Aux Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques et autres Ordinaires , en paix et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.
Dans l’allocution par Nous adressée, vers la fin de l’année dernière, aux Cardinaux réunis en Consistoire, Nous avons dit que Nous n’espérions ni n’attendions que « d’un prompt secours du Dieu de miséricorde » quelque adoucissement à l’état de choses injuste et affligeant pour le nom catholique dans la République mexicaine : aussi, en conformité avec Notre pensée et Nos désirs plus d’une fois manifestés, avez-vous, sans le moindre retard, pressé les populations confiées à votre zèle pastoral d’obtenir du divin Fondateur de l’Eglise, par les suffrages de leurs ferventes prières, qu’il intervienne, pour y remédier, dans un tel accablement de maux. Nous disons bien : dans un tel accablement de maux, attendu que déjà par le passé se sont acharnés et s’acharnent encore aujourd’hui contre Nos très chers fils du Mexique d’autres fils, mais déserteurs, ceux-là, de la milice du Christ, et en rupture avec leur Père commun.
Si dans les premiers siècles de l’Eglise, si d’autres fois par la suite, les chrétiens furent plus inhumainement maltraités, nulle part néanmoins ni peut-être en aucun temps, le cas ne s’est présenté d’une poignée d’hommes enchaînant de toutes manières la liberté du plus grand nombre, au mépris et en violation des droits de Dieu et de l’Eglise, par des mesures artificieuses à ce point préméditées et que complique encore, pour en tolérer le côté arbitraire, un certain semblant de légalité, sans avoir égard à la cordialité qui doit régner entre concitoyens, sans tenir compte des gloires traditionnelles.
En raison donc des supplications par vous prescrites à cet effet et adressées au ciel en particulier et en public, Notre volonté est que vous ne soyez point frustrés, non plus que vos fidèles, du témoignage très éclatant de Notre bienveillante gratitude. Or, ces prières ayant déjà commencé de produire des fruits salutaires, il importe d’autant plus de ne point du tout les interrompre, mais au contraire de les. continuer avec un redoublement de ferveur, il ne dépend certainement pas des simples mortels de faire tourner et servir au salut de la société humaine les vicissitudes des choses et des temps, en modifiant les idées et les sentiments des hommes : c’est la volonté divine que cela regarde ; elle seule peut mettre du à de pareilles persécutions et les endiguer une bonne fois.
Qu’il ne vous semble pourtant pas, Vénérables Frères, avoir prescrit en vain ces supplications sous prétexte que les dirigeants de la République mexicaine, inspirés par leur haine implacable de la religion, ne laissent point de presser, avec un nouvel acharnement et une brutalité croissante, l’exécution de leurs décrets impies : ce qui est vrai, c’est que le clergé et les nombreux catholiques de là-bas, fortifiés par une plus abondante effusion, de la grâce, ont offert en leurs personnes un tel exemple et un tel spectacle que Nous-même croyons devoir le mettre en lumière comme il le mérite à la face de l’univers catholique par un document solennel de l’autorité apostolique.
Le mois dernier, au jour où Nous décernâmes à ces nombreux martyrs de la Révolution française les honneurs qui sont dus aux bienheureux du ciel, Notre pensée s’envolait d’elle-même vers les catholiques mexicains, qui ont, tout comme eux, pris la résolution et fait le ferme propos de se montrer réfractaires aux exigences d’autrui jugées arbitraires et tyranniques, et cela, pour ne point se séparer de l’unité de l’Eglise et de l’autorité du Siège Apostolique. Ô glorieux apanage de la divine Epouse du Christ, en vertu duquel ne lui manqua jamais, dans la série des siècles, aucune génération qui ne pût rivaliser de noblesse et de générosité avec ses devancières, et ne fût prête à combattre, souffrir et mourir pour la sainte liberté de la foi !
Nous estimons superflu, Vénérables Frères, de remonter bien haut dans l’histoire de l’Eglise mexicaine pour en retracer les phases douloureuses. Contentons-Nous d’en rappeler une seule, celle des discordes civiles qui éclatèrent tout récemment et à plusieurs reprises, non sans troubler presque chaque fois la religion et la bouleverser, comme il advint, surtout en 1914 et 1915, alors que des hommes en qui s’était perpétué quelque chose de la sauvagerie primitive se livrèrent sur les membres du clergé séculier et régulier, sur les vierges consacrées à Dieu et sur les choses réservées au culte divin, à des actes si féroces et si barbares qu’ils ne s’abstinrent d’aucune injustice, d’aucune ignominie, d’aucune violence.
Mais comme Nous allons parler d’un fait très connu, à propos duquel Nous avons même élevé une protestation publique et que les journaux ont relaté avec force détails, il Nous paraît inopportun de Nous répandre avec vous en doléances sur ce qui s’est vu en ces dernières années : Nos Délégués apostoliques au Mexique renvoyés de ce pays au mépris de toute notion de justice, de bonne foi et d’humilité, celui-ci expulsé de la République, celui-là empêché d’y rentrer après s’être retiré quelque temps au delà des frontières pour des raisons de santé ; cet autre, enfin, également traité en ennemi, et sommé de partir. En ces conjonctures – et ici Nous laissons dans l’ombre les aptitudes absolument hors pair qu’auraient déployées ces personnages remarquables comme messagers et négociateurs de la paix, – quel cuisant outrage ne subirent-ils pas dans leur dignité archiépiscopale et dans leurs suréminentes fonctions ! Et cet affront ne Nous visait-il point principalement Nous-même, dont ils représentaient l’autorité ? Qui pourrait ne le point voir ?
Ce sont là sans doute de dures et lourdes épreuves. Mais, Vénérables Frères, le tableau que Nous allons tracer de la violation des droits de l’Eglise et du sort plus malheureux que jamais des catholiques de cette nation dépasse tout ce qu’il est possible d’imaginer.
Examinons d’abord la fameuse loi portée en 1917 et appelée Constitution politique des Etats fédérés du Mexique. Relativement au point particulier qui Nous intéresse, il résulte du décret de séparation de la République d’avec l’Eglise que celle-ci n’a plus et ne peut plus acquérir ultérieurement aucun droit, comme si elle était frappée d’incapacité civile. Les magistrats ont reçu le pouvoir de s’immiscer dans l’exercice du culte et la discipline extérieure de l’Eglise, lesquels relèveraient de leur autorité. Les ministres sacrés sont mis sur le même pied que tous les autres citoyens, à professions libérales ou manuelles, avec cette différence toutefois qu’ils doivent remplir les trois conditions suivantes : être Mexicains de naissance, ne pouvoir point excéder en nombre un certain chiffre fixé d’avance par les législateurs de leurs Etats respectifs, perdre enfin leurs droits civils et politiques, comme les criminels et les aliénés. Il leur est ordonné en outre d’aller, avec une Commission de dix citoyens, notifier au magistrat leur entrée en possession d’une église ou leur transfert en un autre lieu. Les vœux de religion, les Ordres ou Congrégations religieuses ne sont plus autorisés au Mexique. Le culte public y est prohibé, sauf à l’intérieur des églises et sous la surveillance du Gouvernement : les églises même sont déclarées propriétés nationales ; palais épiscopaux, demeures canoniales, séminaires, maisons religieuses, hôpitaux et tous établissements de bienfaisance sont également soustraits à l’Eglise. Elle ne garde plus la propriété de quoi que ce soit : tout ce qui lui appartenait an temps où la loi fut ratifiée est dévolu à la nation, avec faculté pour tous et pour chacun de dénoncer devant les tribunaux les biens que l’Eglise semblerait posséder par personne interposée. En vertu de la loi, il suffit d’une simple présomption et l’action judiciaire est fondée. Les ministres sacrés ne peuvent rien acquérir par voie testamentaire, si ce n’est ce qui leur revient de leurs plus proches parents.
Nul pouvoir n’est reconnu à l’Eglise touchant le mariage des chrétiens, lequel est seulement regardé comme valide s’il est reconnu comme tel par le droit civil. Sans doute, l’enseignement est proclamé libre, mais avec les restrictions que voici : défense aux prêtres et aux religieux d’ouvrir ou de diriger des écoles élémentaires ; exclusion absolue le la religion dans les écoles enfantines, même privées. Il a été décrété encore que les certificats scolaires donnés par l’Eglise dans les instigations dirigées par elle seraient dépourvus de toute valeur officielle.
Vraiment, Vénérables Frères, ou bien ceux qui conçurent, approuvèrent et sanctionnèrent une pareille loi ignoraient – quelque invraisemblable que paraisse une si profonde ignorance après vingt siècles de christianisme dans une nation catholique et chez des hommes baptisés – que la liberté pleine et entière d’exercer sa mission appartient à l’Eglise, comme à une société parfaite, fondée pour le commun salut des hommes par Jésus-Christ, Rédempteur et Roi ; ou bien leur fol orgueil les incitait à croire qu’ils pourraient abattre et ruiner de fond en comble la maison du Seigneur, solidement bâtie et fortement établie sur la pierre ferme ; on bien encore ils brûlaient de l’ardent désir de nuire à l’Eglise par tous les moyens.
Or, après la promulgation d’une loi si odieuse, comment les archevêques et évêques du Mexique auraient-ils pu se résoudre à garder le silence ? Le fait est qu’ils protestèrent tout aussitôt en des lettres empreintes d’une sereine énergie : protestation que ratifia Notre prédécesseur immédiat, puis qu’approuvèrent les évêques, en certains pays, collectivement ; en d’autres, presque tous individuellement ; que Nous confirmâmes enfin Nous-même le 2 février de cette année par une lettre d’encouragement adressé à tous les évêques mexicains. Ces derniers espéraient que les hommes au pouvoir, ayant compris, à la faveur du calme peu à peu revenu, de quel grave préjudice et de quel immense danger les articles de loi restrictifs de la liberté religieuse menaçaient la presque totalité du peuple, et se laissant guider par l’esprit de concorde, ou bien ne les auraient pas appliqués ou bien les auraient laissés tomber presque en désuétude et se seraient arrêtés à un modus Vivendi tolérable.
Mais, nonobstant l’extrême patience dont témoignèrent le clergé et le peuple, suivant en cela les conseils de modération que leur donnaient les évêques, tout espoir de paix et de tranquillité finit par s’évanouir. Car, conformément à la loi promulguée par le président de la République le 2 juillet de cette année, presque aucune parcelle de liberté ne reste ni n’est laissée à l’Eglise dans ces contrées. L’exercice du saint ministère y est tellement entravé qu’on le punit de peines très sévères à l’instar d’un crime capital. Vous ne sauriez croire, Vénérables Frères, combien Nous afflige une si grande perversité dans le fonctionnement de l’autorité publique. Quiconque rend à Dieu Créateur et à notre très aimant Rédempteur le culte dont il leur est rigoureusement redevable, quiconque veut obéir aux préceptes de notre Mère la Sainte Eglise, celui-là, oui, celui-là sera réputé criminel et malfaiteur, celui-là méritera qu’on le prive de ses droits civils, celui-là devra être jeté dans la même prison que les scélérats. Oh ! comme elles s’appliquent bien aux auteurs de telles énormités les paroles qu’adressait aux princes des Juifs Notre-Seigneur Jésus-Christ : Voici venues votre heure et la puissance des ténèbres [Lc 22, 53.].
Parmi ces lois, la dernière en date s’est ajoutée à une autre loi antérieure, non point tant pour l’interpréter, comme on l’a prétendu, que pour l’aggraver encore et la rendre plus insoutenable ; et le président de la République, secondé de ses ministres, en presse si vivement l’application qu’il ne peut souffrir, de la part de ses subordonnés, gouverneurs des Etats fédérés, magistrats ou commandants militaires, le moindre ralentissement dans la persécution contre les catholiques. Et à la persécution se joint l’insulte. On a pris l’habitude d’incriminer l’Eglise aux yeux du peuple, ici en des conférences publiques, par d’impudents mensonges, taudis que les huées et les injures couvrent la voix.des nôtres et les empêchent de faire entendre la réplique ; là au moyen de journaux, ennemis déclarés de la vérité et de l’action catholique. Si, au début, les catholiques ont pu tenter dans une certaine mesure de défendre dans les journaux quotidiens l’Eglise et d’en faire l’apologie, en exposant la vérité et en réfutant les erreurs, désormais, à ces bons citoyens qui aiment sincèrement leur patrie, il n’est plus permis d’élever, même inutilement, leurs voix plaintives pour la liberté de la foi ancestrale et du culte divin. Mais Nous, mû que Nous sommes par la conscience de Notre devoir apostolique, Nous pousserons le cri d’alarme, afin que tout le monde catholique apprenne du Père commun à quel point d’une part s’est déchaînée la tyrannie effrénée de nos adversaires, et quelle fut aussi d’outre part la vertu, la constance héroïque des évêques, des prêtres, des familles religieuses et des laïques.
On a expulsé les prêtres et les religieux étrangers, fermé les collèges pour l’instruction chrétienne des enfants de l’un ou de l’autre sexe, parce qu’ils portent un nom religieux ou renferment quelque statue ou image pieuse, fermé pareillement et en masse Séminaires, écoles, hôpitaux, couvents et maisons annexes des églises. Dans presque tous les Etats, le nombre des prêtres destinés à exercer le ministère sacré a été restreint et fixé au minimum : encore ceux-ci ne peuvent-ils morne pas l’exercer s’ils ne sont inscrits sur les rôles du magistrat ou sans sa permission. En quelques lieux on a imposé à l’exercice du ministère des conditions telles qu’elles seraient risibles si elles n’étaient déplorables sous tant d’autres rapports ; il est exigé, par exemple, que les prêtres aient tel âge, qu’ils aient contracté le soi-disant mariage civil, qu’ils ne baptisent qu’avec de l’eau courante. Dans l’un des Etats de la Fédération, il a été décrété qu’il ne devait y avoir sur son territoire qu’un seul évêque : c’est pour cela, Nous le savons, que deux évêques durent s’exiler de leurs diocèses. La situation qui leur était faite contraignit aussi par la suite d’autres évêques de quitter leur siège ; certains furent déférés aux tribunaux, plusieurs arrêtés, et ceux qui restent enfin sont sur le point de l’être. On somma tous les Mexicains éducateurs de l’enfance et de la jeunesse ou chargés d’une autre fonction publique de répondre si, oui ou non, ils étaient avec le président de la République et approuvaient la guerre faite à la religion catholique. On les força, sous peine de révocation, de prendre part, avec les soldats et les travailleurs, au cortège organisé par la Ligue socialiste appelée Fédération régionale ouvrière du Mexique. Ce cortège, qui défila le même jour à travers les rues de Mexico et des autres villes du pays, et que signalèrent des discours impies adressés au peuple, avait pour but, tout en accablant l’Eglise d’outrages, de faire approuver par les applaudissements et les acclamations de la foule présente l’action du président lui-même.
Le cruel arbitraire de nos ennemis ne se borna point là. Des hommes et des femmes qui défendaient la cause de la religion et de l’Eglise, de vive voix ou au moyen de journaux et de tracts par eux distribués, furent traînés en justice et emprisonnés. Emprisonnés également des chapitres entiers de chanoines, parmi lesquels des vieillards que Ton dut transporter sur des civières. On tua sans pitié, dans les carrefours et sur les places, devant les églises, des prêtres et des laïques. Dieu veuille que les auteurs responsables de tant et de si graves attentats rentrent en eux-mêmes et recourent avec des larmes de repentir à la miséricorde de Dieu. C’est de celle très noble façon, Nous en sommes persuadé, que Nos fils iniquement massacrés demandent là-haut devant Dieu à être vengés de leurs meurtriers.
Et maintenant, Vénérables Frères, Nous jugeons convenable de vous exposer en peu de mots comment évêques, prêtres et fidèles du Mexique se levèrent pour faire front et opposer un rempart aux ennemis de la maison d’Israël, comment ils demeurèrent fermes dans la lutte.
On ne pouvait douter que les évêques mexicains ne dussent essayer unanimement de tous les moyens disponibles pour défendre la liberté et la dignité de l’Eglise. Ils commencèrent par adresser au peuple une lettre collective. Après y avoir prouvé clair comme le jour que l’amour de la paix, la prudence et la patience n’avaient jamais cessé d’inspirer le clergé dans son attitude vis-à-vis des chefs de la République et qu’il avait même témoigné de dispositions trop libérales en tolérant des lois peu conformes à la justice, ils rappelèrent aux fidèles, non sans leur expliquer la doctrine de la constitution divine de l’Eglise, l’obligation qu’il y avait pour eux de persévérer dans la religion catholique, et ainsi n’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes [Ac 5, 29.], chaque fois que l’on voudrait leur imposer des lois non moins contraires à la notion même et au nom de loi qu’en désaccord avec la constitution et la vie de l’Eglise.
Puis, quand le président de la République eut promulgué la loi néfaste, ils publièrent une nouvelle lettre collective, de protestation celle-là, où ils disaient qu’accepter une loi pareille, c’était ni plus ni moins asservir l’Eglise et la livrer comme une esclave aux chefs de l’Etat, lesquels ne renonceraient point, pour ce motif, à leurs desseins. Nous préférons, ajoutaient-ils, nous abstenir d’exercer publiquement le ministère sacré : par conséquent, le culte divin, qui ne peut se célébrer sans le ministère des prêtres, sera absolue de charger de ce soin quiconque aurait été nommé ou désigné par les évêques ou les prêtres. C’était faire passer des autorités ecclésiastiques aux autorités civiles la possession des édifices du culte. Alors la plupart des évoques interdirent aux fidèles une fonction élective qui pourrait leur échoir par l’organe de l’autorité civile et leur défendirent de pénétrer dans les temples sur lesquels l’Eglise aurait cessé d’exercer son pouvoir. Ailleurs, les évêques prirent d’autres décisions, vu la différence des circonstances locales et particulières.
Ne pensez pas toutefois, Vénérables Frères, que les évêques mexicains, dans le doute ou pour mieux dire le désespoir d’arriver au moindre bon résultat, aient négligé les occasions opportunes et les moments favorables pour ramener les esprits au calme et tenter une conciliation. N’est-il pas avéré que les évêques présents à Mexico, où ils sont comme par procuration les fondés de pouvoir de leurs collègues, écrivirent au président de la République une lettre polie et respectueuse en faveur de l’évêque d’Huejutla, que l’on avait traîné indignement et avec un grand déploiement de forces militaires dans la ville de Pachuca ? C’est un fait non moins notoire que le président leur répondit d’une odieuse façon et sur le ton de la colère.
Peu après, plusieurs personnages éminents, désireux de la paix, étant intervenus pour provoquer une entrevue du président lui-même avec l’archevêque de Morelia et l’évêque de Tabasco, on discuta beaucoup et longtemps d’un côté comme de l’autre, mais sans aucun résultat. Les évêques délibérèrent ensuite sur la question de savoir s’il y avait lieu de demander à la Chambre législative l’abrogation des lois contraires aux droits de l’Eglise ou de continuer comme par le passé en toute patience la résistance dite passive, car il leur semblait tout à fait inutile de présenter une pareille requête. Ils présentèrent néanmoins la pétition, que des catholiques très compétents en matière de droit avaient rédigée judicieusement, après avoir pesé les termes avec le plus grand soin. Sur l’initiative des sociétaires de la Fédération pour la défense de la liberté religieuse, dont Nous parlerons plus loin, un très grand nombre de citoyens des deux sexes avaient apposé leurs signatures au bas de cet acte épiscopal. Mais les évêques avaient bien prévu ce qui devait arriver : l’Assemblée nationale rejeta, à l’unanimité moins une voix, la pétition qui lui avait été soumise, sous prétexte que les évêques étaient privés de toute personnalité juridique, avaient fait appel au Souverain Pontife, et refusaient de reconnaître les lois de la nation. Que restait-il donc aux évêques, sinon de décider que rien ne serait changé dans la ligne de conduite observée par eux et par les fidèles tant que les lois injustes ne seraient pas abolies ?
Ainsi, les dirigeants des Etats Fédérés, abusant de leur autorité et de l’admirable patience du peuple mexicain, pourront bien menacer de sanctions pires encore que les précédentes ce même peuple et le clergé ; mais le moyen pour eux d’avoir le dessus et de remporter la victoire sur des gens prêts à tout souffrir plutôt que d’accepter un accord susceptible de préjudicier en quoi que ce soit à la cause de la liberté catholique ? Par ailleurs, les prêtres ont imité et reproduit en leurs personnes la prodigieuse constance des évêques, aux cours des affligeantes vicissitudes du conflit, tellement que leurs merveilleux exemples de vertu, pour Nous si réconfortants, Nous les proclamons et les louons à la face de tout le monde catholique, parce qu’ils en sont dignes.
A ce propos, si Nous faisons réflexion que parmi les quatre mille prêtres du Mexique, malgré toutes sortes de moyens mis en œuvre là-bas, malgré les efforts tentés et les tracasseries employées par nos adversaires en vue de séparer delà hiérarchie sacrée et du Siège Apostolique le clergé et le peuple, il s’en est à peine trouver un ou deux pour trahir misérablement leur devoir, Nous sommes fondé, pensons-Nous, à tout espérer du clergé mexicain. Nous les voyons, en effet, ces prêtres, se tenir étroitement unis entre eux, obéir avec une affectueuse déférence aux ordres de leurs prélats, bien que cette attitude ne laisse pas généralement de leur causer un grave dommage ; Nous les voyons vivre de leur saint ministère, c’est-à-dire pauvrement, l’Eglise n’ayant plus de quoi les sustenter ; supporter courageusement la pauvreté et la misère ; célébrer privément le Saint Sacrifice ; pourvoir de toutes leurs forces aux besoins spirituels des fidèles ; entretenir et ranimer chez tous ceux qui les entourent la flamme de la piété ; enfin, par leurs exemples, leurs conseils, leurs exhortations, élever les esprits de leurs concitoyens vers un plus noble idéal, et fortifier leur résolution de persévérer dans la résistance passive. Qui donc, après cela, s’étonnerait que la colère et la rage de nos ennemis se retournent, principalement et avant tout, contre les prêtres ? Du reste, partout où ils en eurent l’occasion, ils affrontèrent sans hésiter et avec un courage tranquille la prison et même la mort.
Les faits parvenus à Notre connaissance en ces derniers jours remportent en iniquité sur les lois elles-mêmes et atteignent au comble de l’impiété : les prêtres sont assaillis à l’improviste lorsqu’ils célèbrent la messe chez eux ou chez les autres ; on outrage ignominieusement la sainte Eucharistie et l’on jette en prison jusqu’aux ministres sacrés.
Nous ne louerons jamais assez les courageux fidèles du Mexique ; ils ont parfaitement compris combien il importe que cette nation catholique, en des matières si graves et si saintes que le culte divin, la liberté de l’Eglise et le soin du salut éternel des âmes, ne dépende pas de l’audacieux arbitraire d’un petit nombre d’hommes, mais qu’elle soit enfin, grâce à la miséricorde divine, gouvernée pour de bon d’après de justes lois conformes au triple droit naturel, divin et ecclésiastique.
Nous devons un hommage tout particulier aux associations catholiques, qui constituent dans la crise actuelle pour le clergé et à ses côtés une espèce d’armée auxiliaire, puisque leurs membres s’efforcent, autant qu’ils le peuvent, non seulement de pourvoir à l’entretien des prêtres et de leur venir en aide, mais encore de veiller sur les édifices sacrés et d’apprendre le catéchisme aux enfants ; véritables soldats de garde, ils se donnent pour mission d’avertir les prêtres afin que personne ne soit privé de leur assistance. Ce que Nous disons là s’applique à toutes sans exception, mais il Nous plaît d’y ajouter quelques mots touchant les principales associations de ce genre pour leur faire savoir que chacune d’elles est pleinement approuvée et hautement louée par le Souverain Pontife.
La première de toutes, la Société des Chevaliers de Colomb, s’étend à la République entière : elle se compose en grande partie d’hommes actifs et laborieux, aussi recommandables par leur expérience des affaires que par la profession publique de leur foi et leur zèle à se porter au secours de l’Eglise ; elle dirige spécialement deux œuvres plus opportunes à notre époque que ne le fut jamais aucune autre le passé : c’est d’abord l’Association nationale des Pères de famille, ayant comme programme de procurer une éducation catholique aux propres enfants de ses adhérents et de revendiquer pour les parents chrétiens le droit naturel d’élever les leurs à leur guise, et, là où ceux-ci fréquentent les écoles publiques, de leur donner une saine et complète instruction religieuse ; c’est ensuite la Fédération pour la défense de la liberté religieuse définitivement établie, quand il apparut avec une évidente clarté qu’un véritable déluge de maux menaçait la vie catholique. Une fois que cette Fédération se fut répandue dans toute la nation, ses membres travaillèrent avec concorde et persévérance à l’organisation de tous les catholiques et à leur formation, en en vue de les bien camper, sur un front unique et très solide, en face de leurs adversaires. Deux autres Sociétés n’ont pas moins bien mérité de l’Eglise et de la patrie que les Chevaliers de Colomb, l’Association catholique de la Jeunesse mexicaine et l’Union ou Fédération catholique des Femmes mexicaines. L’une des spécialités de leurs programmes respectifs est de collaborer à l’œuvre dite de l’Action catholique sociale. Tout en poursuivant le but qui leur est propre, elles ne laissent pas d’appuyer et de faire en sorte que l’on appuie partout les initiatives prises par la Fédération pour la défense de la liberté religieuse. Il serait trop long, Vénérables Frères, d’examiner une à une toutes les particularités.
Nous ne retenons que celle-ci : à savoir que tous les membres – hommes et femmes – de ces diverses sociétés sont si peu timides qu’ils vont au-devant du danger, bien loin de le fuir, et se réjouissent d’avoir quelque chose à souffrir de la part de leurs ennemis. Ô spectacle magnifique donné au monde, aux anges et aux hommes ! Ô nobles actions, dignes d’éternelles louanges !
Ils ne sont point rares, en effet, comme Nous l’avons dit, les Chevaliers de Colomb, les chefs de la Fédération, les femmes et les jeunes gens que des piquets de soldats conduisirent enchaînés à travers les rues, pour les jeter ensuite en d’infectes prisons ; ils ne sont point rares ceux qui sont traités brutalement, condamnés à payer l’amende et punis de diverses peines. Bien plus, Vénérables Frères, quelques-uns de ces adolescents et de ces jeunes gens – et, en le racontant, Nous ne pouvons retenir Nos larmes – sont allés à la mort de leur propre gré, avec, à la main, leur chapelet, et sur les lèvres des invocations au Christ-Roi. Nos vierges eurent à subir, dans leur prison, d’indignes outrages, que l’on divulgua tout exprès pour intimider les autres et les détourner de leur devoir.
Quand est-ce donc, Vénérables Frères, que le Dieu de toute bonté imposera des bornes et mettra un terme à cette calamité ? Personne ne peut ni le soupçonner ni le prévoir par le propre effort de sa pensée ; la seule chose que Nous sachions, c’est qu’un jour, pour l’Eglise du Mexique, le repos succédera à cette tempête de haine ; car, selon l’oracle divin, il n’y a point de sagesse ni de prudence ; il n’y a point de conseil contre le Seigneur ; et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre l’Epouse immaculée du Christ.
N’est-il point vrai que l’Eglise, depuis le jour de la Pentecôte, où elle naquit à l’immortalité, enrichie des lumières et des dons du Saint-Esprit, et sortit de l’enceinte du Cénacle pour apparaître ouvertement aux yeux du monde, n’a rien fait autre chose parmi les diverses nations durant vingt siècles écoulés, si ce n’est répandre le bien en tous lieux à l’exemple de son Fondateur ? Tout le monde aurait dû aimer l’Eglise en raison de ses bienfaits. Or, c’est le contraire qui s’est produit, comme le lui avait d’ailleurs prédit le divin Maître lui-même. Aussi, la barque de Pierre a‑t-elle tantôt vogué avec bonheur et gloire sous l’impulsion.de vents favorables, tantôt paru démontée et presque submergée par les flots : mais elle a toujours avec elle le divin Nocher, qui a coutume d’apaiser en temps opportun et la mer et les vents déchaînés. Et puis le Christ, qui seul est tout-puissant, fait servir au bien de l’Eglise toutes les persécutions auxquelles sont en bulle les catholiques ; car, dit saint Hilaire, « c’est le propre de l’Eglise de vaincre quand elle est persécutée, d’éclairer les esprits quand on l’attaque, d’étendre ses conquêtes quand on l’abandonne ».
Si tous ceux qui, dans la République mexicaine, s’acharnent contre leurs propres frères et concitoyens, coupables seulement d’observer la loi de Dieu, se remémoraient et considéraient attentivement, en dépouillant leurs préjugés, les vicissitudes historiques de leur patrie, ils seraient forcés de reconnaître et de confesser que tout ce qu’il y a chez eux de progrès et de civilisation, tout ce qu’il y a de bon et de beau, tout cela, à n’en point douter, tient de l’Eglise son origine. Nul ne l’ignore, dès qu’une communauté chrétienne eut été établie au Mexique, les prêtres et les religieux, que l’on y persécute aujourd’hui avec tant de dureté et d’ingratitude, travaillèrent – au prix d’immenses fatigues, et nonobstant mille difficultés que leur opposaient d’un côté les colons, dévorés par la fièvre de l’or, et de l’autre les indigènes, encore barbares – à répandre abondamment en ces vastes régions la splendeur du culte divin, les bienfaits de la foi catholique, les œuvres et institutions de charité, les écoles et les collèges pour l’instruction et l’éducation du peuple sur toutes matières : lettres, sciences sacrées et profanes, arts libéraux et métiers manuels.
Nous n’avons plus, Vénérables Frères, qu’à implorer Notre-Dame de la Guadeloupe, célèbre patronne de la nation mexicaine, et à la supplier de vouloir bien oublier les outrages dont elle aussi fut abreuvée, et obtenir à son peuple par son intercession le retour de la paix et de la concorde. Si cependant, par un mystérieux dessein de Dieu, ce jour tant désiré devait tarder longtemps encore, qu’elle daigne consoler pleinement les âmes des fidèles mexicains et fortifier leur résolution de défendre jusqu’au bout leur liberté de professer la foi.
En attendant, comme gage des grâces divines et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous vous accordons de tout cœur, à Vous, Vénérables Frères, et spécialement aux évêques qui gouvernent les diocèses mexicains, à tout le clergé et à votre peuple, la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 18 novembre 1926, de Notre Pontificat la cinquième année.
Pie XI, Pape