À tous Nos vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
La cité sainte de Dieu, qui est l’Eglise, n’étant limitée par aucune frontière, a reçu de son fondateur une telle force que chaque jour elle élargit l’enceinte de sa tente et elle étend les peaux qui couvrent ses tabernacles [1]. Or, bien que ces accroissements des nations chrétiennes soient dus principalement au souffle intérieur et au secours de l’Esprit-Saint, extérieurement, toutefois, ils s’opèrent par le travail des hommes et à la façon humaine.
En effet, il convient à la sagesse de Dieu que toutes choses soient ordonnées et menées à leur fin par le moyen qui se rapporte à la nature de chacune d’elles. Mais ce n’est point par le moyen d’une seule espèce d’hommes ou d’œuvres que se fait cette accession de nouveaux citoyens à la Jérusalem céleste. Car tout d’abord ceux-là sont au premier rang qui prêchent la parole de Dieu, et c’est ce que Jésus-Christ nous a enseigné par ses exemples et ses préceptes. C’est aussi ce sur quoi insistait l’apôtre saint Paul en ces termes Comment croira-t-on à celui qu’on n’aura pas entendu ? Et comment entendra-t-on sans quelqu’un qui prêche ? Donc, la foi vient de l’audition, et l’audition s’obtient de la parole de Jésus-Christ [2]. Mais cette fonction appartient à ceux qui ont été consacrés régulièrement à cet effet.
Or, ceux-ci reçoivent une grande aide et un grand secours de ceux qui ont coutume soit de leur fournir les ressources tirées des choses extérieures, soit de leur obtenir les grâces célestes par des prières adressées à Dieu. C’est pourquoi l’Évangile loue les femmes qui donnaient de leurs biens [3] à Jésus-Christ prêchant le royaume de Dieu, et saint Paul atteste qu’à ceux qui annoncent l’Évangile, il a été accordé par la volonté de Dieu qu’ils vivent de l’Évangile [4]. Semblablement, nous savons que Jésus-Christ, parlant à ses disciples et à ses auditeurs, leur a donné cet ordre : Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson [5], et que ses premiers disciples, à la suite des apôtres, avaient accoutumé de s’adresser à Dieu en ces termes : Accordez à vos serviteurs de publier vos paroles en toute confiance [6].
Ces deux sortes de secours qui consistent à donner et à prier ont cela de particulier, qu’étant très utiles pour étendre plus au loin les frontières du royaume des cieux, ils peuvent facilement être procurés par tous les hommes de quelque rang qu’ils soient. En effet, quel est l’homme de si petite fortune qui ne puisse donner une faible obole, et quel est l’homme, si occupé de grandes affaires qu’on le suppose, qui ne puisse quelquefois prier Dieu pour les messagers du saint Évangile ! Or, les hommes apostoliques ont toujours eu coutume de fournir ces sortes de secours et spécialement les Pontifes romains, à qui incombe surtout le souci de la propagation de la foi. Néanmoins, les moyens de se procurer ces secours n’ont pas toujours été les mêmes, mais ils ont été divers et variés, selon la variété des lieux et la diversité des temps.
A notre époque, comme on se plaît à poursuivre les entreprises difficiles en associant les conseils et les forces de plusieurs, nous avons vu partout se fonder des Sociétés ; quelques-unes se sont même fondées à cette fin de. servir à propager la religion dans certaines contrées. Mais celle qui brille entre toutes les autres, c’est la pieuse association qui s’est fondée en France, à Lyon, il y a près de soixante ans, et qui s’est appelée du nom de Propagation de la Foi Tout d’abord elle eut pour but de venir en aide à certaines missions en Amérique ; mais bientôt, comme le grain de sénevé, elle crut et devint un grand arbre, dont les branches portent au loin le feuillage, si bien qu’elle étend son action bienfaisante à toutes les missions sur tous les points de la terre. Cette illustre institution a été promptement approuvée par les pasteurs de l’Eglise et honorée par eux d’abondants témoignages d’éloges. Les Pontifes romains Pie VII, Léon XII, Pie VIII, nos prédécesseurs, la recommandèrent vivement et l’enrichirent d’indulgences.
Elle fut favorisée avec beaucoup plus de sollicitude encore et embrassée avec une charité vraiment paternelle par Grégoire XVI qui, dans sa lettre Encyclique publiée le 15 août de la quarantième année de ce siècle, a porté sur cette institution le jugement que voici : « C’est une œuvre assurément grande et très sainte, que Nous estimons très digne de l’admiration et de l’amour de tous les bons, celle qui est soutenue, accrue, fortifiée par les modiques offrandes et les prières quotidiennes adressées à Dieu par chacun des fidèles ; celle qui a été fondée pour subvenir aux ouvriers apostoliques, pour exercer envers les néophytes les œuvres de la charité chrétienne et pour délivrer les fidèles de l’assaut des persécutions. Et il faut croire que ce n’est pas sans une disposition particulière de la Providence qu’en ces derniers temps elle ait été d’un si grand avantage et d’une si grande utilité pour l’Eglise. En effet, lorsque l’ennemi infernal assaille l’Epouse bien-aimée du Christ par des machinations de toutes sortes, il ne pouvait rien lui arriver de plus opportun que de voir les chrétiens fidèles s’enflammer du désir de propager la vérité catholique, joindre les efforts de leur zèle et de leurs ressources pour s’efforcer de gagner tout le monde à Jésus-Christ. » Après avoir ainsi parlé, Grégoire XVI exhortait les évêques à travailler avec soin, chacun dans son diocèse, pour qu’une institution si salutaire prît chaque jour de nouveaux accroissements.
Pie IX, de glorieuse mémoire, ne s’écarta pas des traces de son prédécesseur ; car il ne laissa échapper aucune occasion de favoriser une société si méritante , et d’augmenter encore plus sa prospérité. En effet, par son autorité, de plus amples privilèges d’indulgences pontificales furent conférés à ses membres ; la piété des chrétiens fut excitée à venir au secours de cette œuvre, et les principaux de ses membres, dont on avait constaté les mérites singuliers, furent revêtus de diverses marques d’honneur ; enfin, certaines institutions, qui s’étaient adjointes à elle pour la seconder, furent hautement louées et exaltées p a r le même Souverain Pontife.
Dans le même temps, l’émulation de la piété lit que deux autres sociétés se fondèrent, dont Tune s’appela de la Sainte-Enfance de Jésus-Christ et l’autre des Ecoles d’Orient. La première se proposait de prendre et d’amener aux habitudes chrétiennes les malheureux enfants que leurs parents, poussés par la paresse ou la misère, exposent inhumainement, surtout dans les pays chinois, où cette coutume barbare est plus en usage. Ce sont ces enfants que recueille avec tendresse la charité des fidèles, qu’elle rachète parfois et qu’elle s’occupe de laver dans les eaux de la régénération chrétienne, afin qu’ils s’élèvent avec l’aide de Dieu pour l’espoir de l’Eglise, ou tout au moins que, s’ils viennent à mourir, le moyen leur soit donné d’acquérir le bonheur éternel.
L’autre société que nous avons rappelée s’occupe des adolescents et s’efforce par tous les moyens de leur inculquer la saine doctrine, en même temps qu’elle veille à écarter d’eux les périls de la fausse science à laquelle ils sont souvent exposés en raison de leur imprudente curiosité d’apprendre.
Du reste, l’une et l’autre société viennent au secours de la société plus ancienne qui a le nom de Propagation de la Foi, et, unies avec elle par un pacte amical, elles aspirent au même but en s’appuyant aussi sur l’aumône et les prières des nations chrétiennes ; car toutes ont pour objet de faire que, par la diffusion des lumières de l’Évangile, le plus grand nombre possible de ceux qui sont en dehors de l’Eglise soient amenés à la connaissance de Dieu et l’adorent avec Celui qui l’a envoyé, Jésus-Christ. C’est donc à raison que notre prédécesseur Pie IX, ainsi que nous l’avons indiqué, a loué dans des lettres apostoliques ces deux institutions et leur a libéralement octroyé de saintes indulgences.
Ces trois sociétés ayant donc fleuri avec la faveur si marquée des Souverains Pontifes et n’ayant jamais cessé de poursuivre chacune son œuvre avec un zèle sans rivalité, on les a vues produire des fruits abondants de salut, aider puissamment notre congrégation de la foi à soutenir la charge des missions, et prospérer au point de donner pour l’avenir l’heureux espoir d’une plus ample moisson. Mais les orages nombreux et véhéments qui ont été déchaînés contre l’Eglise, dans les contrées depuis longtemps éclairées par la lumière évangélique, ont causé du dommage aux œuvres mêmes destinées à civiliser les nations barbares. Beaucoup de causes, en effet, sont venues diminuer le nombre et la générosité des associés. Et certes, quand tant d’idées perverses sont répandues dans le peuple, qui aiguisent l’appétit du bonheur terrestre et bannissent l’espérance des biens célestes, qu’attendre de ceux qui ne se servent de leur esprit que pour désirer, et de leur corps que pour se procurer le plaisir ? Ces hommes-là font-ils, par l’effusion de leurs prières, que Dieu, touché dans sa miséricorde, amène par sa grâce victorieuse à l a divine lumière de l’Évangile les peuples assis dans les ténèbres ? Subviennent-ils aux prêtres qui travaillent et combattent pour la foi ? Le malheur des temps’est venu aussi diminuer les dispositions généreuses des gens pieux eux-mêmes, soit que l’étendue de l’iniquité ait refroidi la charité de beaucoup, soit que la gêne domestique, les perturbations politiques, sans compter la crainte de temps plus mauvais encore, aient rend u la plupart d’entre eux plus âpres à l’épargne et plus parcimonieux pour l’aumône.
Par contre, de nombreuses et lourdes nécessités pèsent et pressent sur les missions apostoliques, la provision d’ouvriers évangéliques allant chaque jour en diminuant ; et il ne s’en trouve pas d’aussi nombreux et d’aussi zélés pour remplacer ceux que la mort a enlevés, que la vieillesse a accablés, que le travail a brisés. Car nous voyons les familles religieuses, d’où sortaient un grand nombre de missionnaires, dissoutes par des lois iniques, les clercs arrachés de l’autel et astreints au service militaire, les biens de l’un et l’autre clergé partout mis en vente et condamnés.
En outre, de nouvelles routes ayant été ouvertes, par suite d’une exploration plus étendue des lieux et des peuples, vers des contrées tenues jusque-là impraticables, des expéditions multiples de soldats du Christ se sont formées et de nouvelles stations ont été établies ; et ainsi on manque maintenant de beaucoup d’ouvriers pour se dévouer à ces missions et porter un concours opportun. – Nous passons sous silence les difficultés et les obstacles nés des contradictions. Souvent, en effet, des hommes fallacieux, des semeurs d’erreurs, se donnent pour des apôtres du Christ et abondamment pourvus des ressources humaines, entravent le ministère des prêtres catholiques, ou viennent après ceux qui sont partis, ou élèvent chaire contre chaire, croyant avoir assez fait en rendant douteuse la voie du salut à ceux qui entendent annoncer la parole de Dieu autrement par les uns et par les autres. Plût à Dieu qu’ils ne réussissent point dans leurs artifices ! Mais combien il est regrettable que tels et tels qui ont en dégoût de pareils maîtres ou qui ne les ont jamais connus, et qui aspirent après la pure lumière de la vérité, n’aient souvent pas un homme pour les instruire de la saine doctrine et les amener dans le sein de l’Eglise ! Petits enfants, ils demandent du pain, et il n’y a personne pour leur en donner ; les pays sont comme une moisson blanchissante, et cette moisson est riche ; mais les ouvriers sont peu nombreux et ils le deviendront peut-être encore moins.
Puisqu’il en est ainsi, Vénérables Frères, Nous estimons qu’il est de Notre charge de stimuler le zèle pieux et la charité des chrétiens, pour qu’ils s’efforcent, soit par leurs prières, soit par leurs aumônes, d’aider l’œuvre des missions et de favoriser la propagation de la foi. Les biens qu’on se propose, les fruits à recueillir, montrent l’importance de cette sainte entreprise. Elle a, en effet, pour objet direct la gloire du nom de Dieu et l’extension du règne de Jésus- Christ sur la terre ; elle est aussi un bienfait inappréciable pour ceux qui sont tirés de la fange des vices et des ombres de la mort ; car, non seulement ils deviennent aptes au salut éternel, mais ils sont amenés de la barbarie et d’un état de mœurs sauvage à la plénitude de la civilisation. De plus, elle est, pour ceux qui y participent, grandement utile et fructueuse, puisqu’elle leur assure les richesses spirituelles, leur fournit un sujet de mérite, et leur donne, pour ainsi dire, Dieu comme débiteur.
Vous donc, Vénérables Frères, qui êtes appelés à partager Notre sollicitude, Nous Vous exhortons de plus en plus à Vous efforcer unanimement de venir en aide avec zèle et ardeur aux missions apostoliques, mettant en Dieu Votre confiance et ne Vous laissant effrayer par aucune difficulté. Il y va du salut des âmes, pour lequel Notre Rédempteur a donné sa vie et Nous a confié à Nous, évêques et prêtres, l’œuvre sainte de compléter son corps. C’est pourquoi, en restant chacun au poste où Dieu Nous a placés et à la garde du troupeau qu’il Nous a confié, efforçons-Nous ardemment d’apporter aux saintes missions les secours que Nous avons rappelés comme étant en usage depuis le commencement de l’Eglise, à savoir la prédication de l’Évangile et les prières , avec les aumônes des pieux fidèles.
Si donc Vous connaissez des hommes zélés pour la gloire de Dieu et en même temps disposés et aptes à partir pour ces saintes expéditions, encouragez-les, afin que la volonté de Dieu étant bien connue et manifestée, ils n’écoutent point la chair et le sang, mais plutôt qu’ils se hâtent de répondre à l’appel du Saint-Esprit. Auprès des autres prêtres, des Ordres religieux de l’un et l’autre sexe, de tous les fidèles enfin confiés à Vos soins, insistez pour qu’ils méritent par leurs prières incessantes d’obtenir le secours divin en faveur des semeurs de la parole de Dieu. Que ceux qui prient invoquent la Vierge, Mère de Dieu, qui a la puissance de détruire tous les monstres des erreur, et son très pur Époux, que plusieurs missions se sont déjà donné pour patron et pour protecteur, et que, dernièrement, le Siège Apostolique a établi patron de l’Eglise universelle ; et aussi les princes et tout le collège des apôtres d’où est partie la première prédication de l’Évangile qui a retenti dans le monde entier ; enfin, tous les hommes éminents en sainteté qui ont consumé leurs forces dans ce ministère ou ont répandu leur vie avec leur sang.
Qu’à la prière suppliante s’ajoute l’aumône, dont l’efficacité est telle qu’elle fera de ceux gui sont le plus éloignés et le plus occupés d’autres choses, les coadjuteurs des hommes apostoliques, les associes de leurs travaux et de leurs mérites. À notre époque, beaucoup souffrent de gênes de famille, mais que personne, pour cela, ne se décourage ; la cotisation demandée pour cette œuvre ne peut être à charge à presque personne, puisque avec beaucoup de petites souscriptions mises en commun, on arrive à se procurer d’assez nombreuses ressources.
Que chacun donc, sur Vos exhortations, Vénérables Frères, considère que sa libéralité ne lui sera point à détriment, mais à gain, parce qu’il prête à Dieu celui qui donne à l’indigent, et c’est pour cela que la pratique de l’aumône a été appelée la plus fructueuse de toutes les opérations. En effet, si au témoignage de Jésus-Christ lui-même, il ne perdra pas sa récompense celui qui aura donné un verre d’eau froide à l’un des petits, il aura certes une très grande récompense celui qui, par la moindre obole donnée pour les saintes missions et par des prières, exerce des œuvres de charité à la fois nombreuses et variées, et celle que les saints Pères ont proclamée divine entre toutes, puisqu’il devient l’auxiliaire de Dieu pour le salut du prochain.
Nous sommes assuré, Vénérables Frères, que, réfléchissant à ces choses, et enflammés par Vos exhortations, tous ceux qui se glorifient du nom de catholiques, ne manqueront pas à ce devoir de piété qui Nous est tant à cœur. Nous sommes assuré qu’ils ne souffriront pas de voir leurs efforts pour l’extension du royaume de Jésus-Christ vaincus par le zèle et l’habileté de ceux qui s’efforcent de propager la domination du prince des ténèbres.
Cependant, priant Dieu d’être propice aux pieuses entreprises des nations chrétiennes, Nous Vous donnons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction Apostolique, principalement comme témoignage de Notre bienveillance, à vous, Vénérables Frères, au clergé et au peuple confié à Notre vigilance.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 3 décembre 1880, la troisième année de notre pontificat.
LÉON XIII, Pape