Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

13 juin 1926

Lettre apostolique Singulare illud

À l’occasion du deuxième centenaire de la canonisation de saint Louis de Gonzague

Au R.P. Wladimir Ledochowski,
Préposé géné­ral de la socié­té de Jésus.

PIE XI, PAPE

Cher Fils, salut et béné­dic­tion apostolique

Un trait carac­té­ris­tique de la vie du divin Maître est la par­ti­cu­lière affec­tion qu’il témoigne à la jeu­nesse. Il appelle, il attire à lui les enfants inno­cents (Mc 10, 13–16.), et aux misé­rables qui les scan­da­lisent il adresse, avec de sévères reproches, la menace des plus graves châ­ti­ments (Mt 18, 6.) ; tan­dis qu’au jeune homme demeu­ré pur, sous la forme d’une invita­tion et la pro­messe d’une récom­pense, il pro­pose un idéal com­plet de sain­te­té par­faite (Mc 10, 21.).

S’inspirant de ce même esprit que lui a com­mu­ni­qué son Fondateur, l’Eglise, héri­tière de sa mis­sion et de son œuvre, n’a ces­sé dès l’origine du chris­tia­nisme de se mon­trer embra­sée du même amour et ani­mée du même zèle à l’égard des jeunes gens. Et tout d’abord, pre­nant en mains la cause de l’enfance, elle se pré­oc­cupe de pro­té­ger sa san­té phy­sique et morale ; puis, pour per­mettre à ses jeunes fils de se for­mer aux pre­miers élé­ments des let­trés et de pas­ser à des études plus éle­vées, elle ouvre pour eux des écoles et des gym­nases ; elle approuve ou même elle sus­cite des Ordres, des Congrégations reli­gieuses, dont la mis­sion sera de fon­der des aca­dé­mies, des col­lèges, des écoles publiques et des asso­cia­tions pour l’instruction et l’éducation de la jeu­nesse. D’ailleurs, ce rôle d’éducatrice, l’Eglise l’a de tout temps reven­di­qué comme un droit propre et invio­lable ; il lui était impos­sible de ne pas affir­mer devant l’humanité entière, dont le soin lui est confié, qu’elle est l’unique gar­dienne de la véri­table science des mœurs, l’unique et infaillible maî­tresse du plus dif­fi­cile de tous les arts, celui de don­ner aux âmes humaines la for­ma­tion chré­tienne. On ne sau­rait croire quelle joie nous cause aujourd’hui la vue de ces innom­brables ado­les­cents des deux sexes qui en tous pays et de tous les rangs sociaux se pressent pleins d’enthousiasme autour de leurs prêtres, avides non seule­ment de se per­fec­tion­ner dans la science reli­gieuse et dans toutes les formes de la culture chré­tienne, mais encore d’apporter à l’Eglise le concours de leur tra­vail pour l’œuvre d’amen­dement et de salut qu’elle pour­suit à l’égard de l’humanité. Quand nous nous rap­pe­lons les nom­breux groupes de jeunes gens de tous pays qui tant de fois, durant la pré­cé­dente année jubi­laire, dénièrent devant Nous, Nous goû­tons à nou­veau le plai­sir et la joie dont nous fûmes alors com­blé, en ima­gi­nant quelle puis­sante et paci­fique armée de pareilles légions de jeunes gens, orga­ni­sées dans toutes les nations, pour­raient un jour mettre à la dis­po­si­tion du Siège apos­to­lique pour régé­né­rer le monde vieillis­sant. Ce qui accroît encore et enra­cine plus profon­dément dans Notre cœur l’amour de la jeu­nesse, c’est la vue des mul­tiples et abo­mi­nables embûches ten­dues à sa foi et à son inno­cence : de là vient que trop sou­vent, dans cette âpre lutte qui s’impose à toute la vie spi­ri­tuelle, les éner­gies de l’âge et de la ver­tu s’énervent ou même se brisent chez un grand nombre qui auraient pu rendre d’éminents ser­vices à l’Eglise et à la société.

Or, voi­ci que, avec le der­nier jour de l’année en cours, va se clore le deuxième siècle écou­lé depuis que les hon­neurs de la sain­te­té ont été décer­nés à Louis de Gonzague, occa­sion sin­gu­liè­re­ment pro­pice, semble-​t-​il, pour faci­li­ter à la jeu­nesse son avan­ce­ment spi­ri­tuel. C’est pour­quoi, Nous tour­nant aujourd’hui vers tous nos jeunes fils qui sur la vaste éten­due du globe gran­dissent dans l’espérance du règne du Christ, Nous sommes heu­reux de leur trans­mettre par cette lettre que Nous vous adres­sons, cher fils, nos pen­sées et nos paroles. C’est qu’il ne suf­fit pas aux jeunes gens de pou­voir, dans les épreuves et dif­fi­cul­tés de la vie, recou­rir à la puis­sance et au cré­dit de leur patron céleste, ils doivent de plus l’imiter comme un modèle idéal de toutes les ver­tus. Qu’ils étu­dient à fond sa vie, et ils appren­dront bien vite quelle voie mène à la per­fec­tion chré­tienne, quels sont les moyens les plus propres à l’atteindre, quels fruits de ver­tus aus­si suaves que pré­cieux ils pour­ront recueillir en mar­chant sur les traces de Louis de Gonzague. A le contem­pler ain­si en lui-​même et éclai­ré de sa propre lumière, bien dif­fé­rent, certes, du por­trait men­son­ger qu’en ont tra­cé les enne­mis de l’Eglise ou des écri­vains peu aver­tis, com­ment ne verraient-​ils pas en lui, même après tant d’autres gloires de sain­te­té plus récem­ment acquises à l’Eglise, un exem­plaire admi­rable des ver­tus juvé­niles ? Quiconque, en effet, par­cour­ra nos annales consta­te­ra sans peine que les ado­les­cents et les hommes qui, sous l’action de l’Esprit-Saint, ont depuis la mort de Louis de Gonzague jusqu’à ce jour pro­vo­qué le plus d’admiration par l’innocence de leur vie, se sont jour la plu­part for­més à son école. Parmi eux, et pour abré­ger, rap­pe­lons seule­ment Jean Berchmans, cet élève du Collège Romain dont l’u­nique ambi­tion était de repro­duire la vie de Louis ; Nunzio Sulprizio, jeune ouvrier qui dès l’enfance et jusqu’à sa mort ne ces­sa d’imiter l’ange de Gastiglione ; Contardo Ferrini, jus­te­ment appe­lé par ses cama­rades un antre Louis, parce qu’il l’avait pris pour modèle et pro­tec­teur de sa chas­te­té et l’entourait d’un culte pieux ; Bartholomée Capitanio, qui elle aus­si s’était mise dévo­te­ment sous le patro­nage de Gonzague et qui le repro­dui­sit avec per­fec­tion dans sa vie et dans sa mort ; il semble bien d’ailleurs que Louis ait vou­lu l’associer à sa gloire en lui obte­nant pour son deuxième cen­te­naire les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion. Il n’est pas non plus témé­raire d’affirmer que Louis contri­bua pour une grande part au chan­ge­ment inté­rieur et au pro­grès spi­ri­tuel de Gabriel de l’Addolorata, car ce jeune homme, mal­gré une ado­les­cence quelque peu légère et incons­tante, prit l’habitude de véné­rer Louis de Gonzague comme le Patron de la jeu­nesse et ne ces­sa plus d’implorer son secours et sa pro­tec­tion. Disons enfin, pour ne citer que lui par­mi les plus récents édu­ca­teurs et maîtres de l’enfance et de la jeu­nesse, que Jean Bosco, non content de rendre à Louis un culte affec­tueux, en trans­mit l’héritage à sa famille reli­gieuse et le recom­man­da, avec la der­nière insis­tance, à tous les jeunes gar­çons qu’il s’efforcait de for­mer à la vie chré­tienne : un de ceux qui par­mi eux fit le plus de pro­grès dans l’i­mi­ta­tion de Louis fut Dominique Savio, cette âme d’une angé­lique can­deur que Dieu ne fit guère que mon­trer à l’admiration de la terre.

Ce n’est pas, croyons-​Nous, sans une mys­té­rieuse dis­po­si­tion de la Providence que Louis fut empor­té à la fleur de l’âge par une mort pré­ma­tu­rée, alors que ses émi­nentes qua­li­tés d’esprit et de cœur, une volon­té forte et constante, une pru­dence extra­or­di­naire et qua­si divine, et avec cela un zèle ardent pour la reli­gion et le salut des âmes, pro­mettaient et fai­saient espé­rer de lui les fruits du plus fécond apos­to­lat. Dieu sans doute a vou­lu que par l’exemple de ce jeune homme, comme eux dans la fleur de la jeu­nesse, et à ce seul titre déjà digne de leur sym­pa­thie et de leur ému­la­tion, les jeunes gens pussent apprendre que le devoir propre et essen­tiel de leur état est de se pré­pa­rer aux agi­ta­tions de la vie en s’exerçant à une culture intense et pro­gres­sive des ver­tus chré­tiennes. Ceux qui n’auraient pas acquis et ne posséde­raient pas ce patri­moine des ver­tus inté­rieures qui ont brillé en Louis d’un mer­veilleux éclat, Nous ne les esti­me­rions pas suf­fi­sam­ment prêts et armés pour les tâches de l’apostolat ; pas plus que l’airain son­nant ou la cym­bale reten­tis­sante (1 Co 13, 1.), ils ne sau­raient rendre ser­vice, mais nui­raient plu­tôt à la cause qu’ils pré­ten­draient sou­te­nir et défendre : l’expérience des âges pré­cé­dents l’a plus d’une fois démon­tré. C’est donc, n’est-il pas vrai ? bien à temps et bien à pro­pos que sur­viennent en ce moment les fêtes sécu­laires de notre Louis de Gonzague, lequel, par l’exemple de sa vie, fera entendre aux jeunes gens, enclins par nature aux œuvres exté­rieures et tou­jours empres­sés à s’élancer dans le champ de bataille de la vie, qu’avant de son­ger aux autres et à la cause catho­lique, il leur faut se per­fec­tion­ner eux-​mêmes intérieu­rement par l’étude et la pra­tique des vertus.

Et voi­ci la pre­mière leçon que donne aux jeunes gens Louis de Gonzague, c’est que l’essence de la for­ma­tion chré­tienne consiste à prendre pour fon­de­ment son esprit de foi vive, de cette foi qui, sem­blable à un flam­beau brillant dans un lieu téné­breux (2 P 1, 19), éclaire les hommes et leur fait voir dis­tinc­te­ment la nature et l’importance de la vie mor­telle. Louis réso­lut donc d’ordonner sa vie non « d’après les rai­sons tem­po­relles », mais « d’après les rai­sons éter­nelles », en dehors des­quelles on ne peut être ni se dire homme spi­ri­tuel, et qu’il avait pui­sées dans la divine révé­la­tion ; puis par la gym­nas­tique des saints exer­cices de la retraite aux­quels, à peine sor­ti de l’enfance, puis après son admis­sion dans la Compagnie de Jésus, il s’adonna fré­quem­ment, il prit l’habitude de médi­ter lon­gue­ment ces rai­sons et de les appro­fondir pour le plus grand pro­fit et la plus grande jouis­sance de son âme. De même il Nous paraît indis­pen­sable que nos jeunes gens, à l’école de Louis de Gonzague, se pénètrent à fond de cette véri­té, que la vie humaine ne doit point être rabais­sée au point de se bor­ner à la recherche et à la jouis­sance des biens péris­sables, de ces biens qui absorbent trop sou­vent le cœur et les sens de la jeu­nesse, mais qu’il faut au contraire la consi­dé­rer comme une car­rière d’où, pour l’unique ser­vice du Christ, on s’élance à la conquête de l’éternelle béa­ti­tude. Il ne sera pas dif­fi­cile à nos jeunes gens d’ac­qué­rir cette saine appré­cia­tion de la vie, si, à l’imitation de leur céleste patron, ils savent de temps en temps s’arracher au tour­billon des affaires humaines et se réser­ver quelques jours pour vaquer aux exer­cices spi­ri­tuels qui sont au témoi­gnage d’une longue expé­rience, le moyen le plus propre et le plus sûr pour impré­gner de pen­sées fortes et salu­taires l’âme souple et docile des jeunes gens.

Eclairé par cette lumière sur­na­tu­relle, comme Nous l’avons dit, Louis avait déci­dé de ne rien négli­ger pour mener une vie complè­tement inno­cente ; il per­sé­vé­ra si constam­ment dans sa réso­lu­tion que du pre­mier usage de sa rai­son jusqu’à son der­nier souffle il se gar­da exempt de toute faute grave : et par-​dessus tout, il mit tant de soin à pré­ser­ver la fleur de sa chas­te­té de la plus légère tache qu’il méri­ta d’être hono­ré par ses cama­rades du nom d’ange – comme plus tard par le peuple chré­tien – et que le bien­heu­reux Robert Bellarmin, qui fut le très sage direc­teur spi­ri­tuel du saint jeune homme, le consi­dé­rait comme confir­mé en grâce. Si Louis est par­ve­nu à ce som­met de la ver­tu et de la per­fec­tion, ce n’est pas que Dieu, par une faveur inouïe, l’ait exemp­té de toutes ces luttes inté­rieures et exté­rieures qu’il nous faut enga­ger à tout ins­tant et mal­gré notre répu­gnance, contre notre nature déchue de sa jus­tice ori­gi­nelle. Il est vrai que, grâce à un pri­vilège tout spé­cial, il ne fut jamais tour­men­té par les aiguillons de la volup­té et de la concu­pis­cence ; néan­moins, en rai­son de ses hautes des­ti­nées, il ne fut pas com­plè­te­ment insen­sible aux fré­mis­se­ments de la colère et aux cha­touille­ments de la vaine gloire ; mais ces ins­tincts natu­rels, sa volon­té invin­cible les domp­ta ou plu­tôt les sou­mit entiè­rement et sans réserve à l’empire de la raison.

D’autre part, Louis n’ignorait pas la fra­gi­li­té native des forces humaines et se défiait sur­tout de sa ver­tu ; aus­si s’appliqua-t-il à s’assurer le secours de la grâce divine : jour et nuit il répan­dait devant Dieu ses prières qu’il pro­lon­geait durant plu­sieurs heures ; il recou­rait, pour obte­nir la clé­mence divine, au patro­nage de la Vierge-​Mère dont il fut l’un des plus fidèles clients ; sur­tout, bien per­sua­dé que dans la sainte Eucharistie se trouvent la source et toute l’énergie de la vie chré­tienne, il prit l’habitude de s’asseoir au ban­quet sacré aus­si sou­vent qu’il en avait la per­mis­sion, afin d’y entre­te­nir et d’y renou­ve­ler sans cesse ses forces. Enfin, pour gar­der l’innocence de la vie et la chas­te­té des mœurs, notre saint jeune homme, sachant qu’il ne faut pas sépa­rer l’effort humain du don divin de la grâce, ajou­ta au culte pieux de l’Auguste Sacrement et de la Sainte Vierge la fuite des pré­oc­cu­pa­tions mon­daines et une mor­ti­fi­ca­tion des sens si rigou­reuse que les autres mor­tels peuvent bien pour la plu­part l’admirer mais ne sau­raient l’égaler. C’est en effet un pro­dige à peine croyable que, dans un milieu cor­rom­pu, Louis de Gonzague l’ait dis­puté en can­deur aux esprits célestes, que dans la course aux plai­sirs, cet ado­les­cent ait brillé par une abs­ti­nence, une aus­té­ri­té, une sévé­ri­té de vie incon­nues ; que dans la pour­suite pas­sion­née des hon­neurs, Louis n’ait éprou­vé pour eux que mépris et dégoût, au point d’ab­diquer de grand cœur l’héritage prin­cier qui lui reve­nait de droit et de lui pré­fé­rer l’entrée dans une famille reli­gieuse où l’on s’interdit par ser­ment l’accès aux digni­tés ecclé­sias­tiques ; que dans un monde enfin pro­fes­sant un culte exa­gé­ré pour l’antique sagesse des Grecs et des Romains, Louis se soit adon­né exclu­si­ve­ment et sans relâche à l’étude et à la pra­tique des sciences sacrées, que par une grâce spé­ciale de Dieu jointe à sa mer­veilleuse indus­trie, son âme se soit atta­chée si inti­me­ment à Dieu qu’aucune pen­sée étran­gère ne pût la détour­ner de la divine contemplation.

Assurément ce sont là des états extra­or­di­naires, des som­mets de sain­te­té presque inac­ces­sibles aux hommes même d’une ver­tu con­sommée ; qu’ils servent du moins à apprendre à nos jeunes gens par quels moyens ils pour­ront conser­ver dans son inté­gri­té ce qui fait la gloire la plus noble, le plus bel orne­ment de la jeu­nesse, c’est-à-dire l’innocence de la vie et la chas­te­té. A ce sujet, nous ne l’ignorons pas, cer­tains édu­ca­teurs de la jeu­nesse, effrayés de ta dépra­va­tion actuelle des mœurs, qui, pour le plus grand mal­heur des âmes, préci­pite à la ruine tant de jeunes gens, ont pen­sé que pour évi­ter de tels désastres à la socié­té, il fal­lait de toute néces­si­té inven­ter de nou­veaux sys­tèmes d’instruction et d’éducation. Mais à ces hommes Nous vou­drions faire bien com­prendre, qu’ils ne sau­raient pro­cu­rer aucun avan­tage à la socié­té, s’ils laissent de côté les méthodes et la dis­ci­pline emprun­tées aux sources de la sagesse chré­tienne, consa­crées par la longue expé­rience des siècles, et dont Louis de Gonzague a éprou­vé sur lui-​même la par­faite effi­ca­ci­té : Nous vou­lons dire : la foi vive, la fuite des séduc­tions, la modé­ra­tion et le refrè­ne­ment des appé­tits, une pié­té agis­sante envers Dieu et la Sainte Vierge, une vie enfin fré­quemment entre­te­nue et for­ti­fiée par le céleste aliment.

Si vrai­ment nos jeunes gens veulent fixer leur atten­tion sur Louis de Gonzague comme sur un modèle accom­pli de chas­te­té et de sain­teté, non seule­ment ils appren­dront de lui à répri­mer leurs pas­sions, mais, de plus, ils évi­te­ront cet écueil si funeste à la for­ma­tion chré­tienne auquel se heurtent fata­le­ment tous ceux qui, imbus des pré­ju­gés d’une cer­taine science hos­tile à l’enseignement du Christ et de l’Eglise, se laissent trou­bler par un enthou­siasme exces­sif pour la liber­té, par l’esprit d’orgueil et d’indépendance. Louis fut tout l’opposé : Lui, le futur héri­tier de la prin­ci­pau­té de ses aïeux, se sou­mit de plein gré à la direc­tion de ceux qui lui furent don­nés pour maîtres de littéra­ture et de reli­gion ; dans la suite, deve­nu aspi­rant de la Société de Jésus, il obéit aux ordres et aux conseils des supé­rieurs avec une si com­plète abné­ga­tion, que dans les moindres obser­vances de la vie reli­gieuse, il ne s’écarta pas, fût-​ce de la lar­geur d’un doigt, des pres­criptions de la règle. Quel contraste avec la manière d’agir de ces jeunes gens qui, séduits par une appa­rence de faux biens et impa­tients de tout frein, ne savent que déni­grer les avis des plus anciens. Tous ceux donc qui aspirent à ser­vir sous les éten­dards du Christ doivent tenir pour cer­tain qu’en reje­tant de leurs épaules le joug de la disci­pline, ils ne recueille­ront au lieu de lau­riers que de hon­teuses défaites ; car, de par la dis­po­si­tion de la Providence, la jeu­nesse est ain­si faite que, soit pour la culture intel­lec­tuelle et morale, soit pour la forma­tion géné­rale de la vie, selon l’esprit chré­tien, elle ne peut réa­li­ser aucun pro­grès sans se sou­mettre à la direc­tion d’autrui. Or, si les autres dis­ci­plines exigent d’elle une grande doci­li­té d’esprit, il lui en faut une bien plus grande encore pour s’initier aux devoirs de l’action et de l’apostolat : ces devoirs, en effet, parce qu’ils se rat­tachent au man­dat confié par le Christ a l’Eglise, ne sau­raient être sain­te­ment et uti­le­ment rem­plis que dans la subor­di­na­tion à ceux que l’Esprit Saint a consti­tués évêques pour régir l’Eglise de Dieu (Ac 20, 28.). Mais, de même qu’au para­dis ter­restre, en pro­met­tant à nos pre­miers parents d’im­menses et incroyables avan­tages, Satan les entraî­na à la déso­béis­sance et à la révolte contre Dieu ; de même, sous le pré­texte de liber­té, aujourd’hui encore il cor­rompt les jeunes gens, les gon­flant d’un sot orgueil qui les mène à la ruine, quand au contraire leur vraie digni­té consiste uni­que­ment à obéir à l’autorité légi­time. Aussi Louis de Gonzague, alors que son renom de haute pru­dence le gran­dis­sait aux yeux de son peuple et sus­ci­tait de vives espé­rances au sujet de son futur prin­ci­pat, alors que plus tard ses frères en reli­gion voyaient en lui un sujet très capable d’occuper un jour la pre­mière place de l’Ordre, lui pour­tant, seul à se mépri­ser, joi­gnant à la plus humble défé­rence une par­faite digni­té, obéis­sait à tous ceux qui avaient la charge de lui com­man­der et qui pour lui tenaient la place de son Seigneur et Roi éternel.

D’une vie si sainte, exac­te­ment ordon­née selon les lumières et la règle de la foi, Louis recueillit des fruits aus­si suaves que pré­cieux ; les dons de la nature et ceux de la grâce se mêlant dans une merveil­leuse har­mo­nie réa­li­sèrent en lui la per­fec­tion idéale du jeune homme. Qui ne voit, en effet, que par la supé­rio­ri­té de l’intelligence et la matu­ri­té du juge­ment, par la gran­deur d’âme et la force de volon­té, par la dou­ceur et l’aménité du carac­tère il a pos­sé­dé et mani­fes­té une véri­table per­fec­tion ? Oui, ce jeune homme à la vie si pure, dont le cœur n’était trou­blé par aucune pas­sion mal­saine, dont la seule, la constante occu­pa­tion, était de contem­pler et d’approfondir le vrai et le bien, a fait preuve d’une intel­li­gence sin­gu­liè­re­ment vive et puis­sante, soit dans les brillants suc­cès qu’il obtint au cours de ses diverses études, soit dans les dis­cus­sions phi­lo­so­phiques qu’il sou­tint en public et qui lui valurent des éloges et applau­dis­se­ments una­nimes, soit encore dans ses écrits – ses lettres prin­ci­pa­le­ment – peu nom­breux vu son jeune âge, mais qui se recom­mandent par une sage connais­sance et appré­cia­tion des choses. La rec­ti­tude et la saga­ci­té de son juge­ment se sont mani­fes­tées notam­ment d’abord dans les négo­cia­tions fort dif­fi­ciles dont son père l’avait char­gé, qu’il sut conduire avec pru­dence et mener à bonne fin ; puis dans une autre affaire non moins ardue, quand, après la mort de son père, des riva­li­tés et des haines s’étant éle­vées entre le prince son frère et le duc de Mantoue, il réus­sit à apai­ser et à récon­ci­lier les deux adver­saires. Quant à la noblesse de ses sen­ti­ments et à son affa­bi­li­té, il n’y a qu’une voix pour en faire le plus com­plet éloge par­mi tous ceux qui furent admis à le fré­quen­ter, soit dans les rela­tions de la vie en com­mun, soit dans l’éclat des hon­neurs : oui, conci­toyens et ser­vi­teurs, digni­taires et cour­ti­sans, supé­rieurs sur­tout et confrères de la Compagnie, il les tenait tous sous le charme de l’admiration.

La qua­li­té pour­tant que nous esti­mons pré­do­mi­nante en Louis de Gonzague, c’est sa force et constance de volon­té. Dès sa plus tendre enfance, le petit héri­tier du mar­quis de Castiglione avait réso­lu déli­bé­ré­ment de par­ve­nir à la sain­te­té ; or, cette réso­lu­tion aus­si forte que har­die, il la tint jusqu’à sa mort, si bien que jamais rien ne put arrê­ter ou retar­der les ascen­sions spi­ri­tuelles qu’il s’était fixées aux pre­mières lueurs de sa rai­son. Est-​il un modèle plus oppor­tun, mieux adap­té à leur condi­tion, qui puisse être pro­po­sé aux jeunes gens, à ceux sur­tout qui font leurs études, pour que, cha­cun selon son âge, ils s’appliquent à l’observer et à la repro­duire fidè­le­ment ? Il ne leur suf­fi­rait pas, en effet, de s’enrichir l’esprit et le cœur de connais­sances saines et solides, il leur faut de plus acqué­rir un juge­ment sage, serein et pon­dé­ré, qui leur per­mette d’apprécier à leur juste valeur les per­sonnes et les choses, sans se lais­ser influen­cer ni trou­bler par des appa­rences fal­la­cieuses, par l’emportement ou par la mol­lesse, ou par les cou­rants de l’opinion. Ils doivent enfin pos­sé­der à un haut degré cette bon­té et amé­ni­té qui portent et pro­tègent la paix dans la famille et dans la socié­té, et cette volon­té ferme et constante qui leur per­mettra de se diri­ger eux-​mêmes et les autres dans la voie du bien.

Louis n’a pas man­qué non plus de cette admi­rable acti­vi­té, de ce zèle à se dépen­ser au pro­fit des autres, qui consti­tue l’apostolat et vers lequel bien sou­vent les jeunes gens se sentent por­tés par l’âge et le tem­pé­ra­ment. Sans doute la prin­ci­pale, l’assidue pré­oc­cu­pa­tion du saint jeune homme consis­tait à médi­ter sur les choses célestes et à conver­ser fami­liè­re­ment avec Dieu, ce qui per­met­tait de dire que sa vie était cachée en Dieu avec Jésus-​Christ (Col 3, 3.), néan­moins sou­vent s’échappaient de son cœur des étin­celles d’ardeur apos­to­lique, qui pré­sa­geaient pour plus tard les flammes d’un véri­table incen­die. Ainsi, on le vit, à peine sor­ti de l’enfance, édi­fier par le bon exemple et par de pieuses conver­sations tous ceux avec qui il avait affaire et, en toute occa­sion, les exci­ter à la ver­tu ; un peu plus avan­cé en âge, sen­tant croître l’ar­deur de ses saints dési­rs, il envi­sa­geait de hautes et dif­fi­ciles entre­prises et rêvait même d’apostoliques expé­di­tions pour la conver­sion des héré­tiques et des païens. A Rome, le peuple fut témoin de ses ver­tus quand, élève du Collège Romain, il par­cou­rait les places, les car­re­fours et les fau­bourgs de la ville pour ensei­gner aux enfants et aux pauvres les élé­ments de la doc­trine chré­tienne ; on eut aus­si le spec­tacle de l’héroïque cha­ri­té qui l’embrasait lorsque, durant la peste qui déso­lait la ville, il allait soi­gner les malades atteints du fatal fléau ; il en con­tracta lui-​même les germes et, quelques mois plus tard, à peine âgé de vingt-​quatre ans, il suc­com­ba vic­time de la conta­gion. Ici encore s’étend devant nos jeunes gens un très vaste champ où, sous la direc­tion de Louis, ils peuvent s’exercer à l’action : ils n’auront qu’à l’i­mi­ter et à le suivre dans la voie du bon exemple, dans l’apostolat de la parole, dans l’amour et le zèle pour les mis­sions saintes, dans l’enseignement de la doc­trine chré­tienne, dans les mul­tiples formes de la cha­ri­té. Ah ! si nos cohortes de jeunes gens s’adonnaient de tout cœur à ces œuvres, vite elles y appren­draient à pra­ti­quer l’apostolat de saint Louis en l’adaptant aux cir­cons­tances actuelles ; de saint Louis, disons-​nous, car au ciel il conti­nue son action salu­taire, que la mort est loin d’avoir sup­pri­mée ou même inter­rom­pue. Du séjour des bien­heu­reux, en effet, où la glo­rieuse vierge Carmélite Madeleine de Pazzi le vit par révé­lation entou­ré d’une gloire mer­veilleuse ; de ce ciel où il règne par­mi les saints, comme l’a décla­ré solen­nel­le­ment, il y a deux cents ans, Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire, Benoît XIII, Louis n’a jamais ces­sé de com­bler de ses bien­faits, spé­cia­le­ment toutes les asso­cia­tions de jeunes gens, dont il s’est fait le pro­tec­teur. Ainsi s’explique qu’un si grand nombre d’entre elles aient tenu à hon­neur de se grou­per sous son nom et sous son patro­nage, que d’innombrables ado­les­cents des deux sexes aient vou­lu, pour mar­cher sur ses traces, mêler de façon admi­rable les épines de la péni­tence aux lis de la chas­te­té ; qu’entre Louis de Gonzague et la jeu­nesse chré­tienne une sorte de noble ému­la­tion se soit éle­vée, à qui l’emportera de Louis pro­di­guant ses tré­sors célestes à la jeu­nesse, ou de celle-​ci entou­rant de ses hom­mages son céleste patron. Rien d’étonnant donc à ce que les Pontifes romains aient don­né saint Louis pour modèle et pour patron aux jeunes gens.

En évo­quant tous ces sou­ve­nirs, sou­cieux Nous-​même au pre­mier chef de la bonne édu­ca­tion et du salut de la jeu­nesse, aujourd’hui plus que jamais en péril, Nous Nous sommes pro­po­sé non seule­ment de faire revivre la mémoire des évé­ne­ments pas­sés, mais encore de mul­tiplier les fruits de grâces que nous tenons de Louis de Gonzague. C’est pour­quoi, sui­vant les exemples et les règles de nos pré­dé­ces­seurs, prin­ci­pa­le­ment de Benoît XIII et de Léon XIII, de nou­veau Nous con­firmons solen­nel­le­ment et, en tant que besoin, Nous décla­rons, en ver­tu de Notre auto­ri­té apos­to­lique, saint Louis de Gonzague patron céleste de toute la jeu­nesse chré­tienne. A cette por­tion d’élite de la famille catho­lique, que Nous invi­tons à se grou­per sous la fidèle pro­tec­tion de saint Louis, Nous sou­hai­tons de croître de jour en jour en nombre et en valeur, de contri­buer, par l’af­fir­ma­tion et la pro­fes­sion publique de sa foi chré­tienne, à mettre par­tout en hon­neur la pure­té des mœurs ; Nous la pres­sons vive­ment, Nous la conju­rons pater­nel­le­ment d’avoir tou­jours Louis devant les yeux comme modèle, de l’honorer et de l’invoquer sans cesse, pra­ti­quant les pieux exer­cices de la retraite et la dévo­tion des six dimanches, qui ont pro­duit, une longue expé­rience l’atteste, des fruits aus­si pré­cieux qu’abondants.

Nous Nous sommes gran­de­ment réjoui en appre­nant le pro­jet pro­posé aux jeunes gens par le Comité prin­ci­pal des fêtes du cen­te­naire, que pré­side avec tant de zèle Notre car­di­nal vicaire, savoir : que cha­cun d’eux, au cours d’une petite retraite, pré­pare un plan de vie chré­tienne chaste et pure et le rédige en une for­mule qu’il signe­ra de sa main comme un enga­ge­ment sacré ; que toutes ces for­mules réunies en volumes soient appor­tées à Rome par les délé­gués de la jeu­nesse catho­lique de chaque pays de l’univers ; que ces volumes enfin, après que le Souverain Pontife leur aura don­né une sorte d’approbation, soient dépo­sés, comme monu­ments de pié­té et de sou­ve­nir, dans la cha­pelle où reposent les véné­rables restes de saint Louis. On ne sau­rait trou­ver moyen plus propre à sti­mu­ler la nature géné­reuse de la jeu­nesse, et il ne paraît pas dou­teux que de cette façon le résul­tat atten­du de cette com­mé­mo­ra­tion sécu­laire, le renou­vel­le­ment spiri­tuel de la jeu­nesse uni­ver­selle, ne soit heu­reu­se­ment obte­nu. Quant aux délé­gués de la grande famille des jeunes gens catho­liques qui se réuni­ront à Rome, comme Nous venons de le dire, à l’époque fixée pour les fêtes, Nous serons heu­reux de les accueillir et de leur par­ler, voyant en eux l’espoir et la pro­messe des plus grands suc­cès ; puis, par la pen­sée et par le cœur, Nous les accom­pa­gne­rons au tom­beau de saint Louis, pour implo­rer avec eux, en faveur de nos jeunes fils de tout l’univers, la pro­tec­tion de plus en plus effi­cace de leur céleste patron.

Le même jour que saint Louis de Gonzague, et conjoin­te­ment avec lui, était admis aux hon­neurs de la cano­ni­sa­tion saint Stanislas Kostka qui un peu plus tôt avait vécu dans la Compagnie de Jésus, d’où il s’était envo­lé vers les demeures célestes. En rai­son de cette heu­reuse coïn­ci­dence, nos jeunes gens vou­dront aus­si arrê­ter leurs regards sur ce séra­phique jeune Polonais que Dieu « par­mi les autres mer­veilles de sa sagesse » a ren­du si grand que « même dans un âge tendre » il a obte­nu « la grâce d’une sain­te­té accom­plie ». Lui aus­si d’origine prin­cière, doué d’une haute et vaste intel­li­gence, gar­da dans toute sa fleur l’angélique pure­té et ne ces­sa de tendre à la per­fec­tion ; à son propre frère trop enclin aux vani­tés et aux plai­sirs mon­dains il oppo­sa une éner­gique et constante résis­tance ; des pièges habiles qui lui furent ten­dus par une famille héré­tique dont il rece­vait l’hospita­lité et par des cama­rades livrés à la dis­si­pa­tion et à l’intempérance il sor­tit tou­jours vic­to­rieux ; sus­ten­té et for­ti­fié, plus d’une fois même par le minis­tère des anges, du pain eucha­ris­tique, il fit à pied de longs voyages pour obéir à Dieu qui, l’appelant à une vie plus par­faite, Le vou­lait mani­fes­te­ment dans la Compagnie de Jésus ; il vint enfin à Rome, mais comme en pas­sant, pour de là, bien­tôt après, consu­mé par la flamme inté­rieure de la cha­ri­té, âgé seule­ment de dix-​huit ans, encore novice, s’envoler vers l’éternelle Jérusalem et y prendre rang, comme le plus jeune de tous, par­mi les saints confes­seurs. C’est sans doute cette volon­té ferme et constante que Dieu vou­lut spé­cia­le­ment récom­pen­ser par la gloire si écla­tante dont il fit res­plen­dir l’angélique Stanislas, quand sur sa nation d’origine et même sur la chré­tien­té tout entière alors mena­cée du plus grand péril par les incur­sions des Turcs, le saint ado­les­cent éten­dit sa pro­tec­tion comme un rem­part inex­pug­nable. Qu’il ait secou­ru effi­ca­ce­ment et même mira­cu­leu­se­ment sa patrie en dan­ger, était un fait si avé­ré que Jean Sobieski, cet illustre César chré­tien, qui déli­vra Vienne d’un siège ter­rible, décla­rait sans hési­ter devoir ses vic­toires moins à ses armes qu’à la pro­tection de Stanislas.

Puissent ces deux saints, unis­sant leurs sup­pli­ca­tions, obte­nir et faire que notre jeu­nesse, les imi­tant l’un et l’autre, se montre plus empres­sée à la recherche, plus ardente à la pour­suite de la vraie et unique gloire des chré­tiens, qui est le mer­veilleux rayon­ne­ment de la chas­te­té et de la sainteté.

Entre temps, comme gage des faveurs célestes et en témoi­gnage de Notre pater­nelle dilec­tion, à vous, cher fils, à tous les reli­gieux de la Société de Jésus et à tous leurs élèves, Nous accor­dons affec­tueuse, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 13 juin 1926, la cin­quième année de Notre Pontificat.

PIE XI, PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 3, pp. 214–235

12 novembre 1923
À l’occasion du IIIe centenaire de la mort de saint Josaphat, martyr, archevêque de Polotsk, pour le rite oriental.
  • Pie XI