Au R.P. Wladimir Ledochowski,
Préposé général de la société de Jésus.PIE XI, PAPE
Cher Fils, salut et bénédiction apostolique
Un trait caractéristique de la vie du divin Maître est la particulière affection qu’il témoigne à la jeunesse. Il appelle, il attire à lui les enfants innocents (Mc 10, 13–16.), et aux misérables qui les scandalisent il adresse, avec de sévères reproches, la menace des plus graves châtiments (Mt 18, 6.) ; tandis qu’au jeune homme demeuré pur, sous la forme d’une invitation et la promesse d’une récompense, il propose un idéal complet de sainteté parfaite (Mc 10, 21.).
S’inspirant de ce même esprit que lui a communiqué son Fondateur, l’Eglise, héritière de sa mission et de son œuvre, n’a cessé dès l’origine du christianisme de se montrer embrasée du même amour et animée du même zèle à l’égard des jeunes gens. Et tout d’abord, prenant en mains la cause de l’enfance, elle se préoccupe de protéger sa santé physique et morale ; puis, pour permettre à ses jeunes fils de se former aux premiers éléments des lettrés et de passer à des études plus élevées, elle ouvre pour eux des écoles et des gymnases ; elle approuve ou même elle suscite des Ordres, des Congrégations religieuses, dont la mission sera de fonder des académies, des collèges, des écoles publiques et des associations pour l’instruction et l’éducation de la jeunesse. D’ailleurs, ce rôle d’éducatrice, l’Eglise l’a de tout temps revendiqué comme un droit propre et inviolable ; il lui était impossible de ne pas affirmer devant l’humanité entière, dont le soin lui est confié, qu’elle est l’unique gardienne de la véritable science des mœurs, l’unique et infaillible maîtresse du plus difficile de tous les arts, celui de donner aux âmes humaines la formation chrétienne. On ne saurait croire quelle joie nous cause aujourd’hui la vue de ces innombrables adolescents des deux sexes qui en tous pays et de tous les rangs sociaux se pressent pleins d’enthousiasme autour de leurs prêtres, avides non seulement de se perfectionner dans la science religieuse et dans toutes les formes de la culture chrétienne, mais encore d’apporter à l’Eglise le concours de leur travail pour l’œuvre d’amendement et de salut qu’elle poursuit à l’égard de l’humanité. Quand nous nous rappelons les nombreux groupes de jeunes gens de tous pays qui tant de fois, durant la précédente année jubilaire, dénièrent devant Nous, Nous goûtons à nouveau le plaisir et la joie dont nous fûmes alors comblé, en imaginant quelle puissante et pacifique armée de pareilles légions de jeunes gens, organisées dans toutes les nations, pourraient un jour mettre à la disposition du Siège apostolique pour régénérer le monde vieillissant. Ce qui accroît encore et enracine plus profondément dans Notre cœur l’amour de la jeunesse, c’est la vue des multiples et abominables embûches tendues à sa foi et à son innocence : de là vient que trop souvent, dans cette âpre lutte qui s’impose à toute la vie spirituelle, les énergies de l’âge et de la vertu s’énervent ou même se brisent chez un grand nombre qui auraient pu rendre d’éminents services à l’Eglise et à la société.
Or, voici que, avec le dernier jour de l’année en cours, va se clore le deuxième siècle écoulé depuis que les honneurs de la sainteté ont été décernés à Louis de Gonzague, occasion singulièrement propice, semble-t-il, pour faciliter à la jeunesse son avancement spirituel. C’est pourquoi, Nous tournant aujourd’hui vers tous nos jeunes fils qui sur la vaste étendue du globe grandissent dans l’espérance du règne du Christ, Nous sommes heureux de leur transmettre par cette lettre que Nous vous adressons, cher fils, nos pensées et nos paroles. C’est qu’il ne suffit pas aux jeunes gens de pouvoir, dans les épreuves et difficultés de la vie, recourir à la puissance et au crédit de leur patron céleste, ils doivent de plus l’imiter comme un modèle idéal de toutes les vertus. Qu’ils étudient à fond sa vie, et ils apprendront bien vite quelle voie mène à la perfection chrétienne, quels sont les moyens les plus propres à l’atteindre, quels fruits de vertus aussi suaves que précieux ils pourront recueillir en marchant sur les traces de Louis de Gonzague. A le contempler ainsi en lui-même et éclairé de sa propre lumière, bien différent, certes, du portrait mensonger qu’en ont tracé les ennemis de l’Eglise ou des écrivains peu avertis, comment ne verraient-ils pas en lui, même après tant d’autres gloires de sainteté plus récemment acquises à l’Eglise, un exemplaire admirable des vertus juvéniles ? Quiconque, en effet, parcourra nos annales constatera sans peine que les adolescents et les hommes qui, sous l’action de l’Esprit-Saint, ont depuis la mort de Louis de Gonzague jusqu’à ce jour provoqué le plus d’admiration par l’innocence de leur vie, se sont jour la plupart formés à son école. Parmi eux, et pour abréger, rappelons seulement Jean Berchmans, cet élève du Collège Romain dont l’unique ambition était de reproduire la vie de Louis ; Nunzio Sulprizio, jeune ouvrier qui dès l’enfance et jusqu’à sa mort ne cessa d’imiter l’ange de Gastiglione ; Contardo Ferrini, justement appelé par ses camarades un antre Louis, parce qu’il l’avait pris pour modèle et protecteur de sa chasteté et l’entourait d’un culte pieux ; Bartholomée Capitanio, qui elle aussi s’était mise dévotement sous le patronage de Gonzague et qui le reproduisit avec perfection dans sa vie et dans sa mort ; il semble bien d’ailleurs que Louis ait voulu l’associer à sa gloire en lui obtenant pour son deuxième centenaire les honneurs de la canonisation. Il n’est pas non plus téméraire d’affirmer que Louis contribua pour une grande part au changement intérieur et au progrès spirituel de Gabriel de l’Addolorata, car ce jeune homme, malgré une adolescence quelque peu légère et inconstante, prit l’habitude de vénérer Louis de Gonzague comme le Patron de la jeunesse et ne cessa plus d’implorer son secours et sa protection. Disons enfin, pour ne citer que lui parmi les plus récents éducateurs et maîtres de l’enfance et de la jeunesse, que Jean Bosco, non content de rendre à Louis un culte affectueux, en transmit l’héritage à sa famille religieuse et le recommanda, avec la dernière insistance, à tous les jeunes garçons qu’il s’efforcait de former à la vie chrétienne : un de ceux qui parmi eux fit le plus de progrès dans l’imitation de Louis fut Dominique Savio, cette âme d’une angélique candeur que Dieu ne fit guère que montrer à l’admiration de la terre.
Ce n’est pas, croyons-Nous, sans une mystérieuse disposition de la Providence que Louis fut emporté à la fleur de l’âge par une mort prématurée, alors que ses éminentes qualités d’esprit et de cœur, une volonté forte et constante, une prudence extraordinaire et quasi divine, et avec cela un zèle ardent pour la religion et le salut des âmes, promettaient et faisaient espérer de lui les fruits du plus fécond apostolat. Dieu sans doute a voulu que par l’exemple de ce jeune homme, comme eux dans la fleur de la jeunesse, et à ce seul titre déjà digne de leur sympathie et de leur émulation, les jeunes gens pussent apprendre que le devoir propre et essentiel de leur état est de se préparer aux agitations de la vie en s’exerçant à une culture intense et progressive des vertus chrétiennes. Ceux qui n’auraient pas acquis et ne posséderaient pas ce patrimoine des vertus intérieures qui ont brillé en Louis d’un merveilleux éclat, Nous ne les estimerions pas suffisamment prêts et armés pour les tâches de l’apostolat ; pas plus que l’airain sonnant ou la cymbale retentissante (1 Co 13, 1.), ils ne sauraient rendre service, mais nuiraient plutôt à la cause qu’ils prétendraient soutenir et défendre : l’expérience des âges précédents l’a plus d’une fois démontré. C’est donc, n’est-il pas vrai ? bien à temps et bien à propos que surviennent en ce moment les fêtes séculaires de notre Louis de Gonzague, lequel, par l’exemple de sa vie, fera entendre aux jeunes gens, enclins par nature aux œuvres extérieures et toujours empressés à s’élancer dans le champ de bataille de la vie, qu’avant de songer aux autres et à la cause catholique, il leur faut se perfectionner eux-mêmes intérieurement par l’étude et la pratique des vertus.
Et voici la première leçon que donne aux jeunes gens Louis de Gonzague, c’est que l’essence de la formation chrétienne consiste à prendre pour fondement son esprit de foi vive, de cette foi qui, semblable à un flambeau brillant dans un lieu ténébreux (2 P 1, 19), éclaire les hommes et leur fait voir distinctement la nature et l’importance de la vie mortelle. Louis résolut donc d’ordonner sa vie non « d’après les raisons temporelles », mais « d’après les raisons éternelles », en dehors desquelles on ne peut être ni se dire homme spirituel, et qu’il avait puisées dans la divine révélation ; puis par la gymnastique des saints exercices de la retraite auxquels, à peine sorti de l’enfance, puis après son admission dans la Compagnie de Jésus, il s’adonna fréquemment, il prit l’habitude de méditer longuement ces raisons et de les approfondir pour le plus grand profit et la plus grande jouissance de son âme. De même il Nous paraît indispensable que nos jeunes gens, à l’école de Louis de Gonzague, se pénètrent à fond de cette vérité, que la vie humaine ne doit point être rabaissée au point de se borner à la recherche et à la jouissance des biens périssables, de ces biens qui absorbent trop souvent le cœur et les sens de la jeunesse, mais qu’il faut au contraire la considérer comme une carrière d’où, pour l’unique service du Christ, on s’élance à la conquête de l’éternelle béatitude. Il ne sera pas difficile à nos jeunes gens d’acquérir cette saine appréciation de la vie, si, à l’imitation de leur céleste patron, ils savent de temps en temps s’arracher au tourbillon des affaires humaines et se réserver quelques jours pour vaquer aux exercices spirituels qui sont au témoignage d’une longue expérience, le moyen le plus propre et le plus sûr pour imprégner de pensées fortes et salutaires l’âme souple et docile des jeunes gens.
Eclairé par cette lumière surnaturelle, comme Nous l’avons dit, Louis avait décidé de ne rien négliger pour mener une vie complètement innocente ; il persévéra si constamment dans sa résolution que du premier usage de sa raison jusqu’à son dernier souffle il se garda exempt de toute faute grave : et par-dessus tout, il mit tant de soin à préserver la fleur de sa chasteté de la plus légère tache qu’il mérita d’être honoré par ses camarades du nom d’ange – comme plus tard par le peuple chrétien – et que le bienheureux Robert Bellarmin, qui fut le très sage directeur spirituel du saint jeune homme, le considérait comme confirmé en grâce. Si Louis est parvenu à ce sommet de la vertu et de la perfection, ce n’est pas que Dieu, par une faveur inouïe, l’ait exempté de toutes ces luttes intérieures et extérieures qu’il nous faut engager à tout instant et malgré notre répugnance, contre notre nature déchue de sa justice originelle. Il est vrai que, grâce à un privilège tout spécial, il ne fut jamais tourmenté par les aiguillons de la volupté et de la concupiscence ; néanmoins, en raison de ses hautes destinées, il ne fut pas complètement insensible aux frémissements de la colère et aux chatouillements de la vaine gloire ; mais ces instincts naturels, sa volonté invincible les dompta ou plutôt les soumit entièrement et sans réserve à l’empire de la raison.
D’autre part, Louis n’ignorait pas la fragilité native des forces humaines et se défiait surtout de sa vertu ; aussi s’appliqua-t-il à s’assurer le secours de la grâce divine : jour et nuit il répandait devant Dieu ses prières qu’il prolongeait durant plusieurs heures ; il recourait, pour obtenir la clémence divine, au patronage de la Vierge-Mère dont il fut l’un des plus fidèles clients ; surtout, bien persuadé que dans la sainte Eucharistie se trouvent la source et toute l’énergie de la vie chrétienne, il prit l’habitude de s’asseoir au banquet sacré aussi souvent qu’il en avait la permission, afin d’y entretenir et d’y renouveler sans cesse ses forces. Enfin, pour garder l’innocence de la vie et la chasteté des mœurs, notre saint jeune homme, sachant qu’il ne faut pas séparer l’effort humain du don divin de la grâce, ajouta au culte pieux de l’Auguste Sacrement et de la Sainte Vierge la fuite des préoccupations mondaines et une mortification des sens si rigoureuse que les autres mortels peuvent bien pour la plupart l’admirer mais ne sauraient l’égaler. C’est en effet un prodige à peine croyable que, dans un milieu corrompu, Louis de Gonzague l’ait disputé en candeur aux esprits célestes, que dans la course aux plaisirs, cet adolescent ait brillé par une abstinence, une austérité, une sévérité de vie inconnues ; que dans la poursuite passionnée des honneurs, Louis n’ait éprouvé pour eux que mépris et dégoût, au point d’abdiquer de grand cœur l’héritage princier qui lui revenait de droit et de lui préférer l’entrée dans une famille religieuse où l’on s’interdit par serment l’accès aux dignités ecclésiastiques ; que dans un monde enfin professant un culte exagéré pour l’antique sagesse des Grecs et des Romains, Louis se soit adonné exclusivement et sans relâche à l’étude et à la pratique des sciences sacrées, que par une grâce spéciale de Dieu jointe à sa merveilleuse industrie, son âme se soit attachée si intimement à Dieu qu’aucune pensée étrangère ne pût la détourner de la divine contemplation.
Assurément ce sont là des états extraordinaires, des sommets de sainteté presque inaccessibles aux hommes même d’une vertu consommée ; qu’ils servent du moins à apprendre à nos jeunes gens par quels moyens ils pourront conserver dans son intégrité ce qui fait la gloire la plus noble, le plus bel ornement de la jeunesse, c’est-à-dire l’innocence de la vie et la chasteté. A ce sujet, nous ne l’ignorons pas, certains éducateurs de la jeunesse, effrayés de ta dépravation actuelle des mœurs, qui, pour le plus grand malheur des âmes, précipite à la ruine tant de jeunes gens, ont pensé que pour éviter de tels désastres à la société, il fallait de toute nécessité inventer de nouveaux systèmes d’instruction et d’éducation. Mais à ces hommes Nous voudrions faire bien comprendre, qu’ils ne sauraient procurer aucun avantage à la société, s’ils laissent de côté les méthodes et la discipline empruntées aux sources de la sagesse chrétienne, consacrées par la longue expérience des siècles, et dont Louis de Gonzague a éprouvé sur lui-même la parfaite efficacité : Nous voulons dire : la foi vive, la fuite des séductions, la modération et le refrènement des appétits, une piété agissante envers Dieu et la Sainte Vierge, une vie enfin fréquemment entretenue et fortifiée par le céleste aliment.
Si vraiment nos jeunes gens veulent fixer leur attention sur Louis de Gonzague comme sur un modèle accompli de chasteté et de sainteté, non seulement ils apprendront de lui à réprimer leurs passions, mais, de plus, ils éviteront cet écueil si funeste à la formation chrétienne auquel se heurtent fatalement tous ceux qui, imbus des préjugés d’une certaine science hostile à l’enseignement du Christ et de l’Eglise, se laissent troubler par un enthousiasme excessif pour la liberté, par l’esprit d’orgueil et d’indépendance. Louis fut tout l’opposé : Lui, le futur héritier de la principauté de ses aïeux, se soumit de plein gré à la direction de ceux qui lui furent donnés pour maîtres de littérature et de religion ; dans la suite, devenu aspirant de la Société de Jésus, il obéit aux ordres et aux conseils des supérieurs avec une si complète abnégation, que dans les moindres observances de la vie religieuse, il ne s’écarta pas, fût-ce de la largeur d’un doigt, des prescriptions de la règle. Quel contraste avec la manière d’agir de ces jeunes gens qui, séduits par une apparence de faux biens et impatients de tout frein, ne savent que dénigrer les avis des plus anciens. Tous ceux donc qui aspirent à servir sous les étendards du Christ doivent tenir pour certain qu’en rejetant de leurs épaules le joug de la discipline, ils ne recueilleront au lieu de lauriers que de honteuses défaites ; car, de par la disposition de la Providence, la jeunesse est ainsi faite que, soit pour la culture intellectuelle et morale, soit pour la formation générale de la vie, selon l’esprit chrétien, elle ne peut réaliser aucun progrès sans se soumettre à la direction d’autrui. Or, si les autres disciplines exigent d’elle une grande docilité d’esprit, il lui en faut une bien plus grande encore pour s’initier aux devoirs de l’action et de l’apostolat : ces devoirs, en effet, parce qu’ils se rattachent au mandat confié par le Christ a l’Eglise, ne sauraient être saintement et utilement remplis que dans la subordination à ceux que l’Esprit Saint a constitués évêques pour régir l’Eglise de Dieu (Ac 20, 28.). Mais, de même qu’au paradis terrestre, en promettant à nos premiers parents d’immenses et incroyables avantages, Satan les entraîna à la désobéissance et à la révolte contre Dieu ; de même, sous le prétexte de liberté, aujourd’hui encore il corrompt les jeunes gens, les gonflant d’un sot orgueil qui les mène à la ruine, quand au contraire leur vraie dignité consiste uniquement à obéir à l’autorité légitime. Aussi Louis de Gonzague, alors que son renom de haute prudence le grandissait aux yeux de son peuple et suscitait de vives espérances au sujet de son futur principat, alors que plus tard ses frères en religion voyaient en lui un sujet très capable d’occuper un jour la première place de l’Ordre, lui pourtant, seul à se mépriser, joignant à la plus humble déférence une parfaite dignité, obéissait à tous ceux qui avaient la charge de lui commander et qui pour lui tenaient la place de son Seigneur et Roi éternel.
D’une vie si sainte, exactement ordonnée selon les lumières et la règle de la foi, Louis recueillit des fruits aussi suaves que précieux ; les dons de la nature et ceux de la grâce se mêlant dans une merveilleuse harmonie réalisèrent en lui la perfection idéale du jeune homme. Qui ne voit, en effet, que par la supériorité de l’intelligence et la maturité du jugement, par la grandeur d’âme et la force de volonté, par la douceur et l’aménité du caractère il a possédé et manifesté une véritable perfection ? Oui, ce jeune homme à la vie si pure, dont le cœur n’était troublé par aucune passion malsaine, dont la seule, la constante occupation, était de contempler et d’approfondir le vrai et le bien, a fait preuve d’une intelligence singulièrement vive et puissante, soit dans les brillants succès qu’il obtint au cours de ses diverses études, soit dans les discussions philosophiques qu’il soutint en public et qui lui valurent des éloges et applaudissements unanimes, soit encore dans ses écrits – ses lettres principalement – peu nombreux vu son jeune âge, mais qui se recommandent par une sage connaissance et appréciation des choses. La rectitude et la sagacité de son jugement se sont manifestées notamment d’abord dans les négociations fort difficiles dont son père l’avait chargé, qu’il sut conduire avec prudence et mener à bonne fin ; puis dans une autre affaire non moins ardue, quand, après la mort de son père, des rivalités et des haines s’étant élevées entre le prince son frère et le duc de Mantoue, il réussit à apaiser et à réconcilier les deux adversaires. Quant à la noblesse de ses sentiments et à son affabilité, il n’y a qu’une voix pour en faire le plus complet éloge parmi tous ceux qui furent admis à le fréquenter, soit dans les relations de la vie en commun, soit dans l’éclat des honneurs : oui, concitoyens et serviteurs, dignitaires et courtisans, supérieurs surtout et confrères de la Compagnie, il les tenait tous sous le charme de l’admiration.
La qualité pourtant que nous estimons prédominante en Louis de Gonzague, c’est sa force et constance de volonté. Dès sa plus tendre enfance, le petit héritier du marquis de Castiglione avait résolu délibérément de parvenir à la sainteté ; or, cette résolution aussi forte que hardie, il la tint jusqu’à sa mort, si bien que jamais rien ne put arrêter ou retarder les ascensions spirituelles qu’il s’était fixées aux premières lueurs de sa raison. Est-il un modèle plus opportun, mieux adapté à leur condition, qui puisse être proposé aux jeunes gens, à ceux surtout qui font leurs études, pour que, chacun selon son âge, ils s’appliquent à l’observer et à la reproduire fidèlement ? Il ne leur suffirait pas, en effet, de s’enrichir l’esprit et le cœur de connaissances saines et solides, il leur faut de plus acquérir un jugement sage, serein et pondéré, qui leur permette d’apprécier à leur juste valeur les personnes et les choses, sans se laisser influencer ni troubler par des apparences fallacieuses, par l’emportement ou par la mollesse, ou par les courants de l’opinion. Ils doivent enfin posséder à un haut degré cette bonté et aménité qui portent et protègent la paix dans la famille et dans la société, et cette volonté ferme et constante qui leur permettra de se diriger eux-mêmes et les autres dans la voie du bien.
Louis n’a pas manqué non plus de cette admirable activité, de ce zèle à se dépenser au profit des autres, qui constitue l’apostolat et vers lequel bien souvent les jeunes gens se sentent portés par l’âge et le tempérament. Sans doute la principale, l’assidue préoccupation du saint jeune homme consistait à méditer sur les choses célestes et à converser familièrement avec Dieu, ce qui permettait de dire que sa vie était cachée en Dieu avec Jésus-Christ (Col 3, 3.), néanmoins souvent s’échappaient de son cœur des étincelles d’ardeur apostolique, qui présageaient pour plus tard les flammes d’un véritable incendie. Ainsi, on le vit, à peine sorti de l’enfance, édifier par le bon exemple et par de pieuses conversations tous ceux avec qui il avait affaire et, en toute occasion, les exciter à la vertu ; un peu plus avancé en âge, sentant croître l’ardeur de ses saints désirs, il envisageait de hautes et difficiles entreprises et rêvait même d’apostoliques expéditions pour la conversion des hérétiques et des païens. A Rome, le peuple fut témoin de ses vertus quand, élève du Collège Romain, il parcourait les places, les carrefours et les faubourgs de la ville pour enseigner aux enfants et aux pauvres les éléments de la doctrine chrétienne ; on eut aussi le spectacle de l’héroïque charité qui l’embrasait lorsque, durant la peste qui désolait la ville, il allait soigner les malades atteints du fatal fléau ; il en contracta lui-même les germes et, quelques mois plus tard, à peine âgé de vingt-quatre ans, il succomba victime de la contagion. Ici encore s’étend devant nos jeunes gens un très vaste champ où, sous la direction de Louis, ils peuvent s’exercer à l’action : ils n’auront qu’à l’imiter et à le suivre dans la voie du bon exemple, dans l’apostolat de la parole, dans l’amour et le zèle pour les missions saintes, dans l’enseignement de la doctrine chrétienne, dans les multiples formes de la charité. Ah ! si nos cohortes de jeunes gens s’adonnaient de tout cœur à ces œuvres, vite elles y apprendraient à pratiquer l’apostolat de saint Louis en l’adaptant aux circonstances actuelles ; de saint Louis, disons-nous, car au ciel il continue son action salutaire, que la mort est loin d’avoir supprimée ou même interrompue. Du séjour des bienheureux, en effet, où la glorieuse vierge Carmélite Madeleine de Pazzi le vit par révélation entouré d’une gloire merveilleuse ; de ce ciel où il règne parmi les saints, comme l’a déclaré solennellement, il y a deux cents ans, Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Benoît XIII, Louis n’a jamais cessé de combler de ses bienfaits, spécialement toutes les associations de jeunes gens, dont il s’est fait le protecteur. Ainsi s’explique qu’un si grand nombre d’entre elles aient tenu à honneur de se grouper sous son nom et sous son patronage, que d’innombrables adolescents des deux sexes aient voulu, pour marcher sur ses traces, mêler de façon admirable les épines de la pénitence aux lis de la chasteté ; qu’entre Louis de Gonzague et la jeunesse chrétienne une sorte de noble émulation se soit élevée, à qui l’emportera de Louis prodiguant ses trésors célestes à la jeunesse, ou de celle-ci entourant de ses hommages son céleste patron. Rien d’étonnant donc à ce que les Pontifes romains aient donné saint Louis pour modèle et pour patron aux jeunes gens.
En évoquant tous ces souvenirs, soucieux Nous-même au premier chef de la bonne éducation et du salut de la jeunesse, aujourd’hui plus que jamais en péril, Nous Nous sommes proposé non seulement de faire revivre la mémoire des événements passés, mais encore de multiplier les fruits de grâces que nous tenons de Louis de Gonzague. C’est pourquoi, suivant les exemples et les règles de nos prédécesseurs, principalement de Benoît XIII et de Léon XIII, de nouveau Nous confirmons solennellement et, en tant que besoin, Nous déclarons, en vertu de Notre autorité apostolique, saint Louis de Gonzague patron céleste de toute la jeunesse chrétienne. A cette portion d’élite de la famille catholique, que Nous invitons à se grouper sous la fidèle protection de saint Louis, Nous souhaitons de croître de jour en jour en nombre et en valeur, de contribuer, par l’affirmation et la profession publique de sa foi chrétienne, à mettre partout en honneur la pureté des mœurs ; Nous la pressons vivement, Nous la conjurons paternellement d’avoir toujours Louis devant les yeux comme modèle, de l’honorer et de l’invoquer sans cesse, pratiquant les pieux exercices de la retraite et la dévotion des six dimanches, qui ont produit, une longue expérience l’atteste, des fruits aussi précieux qu’abondants.
Nous Nous sommes grandement réjoui en apprenant le projet proposé aux jeunes gens par le Comité principal des fêtes du centenaire, que préside avec tant de zèle Notre cardinal vicaire, savoir : que chacun d’eux, au cours d’une petite retraite, prépare un plan de vie chrétienne chaste et pure et le rédige en une formule qu’il signera de sa main comme un engagement sacré ; que toutes ces formules réunies en volumes soient apportées à Rome par les délégués de la jeunesse catholique de chaque pays de l’univers ; que ces volumes enfin, après que le Souverain Pontife leur aura donné une sorte d’approbation, soient déposés, comme monuments de piété et de souvenir, dans la chapelle où reposent les vénérables restes de saint Louis. On ne saurait trouver moyen plus propre à stimuler la nature généreuse de la jeunesse, et il ne paraît pas douteux que de cette façon le résultat attendu de cette commémoration séculaire, le renouvellement spirituel de la jeunesse universelle, ne soit heureusement obtenu. Quant aux délégués de la grande famille des jeunes gens catholiques qui se réuniront à Rome, comme Nous venons de le dire, à l’époque fixée pour les fêtes, Nous serons heureux de les accueillir et de leur parler, voyant en eux l’espoir et la promesse des plus grands succès ; puis, par la pensée et par le cœur, Nous les accompagnerons au tombeau de saint Louis, pour implorer avec eux, en faveur de nos jeunes fils de tout l’univers, la protection de plus en plus efficace de leur céleste patron.
Le même jour que saint Louis de Gonzague, et conjointement avec lui, était admis aux honneurs de la canonisation saint Stanislas Kostka qui un peu plus tôt avait vécu dans la Compagnie de Jésus, d’où il s’était envolé vers les demeures célestes. En raison de cette heureuse coïncidence, nos jeunes gens voudront aussi arrêter leurs regards sur ce séraphique jeune Polonais que Dieu « parmi les autres merveilles de sa sagesse » a rendu si grand que « même dans un âge tendre » il a obtenu « la grâce d’une sainteté accomplie ». Lui aussi d’origine princière, doué d’une haute et vaste intelligence, garda dans toute sa fleur l’angélique pureté et ne cessa de tendre à la perfection ; à son propre frère trop enclin aux vanités et aux plaisirs mondains il opposa une énergique et constante résistance ; des pièges habiles qui lui furent tendus par une famille hérétique dont il recevait l’hospitalité et par des camarades livrés à la dissipation et à l’intempérance il sortit toujours victorieux ; sustenté et fortifié, plus d’une fois même par le ministère des anges, du pain eucharistique, il fit à pied de longs voyages pour obéir à Dieu qui, l’appelant à une vie plus parfaite, Le voulait manifestement dans la Compagnie de Jésus ; il vint enfin à Rome, mais comme en passant, pour de là, bientôt après, consumé par la flamme intérieure de la charité, âgé seulement de dix-huit ans, encore novice, s’envoler vers l’éternelle Jérusalem et y prendre rang, comme le plus jeune de tous, parmi les saints confesseurs. C’est sans doute cette volonté ferme et constante que Dieu voulut spécialement récompenser par la gloire si éclatante dont il fit resplendir l’angélique Stanislas, quand sur sa nation d’origine et même sur la chrétienté tout entière alors menacée du plus grand péril par les incursions des Turcs, le saint adolescent étendit sa protection comme un rempart inexpugnable. Qu’il ait secouru efficacement et même miraculeusement sa patrie en danger, était un fait si avéré que Jean Sobieski, cet illustre César chrétien, qui délivra Vienne d’un siège terrible, déclarait sans hésiter devoir ses victoires moins à ses armes qu’à la protection de Stanislas.
Puissent ces deux saints, unissant leurs supplications, obtenir et faire que notre jeunesse, les imitant l’un et l’autre, se montre plus empressée à la recherche, plus ardente à la poursuite de la vraie et unique gloire des chrétiens, qui est le merveilleux rayonnement de la chasteté et de la sainteté.
Entre temps, comme gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre paternelle dilection, à vous, cher fils, à tous les religieux de la Société de Jésus et à tous leurs élèves, Nous accordons affectueuse, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 13 juin 1926, la cinquième année de Notre Pontificat.
PIE XI, PAPE.
Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 3, pp. 214–235