécu­ri­té de la Société.

Et en effet, il ne man­qua pas, même dans le camp des adver­saires, d’es­prits éle­vés et impar­tiaux qui com­prirent et eurent le louable cou­rage de pro­cla­mer publi­que­ment les vraies causes de ces lamen­tables désordres.

Mais grandes furent Notre sur­prise et Notre dou­leur, quand Nous apprîmes que, sous un pré­texte absurde, mal dis­si­mu­lé par l’artifice, on osait, afin d’égarer l’opinion publique et d’exécuter plus aisé­ment un des­sein pré­mé­di­té, déver­ser sur les catho­liques la folle accu­sa­tion de per­tur­ba­teurs de l’ordre pour faire retom­ber sur eux le blâme et le dom­mage des mou­ve­ments sédi­tieux dont quelques régions de l’Italie avaient été le théâtre.

Et Notre dou­leur s’accrut encore bien davan­tage, quand, à ces calom­nies, suc­cé­dèrent des actes arbi­traires et vio­lents, et qu’on vit nombre des prin­ci­paux et des plus vaillants jour­naux catho­liques sus­pen­dus ou sup­pri­més, les Comités dio­cé­sains et parois­siaux pros­crits, les réunions des Congrès dis­per­sées, cer­taines ins­ti­tu­tions réduites à l’impuissance, et d’autres mena­cées par­mi celles-​là mêmes qui n’ont pour but que le déve­lop­pe­ment de la pié­té chez les fidèles ou la bien­fai­sance publique ou pri­vée ; quand on vit dis­soudre en très grand nombre des Sociétés inof­fen­sives et méri­tantes, et détruire ain­si, en quelques heures de tem­pête, le tra­vail patient, cha­ri­table et modeste, réa­li­sé pen­dant de longues années par tant de nobles intel­li­gences et de cœurs généreux.

En recou­rant à ces mesures exces­sives et odieuses, l’au­to­ri­té publique se met­tait tout d’a­bord en contra­dic­tion avec ses affirma­tions anté­rieures. Pendant long­temps, en effet, elle avait repré­sen­té les popu­la­tions de la Péninsule comme de conni­vence et parfaite­ment soli­daires avec elle dans l’œuvre révo­lu­tion­naire et hos­tile à la Papauté ; et main­te­nant, au contraire, elle se don­nait tout à coup à elle-​même un démen­ti en recou­rant à des expé­dients d’ex­cep­tion pour étouf­fer d’innombrables Associations répan­dues dans toute l’Italie, et cela sans autre rai­son que leur dévoue­ment et leur atta­chement à l’Eglise et à la cause du Saint-Siège.

Mais de telles mesures lésaient par-​dessus tout les prin­cipes de la jus­tice et même les règles des lois existantes.

En ver­tu de ces prin­cipes et de ces règles, il est loi­sible aux catho­liques, comme à tous les autres citoyens, de mettre libre­ment en com­mun leurs efforts pour pro­mou­voir le bien moral et maté­riel de leur pro­chain et pour vaquer aux pra­tiques de pié­té et de reli­gion. Ce fut donc chose arbi­traire de dis­soudre tant de Sociétés catho­liques de bien­fai­sance qui, dans d’autres nations, jouissent d’une exis­tence pai­sible et res­pec­tée, et cela sans aucune preuve de leur culpa­bi­li­té, sans aucune recherche pré­ven­tive, sans aucun docu­ment qui pût démon­trer leur par­ti­ci­pa­tion aux désordres survenus.

Ce fut aus­si une offense spé­ciale envers Nous, qui avions orga­ni­sé et béni ces utiles et paci­fiques asso­cia­tions, et envers vous, Véné­rables Frères, qui en aviez pro­mu avec soin le déve­lop­pe­ment et qui aviez veillé sur leur marche régu­lière. Notre pro­tec­tion et votre vigi­lance auraient dû les rendre encore plus res­pec­tables et les mettre à l’abri de tout soupçon.

Nous ne pou­vons non plus pas­ser sous silence com­bien de telles mesures sont per­ni­cieuses pour les inté­rêts des popu­la­tions, pour la conser­va­tion sociale, pour le bien véri­table de l’Italie. La suppres­sion de ces Sociétés aug­mente encore la misère morale et maté­rielle du peuple qu’elles s’efforcaient d’adoucir par tous les moyens pos­sibles ; elle ravit à la Société une force puis­sam­ment conserva­trice, puisque leur orga­ni­sa­tion même et la dif­fu­sion de leurs prin­cipes était une digue contre les théo­ries sub­ver­sives du socia­lisme et de l’anarchie ; enfin, elle irrite encore davan­tage le conflit reli­gieux que tous les hommes exempts de pas­sions sec­taires consi­dèrent comme extrê­me­ment funeste à l’Italie dont il brise les forces, la cohé­sion et l’harmonie.

Nous n’ignorons pas que les Sociétés catho­liques sont accu­sées de ten­dances contraires à l’organisation poli­tique actuelle de l’Italie et consi­dé­rées à ce titre comme subversives.

Une telle impu­ta­tion est fon­dée sur une équi­voque, créée et main­tenue à des­sein par les enne­mis de l’Eglise et de la reli­gion, pour don­ner devant le public une cou­leur favo­rable à l’ostracisme odieux dont ils veulent frap­per ces asso­cia­tions. Nous enten­dons que cette équi­voque soit dis­si­pée pour toujours.

Les catho­liques ita­liens, en ver­tu des prin­cipes immuables et bien connus de leur reli­gion, se refusent à toute conspi­ra­tion ou révolte contre les pou­voirs publics aux­quels ils rendent le tri­but qui leur est dû. Leur conduite pas­sée, à laquelle tous les hommes impar­tiaux peuvent rendre un témoi­gnage hono­rable, est garant de leur con­duite dans l’avenir, et cela devrait suf­fire pour leur assu­rer la jus­tice et la liber­té aux­quelles ont droit tous les citoyens paci­fiques. Disons plus : étant, par la doc­trine qu’ils pro­fessent, les plus solides sou­tiens de l’ordre, ils ont droit au res­pect, et si la ver­tu et le mérite étaient appré­ciés d’une manière adé­quate, ils auraient encore droit aux égards et à la gra­ti­tude de ceux qui pré­sident aux affaires publiques.

Mais les catho­liques ita­liens, pré­ci­sé­ment parce qu’ils sont catho­liques, ne peuvent renon­cer à vou­loir qu’on res­ti­tue à leur chef suprême l’indépendance néces­saire et la plé­ni­tude de la liber­té, vraie et effec­tive, qui est la condi­tion indis­pen­sable de la liber­té et de l’indépendance de l’Eglise catho­lique. Sur ce point, leurs senti­ments ne chan­ge­ront ni par les menaces ni par la vio­lence ; ils subi­ront l’ordre de choses actuel, mais tant qu’il aura pour but l’abaissement de la papau­té et pour cause la conspi­ra­tion de tous les élé­ments anti­re­li­gieux et sec­taires, ils ne pour­ront jamais, sans vio­ler leurs plus sacrés devoirs, concou­rir à le sou­te­nir par leur adhé­sion et par leur appui. Demander aux catho­liques un concours posi­tif pour main­te­nir l’ordre de choses actuel serait une pré­ten­tion dérai­son­nable et absurde ; car il ne leur serait plus per­mis d’obtem­pérer aux ensei­gne­ments et aux pré­ceptes du Siège apos­to­lique ; au contraire, ils devraient agir en oppo­si­tion avec ces ensei­gne­ments et se dépar­tir de la conduite que tiennent les catho­liques de toutes les autres nations.

Voilà pour­quoi l’action des catho­liques, dans l’état pré­sent des choses, demeu­rant étran­gère à la poli­tique, se concentre sur le champ social et reli­gieux et vise à mora­li­ser les popu­la­tions, à les rendre obéis­santes à l’Eglise et à son chef, à les éloi­gner des périls du socia­lisme et de l’anarchie, à leur incul­quer le res­pect du prin­cipe d’autorité, enfin à sou­la­ger leur indi­gence par les œuvres mul­tiples de la cha­ri­té chrétienne.

Comment donc les catho­liques pourraient-​ils être appe­lés enne­mis de la patrie et se voir confon­dus avec les par­tis qui attentent à l’ordre et à la sécu­ri­té de l’Etat ?

De pareilles calom­nies tombent devant le simple bon sens. Elles reposent uni­que­ment sur cette idée que les des­ti­nées, l’unité, la pros­pé­ri­té de la nation consistent dans les faits accom­plis au détri­ment du Saint-​Siège, faits cepen­dant déplo­rés par les hommes les moins sus­pects qui ont ouver­te­ment signa­lé comme une immense erreur la pro­vo­ca­tion d’un conflit avec cette grande Institution pla­cée par Dieu au milieu de l’Italie, et qui fut et sera tou­jours son hon­neur prin­ci­pal et incom­pa­rable : Institution pro­di­gieuse qui domine l’histoire et grâce à laquelle l’Italie est deve­nue l’é­du­ca­trice féconde des peuples, la tête et le cœur de la civi­li­sa­tion chrétienne.

De quelle faute sont donc cou­pables les catho­liques, quand ils dési­rent le terme d’un long dis­sen­ti­ment, source des plus grands dom­mages pour l’Italie dans l’ordre social, moral et poli­tique ; quand ils demandent qu’on écoute la voix pater­nelle de leur Chef suprême qui a si sou­vent récla­mé les répa­ra­tions qu’on lui doit, en mon­trant quels biens incal­cu­lables en résul­te­raient pour l’Italie ?

Les vrais enne­mis de l’Italie, il faut les cher­cher ailleurs ; il faut les cher­cher par­mi ceux qui, mus par un esprit irré­li­gieux et sec­taire, l’âme insen­sible aux maux et aux périls qui menacent la patrie, repoussent toute solu­tion vraie et féconde du dis­sen­ti­ment, et s’ef­forcent, par leurs cou­pables des­seins, de le rendre tou­jours plus long et plus acerbe. C’est à eux et non à d’autres qu’il eût fal­lu appli­quer les mesures rigou­reuses dont on a frap­pé tant d’utiles asso­cia­tions catho­liques, mesures qui Nous affligent profon­dément encore pour un autre motif d’un ordre plus éle­vé et qui ne regarde pas seule­ment les catho­liques ita­liens, mais ceux du monde entier. Ces mesures font res­sor­tir de mieux en mieux la situa­tion pénible, pré­caire et into­lé­rable à laquelle Nous sommes réduit. Si quelques faits aux­quels les catho­liques sont res­tés com­plè­te­ment étran­gers ont suf­fi pour qu’on décré­tât la sup­pres­sion de mil­liers d’œuvres bien­fai­santes et exemptes de toute faute, en dépit des garan­ties qu’elles tenaient des lois fon­da­men­tales de l’Etat, tout homme sen­sé et impar­tial com­pren­dra quelle peut être l’efficacité des assu­rances don­nées par les pou­voirs publics pour la liber­té et l’in­dé­pen­dance de Notre minis­tère apos­to­lique. A quoi se réduit, à vrai dire, Notre liber­té, quand, après avoir été dépouillé de la plus grande par­tie des anciennes res­sources morales et maté­rielles dont les siècles chré­tiens avaient enri­chi le Siège apos­to­lique et l’Eglise en Italie, Nous sommes main­te­nant pri­vé même de ces moyens d’action reli­gieuse et sociale que Notre sol­li­ci­tude et le zèle admi­rable de l’épiscopat, du cler­gé et des fidèles avaient réunis pour la défense de la reli­gion et pour le bien du peuple ita­lien ? Quelle peut être cette pré­ten­due liber­té, quand une nou­velle occa­sion, un autre inci­dent quel­conque pour­rait ser­vir de pré­texte pour aller encore plus avant dans la voie des vio­lences et de l’ar­bi­traire et pour infli­ger de nou­velles et plus pro­fondes bles­sures à l’Eglise et à la religion ?

Nous signa­lons cet état de choses à Nos fils d’Italie et à ceux des antres nations. Aux uns comme aux autres Nous disons cepen­dant que si Notre dou­leur est grande, non moins grand est Notre cou­rage, non moins ferme Notre confiance en cette Providence qui gou­verne le monde et qui veille constam­ment et avec amour sur l’Eglise qui s’identifie avec la Papauté, selon la belle expres­sion de saint Ambroise. Ubi Petrus, ibi Ecclesia. Toutes deux sont des ins­ti­tu­tions divines qui ont sur­vé­cu à tous les outrages, à toutes les attaques, et qui, sans se lais­ser jamais ébran­ler, ont vu pas­ser les siècles, pui­sant au contraire dans le mal­heur même un accrois­se­ment de force, d’énergie et de constance.

Quant à Nous, Nous ne ces­se­rons d’aimer cette belle et noble nation où nous avons vu le jour, heu­reux de dépen­ser les der­niers restes de Nos forces pour lui conser­ver le tré­sor pré­cieux de la reli­gion, pour main­te­nir ses fils dans la sphère hono­rable de la ver­tu et du devoir, pour sou­la­ger leurs misères autant que Nous en aurons le pouvoir.

Et dans cette noble tâche, vous Nous appor­te­rez, Nous en sommes sûr, Vénérables Frères, le concours effi­cace de vos soins et de votre zèle aus­si éclai­ré que constant. Oui, conti­nuez cette œuvre sainte qui consiste à ravi­ver la pié­té par­mi les fidèles, à pré­ser­ver les âmes des erreurs et des séduc­tions dont elles sont de toutes parts envi­ronnées, à conso­ler les pauvres et les infor­tu­nés par tous les moyens que la cha­ri­té pour­ra vous sug­gé­rer. Vos fatigues ne seront pas sté­riles, quels que soient et la marche des évé­ne­ments et les appré­ciations des hommes, parce qu’elles tendent à une fin plus éle­vée que ne sont les choses d’ici-​bas : ain­si de toutes manières vos soins, fussent-​ils entra­vés et ren­dus impuis­sants, ser­vi­ront à vous déchar­ger devant Dieu et devant les hommes de toute res­pon­sa­bi­li­té quant aux dom­mages que pour­rait encou­rir l’Italie, par suite des empê­che­ments appor­tés à votre minis­tère pastoral.

Et vous, catho­liques ita­liens, objet prin­ci­pal de Notre sol­li­ci­tude et de Notre affec­tion, vous qui avez été en butte à de plus pénibles vexa­tions parce que vous êtes plus près de Nous et plus unis à ce Siège apos­to­lique, ayez pour appui et pour encou­ra­ge­ment Notre parole et la ferme assu­rance que Nous vous don­nons : comme la Papauté, aux siècles pas­sés, par­mi les évé­ne­ments les plus graves et dans les temps les plus ora­geux, fut tou­jours le guide, la défense et le salut du peuple catho­lique, spé­cia­le­ment du peuple d’Italie, ain­si dans l’avenir elle ne failli­ra pas à sa grande et salu­taire mis­sion de défendre et de reven­di­quer vos droits, de vous assis­ter dans vos dif­fi­cul­tés, avec d’autant plus d’amour que vous serez plus per­sécutés et plus oppri­més. Vous avez don­né, spé­cia­le­ment dans ces der­niers temps, de nom­breux témoi­gnages d’ab­né­ga­tion et d’activité à faire le bien. Ne per­dez pas cou­rage, mais, vous tenant rigoureu­sement comme par le pas­sé dans les limites de la loi et plei­ne­ment sou­mis à la direc­tion de vos pas­teurs, pour­sui­vez les mêmes des­seins avec une ardeur vrai­ment chrétienne.

Si vous ren­con­trez sur votre che­min de nou­velles contra­dic­tions et de nou­velles marques d’hostilité, ne vous en lais­sez point abattre ; la bon­té de votre cause paraî­tra mieux au jour, pré­ci­sé­ment parce que vos adver­saires seront contraints, pour la com­battre, de recou­rir à de pareilles armes, et les épreuves que vous aurez à endu­rer aug­men­te­ront votre méri­té aux yeux des gens de bien, et, ce qui importe davan­tage, devant Dieu.

Cependant, comme gage des célestes faveurs et comme témoi­gnage de Notre affec­tion très spé­ciale, rece­vez la béné­dic­tion Apostolique que Nous accor­dons du plus pro­fond de Notre cœur, à vous, Véné­rables Frères, au cler­gé et au peuple italien.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 5 août 1898, de Notre pon­ti­fi­cat l’année vingt et unième.

LEO PP. XIII.

Source : Lettres apos­to­lique de S. S. Léon XIII, tome 5, La Bonne Presse – Note de cette édi­tion : « Cette lettre ency­clique sur l’Italie a été publiée en ita­lien dans l’Osservatore roma­no. Nous don­nons la tra­duc­tion offi­cielle fran­çaise qui a paru en même temps que le docu­ment italien. »