Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

25 décembre 1955

Lettre encyclique Musicae Sacrae Disciplina

Sur la musique sacrée

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 25 décembre en la fête de la Nativité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’an 1955
A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, évêques et autres Ordinaires en paix et com­mu­nion avec le Siège apos­to­lique, ain­si qu’à tout le cler­gé et aux fidèles de l’univers catholique

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique !

Nous Nous sommes tou­jours gran­de­ment inté­res­sé à la musique sacrée ; c’est pour­quoi il Nous a paru oppor­tun de reprendre le sujet de manière métho­dique dans cette Encyclique et d’éclairer aus­si un peu plus de nom­breuses ques­tions dis­cu­tées durant les der­nières dizaines d’années, afin que cet art noble et ori­gi­nal serve chaque jour davan­tage à rehaus­ser la splen­deur du culte divin et à sou­te­nir la vie spi­ri­tuelle des fidèles. Nous avons vou­lu en même temps répondre aux dési­rs que dans leur sagesse un bon nombre d’entre vous, Vénérables Frères, Nous ont expri­més, aux vœux for­mu­lés lors de Congrès trai­tant cette matière, par des spé­cia­listes et des musi­ciens de valeur, aux sug­ges­tions de l’expérience pas­to­rale et aux pro­grès des études musi­cales. Nous espé­rons par là confir­mer, éclai­rer et recom­man­der ce que saint Pie X a sage­ment éta­bli dans le chi­ro­graphe qu’il a nom­mé à bon droit « le code juri­dique de la musique sacrée » [1], de telle sorte que cet art remar­quable, adap­té aux condi­tions actuelles et enri­chi en quelque manière, réponde tou­jours mieux à son rôle élevé.

I – Histoire

La musique fait assu­ré­ment par­tie des dons de nature que Dieu, en qui s’harmonisent le par­fait accord et la suprême uni­té, a dépar­tis aux hommes créés à son « image et res­sem­blance » [2], car elle concourt avec les autres arts libé­raux à la joie de l’esprit et au plai­sir de l’âme. Aussi Augustin a‑t-​il rai­son de dire : « C’est pour signi­fier une grande chose que la musique, c’est à dire l’art ou le sens du rythme exact, a été éga­le­ment concé­dée par la libé­ra­li­té de Dieu aux mor­tels doués d’une âme rai­son­nable » [3].

Personne ne s’étonnera donc que le chant sacré et l’art de la musique, ain­si qu’il résulte de nom­breux docu­ments anciens ou récents, aient par­tout et tou­jours été employés, même chez les païens, pour embel­lir les céré­mo­nies reli­gieuses ; et que le culte du vrai Dieu en par­ti­cu­lier ait usé de cet art dès les anciens temps. Le peuple de Dieu, lorsqu’il eut été sau­vé de la Mer Rouge par un miracle de la puis­sance divine, chan­ta un chant de vic­toire au Seigneur ; et Marie, sœur de Moïse son chef, sous l’effet d’une ins­pi­ra­tion pro­phé­tique, chan­ta avec le peuple en s’accompagnant du tam­bou­rin [4]. Plus tard, tan­dis qu’on trans­por­tait l’Arche de Dieu de la mai­son d’Obédédom dans la ville de David, le roi lui-​même « et tout Israël dan­saient devant le Seigneur au son de toutes sortes d’instruments de bois de cyprès, de harpes, de luths, de tam­bou­rins, de sistres et de cym­bales » [5]. Le roi David lui-​même régla la musique et les chants à employer dans le culte sacré [6] ; cette règle­men­ta­tion fut réta­blie après le retour du peuple de l’exil, et obser­vée fidè­le­ment jusqu’à la venue du Divin Rédempteur. Dans l’Église fon­dée par le Sauveur, le chant sacré fut en usage et en hon­neur dès le début, ain­si que le montre clai­re­ment l’Apôtre saint Paul quand il écrit aux Ephésiens : « Remplissez-​vous de l’Esprit Saint et réci­tez entre vous des psaumes, des hymnes et des can­tiques spi­ri­tuels » [7] ; et que cette manière de chan­ter fût en usage éga­le­ment dans les réunions chré­tiennes, il l’indique par ces paroles : « Lorsque vous vous assem­blez, cha­cun peut avoir un can­tique… » [8]. Pline atteste la même chose après l’âge apos­to­lique : les rené­gats, écrit-​il, affir­maient « que leur faute ou leur erreur se rame­nait au fait qu’un jour fixe ils avaient l’habitude de se réunir avant l’aube et de réci­ter un chant au Christ comme à un dieu » [9]. Ces paroles du pro­con­sul romain en Bithynie montrent clai­re­ment qu’au temps même des per­sé­cu­teurs, la voix de l’Église qui chante ne s’était pas com­plè­te­ment tue ; ce que Tertullien confirme en rap­por­tant que dans les réunions des chré­tiens « on lit les écri­tures, on chante les psaumes, on fait des cau­se­ries » [10].

Lorsque l’Église jouit de nou­veau de la liber­té et de la paix, d’innombrables témoi­gnages des Pères et des Écrivains ecclé­sias­tiques confirment que les psaumes et les hymnes étaient d’un usage presque quo­ti­dien dans le culte litur­gique. Et même peu à peu de nou­velles formes de chant sacré se créèrent, de nou­veaux genres de can­tiques furent inven­tés, que les Scholæ Cantorum, spé­cia­le­ment à Rome, déve­lop­pèrent de plus en plus. Et la tra­di­tion rap­porte que Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, saint Grégoire le Grand, recueillit avec soin tout ce que les anciens avaient trans­mis, le mit en bon ordre et pro­té­gea par des lois et des règles oppor­tunes la pure­té et l’intégrité du chant sacré. De Rome, le chant romain fut trans­por­té petit à petit dans les autres régions de l’Occident ; non seule­ment il s’enrichit de nou­velles formes et de nou­veaux modes, mais un nou­veau genre de chant sacré entre même en usage, à savoir l’hymne reli­gieux, qui employait par­fois la langue vul­gaire. Quant au chant cho­ral, qu’on appe­la « gré­go­rien », du nom de son réno­va­teur S. Grégoire, il ne fut bien­tôt plus seul à don­ner splen­deur au culte : à par­tir du VIIIème ou IXème siècle en effet, dans presque toutes les régions de l’Europe chré­tienne, se répan­dit dans les églises l’usage de l’orgue.

Au chant cho­ral s’ajouta aus­si peu à peu à par­tir du IXème siècle le chant poly­pho­nique, dont la théo­rie et la pra­tique se déve­lop­pèrent de plus en plus aux siècles sui­vants, et qui, sur­tout au XVème et au XVIème siècles, sous l’impulsion de grands artistes, s’éleva une admi­rable per­fec­tion. L’Église a tou­jours hono­ré éga­le­ment ce chant poly­pho­nique et l’a volon­tiers admis jusque dans les Basiliques Romaines et les céré­mo­nies pon­ti­fi­cales pour rehaus­ser la magni­fi­cence des rites sacrés. Sa force et son éclat s’accrurent encore du fait que les voix des chan­teurs furent accom­pa­gnées non seule­ment par l’orgue mais aus­si par d’autres ins­tru­ments de musique.

Et c’est ain­si qu’avec la faveur et les encou­ra­ge­ments de l’Eglise, la musique sacrée par­cou­rut à tra­vers les siècles un long che­min qui, len­te­ment par­fois et labo­rieu­se­ment, la condui­sit à une plus grande per­fec­tion : par­tie des mélo­dies gré­go­riennes simples et natu­relles, encore que très par­faites en leur genre, elle attei­gnit aux œuvres d’art gran­dioses qu’embellissent et épa­nouissent de façon extra­or­di­naire non seule­ment les voix humaines, mais aus­si les orgues et les autres ins­tru­ments de musique. Ce pro­grès de la musique mani­feste com­bien l’Église eut à cœur de rendre le culte divin tou­jours plus splen­dide et plus agréable au peuple chré­tien ; il montre aus­si pour­quoi elle dut à plu­sieurs reprises empê­cher qu’on ne dépas­sât les justes limites et qu’avec un véri­table pro­grès quelque chose de pro­fane et d’étranger au culte sacré ne s’y intro­dui­sît et ne la défigurât.

A toutes les époques les Souverains Pontifes ont rem­pli avec sol­li­ci­tude ce devoir de vigi­lance ; et le Concile de Trente pros­cri­vit avec sagesse « cette sorte de musique dans laquelle quelque chose de sen­suel ou d’impur se mêle soit à l’orgue soit au chant » [11]. Sans par­ler de nom­breux autres Souverains Pontifes, Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire Benoît XIV, à l’approche du jubi­lé, dans son Encyclique du 19 février 1749, où l’on trouve une éru­di­tion et des idées remar­quables, exhor­ta d’une façon par­ti­cu­lière les Évêques à écar­ter par tous les moyens les abus et les exa­gé­ra­tions qui s’étaient intro­duits dans la musique sacrée [12]. Nos Prédécesseurs Léon XII, Pie VIII [13], Grégoire XVI, Pie IX [14], Léon XIII, ado­ptèrent la même atti­tude. On peut tou­te­fois affir­mer avec rai­son que Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, saint Pie X, a réa­li­sé une res­tau­ra­tion et une réforme com­plètes de la musique sacrée en reve­nant aux prin­cipes et aux normes trans­mis par les anciens, qu’il ras­sem­bla oppor­tu­né­ment et adap­ta aux condi­tions de l’époque actuelle [15]. Enfin, comme Notre der­nier Prédécesseur, Pie XI, d’heureuse mémoire, le fit dans la Constitution Apostolique Divini cultus sanc­ti­ta­tem, du 20 décembre 1929 [16], Nous-​même par l’Encyclique Mediator Dei, du 20 novembre 1947, avons com­plé­té et confir­mé les pres­crip­tions des Pontifes anté­rieurs [17].

II – Les lois fondamentales

Personne assu­ré­ment ne s’étonnera que l’Église s’intéresse de façon si atten­tive à la musique sacrée. Il ne s’agit pas en effet de for­mu­ler des lois esthé­tiques ou tech­niques concer­nant la musique, mais l’intention de l’Église est de pro­té­ger celle-​ci contre tout ce qui pour­rait la rendre moins digne ; elle est appe­lée en effet à rendre ser­vice dans une matière aus­si impor­tante que le culte divin.

En cela la musique sacrée n’obéit pas à d’autres lois que celles qui s’imposent à tout art reli­gieux et même à tout art en géné­ral. Or Nous n’ignorons pas que ces der­nières années des artistes ont osé, au grand détri­ment de la pié­té, intro­duire dans les églises des œuvres qui man­quaient de toute ins­pi­ra­tion reli­gieuse et qui offen­saient même les justes prin­cipes de l’art. Ils s’efforcent de jus­ti­fier cette regret­table manière d’agir par des argu­ments spé­cieux qu’ils assurent décou­ler de la nature de l’art. Ils répètent en effet que l’inspiration de l’artiste est libre et qu’il n’est pas per­mis de lui impo­ser de règles exté­rieures à l’art, qu’elles soient reli­gieuses ou morales, parce qu’elles blessent gra­ve­ment la digni­té de l’art et mettent en quelque sorte des entraves à l’activité ins­pi­rée de l’artiste.

De tels argu­ments touchent une ques­tion assu­ré­ment ardue et grave, qui inté­resse tout art et tout tra­vail artis­tique et ne peut se résoudre par les seuls prin­cipes de l’art et de l’esthétique, mais demande qu’on recoure au prin­cipe suprême de la fin der­nière qui régit de façon sacrée et invio­lable tout homme et toute action humaine. Le fait que l’homme est ordon­né à sa fin der­nière, qui est Dieu, consti­tue une loi abso­lue et néces­saire, fon­dée sur la nature même de Dieu et sa per­fec­tion infi­nie, et Dieu lui-​même ne pour­rait en affran­chir per­sonne. Cette loi éter­nelle et immuable com­mande que l’homme lui-​même et toutes ses actions mani­festent et imitent dans la mesure du pos­sible l’infinie per­fec­tion de Dieu, à la louange et à la gloire du Créateur. Aussi’ l’homme, né pour atteindre cette fin suprême, doit-​il se confor­mer à l’archétype divin et diri­ger dans son action toutes ses facul­tés phy­siques et spi­ri­tuelles, les subor­don­ner entre elles et les sou­mettre comme il convient au but à atteindre. C’est donc d’après leur accord avec la fin der­nière de l’homme que l’art et ses œuvres doivent être jugés ; il s’agit en effet d’un des plus nobles exer­cices du génie humain car son but est d’exprimer dans les œuvres humaines l’infinie beau­té de Dieu, et il en consti­tue comme le reflet. C’est pour­quoi on ne peut pro­fes­ser le prin­cipe de « l’art pour l’art », selon lequel, négli­geant tota­le­ment la fin essen­tielle à toute créa­ture, l’art serait com­plè­te­ment affran­chi de toutes les lois qui ne décou­le­raient pas de l’art même. Ce prin­cipe manque de tout fon­de­ment, ou bien il porte gra­ve­ment atteinte à la digni­té de Dieu, Créateur et fin der­nière. Quant à la liber­té de l’artiste, qui n’est pas une impul­sion aveugle née de la fan­tai­sie ou du désir de la nou­veau­té, elle n’est nul­le­ment res­treinte ou sup­pri­mée par le fait d’être sou­mise à la loi divine ; elle en est plu­tôt enno­blie et perfectionnée.

Ces véri­tés, qui s’appliquent à toutes les œuvres d’art, valent aus­si, évi­dem­ment, pour l’art reli­gieux et sacré. L’art reli­gieux est encore davan­tage consa­cré à Dieu, à sa louange et à sa gloire, puisqu’il n’a pas d’autre but que d’orienter for­te­ment les âmes des fidèles par les œuvres qu’il pré­sente à leur vue ou à leurs oreilles. L’artiste qui ne pro­fesse pas les véri­tés de la foi ou que sa manière de vivre éloigne de Dieu ne doit donc pas se mêler d’art reli­gieux : il lui manque en effet ce sens inté­rieur qui per­met de voir ce que demande la majes­té de Dieu et du culte divin, et il ne peut espé­rer que ses œuvres sans ins­pi­ra­tion reli­gieuse, même si elles dénotent un homme qui connaît son art et qui ne manque pas d’habileté, res­pirent vrai­ment la pié­té et la foi qui conviennent au temple de Dieu et à sa sain­te­té, et soient par consé­quent dignes d’y être admises par l’Église, gar­dienne et juge de la vie religieuse.

Quant à l’artiste dont la foi est ferme et la vie digne d’un chré­tien, qu’il suive l’élan de son amour pour Dieu et fasse reli­gieu­se­ment usage des forces que Dieu lui a concé­dées, qu’il s’efforce d’exprimer par les cou­leurs, les lignes, les sons et les chants les véri­tés qu’il croit et la pié­té qu’il pro­fesse, et cela d’une manière si juste et si agréable que cet exer­cice sacré soit pour lui-​même comme un acte de reli­gion et pour le peuple un sti­mu­lant puis­sant à la foi et à la pié­té. L’Église a tou­jours hono­ré et hono­re­ra tou­jours de tels artistes, elle leur ouvre lar­ge­ment les portes de ses églises, car elle est heu­reuse d’accueillir l’aide consi­dé­rable qu’ils lui apportent par leur art et leur habi­le­té dans l’accomplissement plus effi­cace de son minis­tère apostolique.

Ces lois de l’art reli­gieux s’appliquent plus étroi­te­ment encore à la musique sacrée car elle touche davan­tage le culte divin que la plu­part des autres arts, tels que l’architecture, la pein­ture et la sculp­ture : celles-​ci en effet s’efforcent de pré­pa­rer un cadre digne des rites divins, celle-​là, au contraire occupe une place impor­tante dans l’exécution même des céré­mo­nies reli­gieuses. C’est pour­quoi l’Église doit veiller avec le plus grand soin à écar­ter d’elle, comme d’une ser­vante de la sainte litur­gie, tout ce qui ne convient pas au culte sacré ou pour­rait empê­cher les fidèles d’élever leur esprit vers Dieu.

La digni­té de la musique Sacrée, son but sublime, est en effet d’embellir par la beau­té de ses mélo­dies la voix du prêtre qui célèbre ou du peuple chré­tien qui loue Dieu, d’entraîner vers Dieu par son charme les esprits des fidèles, de rendre plus intenses et plus fer­ventes les prières litur­giques de la com­mu­nau­té chré­tienne, afin que tous puissent louer et prier avec plus de force, d’application et d’efficacité l’unique Dieu en trois Personnes. La musique sacrée contri­bue donc à aug­men­ter l’honneur que l’Église unie au Christ, son Chef, rend à Dieu ; elle aug­mente aus­si le fruit que les fidèles, sous l’effet des accords sacrés, retirent de la sainte litur­gie et qu’ils mani­festent par une conduite digne d’un chré­tien, comme l’enseigne l’expérience quo­ti­dienne et le confirment de nom­breux monu­ments lit­té­raires antiques et modernes. Saint Augustin par­lant des chants exé­cu­tés « d’une voix claire et appro­priée » avoue : « Quand elles sont ain­si chan­tées, je sens que nos esprits s’enflamment au son des paroles saintes de façon plus reli­gieuse et plus ardente que si elles n’étaient pas chan­tées de la sorte, et les dif­fé­rents sen­ti­ments de notre âme s’expriment cha­cun à leur façon dans la voix et dans le chant, qui les excitent en ver­tu de je ne sais quel rap­port caché » [18]. Il est facile d’en conclure que la digni­té et l’importance de la musique sacrée sont d’autant plus grandes qu’elle touche davan­tage à l’action suprême du culte chré­tien, le sacri­fice eucha­ris­tique de l’autel. Elle ne peut donc rien faire de plus éle­vé, rien de plus sublime que d’accompagner dis­crè­te­ment la voix du prêtre qui offre la vic­time divine, de répondre joyeu­se­ment à ses appels avec le peuple pré­sent, et de sou­li­gner de son art toute l’action sacrée. La musique sacrée rem­plit encore un autre minis­tère, presque aus­si noble que le pre­mier, quand elle accom­pagne et embel­lit les autres céré­mo­nies litur­giques, avant tout la réci­ta­tion au chœur de l’Office divin. Cette musique « litur­gique » mérite donc le plus grand hon­neur et la plus grande louange.

Il faut néan­moins faire grand cas de la musique qui, sans être des­ti­née d’abord à la sainte litur­gie, aide néan­moins beau­coup la reli­gion par son objet et sa fin, et mérite par là d’être appe­lée musique « religieuse ».

Il existe encore un autre genre de musique sacrée, qu’on peut qua­li­fier de « popu­laire » et qui, né de l’Église, lui doit aus­si ses heu­reux déve­lop­pe­ments ; il est capable d’exercer, l’expérience en témoigne, une influence consi­dé­rable et salu­taire sur les âmes des fidèles, qu’on l’emploie dans les églises pour les céré­mo­nies non litur­giques ou au dehors pour d’autres solen­ni­tés. En effet, la mélo­die de ces chants le plus sou­vent en langue vul­gaire, s’imprime sans effort dans la mémoire et y fixe éga­le­ment les paroles et les phrases que la répé­ti­tion fré­quente fait mieux com­prendre. Il en résulte qu’en appre­nant ces can­tiques dès leur jeune âge les enfants trouvent plus de faci­li­té à connaître les véri­tés de notre foi, à les goû­ter, à les rete­nir, ce qui aide sérieu­se­ment l’enseignement du caté­chisme. Pour les jeunes gens et les adultes, ces chants reli­gieux consti­tuent une agréable récréa­tion et un plai­sir hon­nête ; ils contri­buent à une cer­taine magni­fi­cence reli­gieuse des réunions et des congrès, ils apportent jusque dans les familles chré­tiennes une joie pieuse, une douce conso­la­tion et un bien spi­ri­tuel. C’est pour­quoi ces can­tiques popu­laires qui sont d’un grand secours à l’apostolat, méritent d’être eux aus­si soi­gneu­se­ment culti­vés et développés.

En exal­tant donc les qua­li­tés et l’efficacité apos­to­lique de la musique sacrée Nous sou­li­gnons un fait qui doit rem­plir de joie et de conso­la­tion tous ceux qui d’une manière ou d’une autre s’appliquent à la culti­ver et à la pra­ti­quer. Tous ceux en effet qui com­posent des pièces musi­cales avec talent, qui les dirigent, ou les exé­cutent par la voix ou sur les ins­tru­ments exercent, bien que de diverses manières, un véri­table apos­to­lat, et rece­vront de Notre Seigneur, cha­cun selon son mérite, les récom­penses des apôtres. Qu’ils estiment donc gran­de­ment la tâche qui les fait non seule­ment artistes et maîtres, mais aus­si ser­vi­teurs et auxi­liaires du Christ dans l’apostolat, et qu’ils mani­festent éga­le­ment dans leur vie la digni­té de leur fonction.

III – Différents genres de la musique sacrée

En rai­son de la digni­té et de l’efficacité de la musique sacrée et du chant reli­gieux, dont Nous venons de par­ler, il est tout à fait néces­saire qu’ils soient sous tous rap­ports soi­gneu­se­ment réglés, de manière à pou­voir por­ter leurs fruits salutaires.

Il faut en pre­mier lieu que le chant et la musique sacrée qui sont le plus étroi­te­ment unis au culte litur­gique de l’Église atteignent le but éle­vé qui leur est pro­po­sé. Cette musique – comme le fai­sait déjà sage­ment remar­quer Notre Prédécesseur saint Pie X -, « doit donc pos­sé­der les qua­li­tés propres de la litur­gie, avant tout la sain­te­té et la qua­li­té de la forme, d’où découle natu­rel­le­ment un autre carac­tère, sa valeur uni­ver­selle » [19].

Qu’elle soit sainte ; tout ce qui rap­pelle le monde pro­fane, qu’elle ne l’accueille pas et qu’elle ne le laisse pas s’introduire dans ses mélo­dies. C’est cette sain­te­té qui carac­té­rise émi­nem­ment le chant Grégorien en usage dans l’Église depuis tant de siècles et qui peut être appe­lé pour ain­si dire son patri­moine. Ce chant en effet par l’accord intime de ses mélo­dies avec le texte sacré, non seule­ment s’adapte de près aux paroles mais il inter­prète en quelque sorte leur sens et leur valeur, et les fait goû­ter à l’âme des audi­teurs ; cet effet il l’obtient par des moyens musi­caux simples et faciles mais ani­més d’un art si sublime et si saint qu’ils entraînent l’admiration sin­cère de tous et consti­tuent pour les spé­cia­listes et les artistes de la musique sacrée comme une source inépui­sable de nou­velles mélo­dies. Ce tré­sor pré­cieux du chant sacré gré­go­rien, il appar­tient à tous ceux à qui le Christ Notre Seigneur a confié la garde et l’administration des richesses de son Église de le conser­ver soi­gneu­se­ment et d’y faire par­ti­ci­per lar­ge­ment le peuple chré­tien. Aussi ce que Nos Prédécesseurs S. Pie X, qu’on appelle a bon droit le res­tau­ra­teur du chant gré­go­rien [20], et Pie XI [21] ont sage­ment ordon­né et ensei­gné, Nous aus­si, en consi­dé­ra­tion des carac­té­ris­tiques qui dis­tinguent le vrai chant gré­go­rien, Nous le vou­lons et le pres­cri­vons, à savoir qu’on uti­lise lar­ge­ment ce chant sacré dans les céré­mo­nies litur­giques et que l’on veille avec grand soin à l’exécuter cor­rec­te­ment, digne­ment et pieu­se­ment. Et si, à cause de fêtes récem­ment ins­tau­rées, il faut com­po­ser de nou­velles mélo­dies, qu’on en charge des maîtres vrai­ment com­pé­tents de manière à res­ter fidèle aux lois propres du chant gré­go­rien authen­tique et en sorte que les nou­velles com­po­si­tions puissent riva­li­ser avec les anciennes par leur valeur et leur pureté.

Si l’on observe réel­le­ment de tout point ces normes, on réa­li­se­ra aus­si comme il se doit la seconde pro­prié­té de la musique sacrée, à savoir qu’elle soit vrai­ment un art ; et quand, dans toutes les églises de la terre, le chant gré­go­rien réson­ne­ra dans toute sa pure­té et son inté­gri­té, il aura lui aus­si, comme la Liturgie Romaine, la note d’universalité ; de la sorte, où qu’ils se trouvent, les fidèles enten­dront une musique fami­lière et pour ain­si dire de chez eux et per­ce­vront par là avec une vraie conso­la­tion l’unité admi­rable de l’Église. Voilà certes l’une des rai­sons prin­ci­pales pour les­quelles l’Église sou­haite tant que le chant Grégorien soit inti­me­ment asso­cié aux paroles latines de la litur­gie sacrée.

Nous n’ignorons pas que le Saint Siège, pour des motifs graves, a concé­dé en cette matière des excep­tions bien défi­nies mais Nous ne vou­lons pas qu’on les étende ni qu’on les applique à d’autres régions sans la per­mis­sion du Saint-​Siège. Bien plus, là où il est per­mis de pro­fi­ter de ces conces­sions, que les Ordinaires des lieux et les autres pas­teurs sacrés veillent avec soin à faire apprendre par les fidèles dès l’enfance au moins les mélo­dies Grégoriennes les plus faciles et les plus usi­tées pour qu’ils sachent les uti­li­ser pen­dant les fonc­tions sacrées et qu’en cela aus­si l’unité et l’universalité de l’Église res­plen­dissent chaque jour davantage.

Cependant là où une habi­tude sécu­laire ou immé­mo­riale per­met d’insérer dans la Messe solen­nelle des can­tiques popu­laires en langue vul­gaire après le chant latin des paroles litur­giques, les Ordinaires des lieux pour­ront le tolé­rer « si, en rai­son des cir­cons­tances de lieux et de per­sonnes, il jugent que cette cou­tume ne peut être pru­dem­ment sup­pri­mée » [22], sans pré­ju­dice de la norme qui défend de chan­ter les paroles litur­giques en langue vul­gaire, comme il a été pré­ci­sé plus haut.

Pour que les chantres et le peuple chré­tien com­prennent bien le sens des paroles litur­giques liées à la mélo­die, il Nous plaît de reprendre les recom­man­da­tions des Pères du Concile de Trente invi­tant spé­cia­le­ment « les pas­teurs et tous ceux qui ont charge d’âme à expo­ser fré­quem­ment, par eux-​mêmes ou par d’autres, quelque pas­sage du texte de la Messe pen­dant qu’elle se célèbre et, entre autres, quelque mys­tère de ce très saint sacri­fice, sur­tout les dimanches et les jours de fête » [23] ; qu’ils le fassent en par­ti­cu­lier au moment de la caté­chèse. A notre époque, la chose sera plus facile et plus aisée qu’aux siècles pré­cé­dents parce que dans presque tous les pays les textes litur­giques tra­duits en langue vul­gaire et expli­qués par des écri­vains com­pé­tents se trouvent dans des livres et bro­chures qui peuvent éclai­rer et aider effi­ca­ce­ment les fidèles à com­prendre ce que les ministres sacrés pro­noncent en latin, et presque à y prendre part.

Il est clair que ce que Nous avons expo­sé ici briè­ve­ment sur le chant Grégorien concerne sur­tout le rite latin romain de l’Église ; mais on peut aus­si l’appliquer soit aux chants litur­giques des autres rites occi­den­taux comme l’Ambrosien, le Gallican, le Mozarabe, soit à ceux des divers rites orien­taux res­pec­ti­ve­ment. Tous ceux-​ci en effet, en démon­trant l’admirable fécon­di­té de l’Église dans ses litur­gies et ses for­mules de prière, conservent aus­si de pré­cieux tré­sors dans leur chant litur­gique propre ; il faut les pré­ser­ver et en empê­cher non seule­ment la dis­pa­ri­tion mais aus­si toute dimi­nu­tion et dépra­va­tion. Parmi les monu­ments les plus anciens et les plus remar­quables de la musique sacrée, les chants litur­giques des divers rites orien­taux occupent sans aucun doute une place pré­do­mi­nante ; leurs mélo­dies ont exer­cé beau­coup d’influence sur la for­ma­tion de celles de l’Église d’Occident, compte tenu des adap­ta­tions deman­dées par le carac­tère propre de la litur­gie Latine. Nous sou­hai­tons que le choix de chants des Rites Orientaux à l’élaboration duquel tra­vaille avec zèle l’Institut Pontifical des Études Orientales, en col­la­bo­ra­tion avec l’Institut Pontifical de Musique sacrée, pro­gresse rapi­de­ment tant pour la par­tie théo­rique que pour la pra­tique ; de la sorte les sémi­na­ristes des Rites de l’Église Orientale, bien for­més au chant sacré, pour­ront par là contri­buer gran­de­ment, quand ils seront prêtres, à accroître la beau­té de la mai­son de Dieu.

En louant et en recom­man­dant de la sorte le chant Grégorien, Nous n’avons pas l’intention d’écarter des céré­mo­nies de l’Église la poly­pho­nie sacrée qui, si elle répond à ses exi­gences propres, peut contri­buer de façon insigne à la splen­deur du culte divin et à la dévo­tion des chré­tiens. Personne n’ignore en effet que beau­coup de mor­ceaux poly­pho­niques, com­po­sés sur­tout au XVIe siècle, se dis­tinguent par une telle pure­té et une telle richesse qu’ils méritent de tout point d’accompagner et de rehaus­ser en quelque sorte les céré­mo­nies de l’Église. Si la poly­pho­nie authen­tique subit au cours des siècles une déca­dence pro­gres­sive tan­dis qu’assez sou­vent s’y mêlaient des airs pro­fanes, le tra­vail infa­ti­gable des spé­cia­listes a pro­vo­qué pen­dant ces der­nières décades un heu­reux renou­veau, grâce à l’étude appro­fon­die des œuvres des anciens maîtres que l’on pro­pose à l’imitation et à l’émulation des com­po­si­teurs modernes. C’est pour­quoi dans les Basiliques, dans les cathé­drales et dans les églises des reli­gieux on peut exé­cu­ter aus­si bien les com­po­si­tions poly­pho­niques des anciens maîtres que celles des auteurs récents et confé­rer ain­si aux rites sacrés une écla­tante splen­deur. Bien plus, Nous savons que dans les églises plus modestes il n’est pas rare que l’on exé­cute des mor­ceaux poly­pho­niques plus simples mais com­po­sés avec sin­cé­ri­té et un vrai sens de l’art. L’Église encou­rage tous ces efforts ; car, comme le dit Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire S. Pie X, « elle a favo­ri­sé sans cesse le pro­grès artis­tique en accep­tant au ser­vice de la reli­gion tout ce que l’esprit humain a trou­vé de bon et de beau au cours des siècles, pour­vu que soient obser­vées les lois de la litur­gie » [24]. Ces lois pres­crivent d’user en cette matière grave de pru­dence et de tout le soin requis pour qu’on n’introduise pas dans les églises des mor­ceaux poly­pho­niques enflés et ampou­lés dont la pro­lixi­té empêche de sai­sir les paroles litur­giques, inter­rompt l’action sacrée ou avi­lit le talent des chan­teurs aux dépens de la digni­té du culte.

Ces normes s’appliquent aus­si à l’usage de l’orgue et des autres ins­tru­ments de musique. Parmi les ins­tru­ments qui sont auto­ri­sés dans les églises, l’orgue occupe à juste titre la pre­mière place car il est admi­ra­ble­ment adap­té aux chants et aux rites sacrés, il confère aux céré­mo­nies de l’Église une splen­deur éton­nante et une magni­fi­cence toute spé­ciale, il émeut les fidèles par l’ampleur et la dou­ceur du son, il comble leurs âmes de joie qua­si céleste et les élève puis­sam­ment vers Dieu et vers le ciel.

A côté de l’orgue, il y a aus­si d’autres ins­tru­ments qui peuvent aider effi­ca­ce­ment à atteindre la fin éle­vée de la musique sacrée pour­vu qu’ils n’aient rien de pro­fane, rien de bruyant et de stri­dent, ce qui ne convien­drait aucu­ne­ment à l’action sacrée et à la gra­vi­té de l’endroit. Parmi eux, viennent en pre­mier lieu les ins­tru­ments à corde, parce qu’ils expriment avec une force extra­or­di­naire les sen­ti­ments de joie ou de tris­tesse, soit qu’on les uti­lise seuls, soit qu’on les asso­cie à d’autres ins­tru­ments ou à l’orgue. D’ailleurs Nous avons déjà par­lé clai­re­ment dans Notre Encyclique Mediator Dei des com­po­si­tions musi­cales qu’il ne faut pas écar­ter faci­le­ment du culte catho­lique. « Bien plus, si elles n’ont aucun carac­tère pro­fane ou mes­séant à la sain­te­té du lieu et de l’action litur­gique, si elles ne pro­cèdent pas d’une manie pour ce qui est étrange ou extra­va­gant, qu’on les admette dans nos églises, car elles peuvent contri­buer gran­de­ment à rele­ver la splen­deur des céré­mo­nies sacrées, à éle­ver les âmes, à rani­mer la vraie dévo­tion » [25]. Il est à peine néces­saire cepen­dant de dire que si les moyens et les talents ne sont pas à la hau­teur de pareilles tâches, il vaut mieux ne pas les abor­der que de pré­sen­ter une exé­cu­tion peu digne du culte divin et des assem­blées sacrées.

A ces ques­tions qui se rat­tachent étroi­te­ment à la Liturgie sacrée de l’Église, s’ajoutent comme Nous l’avons dit plus haut, les chants reli­gieux popu­laires, la plu­part du temps en langue vul­gaire, qui ont leur ori­gine dans le chant litur­gique lui-​même ; mais, comme ils sont adap­tés à l’esprit et aux sen­ti­ments de chaque peuple, ils dif­fèrent beau­coup entre eux, selon le carac­tère des diverses nations et régions. Pour que ces can­tiques reli­gieux pro­curent au peuple chré­tien un pro­fit et une uti­li­té spi­ri­tuels, ils doivent être plei­ne­ment conformes aux ensei­gne­ments de la foi catho­lique, la pro­po­ser et l’expliquer cor­rec­te­ment, se ser­vir d’une langue facile et d’une mélo­die simple, en évi­tant les redon­dances et la ver­bo­si­té et enfin, mal­gré leur briè­ve­té et leur faci­li­té, ne pas man­quer de digni­té et de gra­vi­té reli­gieuse. Composés de la sorte, les can­tiques sacrés, jaillis du fond de l’âme popu­laire, remuent pro­fon­dé­ment les cœurs et la sen­si­bi­li­té et excitent à la pié­té ; et lorsqu’ils sont chan­tés à l’unisson par la foule assem­blée dans une céré­mo­nie reli­gieuse, ils élèvent puis­sam­ment vers le ciel l’esprit des fidèles. Aussi, bien qu’on ne doive pas les uti­li­ser dans les Messes solen­nelles sans auto­ri­sa­tion spé­ciale du St Siège, ils peuvent, au cours des Messes non solen­nelles, aider remar­qua­ble­ment les fidèles à assis­ter au St Sacrifice non comme des spec­ta­teurs muets et presque inertes, mais, en sui­vant de la voix et du cœur l’action sacrée, à unir leur prière à celles du prêtre pour­vu que ces chants soient bien adap­tés à cha­cune des par­ties du St Sacrifice ; et Nous sommes très heu­reux de savoir que cela se fait dans beau­coup de régions du monde catholique.

Dans les céré­mo­nies qui ne sont pas stric­te­ment litur­giques, ces can­tiques reli­gieux, pour­vu qu’ils pos­sèdent les qua­li­tés requises, comme Nous l’avons dit plus haut, peuvent contri­buer de façon très salu­taire à atti­rer le peuple chré­tien, à l’instruire, à le péné­trer d’une pié­té sin­cère et enfin à le rem­plir d’une sainte joie ; et cela tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des églises, sur­tout dans les pro­ces­sions et les pèle­ri­nages, ain­si que lors des Congrès reli­gieux natio­naux ou inter­na­tio­naux. Ils seront par­ti­cu­liè­re­ment utiles lorsqu’il s’agit d’apprendre les véri­tés catho­liques aux enfants, dans les asso­cia­tions de jeu­nesse et les réunions des confré­ries pieuses, comme l’expérience maintes fois l’a clai­re­ment montré.

Aussi Nous ne pou­vons Nous empê­cher, Vénérables Frères, de vous exhor­ter avec ins­tance à culti­ver et à pro­mou­voir avec beau­coup de zèle et d’initiative le chant popu­laire reli­gieux dans vos dio­cèses. Vous ne man­que­rez pas d’hommes com­pé­tents pour recueillir et réunir ces can­tiques là où cela n’a pas encore été fait, pour que tous les fidèles puissent plus faci­le­ment les apprendre, les chan­ter et les rete­nir de mémoire. Ceux qui sont char­gés de la for­ma­tion reli­gieuse des enfants n’omettront pas d’utiliser comme il faut ces moyens effi­caces, et les diri­geants de la jeu­nesse catho­lique les met­tront sage­ment à pro­fit dans la charge si impor­tante qui leur est confiée. Ainsi peut-​on espé­rer obte­nir un autre avan­tage sou­hai­té de tous, à savoir la sup­pres­sion des chants pro­fanes dont la mélo­die sen­suelle ou les paroles sou­vent volup­tueuses et las­cives qui les accom­pagnent, sont un dan­ger fré­quent pour les chré­tiens, pour les jeunes sur­tout ; qu’on les rem­place par des chants qui pro­cu­re­ront un plai­sir chaste et pur et, en même temps, nour­ri­ront la foi et accroî­tront la pié­té ; ain­si le peuple chré­tien com­men­ce­ra ici sur la terre à chan­ter le can­tique de louange qu’il chan­te­ra éter­nel­le­ment dans le ciel : « A celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau, béné­dic­tion, hon­neur, gloire et puis­sance dans les siècles des siècles » [26].

Ce que Nous avons écrit jusqu’ici concerne sur­tout les peuples appar­te­nant à l’Église chez les­quels la reli­gion catho­lique est déjà fer­me­ment éta­blie. En pays de Mission, on ne pour­ra mettre à exé­cu­tion cha­cun de ces points avant que le nombre des chré­tiens ne soit suf­fi­sam­ment éle­vé, que des églises plus vastes n’aient été construites, que les écoles fon­dées par l’Église ne soient fré­quen­tées par les enfants des chré­tiens et enfin que le nombre de prêtres ne réponde aux besoins. Cependant Nous exhor­tons ins­tam­ment les mis­sion­naires qui tra­vaillent avec zèle dans ces éten­dues si vastes de la vigne du Seigneur et à qui leur charge impose de graves sou­cis à accor­der aus­si à ce point une atten­tion dili­gente. Il est admi­rable de voir com­ment beau­coup de peuples confiés aux soins des mis­sion­naires trouvent un plai­sir consi­dé­rable à la musique et relèvent par le chant sacré les céré­mo­nies consa­crées au culte des idoles. Il n’est donc pas sage que les mes­sa­gers du Christ, le Vrai Dieu, fassent peu de cas ou négligent tout à fait ce secours effi­cace de l’apostolat. Aussi les pré­di­ca­teurs de l’Évangile en pays païen doivent dans l’exercice de leur minis­tère pro­mou­voir avec zèle cet amour du chant reli­gieux que nour­rissent les gens confiés à leurs soins de telle sorte que ces peuples rem­placent leurs can­tiques reli­gieux, qui sou­vent sus­citent l’admiration des nations culti­vées, par des chants chré­tiens simi­laires dans les­quels les véri­tés de la foi, la vie du Christ et de la Vierge, les louanges des Saints soient célé­brées dans la langue et avec les mélo­dies qui leur sont familières.

Que les mis­sion­naires eux-​mêmes se sou­viennent aus­si que depuis l’antiquité, lorsque l’Église Catholique a envoyé les mes­sa­gers de l’Évangile dans les régions où la lumière de la foi ne brillait pas encore, elle s’est effor­cée d’y intro­duire, avec les rites sacrés, des chants litur­giques, par­mi les­quels le chant Grégorien, et cela afin que les peuples à conver­tir, char­més par la dou­ceur du chant, fussent ame­nés plus faci­le­ment à embras­ser les véri­tés de la reli­gion chrétienne.

IV – Dispositions pratiques

Pour que les recom­man­da­tions et les pres­crip­tions que Nous avons don­nées dans cette Encyclique à l’exemple de Nos Prédécesseurs, obtiennent l’effet sou­hai­té, ne man­quez pas, Vénérables Frères, d’user de tous les secours que vous offre la haute charge qui vous a été confiée par le Christ et par l’Église et que l’on emploie avec grand suc­cès, comme le montre l’expérience, dans beau­coup d’églises chrétiennes.

Et d’abord veillez à ce que, dans la cathé­drale elle-​même et, pour autant que les cir­cons­tances le per­met­tront, dans les autres églises impor­tantes de votre juri­dic­tion, il y ait une Schola Cantorum bien choi­sie qui soit pour les autres un exemple et les sti­mule à culti­ver et à per­fec­tion­ner avec dili­gence le chant sacré. Là où il est impos­sible d’avoir des Scholæ Cantorum ou si l’on ne trouve pas un nombre suf­fi­sant de « petits chan­teurs », il est per­mis, « sous la res­pon­sa­bi­li­té de l’Ordinaire, à un groupe d’hommes et de femmes ou de jeunes filles de chan­ter les textes litur­giques à la Messe solen­nelle, à l’endroit des­ti­né exclu­si­ve­ment à cet usage hors du chœur, pour­vu que les hommes soient tout à fait sépa­rés des femmes et des jeunes filles, et que tous les incon­vé­nients soient évi­tés » [27].

Il faut veiller avec grand soin à ce que ceux qui se pré­parent aux Saints Ordres dans vos Séminaires et dans les Instituts mis­sion­naires ou Religieux apprennent soi­gneu­se­ment selon la volon­té de l’Église la théo­rie et la pra­tique de la musique sacrée et du chant Grégorien, sous la conduite de maîtres com­pé­tents en cet art, qui aient une grande estime de la tra­di­tion et obéissent aux pres­crip­tions et aux normes du St Siège.

Si par­mi les élèves d’un Séminaire ou d’un Collège reli­gieux il s’en trouve qui aiment cet art et y soient par­ti­cu­liè­re­ment doués, que les Supérieurs du Séminaire ou du Collège ne manquent pas de vous en aver­tir pour que vous puis­siez leur don­ner l’occasion de culti­ver ces apti­tudes et que vous les envoyiez à l’Institut Pontifical de Musique sacrée de cette Ville ou dans un Athénée où l’on enseigne cette dis­ci­pline, pour­vu que leur conduite et leurs ver­tus donnent l’espérance qu’ils seront d’excellents prêtres.

Il faut aus­si veiller à ce que les Ordinaires des lieux et les Supérieurs reli­gieux aient des sujets capables de les aider dans un domaine si impor­tant dont ils ne pour­ront pas faci­le­ment s’occuper eux-​mêmes comme il serait néces­saire à cause de leurs charges nom­breuses et impor­tantes. Il est excellent que dans la Commission dio­cé­saine d’Art sacré, il y ait quelqu’un de très com­pé­tent en musique sacrée et en chant pour sur­veiller acti­ve­ment ce qui se passe dans le dio­cèse, pour infor­mer l’Ordinaire de ce qui se fait et doit se faire, rece­voir ses ordres et les faire exé­cu­ter. Si dans un dio­cèse il existe une de ces Associations qui ont été fon­dées pour culti­ver la musique sacrée et ont été vive­ment louées et recom­man­dées par les Souverains Pontifes, l’Ordinaire pour­ra aus­si s’en ser­vir comme il le juge­ra bon, pour s’acquitter de sa tâche.

Ces Associations pieuses fon­dées pour ins­truire le peuple en musique sacrée ou pour la culti­ver plus à fond, et qui peuvent contri­buer beau­coup par la parole et par l’exemple au pro­grès du chant sacré, aidez-​les, Vénérables Frères, de votre bien­veillance et développez-​les pour qu’elles aient une vie féconde, des maîtres excel­lents et capables, pour qu’elles déve­loppent dans tout le dio­cèse la connais­sance, l’amour et la pra­tique de la musique sacrée et des chants reli­gieux en obser­vant dûment les lois de l’Église et en Nous obéis­sant entièrement.

Après avoir assez lon­gue­ment trai­té ce sujet selon Notre pater­nelle sol­li­ci­tude, Nous avons pleine confiance, Vénérables Frères, que vous met­trez en œuvre tout votre zèle pas­to­ral pour résoudre une ques­tion qui importe tant à la célé­bra­tion plus digne et plus magni­fique du culte divin. Nous espé­rons que tous ceux qui dans l’Église ont, sous votre conduite, la direc­tion de ce qui concerne la musique, trou­ve­ront dans cette Encyclique un sti­mu­lant pour pro­mou­voir avec une nou­velle ardeur et un nou­veau zèle géné­reux ce genre d’apostolat. Ainsi comme Nous le sou­hai­tons, cet art si noble, si appré­cié à tous les âges de l’Église, sera culti­vé aujourd’hui encore et, per­fec­tion­né chaque jour davan­tage, il retrou­ve­ra la splen­deur véri­table de la sain­te­té et de la beau­té ; pour sa part, il aide­ra les fidèles réunis dans les églises à don­ner à Dieu Un en Trois Personnes, avec une foi plus solide, une espé­rance plus ferme et une cha­ri­té plus ardente, les louanges qui lui sont dues, par des chants dignes et har­mo­nieux ; et même hors des églises, dans les familles chré­tiennes et dans les réunions de chré­tiens, ils feront ce que saint Cyprien dit si bien à Donat : « Que les psaumes résonnent en ce sobre ban­quet ; et si tu as une bonne mémoire et une voix sonore, rem­plis cette fonc­tion selon la cou­tume : tu nour­ris davan­tage les per­sonnes si Nous enten­dons un can­tique spi­ri­tuel si les dou­ceurs de la reli­gion charment nos oreilles » [28].

Entre-​temps dans l’espoir d’obtenir les fruits les plus abon­dants que pro­dui­ront, Nous l’espérons, Nos pré­sentes Exhortations, de tout cœur Nous vous accor­dons, Vénérables Frères, à cha­cun de vous et au trou­peau qui vous est confié, à ceux-​là sur­tout qui, sui­vant Notre désir, s’occupent de pro­mou­voir la musique sacrée, Notre Bénédiction Apostolique, en témoi­gnage de Notre affec­tion et en gage des dons célestes.

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 25 décembre en la fête de la Nativité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’an 1955, de Notre Pontificat le dix-​septième.

PIE XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Motu Proprio Tra le sol­le­ci­tu­di­ni dell’ufficio pas­to­rale : Acta Pii X, vol. I, p. 77.[]
  2. Cfr. Gen. 1, 26.[]
  3. Epist. 161, De ori­gine ani­mae homi­nis, 1, 2 ; P. L., XXXIII, 725.[]
  4. Cfr. Ex. 15, 1–20.[]
  5. 2 Sam. 6, 5.[]
  6. Cfr. I Paral. 23, 5 ; 25, 2–31.[]
  7. Eph. 5, 18 s. ; cfr. Col. 3, 16[]
  8. I Cor. 14, 26.[]
  9. Pline, Epist. X, 96, 7.[]
  10. Cfr. Tertullien, De ani­ma, c. 9 ; P. L. II, 701 ; et Apol. 39 : P. L. 1, 540.[]
  11. Conc. Trid. Sess. XXII : Decretum de obser­van­dis et evi­tan­dis in cele­bra­tione Missae.[]
  12. Cfr. Benedicti XIV Litt. Enc. [Annus qui : Opera omnia (ed. Prati, Vol. 17, 1, p. 16).[]
  13. Cfr. Litt. Apost. Bonum est confi­te­ri Domino, d. d. 2 Aug. 1828, Cfr. Bullarium Romanum, ed. Prati, ex Typ. Aldina, t. IX, p. 139 sq.[]
  14. Cfr. Acta Leonis XIII, vol. XIV (1895), p. 237–247 ; cfr. Acta S. Sedis, vol. XXVII (1894), p. 42–49.[]
  15. Cfr. Acta Pii X, vol. I, p. 75–87 ; Acta S. S. XXXVI (1903–04), 329–339 ; 387–395.[]
  16. Cfr. A. A. S. vol. XXI (1929), p. 33 sq.[]
  17. Cfr. A. A. S. vol. XXXIX (1947), p. 521–595.[]
  18. S. Augustin. Confess., lib. X, c. 33, P. L., XXXII, 799 s.[]
  19. Acta Pii X, l. c. p. 78.[]
  20. Lettera al Card. Respighi, Acta Pii X, l. c. 68–74 ; v. p. 73 sq. ; Acta S. Sedis, vol. XXXVI (1903–04), pp. 325–329 ; 395–398 ; v. 398.[]
  21. Pius XI Const. Apost. Divini cultus ; A. A. S. vol. XXI (1929), p. 33 sq.[]
  22. Codex Iuris Canonici, can. 5.[]
  23. Conc. Trid. Sess. XXII, De sacri­fi­cio Missae, c. VIII.[]
  24. Acta Pii X, l. c. p. 80.[]
  25. A. A. S. vol. XXXIX (1947), p. 590.[]
  26. Apoc. 5, 13.[]
  27. Decr. S. Rit. Congr. n. 3964 ; 4201 ; 4231.[]
  28. S. Cypriani Epist. ad Donatum (Epistula 1, n. XVI) ; P. L., 4, 227.[]