Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

28 février 1926

Lettre encyclique Rerum Ecclesiae

Sur le développement des Missions

Aux patriarches, pri­mats, arche­vêques, évêques et autres ordi­naires de lieu en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique

PIE XI, PAPE

Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique,

Quiconque médite l’his­toire de l’Eglise sera incon­tes­ta­ble­ment frap­pé de ce que, dès les pre­miers âges du chris­tia­nisme, les Pontifes romains ont tour­né leur pen­sée constante vers les peuples assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort (Cf. Ps 106, 10 ; Lc 1, 79) et ont eu pour prin­ci­pal sou­ci de leur appor­ter la lumière de la doc­trine évan­gé­lique et les bien­faits de la civi­li­sa­tion chré­tienne. Dans cette œuvre ils ne se lais­sèrent jamais rebu­ter par aucune dif­fi­cul­té, par aucun obstacle.

L’Eglise, en effet, a pour unique mis­sion d’a­me­ner tous les hommes à par­ti­ci­per au salut de la Rédemption en éten­dant le royaume du Christ à la terre entière. Quel que soit donc, par la volon­té de Dieu, le repré­sen­tant en ce monde de Jésus, Prince des Pasteurs, il ne doit pas se bor­ner à défendre et à conser­ver le trou­peau dont le Seigneur lui a confié la direc­tion ; il man­que­rait au prin­ci­pal de ses devoirs s’il ne s’ef­for­çait, par tous les moyens en sa puis­sance, de gagner au Christ ceux qui vivent loin de Lui, d’incorporer à l’Eglise les étrangers.

Certes, Nos pré­dé­ces­seurs ont obser­vé de tout temps le man­dat divin, qui les liait, d’enseigner et de bap­ti­ser toutes les nations. Par eux furent envoyés pour éclai­rer des rayons de notre foi l’Europe, et jusqu’aux terres à peine décou­vertes, presque inex­plo­rées, sinon com­plètement incon­nues, ces prêtres zélés deve­nus en grand nombre, par l’é­mi­nente sain­te­té de leur vie ou l’héroïsme de leur mar­tyre, l’objet du culte public de l’Eglise.

Le suc­cès des mis­sion­naires, il est vrai, fut bien inégal. Souvent ils tra­vaillèrent en vain, par­fois ils furent mas­sa­crés ou chas­sés ; le champ qu’ils avaient com­men­cé à culti­ver demeu­rait alors à peine défri­ché et celui qu’ils avaient trans­for­mé en un véri­table par­terre de fleurs se trou­vait de nou­veau aban­don­né à lui-​même, n’offrant plus à la longue que des ronces et des épines.

Il y a, du reste, lieu de se réjouir ; car, ces der­nières années, les Congrégations adon­nées aux Missions près des peuples infi­dèles ont, grâce à de nou­veaux efforts, dou­blé leurs tra­vaux et leurs fruits ; de leur côté, les fidèles ont répon­du à cet accrois­se­ment de labeur apos­tolique par des offrandes et une assis­tance plus géné­reuses en faveur des Missions.

Ce résul­tat est cer­tai­ne­ment dû, pour une grande part, à la Lettre apos­to­lique que Notre der­nier pré­dé­ces­seur, d’heureuse mémoire, adres­sait aux évêques de l’univers, le 30 novembre 1919, sur « la propaga­tion de la foi catho­lique à tra­vers le monde » ; le Pontife fai­sait appel à leur zèle et leur expé­rience pour aider les Missions et en même temps don­nait aux Vicaires et Préfets apos­to­liques de très sages avis sur les incon­vé­nients à évi­ter et les tâches à rem­plir par leurs subor­donnés dans l’exercice du minis­tère pour en aug­men­ter les fruits.

En ce qui Nous concerne, vous savez bien, Vénérables Frères, que, dès le début de Notre Pontificat, Nous étions réso­lu à tout ten­ter pour por­ter chaque jour plus loin, par l’apostolat des mis­sion­naires, le flam­beau de l’Evangile et pour frayer ain­si aux peuples païens l’unique voie du salut. A cette fin, deux moyens Nous ont sem­blé non seule­ment dési­rables et oppor­tuns, mais indis­pen­sables ; ils sont, du reste, étroi­te­ment asso­ciés. Tout d’abord s’impose l’envoi dans ces régions immenses, et en quelque sorte illi­mi­tées, qui sont encore pri­vées de la civi­li­sa­tion chré­tienne, d’ouvriers beau­coup plus nom­breux et plus abon­dam­ment pour­vus de connais­sances variées. Il faut ensuite que les fidèles com­prennent avec quelle ardeur, avec quelles ins­tantes prières et, pour finir, avec quelle géné­ro­si­té ils doivent col­la­bo­rer à cette œuvre si sainte et si féconde.

N’était-ce pas là Notre inten­tion en déci­dant d’organiser, dans Notre propre palais, une Exposition publique des Missions ? Et Nous repor­tons à l’in­fi­nie bon­té de Dieu ce que Nous appre­nions alors : des jeunes gens, en consi­dé­rant et, pour ain­si dire, en voyant de leurs yeux dans les tra­vaux des mis­sion­naires la puis­sance de la grâce divine, la noblesse et la gran­deur de l’âme humaine, sen­tirent jaillir en leur cœur les pre­mières étin­celles de la voca­tion apos­to­lique. Nous avons aus­si le ferme espoir que cette vive admi­ra­tion pour les ouvriers apos­toliques res­sen­tie par des foules entières de visi­teurs ne sera pas dépour­vue de fruits.

Dans leur muette élo­quence, les objets de l’Exposition offraient des témoi­gnages et des leçons d’une sou­ve­raine impor­tance ; pour que cet ensei­gne­ment ne soit point per­du, Nous avons déci­dé, comme vous le savez peut-​être, de fon­der un Musée où figurent, plus conve­na­ble­ment dis­po­sés, les objets les plus pré­cieux. Ce Musée occu­pe­ra Notre palais du Latran. C’est de là, en effet, que l’ère des per­sé­cu­tions une fois close, Nos pré­dé­ces­seurs envoyèrent vers les régions où déjà blan­chissait la mois­son tant d’hommes apos­to­liques, d’une sain­te­té et d’un zèle reli­gieux admi­rables. Tous les mis­sion­naires qui visi­te­ront ce Musée, simples mis­sion­naires, mais sur­tout chefs de Missions, compa­reront les diverses orga­ni­sa­tions mis­sion­naires et y pui­se­ront du même coup de meilleures méthodes et des ambi­tions plus hautes. Nous pen­sons que les fidèles, de leur côté, ne seront pas moins émus que les visi­teurs de l’Exposition Vaticane.

Mais, Vénérables Frères, afin que l’intérêt des fidèles pour les Mis­sions devienne encore plus actif. Nous adres­sons un pres­sant appel à votre col­la­bo­ra­tion. Jamais elle ne fut ni plus indi­quée ni plus néces­saire ; jamais elle ne deman­da plus de constance et plus de zèle ; les devoirs de votre charge ne vous per­mettent pas de refu­ser ; vos sen­timents envers Notre per­sonne vous encou­ragent à accep­ter. En véri­té, tant que la Providence divine Nous conser­ve­ra un souffle de vie, cette par­tie de Notre charge apos­to­lique sera pour Nous un objet d’anxieuses et conti­nuelles pré­oc­cu­pa­tions ; que de fois, à la pen­sée des païens, qui sont au nombre d’un mil­liard, Notre esprit ne trouve plus de repos ! (Cf. 2 Co 7, 5.) Nous croyons Nous-​même entendre cette voix cin­glante : Crie, ne t’arrête point, fais reten­tir ta voix comme une trom­pette (Is 58, 1.).

Vivre dans le ber­cail du Christ sans avoir aucun sou­ci de ceux qui vaquent misé­ra­ble­ment au dehors serait si contraire à la cha­ri­té que nous devons avoir envers Dieu et envers tous les hommes qu’il est inutile d’en faire une longue démonstration.

L’amour de Dieu, qui s’impose à nous comme un devoir, demande en effet que, dans la mesure de nos forces, nous aug­men­tions le nombre de ceux qui le connaissent et l’adorent en esprit et en véri­té (Jn 4, 24) ; mais il exige aus­si que nous sou­met­tions à l’empire de notre très aimant Rédempteur le plus grand nombre d’hommes pos­sible, afin que l’uti­lité de son sang (Ps 29, 10.) aug­mente de jour en jour, et que nous Lui plai­sions de plus en plus, car rien ne peut Lui être plus agréable que de voir les hommes se sau­ver et par­ve­nir à la connais­sance de la véri­té (Cf. 1 Tm 2, 4.).

Le Christ a pro­cla­mé que ses dis­ciples auraient pour trait particu­lièrement dis­tinc­tif de s’aimer les uns les autres (Jn 13, 25 ; 15, 12.) ; or, pouvons-​nous témoi­gner à notre pro­chain une cha­ri­té plus grande et plus remar­quable qu’en l’arrachant aux ténèbres de la super­sti­tion et en l’ins­truisant de la véri­table foi du Christ ? Ce mode de cha­ri­té sur­passe les autres œuvres et mani­fes­ta­tions de la cha­ri­té autant que l’esprit l’emporte sur la matière, le ciel sur la terre, l’éternité sur le temps. S’acquitter, dans la mesure de ses moyens, d’une pareille œuvre de cha­ri­té, c’est prou­ver qu’on estime à sa juste valeur le don de la foi ; trans­mettre ce don, le plus pré­cieux de tous, et tous les biens qui l’accompagnent aux infor­tu­nés païens, c’est encore témoi­gner de sa recon­nais­sance envers la bon­té divine.

A ce devoir aucun fidèle ne peut se déro­ber. Que dire alors des membres du cler­gé, qui, par le fait d’un choix admi­rable et d’une grâce éton­nante, par­ti­cipent au sacer­doce et à l’apostolat du Christ Notre-​Seigneur ? Que dire de vous-​mêmes, Vénérables Frères, éle­vés à la plé­ni­tude du sacer­doce et vous trou­vant, de par la volon­té divine, cha­cun dans votre dio­cèse, à la tête du cler­gé et du peuple chré­tiens ? Ce n’est pas seule­ment à Pierre, dont Nous occu­pons la chaire, mais à tous les Apôtres, aux­quels vous suc­cé­dez, que Jésus-​Christ, comme nous le lisons, a don­né ce com­man­de­ment : Allez par le monde entier prê­cher l’Evangile à toute créa­ture (Mc 16, 15.). D’où il suit que le soin de pro­pa­ger la foi Nous incombe, mais que vous Nous devez, sans aucun doute, votre col­la­bo­ra­tion et votre assis­tance, dans la mesure que per­met l’accomplissement de vos propres devoirs. Ainsi donc, Véné­rables Frères, qu’il ne vous en coûte pas de suivre fidè­le­ment Nos pater­nelles exhor­ta­tions, car en une matière de si grande impor­tance Nous devrons un jour à Dieu un compte rigoureux.

Et tout d’abord, par la parole et par la plume, tra­vaillez à intro­duire dans votre peuple et à déve­lop­per pro­gres­si­ve­ment l’habitude de prier le Maître de la mois­son pour qu’il envoie des ouvriers dans sa mois­son (Mt 9, 38.), et aus­si d’invoquer pour les infi­dèles les secours de la lumière et de la grâce célestes. Nous avons dit l’habitude, c’est-à-dire un usage durable et sans inter­rup­tion ; de toute évi­dence, ces prières habi­tuelles seront beau­coup plus puis­santes sur le cœur de Dieu que les prières pres­crites une fois ou de temps en temps. Les mis­sion­naires auront beau se dépen­ser pour ame­ner les païens à la reli­gion catho­lique, répandre leur sueur et même leur sang ; ils auront beau faire appel à tout leur savoir, leur habi­le­té, à tous les moyens humains ; si la grâce de Dieu ne touche les cœurs des infi­dèles pour les atten­drir et les atti­rer vers lui, les hérauts de l’Evangile n’obtiendront rien, tous Leurs efforts n’aboutiront qu’au néant.

Mais, la facul­té de prier étant le par­tage de tous, il est natu­rel­le­ment au pou­voir de tous de don­ner aux Missions ce secours et en quelque sorte cet ali­ment. Vous agi­rez donc confor­mé­ment à Nos vœux, et d’accord avec La men­ta­li­té et les sen­ti­ments des fidèles, en pres­cri­vant, par exemple, d’ajouter, dans les paroisses et autres églises, au rosaire et aux exer­cices simi­laires une prière en faveur des Missions et pour la conver­sion des païens.

Dans ce but, Vénérables Frères, faites sur­tout appel aux enfants et aux reli­gieuses ; exhortez-​les à une prière fer­vente. Nous dési­rons que des asiles, des orphe­li­nats, des écoles pri­maires et des col­lèges, de tous les éta­blis­se­ments et cou­vents de reli­gieuses, une prière quoti­dienne s’élève afin que des­cende la misé­ri­corde divine sur tant d’hommes mal­heu­reux, sur cette mul­ti­tude innom­brable de peuples païens. Le Père du ciel ne peut rien refu­ser à la prière des enfants inno­cents et des cœurs chastes. Et par ailleurs, ne peut-​on espé­rer qu’en ces tendres âmes d’enfants, habi­tuées, dès le pre­mier éveil de la cha­ri­té, à prier pour le salut éter­nel des infi­dèles, la Providence divine ne dépose le goût de l’apostolat ? Soigneusement culti­vé, ce germe don­ne­ra peut-​être un jour de par­faits ins­tru­ments de l’œuvre apostolique.

Nous venons de tou­cher, Vénérables Frères, à une ques­tion d’une extrême impor­tance qui mérite toute votre atten­tion. Personne n’ignore, ce Nous semble, que la der­nière guerre a gra­ve­ment com­promis la pro­pa­ga­tion de la foi. Des mis­sion­naires, les uns furent rap­pelés dans leur, patrie et suc­com­bèrent au cours de l’horrible conflit ; d’autres, chas­sés de leur champ d’action, durent pen­dant long­temps le lais­ser à l’abandon.

A ces pertes et à ces dom­mages il a fal­lu et il faut encore remé­dier aujourd’hui ; mais il ne s’agit pas seule­ment de rame­ner les choses en leur état pre­mier, il s’agit d’élargir les posi­tions, de pré­pa­rer de nou­velles conquêtes. Et cepen­dant, d’immenses espaces ne sont pas encore ouverts à la civi­li­sa­tion chré­tienne, des popu­la­tions innom­brables res­tent pri­vées jusqu’ici des bien­faits de la Rédemption, les mission­naires, à cause de leur insuf­fi­sance numé­rique, se débattent dans des dif­fi­cul­tés, sont arrê­tés par des obs­tacles ; il faut donc que les évêques et tous les catho­liques, dans un effort una­nime, tra­vaillent à aug­menter et mul­ti­plier l’effectif des missionnaires.

Si donc, dans votre dio­cèse, des jeunes gens, des clercs, des prêtres, semblent atti­rés par Dieu vers cet apos­to­lat sublime, loin de leur faire obs­tacle en quelque manière, encou­ra­gez de votre bien­veillance et de votre auto­ri­té leurs dis­po­si­tions et leur zèle. Sans doute, vous pou­vez recher­cher, en toute impar­tia­li­té, si l’esprit qui les pousse vient de Dieu (Cf. 1 Jn 4, 1); mais si vous jugez que cette voca­tion excel­lente a pris son ori­gine en Dieu et s’est déve­lop­pée sous son influence, ne vous lais­sez arrê­ter ni par le petit nombre de vos clercs ni par les néces­si­tés de votre dio­cèse ; qu’aucune consi­dé­ra­tion ne vous décou­rage et ne vous détourne de don­ner votre consen­te­ment. Car vos fidèles ont, pour ain­si dire, à por­tée de la main les ins­tru­ments de la grâce ; ils se trouvent bien moins éloi­gnés du salut que les païens, ceux sur­tout qui sont encore plon­gés dans une sau­vage bar­ba­rie. Supportant de bon cœur, à l’occasion, la perte d’un de vos clercs, vous en ferez le sacri­fice par amour pour le Christ et les âmes. Mais est-​ce vrai­ment une perte ? A l’aide, au col­la­bo­ra­teur que vous per­dez, le divin Fondateur de l’Eglise sup­plée­ra cer­tai­ne­ment en répan­dant une plus abon­dante effu­sion de grâces sur votre dio­cèse ou en sus­ci­tant pour le saint minis­tère de nou­velles vocations.

Mais afin de pou­voir déve­lop­per cette action en faveur des Missions tout en vaquant à vos autres devoirs pas­to­raux, éta­blis­sez auprès de vous l’Union mis­sion­naire du cler­gé ; si elle existe déjà, que vos con­seils auto­ri­sés, vos exhor­ta­tions, la rendent chaque jour plus active. Cette Union a été pro­vi­den­tiel­le­ment fon­dée, voi­ci huit ans, par Notre pré­dé­ces­seur immé­diat. Benoît XV l’a enri­chie de nom­breuses indul­gences et pla­cée sous la juri­dic­tion de la S. Congrégation de la Propa­gande. Nous-​même, qui, en ces der­nières années, l’avons vue se répandre dans un très grand nombre de dio­cèses du monde catho­lique, lui avons témoi­gné plus d’une fois, pour lui faire hon­neur, la bien­veillance pontificale.

Tous les prêtres qui en font par­tie – et les élèves des Grands Séminaires qui y sont affi­liés dans des condi­tions spé­ciales à leur situa­tion – ont pour but de sol­li­ci­ter, de pré­fé­rence au cours de la sainte messe, le don de la foi pour l’innombrable mul­ti­tude des païens et d’encourager les autres fidèles à la même prière ; en toute occa­sion et en tout lieu pos­sibles, ils prêchent au peuple sur les moyens de pro­mouvoir l’apostolat auprès des infi­dèles ; ils orga­nisent des réunions à jours fixes, pour tra­vailler en com­mun et d’une manière effi­cace à la même œuvre ; ils répandent sur ce sujet des opus­cules de pro­pagande ; s’ils découvrent chez quelqu’un les heu­reux germes de l’apostolat, ils s’emploient à lui faci­li­ter l’accès d’un éta­blis­se­ment de for­ma­tion et de lui pro­cu­rer une ins­truc­tion conve­nable ; dans les limites de leurs dio­cèses, ils secondent de toute manière l’Œuvres de la Propagation de la Foi et ses deux œuvres auxiliaires.

La plu­part d’entre vous, Vénérables Frères, patron­nez et encou­ra­gez, en vos dio­cèses res­pec­tifs, l’Union mis­sion­naire du cler­gé : vous n’i­gno­rez donc pas com­bien elle a recueilli jusqu’ici de sous­crip­tions pour venir en aide aux œuvres que Nous venons de nom­mer ; vous savez com­bien il convient d’en espé­rer plus encore dans l’avenir grâce à la géné­ro­si­té des fidèles chaque année gran­dis­sante. Mais il faut sou­hai­ter qu’il n’y ait plus un seul clerc en qui ne brûle cette flamme de la cha­ri­té pour l’apostolat missionnaire.

Nous avons renou­ve­lé l’organisation de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, la prin­ci­pale assu­ré­ment de toutes celles qui s’occupent des Missions ; Nous avons trans­fé­ré ici son siège, et lui avons confé­ré en quelque sorte le droit de cité romaine, sans tou­cher en rien à la gloire de sa pieuse fon­da­trice, non plus qu’à celle de la ville de Lyon. Il faut que cette œuvre reçoive du peuple chré­tien des libé­ra­li­tés qui répondent abso­lu­ment aux mul­tiples besoins des Missions pré­sentes ou futures. Quels sont ces besoins, quel est leur nombre, leur éten­due, quelle est le plus sou­vent la pau­vre­té des mis­sion­naires, l’Exposition Vaticane l’a suf­fi­sam­ment mis en lumière ; il se peut néan­moins que beau­coup de visi­teurs ne se soient point ren­du compte de ce dénue­ment, dis­traits qu’ils étaient par l’abondance, la nou­veau­té et la beau­té des objets exposés.

Ne rou­gis­sez donc pas, Vénérables Frères, et n’ayez aucune répu­gnance à vous trans­for­mer en men­diants, si l’on peut dire, pour le Christ et le salut des âmes ; par vos écrits et par l’éloquence qui jailli­ra de votre cœur, insis­tez auprès de vos fidèles ; c’est leur géné­ro­si­té, leur bon­té, qui doit mul­ti­plier et consi­dé­ra­ble­ment accroître les mois­sons annuelles que recueille l’Œuvre de la Propagation de la Foi. On ne peut assu­ré­ment conce­voir de pau­vre­té et d’indigence, de débi­li­té, de faim ou de soif plus grandes que celles des âmes pri­vées de la con­naissance et de la grâce de Dieu ; à ceux donc qui témoignent leur misé­ricorde aux plus dénués de tous les hommes, il est évident que la misé­ri­corde et les récom­penses divines ne sau­raient faire défaut.

Ainsi que Nous le disions, deux œuvres servent d’auxiliaires à l’œuvre prin­ci­pale de la Propagation de la Foi. Comme le Siège Apostolique les a faites siennes, les fidèles doivent les aider et les sou­tenir, par des coti­sa­tions ou par des quêtes, de pré­fé­rence à toutes les œuvres qui pour­suivent un but par­ti­cu­lier. L’une est l’Œuvre de la Sainte-​Enfance ; l’autre, celle de Saint-​Pierre-​Apôtre. La pre­mière, comme per­sonne ne l’ignore, s’adresse à nos enfants et les habi­tue à consti­tuer un petit pécule pour le rachat et l’éducation catho­lique des enfants des infi­dèles, sur­tout dans les régions où règne l’usage de les aban­don­ner ou de les tuer. La seconde, par les prières qu’elle sol­licite et les offrandes qu’elle recueille, per­met de faire don­ner dans des Séminaires l’instruction conve­nable à des indi­gènes choi­sis et de les pro­mou­voir aux saints Ordres ; dans l’avenir, ces prêtres indi­gènes pour­ront plus faci­le­ment ame­ner au Christ leurs com­pa­triotes ou les main­te­nir dans la loi.

A cette asso­cia­tion de Saint-​Pierre, comme vous le savez, Nous avons récem­ment don­né pour patronne céleste sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus. Bien que menant la vie du cloître, cette sainte avait l’habitude, par une sorte d’adoption, de se char­ger de tel ou tel mis­sionnaire ; pour lui elle offrait à son divin Epoux ses prières, ses mor­ti­fi­ca­tions, libres ou obli­ga­toires, et sur­tout les vio­lentes souf­frances que lui infli­geait la mala­die. Grâce à la pro­tec­tion de la vierge de Lisieux, Nous Nous pro­met­tons de l’Œuvre des résul­tats encore plus féconds. Nous éprou­vons, du reste, une grande joie à voir un grand nombre d’évêques s’être ins­crits volon­tiers comme membres per­pé­tuels de l’Œuvre, et des Séminaires et autres grou­pe­ments de jeu­nesse prendre à leur charge l’entretien et les frais d’éducation d’un clerc indigène.

Ces deux œuvres, consi­dé­rées à bon droit comme les auxi­liaires de l’œuvre prin­ci­pale des Missions, Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire, Benoit XV, les recom­man­dait à la sol­li­ci­tude des évêques, dans la Lettre apos­to­lique que Nous avons rap­pe­lée. A son exemple, Nous ne ces­sons Nous-​même de vous les recom­man­der ; grâce à vos exhor­ta­tions, Nous en avons la ferme convic­tion, les fidèles n’accep­teront abso­lu­ment pas d’être sur­pas­sés et vain­cus en géné­ro­si­té par les non-​catholiques, dont la lar­gesse est si ample pour la pro­pa­ga­tion de leurs erreurs.

C’est main­te­nant à vous, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, que Nous Nous adres­sons, vous qui par votre long, pénible et sage apos­tolat au milieu des païens, vous êtes ren­dus dignes d’être pla­cés par l’autorité apos­to­lique à la tête des Vicariats et des Préfectures. Et, pour com­men­cer, Nous vous féli­ci­tons de grand cœur, vous et les mes­sa­gers évan­gé­liques que vous diri­gez et gui­dez, des pro­grès de toute sorte que votre zèle et votre habi­le­té ont fait accom­plir aux Mis­sions en ces der­nières années.

Vos prin­ci­paux devoirs, les incon­vé­nients à évi­ter dans leur obser­vation, Notre pré­dé­ces­seur immé­diat vous les a mon­trés avec tant de sagesse et d’élévation qu’on ne sau­rait le dépas­ser. Sur quelques points cepen­dant, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, Nous dési­rons vous dire Notre pensée.

En tout pre­mier lieu, Nous vous rap­pe­lons l’immense inté­rêt que pré­sente le recru­te­ment du cler­gé indi­gène. Si vous n’y tra­vaillez pas de toutes vos forces, Nous esti­mons non seule­ment que votre apos­to­lat sera incom­plet, mais sur­tout que vous faites subir de longs retards à la consti­tu­tion et à l’organisation de l’Eglise dans les pays de Missions.

En divers lieux, Nous le recon­nais­sons volon­tiers, on a com­men­cé à se pré­oc­cu­per de cette néces­si­té, ain­si qu’à y pour­voir, en créant des Séminaires où de jeunes indi­gènes jus­ti­fiant de belles espé­rances sont édu­qués avec soin et pré­pa­rés à rece­voir la digni­té sacer­do­tale et à répandre la foi chré­tienne par­mi leurs frères de race.

Malgré tout, Nous sommes encore trop loin du pro­grès qui s’impose. Vous vous rap­pe­lez la plainte que Notre pré­dé­ces­seur Benoît XV, d’heu­reuse mémoire, fai­sait entendre à ce sujet : « Il est regret­table que des contrées nées depuis des siècles à la foi catho­lique se trouvent encore dépour­vues d’un cler­gé indi­gène, ou n’en pos­sèdent que d’un rang infé­rieur. De même, plu­sieurs peuples, éclai­rés de bonne heure du flam­beau de la foi, se sont éle­vés du niveau de la bar­ba­rie à un tel degré de civi­li­sa­tion qu’ils comptent des per­son­na­li­tés émi­nentes dans toutes les branches des arts libé­raux ; pro­fi­lant depuis de longs siècles déjà de l’influence bien­fai­sante de l’Evangile et de l’Eglise, ces peuples n’ont pour­tant encore réus­si à pro­duire ni évêques pour les gou­ver­ner ni prêtres dont l’enseignement s’imposât à leurs com­patriotes. »1

On n’a peut-​être jamais suf­fi­sam­ment réflé­chi aux méthodes et à la manière qui carac­té­ri­sèrent à l’origine, chez tous les peuples, la pro­pagation de l’Evangile et la consti­tu­tion de l’Eglise de Dieu. Nous y avons fait allu­sion lors de la clô­ture publique de l’Exposition des Missions ; Nous fai­sions remar­quer, d’après les plus anciens docu­ments de l’antiquité chré­tienne, qui nous en donnent des témoi­gnages mani­festes, com­ment les Apôtres pré­po­saient à chaque com­mu­nau­té nais­sante non pas un cler­gé impor­té d’ailleurs, mais choi­si et élu par­mi les natifs de la région intéressée.

De ce que le Pontife Romain vous a confié, à vous et à vos collabo­rateurs, la charge apos­to­lique de prê­cher la véri­té chré­tienne aux nations païennes, ne pen­sez pas que les prêtres indi­gènes ne soient bons qu’à assis­ter les mis­sion­naires dans des minis­tères secon­daires et, pour ain­si dire à com­plé­ter leur action.

Car, Nous vous le deman­dons, quel est le but des Missions, sinon de fon­der et d’implanter d’une façon per­ma­nente l’Eglise du Christ en ces immenses régions ? Et com­ment se constituera-​t-​elle chez les païens d’aujourd’hui, sinon par les mêmes élé­ments, sans excep­tion, qui jadis l’ont consti­tuée chez nous : peuple abo­ri­gène et cler­gé autoch­tone, reli­gieux et reli­gieuses indi­gènes ? Pourquoi empêcherait-​on le cler­gé indi­gène de culti­ver le champ qui lui appar­tient en propre et par droit de nature, Nous vou­lons dire de gou­ver­ner le peuple qui est le sien ?

Il fau­drait du reste que vous fus­siez en mesure de mar­cher, au nom du Christ, constam­ment et rapi­de­ment à la conquête de nou­velles âmes d’infidèles ; ne serait-​il pas alors extrê­me­ment avan­ta­geux de pou­voir aban­don­ner à des prêtres indi­gènes le soin de gar­der et de faire pros­pé­rer les résidences ?

Mais il y a plus : ces prêtres indi­gènes réus­si­ront par­fai­te­ment, et au delà de toute espé­rance, à étendre le royaume du Christ. « En effet, le prêtre indi­gène – pour Nous ser­vir des paroles de Notre prédéces­seur, – par sa nais­sance, sa men­ta­li­té, ses sen­ti­ments, son idéal, ne fait qu’un avec ses com­pa­triotes ; il est donc admi­ra­ble­ment qua­li­fié pour faire péné­trer la foi dans leurs esprits ; bien mieux que tout autre, il sait choi­sir les moyens de for­cer la porte de leurs cœurs. Souvent même, il aura sans trop de peine accès en des milieux où le prêtre étran­ger ne peut même poser le pied. »1

Faut-​il ajou­ter que les mis­sion­naires étran­gers, par suite d’une connais­sance impar­faite de la langue, ne par­viennent pas tou­jours à bien tra­duire leur pen­sée, que la force et l’efficacité de leur prédi­cation en sont donc consi­dé­ra­ble­ment affaiblies ?

Mais voi­ci d’autres dif­fi­cul­tés, et qui méritent une sérieuse consi­dération, bien qu’elles semblent ne sur­gir que rare­ment, ou pou­voir être sur­mon­tées faci­le­ment. Supposez que, par suite de guerre ou de tout autre évé­ne­ment poli­tique, un ter­ri­toire de mis­sion change de Gouvernement et que l’on demande ou ordonne l’éloignement des mis­sionnaires étran­gers d’une cer­taine natio­na­li­té ; sup­po­sez encore – hypo­thèse, à vrai dire, moins faci­le­ment réa­li­sable – que des popu­lations indi­gènes par­viennent à un niveau plus éle­vé de civi­li­sa­tion et arrivent à une sorte de matu­ri­té poli­tique ; sup­po­sez que, vou­lant jouir d’une pleine indé­pen­dance, elles chassent de leur ter­ri­toire admi­nis­tra­teurs, sol­dats et mis­sion­naires du pays étran­ger qui les gou­verne et qu’elles ne puissent y réus­sir qu’en s’adressant à la force.

Quel mal­heur, Nous vous le deman­dons, ne serait-​ce pas alors, dans ces régions, pour l’Eglise, s’il n’y avait une sorte de réseau de prêtres indi­gènes, répar­tis sur tout le ter­ri­toire pour pour­voir plei­ne­ment aux néces­si­tés de ces popu­la­tions déjà conquises au Christ !

Ce n’est pas tout. La parole du Christ ne convient pas moins à notre époque qu’à la sienne : La mois­son est abon­dante, mais les ouvriers sont peu nom­breux (Mt 9, 37 ; Lc 10, 2.). L’Europe elle-​même, d’où partent la plu­part des mis­sion­naires, manque aujourd’hui de prêtres. Elle en manque d’autant plus qu’il importe davan­tage, avec l’aide de Dieu, de rame­ner les frères dis­si­dents à l’unité de l’Eglise et d’arracher à leurs erreurs les non-​catholiques. Et per­sonne n’ignore que, si aujourd’hui les voca­tions des jeunes gens au sacer­doce ou à la vie reli­gieuse sont aus­si nom­breuses que par le pas­sé, bien moindre est cepen­dant le nombre de ceux qui obéissent au mou­ve­ment du souffle divin.

De tout ceci résulte, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, qu’il faut pour­voir les régions qui vous sont confiées de prêtres indi­gènes en nombre suf­fi­sant pour accroître par eux-​mêmes, sans devoir comp­ter sur le secours d’un cler­gé étran­ger, l’effectif de la socié­té chré­tienne et pour admi­nis­trer de même les com­mu­nau­tés fidèles de leurs nations.

En dif­fé­rents lieux, comme Nous l’avons dit un peu plus haut, on a com­men­cé à ouvrir des Séminaires pour élèves indi­gènes ; la plu­part de ces Séminaires ont été fon­dés au point cen­tral de Missions conti­guës confiées au même Ordre ou à la même Congrégation. Les vicaires et les pré­fets apos­to­liques y envoient des jeunes gens d’élite, dont ils assurent les frais d’entretien ; ils les reçoivent ensuite, une fois ordon­nés prêtres et capables d’exercer le saint minis­tère. Ces entre­prises iso­lées jusqu’ici, non seule­ment Nous dési­rons, mais Nous vou­lons et Nous ordon­nons que tous les chefs de Missions les tentent éga­le­ment, en sorte que vous n’écartiez du sacer­doce et de l’apostolat aucun indi­gène don­nant de belles espé­rances, sous réserve de l’inspi­ration et de l’appel divins. Assurément plus vous choi­si­rez d’élèves à ins­truire en vue du sacer­doce – et il est abso­lu­ment néces­saire d’en recru­ter un très grand nombre, – plus vous encour­rez de frais. Ne vous décou­ra­gez pour­tant, pas, confiez-​vous au Rédempteur, qui a tant aimé les hommes ; grâce à sa Providence, Je monde catho­lique se fera plus géné­reux et le Siège Apostolique sera en mesure de vous aider plus lar­ge­ment à réa­li­ser une œuvre aus­si salutaire.

Cherchez donc à ras­sem­bler dans cha­cune de vos mis­sions le plus grand nombre pos­sible d’élèves indi­gènes ; mais appliquez-​vous aus­si à leur don­ner une bonne for­ma­tion, en même temps qu’à déve­lop­per en eux la sain­te­té qui convient à la vie sacer­do­tale et l’esprit d’apos­tolat qui leur donne sou­ci du salut de leurs frères, en sorte qu’ils

soient prêts jusqu’à sacri­fier leur vie pour les membres de leur tri­bu ou de leur nation.

Il est très impor­tant qu’ils reçoivent en même temps une connais­sance métho­dique et ordon­née des sciences pro­fanes et sacrées, que leur ins­truc­tion ne soit pas écour­tée et, pour ain­si dire, som­maire ; il faut au contraire leur faire par­cou­rir le cycle habi­tuel des études pour les enri­chir d’une ample pro­vi­sion de connaissances.

Et ceux qui, ain­si for­més, grâce à vous, dans l’enceinte du Sémi­naire, se dis­tin­gue­ront par la pié­té et l’intégrité de leur vie, par” une apti­tude par­ti­cu­lière au saint minis­tère et à un savant enseigne ment des véri­tés divines, joui­ront de l’estime de leurs com­pa­triotes, même des diri­geants et des hommes culti­vés ; rien ne s’opposera plus à ce qu’ils soient heu­reu­se­ment mis à la tête des paroisses et des dio­cèses lorsque fina­le­ment, sitôt que Dieu le per­met­tra, paroisses et dio­cèses seront constitués.

C’est une erreur de consi­dé­rer les indi­gènes comme des hommes d’une race infé­rieure et des êtres d’un esprit bor­né. Une longue expé­rience nous enseigne, à l’opposé, que les peuples du loin­tain Orient ou de l’hémisphère aus­tral ne le cèdent pas tou­jours aux habi­tants de nos pays ; qu’ils peuvent même riva­li­ser avec eux en fait d’acuité intel­lec­tuelle ; que, si l’on ren­contre chez les hommes vivant en pleine bar­ba­rie une extrême len­teur d’intelligence, la chose est pour ain­si dire inévi­table, puis­qu’ils restreignent l’u­sage de leur intelli­gence aux exi­gences, du reste minimes, de leur vie quotidienne.

Si vous pou­vez en témoi­gner, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, Nous aus­si pou­vons l’affirmer ; car Nous avons, presque sous Nos yeux, les nom­breux indi­gènes aux­quels, dans les Collèges de la Ville Eter­nelle, on enseigne les sciences les plus variées ; or, non seule­ment ils se montrent les égaux des autres élèves par la viva­ci­té de leur esprit et leurs suc­cès sco­laires, mais sou­vent ils les dépassent et l’emportent sur eux.

Pour une autre rai­son, vous ne devez pas tolé­rer que les prêtres indi­gènes soient main­te­nus dans une situa­tion en quelque sorte subal­terne et réser­vés aux plus humbles minis­tères ; ils pos­sèdent, en effet, le même sacer­doce que vos mis­sion­naires et par­ti­cipent à un apos­to­lat abso­lu­ment iden­tique ; en pen­sant à eux, son­gez bien plu­tôt qu’ils doivent être un jour à la tête des Eglises fon­dées au prix de votre sueur et de vos tra­vaux et des com­mu­nau­tés catho­liques de l’avenir. Ainsi donc, qu’il n’y ait aucune dif­fé­rence entre les mis­sion­naires euro­péens et les mis­sion­naires indi­gènes ; qu’aucune bar­rière ne les sépare ; mais qu’ils soient tous unis par les liens mutuels du res­pect et de la charité.

Comme Nous l’avons noté plus haut, il est néces­saire, pour l’établis­sement de l’Eglise au milieu de vos popu­la­tions, de recou­rir à tous les élé­ments qui selon les des­seins de Dieu la consti­tuent. Par suite, vous devez comp­ter au nombre de vos plus impor­tants devoirs celui d’ins­tituer des Congrégations reli­gieuses indi­gènes de l’un et de l’autre sexes. Car, par­mi les nou­veaux dis­ciples du Christ, il en est qu’un souffle supé­rieur a tou­chés et que Dieu pousse vers des cimes plus hautes : pour­quoi ne pourraient-​ils pas faire pro­fes­sion de pra­ti­quer les conseils évangéliques ?

A ce pro­pos, il importe que l’amour de leur propre Institut, sen­timent certes res­pec­table et légi­time, n’entraîne pas au-​delà des justes bornes les mis­sion­naires ou les reli­gieuses qui tra­vaillent sous votre juri­dic­tion, et ne leur donne des idées étroites. S’il est, en effet, des indi­gènes qui dési­rent entrer dans les Congrégations anciennes, il serait mal ce les détour­ner de leur pro­jet ou de s’y oppo­ser, pour­vu du moins qu’on les juge capables de s’assimiler l’esprit de ces Instituts et de consti­tuer dans leur pays un rameau qui ne soit ni dégé­né­ré ni dis­sem­blable. Vous devez tou­te­fois consi­dé­rer loya­le­ment et scrupuleu­sement s’il ne serait pas plus avan­ta­geux de fon­der de nou­velles Con­grégations plus en har­mo­nie avec la men­ta­li­té et l’idéal des indi­gènes et plus adap­tées aux situa­tions locales et aux circonstances.

Nous ne pou­vons non plus pas­ser sous silence une autre ques­tion d’une extrême impor­tance pour la pro­pa­ga­tion de l’Evangile : Nous vou­lons dire la grande uti­li­té qu’il y a à mul­ti­plier le nombre des caté­chistes – choi­sis par­mi les Européens, mais de pré­fé­rence par­mi les indi­gènes, – des­ti­nés à aider les mis­sion­naires dans leur apos­to­lat, prin­ci­pa­le­ment en ins­trui­sant les caté­chu­mènes et en les pré­pa­rant au bap­tême. Ce que doivent être ces caté­chistes, com­ment ils doivent gagner au Christ les infi­dèles moins par la parole que par l’exemple de leur vie, il est à peine besoin de le dire. Quant à vous, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, pre­nez pour règle immuable de les for­mer avec le plus grand soin ; qu’ils pos­sèdent à fond la doc­trine catho­lique et, quand ils l’exposent ou l’expliquent, qu’ils sachent se mettre a la por­tée de l’esprit et de l’intelligence de leurs audi­teurs ; ils le feront d’autant plus aisé­ment qu’ils connaî­tront plus inti­me­ment le carac­tère des indigènes.

Nous avons par­lé jusqu’ici de vos col­la­bo­ra­teurs pré­sents ou futurs. Il nous reste à ce sujet à sol­li­ci­ter votre zèle sur un der­nier point. Si Notre pro­jet est réa­li­sé, Nous esti­mons qu’il contri­bue­ra gran­de­ment à élar­gir bien vite le rayon­ne­ment de la loi. Quel prix Nous atta­chons à la vie contem­pla­tive, Nous en avons don­né une preuve surabon­dante lorsque, il y a deux ans, dans une Constitution apos­to­lique, Nous avons si volon­tiers confir­mé par Notre puis­sance apos­to­lique la règle par­ti­cu­lière de l’Ordre des Chartreux, approu­vée dès l’origine par l’autorité pon­ti­fi­cale et soi­gneu­se­ment amen­dée d’après les canons du Code de Droit cano­nique. Nous exhor­tons vive­ment les Supérieurs géné­raux des Ordres contem­pla­tifs à intro­duire et à étendre de plus en plus dans les pays de Missions cette forme de vie plus aus­tère, en y fon­dant des monas­tères ; travaillez‑y de votre côté, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, eu les priant sans relâche, à temps et à contre­temps. Ces hommes soli­taires atti­re­ront sur vous et sur vos tra­vaux une abon­dance extra­or­di­naire de grâces célestes.

Et l’on ne sau­rait mettre en doute que la vie mona­cale ne trou­vât dans vos contrées un excellent ter­rain ; en cer­taines régions sur­tout, les habi­tants, bien que païens pour la plu­part, sont natu­rel­le­ment enclins à la soli­tude, à la prière et à la contem­pla­tion. En cet ins­tant, Nous pen­sons jus­te­ment au grand monas­tère que les Cisterciens Réformés de la Trappe ont éri­gé dans le Vicariat apos­to­lique de Pékin : près de cent moines, la plu­part chi­nois, s’y livrent à la pra­tique des ver­tus plus par­faites ; par leurs prières conti­nues, par l’aus­té­ri­té de leur vie, par leur tra­vail obs­ti­né, ils méritent que Dieu se laisse flé­chir et témoigne envers eux-​mêmes et envers les infi­dèles sa misé­ricorde ; et, en même temps, par l’efficacité de leur exemple, ils gagnent ces infi­dèles au Christ. Voici donc une preuve écla­tante que nos ana­cho­rètes, tout en demeu­rant étran­gers à la vie active, confor­mément à la règle et à l’esprit de leur fon­da­teur, peuvent être d’une grande uti­li­té, et d’une uti­li­té quo­ti­dienne, pour la pros­pé­ri­té des Missions. Si les supé­rieurs de ces Ordres contem­pla­tifs répondent à vos demandes et éta­blissent leurs reli­gieux aux divers endroits que d’un com­mun accord vous aurez choi­sis, ils feront une œuvre extrê­me­ment salu­taire à ces mul­ti­tudes immenses de païens, et leur acte Nous don­nera satis­fac­tion et agré­ment, bien plus qu’on ne sau­rait l’imaginer.

Passons main­te­nant, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, à quelques ques­tions se réfé­rant à un meilleur agen­ce­ment des Missions ; sans doute, Notre pré­dé­ces­seur immé­diat vous a déjà don­né en cette matière des ensei­gne­ments et des aver­tis­se­ments ana­logues ; mais Nous aimons à les répé­ter, car Nous pen­sons à très bon droit qu’ils seront d’un grand secours pour la fécon­di­té de votre apostolat.

C’est de vous que dépend prin­ci­pa­le­ment le sort de l’apostolat catho­lique par­mi les païens. Nous vou­lons donc que par une meilleure orga­ni­sa­tion de cet apos­to­lat vous ren­diez plus facile la pro­pa­ga­tion de la doc­trine chré­tienne et que gran­disse le nombre de ceux qui puissent aisé­ment être éclai­rés de ses rayons. Veillez en consé­quence à répar­tir les mis­sion­naires de telle sorte que nulle por­tion du ter­ri­toire qui vous est confié ne soit pri­vée de la pré­di­ca­tion de l’Evangile ; aucune ne doit être réser­vée à une action ulté­rieure. Ainsi donc, avan­cez tou­jours plus loin par étapes ; éta­blis­sez vos mis­sion­naires en des lieux déter­mi­nés, jouant le rôle de centres ; autour de ces points, dans toutes les direc­tions, faites rayon­ner des postes moins impor­tants, confiés au moins à un caté­chiste et pour­vus d’une cha­pelle ; de leur centre les mis­sion­naires iront visi­ter ces postes de temps en temps et à jours fixes pour y exer­cer leur ministère.

Mais qu’en abor­dant les indi­gènes les pré­di­ca­teurs de l’Evangile se rap­pellent qu’ils ne doivent pas se com­por­ter autre­ment que ne fai­sait le divin Maître avec le peuple durant sa vie ter­restre. Avant d’enseigner Les foules, il avait cou­tume de gué­rir les malades : il gué­rit tous les malades (Mt 8, 16.) ; Beaucoup le sui­virent, et il les gué­rit tous (Mt 12, 15.) ; Il eut pitié d’eux et il gué­rit leurs malades (Mt 14, 14.). Aux Apôtres il don­na le même pou­voir, en leur impo­sant ce com­man­de­ment : Dans quelque ville que vous entriez…, gué­ris­sez les malades qui s’y trou­ve­ront et dites-​leur : Le royaume de Dieu est proche de vous (Lc 10, 8–9) ; Etant donc par­tis, ils fai­saient le tour des hameaux, annon­çant l’Evangile et opé­rant par­tout des gué­ri­sons (Lc 9, 6.). Que les mis­sion­naires n’oublient pas com­bien Jésus se mon­trait aimable et bien­veillant pour les enfants de tout âge ; à ses dis­ciples, qui les gour­man­daient, il ordon­nait de les lais­ser venir à lui (Mt 19, 13–14.). A ce pro­pos, Nous vous rap­pel­le­rons volon­tiers ce que Nous avons dit-​ailleurs : les mis­sion­naires qui annoncent aux infi­dèles la parole de Dieu savent per­ti­nem­ment qu’en régions de Missions comme ailleurs, qui­conque veille à la san­té publique, soigne les malades, caresse les enfants, s’attire à coup sûr la bien­veillance et l’affection des habi­tants : tant il est aisé de cap­ti­ver les cœurs par l’exercice de la charité !

Et pour reve­nir, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, au sujet que Nous venons de trai­ter, si, dans les loca­li­tés où vous avez éta­bli votre siège et fixé votre rési­dence, et dans les postes plus impor­tants en rai­son du chiffre de la popu­la­tion, il est néces­saire d’agrandir l’église et les autres édi­fices de la Mission, évi­tez de construire des temples et des bâti­ments trop somp­tueux et dis­pen­dieux, comme s’il s’agissait de pré­pa­rer des cathé­drales et des demeures épis­co­pales pour les dio­cèses futurs ; ceci vien­dra, et plus avan­ta­geu­se­ment, en son temps. Ignorez-​vous que dans cer­tains dio­cèses, depuis long­temps cano­ni­que­ment éri­gés, des temples ou des palais de ce genre n’ont été éle­vés que tout récem­ment ou sont seule­ment en cours de construction ?

Il ne serait ni bon ni judi­cieux de concen­trer et, pour ain­si dire, d’accumuler dans une sta­tion prin­ci­pale ou dans la loca­li­té où vous rési­dez tous les éta­blis­se­ments et toutes les œuvres des­ti­nés au bien spi­ri­tuel et cor­po­rel de votre peuple. Au cas, en effet, où ces institu­tions seraient de grande impor­tance, elles récla­me­raient votre pré­sence et celle des mis­sion­naires, et absor­be­raient tel­le­ment votre sol­licitude à tous que les tour­nées si salu­taires d’un bout à l’autre de votre ter­ri­toire pour l’évangéliser s’espaceraient de plus en plus et fini­raient par être com­plè­te­ment abandonnées.

Mais puisque nous venons de men­tion­ner cet apos­to­lat, ne vous conten­tez pas d’hôpitaux ou de dis­pen­saires pour le soin des malades ou la dis­tri­bu­tion des médi­ca­ments, non plus que d’écoles élé­men­taires – ins­ti­tu­tions d’ailleurs qui s’imposent par­tout ; – il est de plus très utile que vous fon­diez des écoles supé­rieures pour les jeunes gens qui ne se des­tinent pas à l’agriculture, leur ouvrant ain­si l’accès à des études plus rele­vées et sur­tout à la pra­tique des arts manuels.

C’est le lieu de vous exhor­ter à ne point négli­ger les per­son­nages prin­ci­paux du pays et leurs enfants. Sans doute la parole de Dieu est accueillie plus volon­tiers par les humbles, et de même les pré­di­ca­teurs de l’Evangile ; sans doute Jésus-​Christ a décla­ré de lui-​même : L’esprit du Seigneur m’a don­né mis­sion d’évangéliser les pauvres (Lc 4, 18.). Mais nous ne devons pas oublier la parole de saint Paul : Je me dois aux savants comme aux igno­rants (Rm 1, 14.) ; et, du reste, la pra­tique et l’expé­rience nous enseignent que, l’élite une fois gagnée au chris­tia­nisme dans un pays, le menu peuple suit aisé­ment ses traces.

Nous Unirons, Vénérables Frères, Fils bien-​aimés, par une très impor­tante recom­man­da­tion. Le zèle bien connu dont vous brû­lez pour la reli­gion et le salut des âmes vous la fera accep­ter d’un cœur docile et dis­po­sé à obéir volontiers.

Les ter­ri­toires que le Siège Apostolique a confiés à votre sol­li­ci­tude et à votre acti­vi­té pour que vous les gagniez au royaume du Christ sont géné­ra­le­ment extrê­me­ment éten­dus. Il peut donc arri­ver que le nombre des mis­sion­naires appar­te­nant à vos Instituts res­pec­tifs soit très infé­rieur aux besoins. N’hésitez donc pas ; de même que, dans les dio­cèses régu­liè­re­ment consti­tués, des reli­gieux de divers Instituts, de clercs ou de laïques, des reli­gieuses de dif­fé­rentes Congrégations, viennent habi­tuel­le­ment en aide aux évêques, de même, pour pro­pager la foi chré­tienne, pour éle­ver la jeu­nesse indi­gène, pour répondre à d’autres besoins ana­logues, appe­lez et accueillez, pour les asso­cier à vos tra­vaux, des reli­gieux et des mis­sion­naires d’autres Instituts, qu’ils soient prêtres ou membres de Sociétés laïques.

C’est à bon droit que les Ordres et les Congrégations reli­gieuses se glo­ri­fient pieu­se­ment de la mis­sion qui leur a été confiée par­mi les peuples païens, comme des exten­sions qu’ils ont appor­tées jusqu’ici au royaume du Christ ; ils doivent se rap­pe­ler néan­moins que les terri­toires de Missions qu’ils ont reçus ne leur appar­tiennent pas à titre exclu­sif et per­pé­tuel ; ils les détiennent par le fait d’un acte abso­lu­ment spon­ta­né et tou­jours révo­cable du Siège Apostolique, auquel incombent de ce chef et le droit et le devoir de veiller à ce que ces ter­ri­toires soient conve­na­ble­ment et inté­gra­le­ment évangélisés.

Le Pontife Romain ne satis­fe­rait donc pas à sa charge apos­to­lique s’il se bor­nait uni­que­ment à dis­tri­buer entre les dif­fé­rents Instituts des ter­ri­toires plus ou moins vastes ; il doit encore – res­pon­sa­bi­li­té autre­ment impor­tante – veiller en tout temps et de toute son atten­tion à ce que ces Instituts envoient dans les régions qui leur sont attri­buées des mis­sion­naires assez nom­breux et sur­tout suf­fi­sam­ment capables pour tra­vailler effi­ca­ce­ment à répandre sur ces régions dans toute leur éten­due les lumières de la véri­té chrétienne.

Un jour le divin Pasteur Nous deman­de­ra compte de son trou­peau ; toutes les fois donc que cela Nous sem­ble­ra néces­saire, ou plus oppor­tun, ou plus avan­ta­geux pour l’extension de la Sainte Eglise, sans aucune hési­ta­tion Nous trans­fé­re­rons d’une Congrégation à une autre des ter­ritoires de Missions, Nous les divi­se­rons et les sub­di­vi­se­rons, confiant les nou­veaux Vicariats ou Préfectures soit au cler­gé indi­gène, soit à d’autres Congrégations.

Vous tous, Vénérables Frères, qui à tra­vers l’univers catho­lique par­ta­gez avec Nous les sou­cis et les conso­la­tions de la charge pas­to­rale, Nous n’a­vons plus qu’à vous exhor­ter de nou­veau à venir en aide aux Missions par les indus­tries et les moyens que Nous vous avons indi­qués : ani­mées d’une vigueur en quelque sorte nou­velle, elles recueil­leront dans l’avenir des mois­sons encore plus abondantes.

Daigne Marie, la Très Sainte Reine des Apôtres, accor­der un sou­rire bien­veillant à notre com­mune entre­prise ; qu’elle la favo­rise, elle dont le Cœur mater­nel reçut au Calvaire le soin de l’humanité tout entière, elle qui enve­loppe d’une égale ten­dresse et de la même solli­citude ceux qui ne se doutent pas de leur rédemp­tion par le Christ Jésus et ceux qui jouissent heu­reu­se­ment de ses fruits.

En atten­dant, comme gage des faveurs célestes et en témoi­gnage de Notre pater­nelle bien­veillance, Nous vous accor­dons de tout cœur, à vous, Vénérables Frères, à votre cler­gé et à votre peuple, la béné­diction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 28 février 4926, la cin­quième année de Notre Pontificat.

PIE XI, PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 3, pp. 143–175

  1. Lettre apos­to­lique Maximum illud [] []
12 novembre 1923
À l’occasion du IIIe centenaire de la mort de saint Josaphat, martyr, archevêque de Polotsk, pour le rite oriental.
  • Pie XI