Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

29 septembre 1932

Lettre encyclique Acerba nimis

Sur la situation inique faite au catholicisme dans la République mexicaine.

Aux véné­rables Archevêques, Évêques et autre Ordinaires de lieu des États-​Unis du Mexique, en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique,

Pie XI, Pape

Vénérables frères, Salut et béné­dic­tion apostolique.

La cruelle anxié­té dont Nous oppressent les tristes condi­tions de la socié­té contem­po­raine n’at­té­nue en rien la sol­li­ci­tude toute spé­ciale dont Nous entou­rons Nos chers fils de la nation mexi­caine, et vous sur­tout, Vénérables Frères, si dignes de Nos atten­tions pater­nelles, en rai­son jus­te­ment des vio­lentes per­sé­cu­tions qui vous déchirent depuis si longtemps.

Dès le début de Notre Pontificat, et sui­vant les traces de Notre Prédécesseur immé­diat, Nous avons eu recours à tous les moyens en Notre pou­voir afin d’empêcher la mise en appli­ca­tion de ces funestes lois, dites « consti­tu­tion­nelles ». Ces lois violent les droits immuables et pri­mor­diaux de l’Eglise. Nous ne pou­vons donc que les condam­ner et les réprou­ver ; Nous l’avons fait du reste à plu­sieurs reprises, dès que l’occasion Nous en était offerte. C’est éga­le­ment pour cette rai­son que Nous avons vou­lu être repré­sen­té par un légat auprès de votre République.

En ces der­niers temps, les gou­ver­ne­ments de bien des Etats se sont empres­sés de renouer leurs rela­tions avec le Siège Apostolique. Mais dans un pénible contraste avec ce zèle nou­veau, les chefs de la Répu­blique mexi­caine n’ont point ces­sé d’entraver toute espèce de transac­tion ; bien plus, et contre toute attente, ils ont vio­lé un enga­ge­ment tout récent, don­né par écrit. Ils ont ain­si mon­tré de la manière la plus évi­dente quels étaient leurs véri­tables des­seins à l’égard de l’Eglise. A plu­sieurs reprises ils ont expul­sé Nos légats de leur terri­toire. Et pour finir ils déploient une rigueur extrême dans l’application de l’article 130 de la « Constitution ». Mais cette loi, en rai­son jus­te­ment de son hos­ti­li­té mani­feste à l’égard de la reli­gion catho­lique, Nous l’avons solen­nel­le­ment dénon­cée et réprou­vée dans Notre lettre ency­clique Iniquis afflic­tisque du 18 novembre 1926.

La loi édicte éga­le­ment des peines très sévères contre ceux qui vio­leraient cet article de la « Constitution », et — nou­velle injure à la hié­rar­chie ecclé­sias­tique — il est spé­ci­fié que les prêtres aux­quels il serait per­mis, à titre pri­vé ou en public, de célé­brer les offices reli­gieux ou de confé­rer les sacre­ments, ne devaient jamais excé­der un nombre déter­mi­né, à fixer par les légis­la­teurs de chaque Etat.

En pré­sence de ces injus­tices, de celte into­lé­rance qui mettent le sort de l’Eglise mexi­caine à la mer­ci de l’autorité civile et de gouver­nants hos­tiles à la reli­gion catho­lique, vous avez déci­dé, Vénérables Frères, de sus­pendre la célé­bra­tion publique du culte divin ; en même temps vous exhor­tiez les fidèles à pro­tes­ter éner­gi­que­ment contre ces lois indignes.

De ce temps votre cou­rage apos­to­lique, votre constance, le bannis­sement qui vous attei­gnait presque tous et vous rédui­sait dans votre exil à contem­pler de loin les saintes luttes, voire le mar­tyre de vos prêtres et de vos fidèles, vous ont valu l’admiration de tous ; quant à ceux d’entre vous — bien peu nom­breux, il est vrai— qui par une sorte de pro­dige sont par­ve­nus à demeu­rer cachés dans leurs dio­cèses, ceux-​là, par l’exemple d’une aus­si noble fer­me­té, ont lar­ge­ment réus­si à conso­ler et encou­ra­ger le peuple chrétien.

De tous ces évé­ne­ments, Nous avons lon­gue­ment par­lé dans Nos allo­cu­tions ou Nos dis­cours publics et, d’une façon plus éten­due, plus détaillée, dans l’encyclique pré­ci­tée Iniquis afflic­tisque ; et ce fut pour Nous un vif récon­fort de voir la noble conduite des membres du cler­gé dis­tri­buant les sacre­ments au péril de leur vie, l’héroïsme de nom­breux laïques endu­rant cou­ra­geu­se­ment des souf­frances incroyables et vrai­ment inouïes, au grand dom­mage de leurs inté­rêts per­son­nels, et se met­tant volon­tai­re­ment au ser­vice des ministres du culte. Le monde entier, du reste, avait éprou­vé pour tous la plus pro­fonde admiration.

Durant ce temps Nous n’avons point vou­lu faillir à Notre devoir. Par Nos conseils, par Nos écrits, Nous encou­ra­gions prêtres et fidèles à résis­ter chré­tien­ne­ment, dans la mesure de leurs forces, à des lois iniques. Pour apai­ser la jus­tice de l’Eternel, Nous les exhor­tions à la prière, à la péni­tence, espé­rant que Dieu, en sa misé­ri­cor­dieuse Providence, vou­drait bien mettre un frein ou un terme rapide à toutes ces vexa­tions. Nous n’avons point man­qué non plus de prier Nos fils de l’univers entier de se joindre à Nos sup­pli­ca­tions en faveur de leurs frères mexi­cains si indi­gne­ment trai­tés ; à Notre pater­nelle invi­ta­tion ils ont d’ailleurs répon­du avec un admi­rable empressement.

D’autre part, Nous n’avons négli­gé aucun des moyens humains en Notre pou­voir, afin d’apporter à Nos chers fils quelque conso­la­tion. Nous avons ins­tam­ment fait appel au monde catho­lique, lui deman­dant de venir en aide à ses frères per­sé­cu­tés de l’Eglise mexi­caine, de réunir des sous­crip­tions ; à maintes reprises Nous avons sup­plié les gou­ver­ne­ments avec les­quels Nous sommes en rela­tion de ne point fer­mer les yeux devant cette situa­tion anor­male et cruelle d’un si grand nombre de chrétiens.

Devant l’immense mul­ti­tude de ces citoyens per­sé­cu­tés, mais qui, sans se las­ser, oppo­saient une éner­gique et géné­reuse résis­tance, le gou­ver­ne­ment mexi­cain vou­lut résoudre, d’une manière ou d’une autre, un conflit périlleux dans lequel il ne par­ve­nait point à triom­pher au gré de ses dési­rs. Il décla­ra donc sans ambages qu’il ne s’opposerait point à une tran­sac­tion pas­sée entre les repré­sen­tants des deux par­tis. L’expérience, hélas ! Nous avons ensei­gné com­bien il était impru­dent d’ajouter foi aux offres de ce genre. Nous avons jugé bon néan­moins de recher­cher s’il serait avan­ta­geux ou non de pro­longer l’interruption du culte divin public. Cette inter­rup­tion, en effet, avait été réso­lue pour pro­tes­ter contre l’arbitraire gouverne­mental ; mais, à la pro­lon­ger, on s’exposait à nuire aus­si bien à l’ordre public tout entier qu’aux inté­rêts de la reli­gion. Enfin, consi­dé­ra­tion encore plus impor­tante, cette inter­rup­tion, ain­si que Nous l’apprenions de sources nom­breuses et des plus sûres, cau­sait gran­de­ment tort aux fidèles, qui, pri­vés en somme des mul­tiples secours spi­ri­tuels qu’exige la vie chré­tienne, for­cés bien sou­vent de ne point assis­ter aux offices de leur propre reli­gion, en arri­vaient gra­duel­le­ment à se déta­cher du sacer­doce catho­lique et perdre ain­si les bien­faits sur­na­tu­rels de la vie catho­lique. Ajoutons que l’absence déjà pro­lon­gée des évêques hors de leurs dio­cèses res­pec­tifs ne pou­vait que contri­buer à faire flé­chir le niveau de la dis­ci­pline ecclésias­tique. Et cette der­nière consé­quence était des plus regret­tables, car, en face d’une per­sé­cu­tion aus­si vio­lente de l’Eglise mexi­caine, le peuple chré­tien et ses prêtres avaient besoin plus que jamais de la direc­tion et des règles de ceux que « le Saint-​Esprit a éta­blis évêques pour paître l’Eglise du Seigneur » (Act. xx, 28).

Par consé­quent, aus­si­tôt que le magis­trat suprême de la République mexi­caine eut décla­ré, en 1929, que son inten­tion, en appli­quant la loi en cause, n’était point d’anéantir « l’identité de l’Eglise » et de mécon­naître la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, Nous avons pen­sé, dans l’unique pré­oc­cu­pa­tion du salut des âmes, qu’il ne fal­lait à aucun prix lais­ser échap­per cette occa­sion, quelle qu’elle fût, de res­tau­rer la hié­rar­chie. Bien plus, devant cette lueur d’espoir qui pro­met­tait un remède à des maux aus­si graves, et puisqu’on sem­blait pou­voir écar­ter les prin­ci­pales causes qui avaient ame­né les évêques à sus­pendre le culte public, Nous Nous sommes deman­dé s’il ne serait pas oppor­tun de le réta­blir. Mais par là Nous n’entendions nul­le­ment légi­ti­mer les lois reli­gieuses mexi­caines, non plus que désa­vouer les pro­tes­ta­tions publiques éle­vées contre elles ; encore moins voulions- Nous qu’on ces­sât de leur faire oppo­si­tion et qu’on leur obéît. Bref, toute la ques­tion pou­vait se résu­mer ain­si : puisque les gou­ver­nants pré­ten­daient avoir modi­fié leurs inten­tions, il sem­blait indi­qué de faire trêve aux mesures de résis­tance — ce qui aurait pu nuire davan­tage au peuple chré­tien — et de recou­rir à d’autres mesures cer­tai­ne­ment plus opportunes.

Mais per­sonne n’ignore que cette paix et cette conci­lia­tion, depuis long­temps sou­hai­tées, n’ont répon­du ni à Nos dési­rs ni à Nos vœux. Les condi­tions de l’accord inter­ve­nu furent, en effet, ouver­te­ment vio­lées ; on sévis­sait encore et tou­jours contre les évêques, les prêtres, les fidèles ; on les condam­nait, on les empri­son­nait ; avec une afflic­tion pro­fonde Nous consta­tions non seule­ment que tous les évêques n’étaient pas rap­pe­lés de l’exil, mais que le petit nombre de ceux qui vivaient encore dans leur patrie étaient, au mépris dos lois, expul­sés du sol natio­nal ; en beau­coup de dio­cèses, les églises, les Séminaires, les rési­dences des évêques et autres éta­blis­se­ments sacrés n’é­taient pas ren­dus à leur usage pre­mier ; enfin, par une vio­la­tion ouverte des pro­messes faites, nombre de prêtres ou de laïques qui avaient courageu­sement défen­du la foi de leurs ancêtres étaient livrés à la haine et aux ven­geances de leurs ennemis.

De plus, à peine la sus­pen­sion du culte divin public avait-​elle été abro­gée que la presse riva­li­sait d’infamie dans une cam­pagne d’accu­sations contre les ministres sacrés, contre l’Eglise, contre Dieu lui- même. Personne n’ignore que le Siège Apostolique a cru devoir réprou­ver et condam­ner un de ces libelles, qui, par sa cou­pable impié­té, par ses calom­nies visant ouver­te­ment à pro­vo­quer la haine de la reli­gion, avait vrai­ment dépas­sé toute espèce de mesure.

Ajoutons que dans les écoles pri­maires il est non seule­ment inter­dit par la loi d’enseigner les pré­ceptes de la doc­trine catho­lique, mais que trop sou­vent les maîtres char­gés de l’instruction des enfants sont encou­ra­gés à répandre dans les âmes juvé­niles les men­songes de l’impiété et les germes de l’immoralité. Les parents chré­tiens subissent de ce chef un tort grave, s’ils tiennent à conser­ver intacte l’innocence de leurs enfants.

Aussi bénissons-​Nous de tout Notre cœur ces pères et mères de famille, ces ins­ti­tu­teurs et ces maîtres qui déploient tout leur zèle à secon­der les parents sur ce ter­rain. C’est pour­quoi, Vénérables Frères, Nous vous exhor­tons ins­tam­ment dans le Seigneur, Nous exhor­tons de même les deux cler­gés et tous les fidèles à veiller sans cesse et dans la mesure du pos­sible sur les écoles et sur l’éducation de la jeu­nesse, celle sur­tout des masses popu­laires ; expo­sée plus que toute autre aux doc­trines si lar­ge­ment pro­pa­gées des athées, des francs- maçons et des com­mu­nistes, elle a grand besoin de votre vigi­lance apos­to­lique. N’oubliez pas, du reste, que votre patrie sera dans l’avenir ce que vous l’aurez faite, en don­nant à la jeu­nesse une saine éducation.

Mais il est un objet d’une impor­tance encore plus grande, objet fon­da­men­tal d’où découle la vie même de toute l’Eglise et qui est en butte aux attaques les plus vio­lentes : Nous vou­lons par­ler du cler­gé, de la hié­rar­chie catho­lique. Il est mani­feste qu’on veut arri­ver insen­siblement à les faire dis­pa­raître au sein de l’Etat. Libre à l’Etat mexi­cain d’édicter une Constitution ; libre à ses citoyens de juger, de pen­ser, de croire ce qu’ils veulent ! Mais — comme Nous l’avons déplo­ré en bien des occa­sions — c’est une preuve mani­feste d’anti­pathie et d’hostilité, quand on vient décré­ter que chaque Etat de la Fédération doit fixer immua­ble­ment le nombre des prêtres aux­quels il sera per­mis, soit dans les édi­fices sacrés, soit même entre les quatre murs des demeures par­ti­cu­lières, de célé­brer le culte et d’administrer les sacre­ments aux fidèles.

Et cette mons­trueuse injus­tice est encore aggra­vée par la manière et les motifs d’appliquer la loi. En effet, si la « Constitution » ordonne de ne pas dépas­ser un cer­tain nombre de prêtres, elle pré­voit cepen­dant que le nombre de ces prêtres, en chaque région, ne doit pas être infé­rieur aux besoins du trou­peau catho­lique ; encore moins se permet-​elle de pres­crire qu’il ne faut tenir aucun compte de la hiérar­chie ecclé­sias­tique ; car celle-​ci, dans l’accord inter­ve­nu à titre de modus viven­di, est fran­che­ment et clai­re­ment recon­nue et approuvée.

Or, dans l’Etat de Michoacan, il a été décré­té qu’il n’y aurait qu’un seul prêtre pour 33 000 fidèles ; dans celui de Chihuahna, un pour 45 000 ; dans celui de Chiapas, un pour 60 000 ; et enfin, dans l’Etat de Vera Cruz, un seul pour 100 000.

Avec de pareilles limi­ta­tions il est impos­sible de répondre aux besoins spi­ri­tuels d’une popu­la­tion chré­tienne occu­pant le plus sou­vent des ter­ri­toires extrê­me­ment vastes : le fait est abso­lu­ment incontestable.

Et cepen­dant, comme s’ils se repen­taient de trop de géné­ro­si­té, les per­sé­cu­teurs conti­nuent à impo­ser res­tric­tions sur res­tric­tions : de nom­breux Séminaires ont été fer­més par plu­sieurs gou­ver­neurs d’Etat ; les pres­by­tères ont été remis au fisc ; en beau­coup de loca­li­tés, c’est dans quelques églises seule­ment et dans les limites d’un péri­mètre don­né qu’il est per­mis d’officier aux prêtres approu­vés par l’autorité civile.

Certains gou­ver­neurs d’Etat ont pres­crit que les magis­trats publics, en accor­dant l’autorisation de se livrer au minis­tère ecclé­sias­tique, n’avaient nul­le­ment à se pré­oc­cu­per d’une hié­rar­chie quel­conque ; bien plus, ils veulent qu’on empêche tous les pré­lats, c’est-à-dire les évêques et même ceux qui rem­plissent les fonc­tions de délé­gué apos­tolique, de faire usage de leur auto­ri­té. De pareilles mesures prouvent mani­fes­te­ment que leur but est de sup­pri­mer et de détruire l’Eglise catholique.

Nous avons vou­lu rap­pe­ler en quelques mots et sous ses prin­ci­paux aspects la très cruelle situa­tion de l’Eglise mexi­caine. En la dépei­gnant, Nous vou­lons que tous ceux qui ont à cœur le bon ordre et la paix des peuples ne cessent point de son­ger à cette per­sé­cu­tion vrai­ment abo­mi­nable et qui, dans quelques Etats sur­tout, ne se dis­tingue guère de celle qui fait rage dans les plus sombres régions de la Russie ; en consi­dé­rant le but de ces per­ni­cieuses manœuvres ils pui­seront une nou­velle ardeur pour s’opposer, comme un rem­part, à des pas­sions sub­ver­sives qui menacent l’ordre social tout entier.

A vous aus­si, Vénérables Frères et fils bien-​aimés de la nation mexi­caine, Nous dési­rons témoi­gner de nou­veau la sol­li­ci­tude pater­nelle dont Nous vous entou­rons au milieu de vos souf­frances ; c’est de Notre sol­li­ci­tude pour vous que dérivent les renies que Nous vous avons don­nées, en jan­vier der­nier, par Notre cher Fils le car­di­nal secré­taire d’Etat et que Nous avons com­mu­ni­quées par Notre Délégué apostolique.

Comme il s’agit d’une ques­tion inti­me­ment liée à la reli­gion, c’est Notre droit et Notre devoir de fixer les prin­cipes et les règles de con­duite les plus appro­priés ; tous ceux donc qui se font gloire du nom de catho­lique ne peuvent que s’y conformer.

Mais Nous tenons à décla­rer ouver­te­ment que toutes les nou­velles ou infor­ma­tions que Nous avons reçues de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique ou de laïques, Nous les avons atten­ti­ve­ment médi­tées et consi­dé­rées sous tous leurs aspects ; toutes, disons-​Nous, celles mêmes qui sem­blaient récla­mer le retour à un mode de résis­tance plus éner­gique — et qui fut déjà uti­li­sé en 1926, — c’est-à-dire à la sup­pres­sion des offices reli­gieux sur toute l’étendue du ter­ri­toire de la République.

Quelle est donc la conduite à tenir ? Etant don­né que les prêtres ne sont pas réduits dans chaque Etat aux mêmes dif­fi­cul­tés et qu’on n’a point rom­pu en tout lieu, et d’une manière égale, avec l’autorité et les digni­taires de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, il s’ensuit que la mesure dif­fé­rente en laquelle ces funestes décrets sont appli­qués exige que la ligne de conduite de l’Eglise et des fidèles soit, elle aus­si, différente.

Par suite, Nous devons en toute jus­tice louer expres­sé­ment et bien haut les évêques mexi­cains qui, d’après Nos infor­ma­tions, ont appli­qué avec le plus de soin pos­sible les règles que Nous avions don­nées. D’aucuns, en effet — obéis­sant à Tardent besoin de défendre leur foi plu­tôt qu’à la grande pru­dence requise en des cir­cons­tances aus­si dif­fi­ciles, — ont attri­bué aux évêques‑, à cause des manières d’agir dif­fé­rentes que sug­gé­raient les dif­fé­rentes condi­tions locales, des direc­tives contra­dic­toires ; mais ils doivent être bien per­sua­dés qu’un reproche de ce genre est abso­lu­ment dénué de tout fondement.

De toute façon, pour­tant, une res­tric­tion du nombre des prêtres ne peut pas ne pas être une vio­la­tion grave des droits divins.

Il faut abso­lu­ment que les évêques, l’ensemble du cler­gé et les laïques repoussent tota­le­ment une aus­si funeste mesure et s’y opposent de toute leur éner­gie par tout moyen légi­time. Alors même que leurs pro­tes­ta­tions auprès des pou­voirs publics seraient vaines, elles n’en convain­craient pas moins les fidèles, sur­tout peu ins­truits, que les auto­ri­tés civiles, par leur manière d’agir, foulent aux pieds la liber­té de l’Eglise que Nous, en dépit des efforts des per­sé­cu­teurs, Nous ne pou­vons aucu­ne­ment abdiquer.

Aussi avons-​Nous éprou­vé une grande conso­la­tion en lisant les dif­férentes péti­tions émises par les évêques et les prêtres des dio­cèses oppri­més au nom des lois iniques. Mais Nous y avons joint Nous-​même Nos pro­tes­ta­tions et Nous les avons fait entendre à l’univers entier. Nous les avons adres­sées spé­cia­le­ment à ceux qui tiennent les rênes des gou­ver­ne­ments, dans la pen­sée qu’ils se convain­cront un jour que cette per­sé­cu­tion du peuple mexi­cain est une grave injure non seule­ment au Dieu éter­nel dont elle opprime l’Eglise, non seule­ment aux fidèles chré­tiens, dont elle blesse la foi et la conscience reli­gieuse, mais qu’elle est encore un ache­mi­ne­ment vers cette révo­lu­tion que les athées et les enne­mis de Dieu pour­suivent par tous les moyens.

En atten­dant, il faut remé­dier autant que pos­sible à cette cala­mi­teuse situa­tion. On emploie­ra donc toutes les mesures dont on peut dis­po­ser pour main­te­nir par­tout, si faire se peut, les céré­mo­nies du culte divin ; on évi­te­ra ain­si que la lumière de la foi et le feu de la cha­ri­té chré­tienne ne s’éteignent dans le peuple. Bien qu’il s’agisse, comme Nous l’avons dit, de décrets impies en oppo­si­tion avec les droits sacrés de Dieu et de l’Eglise, décrets qui rien que de ce chef sont réprou­vés par la loi divine, il n’en est pas moins vrai qu’on céde­rait à un vain scru­pule si l’on pen­sait qu’on coopère avec les magis­trats pour une œuvre inique en leur deman­dant, après tant de vexa­tions, l’autorisation d’accomplir les céré­mo­nies sacrées et si, pour cette rai­son, on se croyait tenu de renon­cer à toute espèce ne demande. Ce serait là une erreur, et pareille manière d’agir, puisqu’il en résul­te­rait la sup­pres­sion de tout office reli­gieux en tout lieu, cau­se­rait le plus grand dom­mage à tout le trou­peau des fidèles.

Il est bien vrai qu’approuver une loi inique ou lui prê­ter un appui volon­taire est incon­tes­ta­ble­ment illi­cite et par suite for­mel­le­ment inter­dit. Mais bien dif­fé­rent est le mode d’agir par lequel on se sou­met invo­lon­tai­re­ment et à contre-​cœur à des ordres indignes ; il peut même arri­ver qu’on dimi­nue pour sa part le mor­tel effet des décrets promulgués.

Quand donc un prêtre est contraint de deman­der aux magis­trats publics l’autorisation de célé­brer les offices reli­gieux et quand il ne peut sans elle exer­cer le culte divin, il n’endure cette situa­tion que par force, afin d’éviter un mal plus grand ; bref, il ne se com­porte pas autre­ment que l’homme, dépouillé de son bien, qui serait contraint de deman­der à l’injuste ravis­seur le droit d’user au moins de sa propriété.

D’ailleurs, le soup­çon d’une sorte de « coopé­ra­tion for­melle », ain­si qu’on la qua­li­fie, et d’approbation de la loi, dis­pa­raît devant les pro­testations solen­nelles et véhé­mentes non seule­ment du Siège Aposto­lique, mais des évêques et du peuple mexicain.

Ajoutons la pru­dence usuelle des prêtres et les garan­ties qui les entourent : bien qu’institués cano­ni­que­ment par man­dat de leur évêque en vue du minis­tère sacré, ils sont for­cés de deman­der au gou­vernement de leur Etat l’autorisation et la liber­té d’exercer leur minis­tère. En ce fai­sant, ils n’approuvent ni la loi ni ses pres­crip­tions, mais à des règle­ments injustes ils ne se sou­mettent « maté­riel­le­ment », sui­vant l’expression admise, que pour faire dis­pa­raître l’entrave qui leur inter­dit l’accomplissement des fonc­tions sacrées. Et si cette entrave n’est point sup­pri­mée, elle s’op­po­se­ra par­tout au culte divin, pour le plus grand détri­ment des âmes. Ainsi qu’en témoigne l’histoire des pre­miers temps du catho­li­cisme, les ministres sacrés deman­daient, même au prix d’or, la facul­té de visi­ter les mar­tyrs dans leur pri­son, afin de leur appor­ter les sacre­ments. Or, aucun homme sen­sé n’a jamais son­gé à les accu­ser de légi­ti­mer et d’approuver, sous une forme quel­conque, l’œuvre des persécuteurs.

Telle est, en toute cer­ti­tude et en toute véri­té, la doc­trine de l’Eglise catho­lique ; si, dans l’application de cette doc­trine, quelques-​uns viennent à se trom­per, vous aurez la charge, Vénérables Frères, de les infor­mer aus­si­tôt et en termes pré­cis de la doc­trine que Nous venons d’exposer.

Que si l’un d’eux, après que vous lui aurez expli­qué Notre pen­sée, per­siste dans son erreur, vous lui ferez savoir qu’il n’évite pas le reproche d’opiniâtreté et d’entêtement.

Que tous conti­nuent donc à faire preuve de ce zèle pour l’obéissance et de cette una­ni­mi­té de pen­sée que Nous avons plus d’une fois loués dans le cler­gé et qui furent pour Nous une pro­fonde conso­la­tion. Reje­tant les doutes et les craintes de toute sorte que peut faire naître le pre­mier assaut des per­sé­cu­tions, que les prêtres, avec leur réso­lu­tion bien connue de tout endu­rer cou­ra­geu­se­ment, accom­plissent leur œuvre apos­to­lique avec tou­jours plus de soin, notam­ment à l’égard de la jeu­nesse et des classes populaires.

Qu’ils s’efforcent éga­le­ment d’inspirer le sens de l’équité, de la con­corde et de la cha­ri­té à ceux qui com­battent l’Eglise par cela même qu’ils la connaissent imparfaitement.

Nous ne pou­vons non plus Nous abs­te­nir de recom­man­der à nou­veau un objet qui, vous le savez, est constam­ment pré­sent à Notre esprit : orga­ni­sez par­tout l’Action catho­lique sui­vant les règles (voir aus­si la lettre apos­to­lique Paterna sane sol­li­ci­tu­do du 2 février 1926) que Nous avons trans­mises par Notre délé­gué apos­to­lique et développez-​la chaque jour davantage.

Nous savons qu’à l’origine, sur­tout dans les condi­tions pré­sentes, le but est extrê­me­ment dif­fi­cile à atteindre ; Nous savons de même qu’il faut par­fois bien du temps avant de recueillir les fruits dési­rés ; mais Nous savons aus­si que l’Action catho­lique est néces­saire et qu’elle est plus effi­cace que tout autre mode d’action : la preuve en est don­née par toutes les nations qui ont fini par sor­tir ain­si de ces crises persécutrices.

Nous exhor­tons eu outre Nos chers fils du Mexique, et Nous ne ces­serons de les exhor­ter, au nom du Seigneur, à main­te­nir l’étroite union qui les dis­tingue avec l’Eglise leur mère, ain­si qu’avec sa hié­rar­chie. Qu’ils s’efforcent donc pour leur part avec ardeur d’observer les règles et les pres­crip­tions données.

La par­ti­ci­pa­tion aux sacre­ments, source de la grâce divine et des ver­tus chré­tiennes, ne doit pas être négli­gée. Qu’ils s’appliquent avec zèle à l’étude de la reli­gion. Que du Père des misé­ri­cordes ils implorent la paix et la pros­pé­ri­té pour leur patrie éprou­vée. Enfin qu’ils regardent comme un devoir et comme un hon­neur de prendre rang par­mi les troupes de l’Action catho­lique et de col­la­bo­rer à l’œuvre du clergé.

Quant à ceux qui, dans les deux cler­gés ou dans le laï­cat, par amour pour la reli­gion et par fidé­li­té envers ce Siège Apostolique, ont accom­pli des actes mémo­rables dignes d’être enre­gis­trés dans les fastes les plus récents de l’Eglise mexi­caine, Nous ne pou­vons que les glo­ri­fier hau­te­ment ; et Nous les sup­plions ins­tam­ment au nom du Seigneur d’employer toutes leurs forces à défendre sans cesse les droits sacro-​saints de l’Eglise, d’endurer au besoin géné­reu­se­ment et les souf­frances et les peines ain­si qu’ils en ont don­né jusqu’ici le très noble exemple.

Nous ne pou­vons ter­mi­ner cette ency­clique sans vous dire, Véné­rables Frères, vous qui êtes les inter­prètes de Notre pen­sée, que Notre atten­tion se reporte tout spé­cia­le­ment vers vous ; Nous vous dirons aus­si que Nous vous sommes d’autant plus étroi­te­ment uni et que vous Nous sen­ti­rez d’autant plus étroi­te­ment uni à vous que vous souf­fri­rez de peines plus cruelles dans l’accomplissement de votre minis­tère apos­tolique. Quant à Nous, Nous sommes cer­tain que, conscients de voire union avec le Vicaire de Jésus-​Christ, vous pui­se­rez dans ce fait une conso­la­tion et un sti­mu­lant à rem­plir chaque jour avec plus d’ardeur votre œuvre si dif­fi­cile, mais si sainte : celle de conduire au port du salut éter­nel le trou­peau qui vous est confié.

Afin cepen­dant que la grâce divine ne cesse point de vous assis­ter et que la misé­ri­corde de Dieu gran­disse votre réso­lu­tion, Nous vous accor­dons, Vénérables Frères et très chers fils, en témoi­gnage de Notre pater­nelle affec­tion et comme gage des faveurs célestes, la Béné­diction apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 29 sep­tembre, en la Dédi­cace de saint Michel Archange, en l’année 1932, la onzième de Notre Pontificat.

PIE XI PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 8, pp. 94–113. – A. A. S., vol. XXIV, 1932, p. 321. – Traduction de la Documentation catho­lique, tome 28, 1932, col. 579, etc.

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