Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

2 juin 1951

Lettre encyclique Evangelii Praecones

Sur les missions

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 2 juin 1951, en la fête de saint Eugène Ier

A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires locaux en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères,

Salut et béné­dic­tion apostolique.

Salut et béné­dic­tion apos­to­lique. LES pré­di­ca­teurs de l’Évangile qui dans des champs de tra­vail presque infi­nis peinent « pour que la parole de Dieu pour­suive sa course et soit en hon­neur » (II Thess., III, 1) sont, d’une façon par­ti­cu­lière, pré­sents à Notre esprit et à Notre cœur au cours de la vingt-​cinquième année qui s’é­coule depuis la pro­mul­ga­tion par Notre pré­dé­ces­seur d’im­mor­telle mémoire, Pie XI, de l’Encyclique Rerum Ecclesiae (Acta Apostolicae Sedis, 1926, p. 65 sq.), dans laquelle il don­nait des règles très sages pour le déve­lop­pe­ment tou­jours plus grand des Missions Catholiques. Et consi­dé­rant com­bien pen­dant cette période une aus­si saine cause a pro­gres­sé, Nous sommes péné­trés d’une grande joie. En effet ― comme Nous avons eu l’oc­ca­sion de l’af­fir­mer le 24 juin 1944 en Nous adres­sant aux Directeurs des Œuvres Missionnaires Pontificales ― « l’ar­deur et le zèle déployés par les pro­pa­ga­teurs de la reli­gion chré­tienne aus­si bien dans les régions déjà éclai­rées par la lumière de l’Évangile que dans les nations où celle-​ci n’a pas encore res­plen­di, ont atteint une inten­si­té et un déve­lop­pe­ment tels que jamais peut-​être on n’en a noté dans les annales des Missions Catholiques » (A. A. S., 1944, p. 209).

Actuellement cepen­dant, en ces temps pleins de troubles et de menaces, où de nom­breux peuples sont sépa­rés les uns des autres par des oppo­si­tions réci­proques, il Nous semble par­ti­cu­liè­re­ment oppor­tun de recom­man­der cette cause une fois de plus, s’il est vrai que les mes­sa­gers de l’Évangile conseillent à tous les hommes la bon­té humaine et chré­tienne et les exhortent à des rap­ports fra­ter­nels qui s’é­lèvent au-​dessus des riva­li­tés et des fron­tières nationales.

Voilà pour­quoi, lorsque dans les cir­cons­tances rap­pe­lées plus haut Nous Nous adres­sions aux Directeurs des Œuvres Missionnaires, Nous leur disions entre autres choses : « … La nature de votre charge, qui n’est res­treinte par aucune limite natio­nale, ain­si que votre tra­vail com­mun et fra­ter­nel, font res­sor­tir aux yeux de tous ce carac­tère remar­quable de l’Église catho­lique qui n’ad­met pas la dis­corde, qui fuit les désac­cords et demeure abso­lu­ment étran­gère aux divi­sions qui troublent les peuples et par­fois les bou­le­versent misé­ra­ble­ment ; Nous par­lons de la foi chré­tienne, de la cha­ri­té chré­tienne envers tous les hommes, qui se trans­portent au delà de tous les par­tis en guerre, au delà des fron­tières de tous les États, au delà de tous les ter­ri­toires et de tous les océans, qui vous excitent et vous sti­mulent tous et cha­cun à atteindre le but que vous vous êtes fixé et qui consiste à étendre le Royaume de Dieu à toutes les par­ties de la terre » (A. A. S., 1944, p. 207).

C’est pour­quoi, pro­fi­tant volon­tiers de l’oc­ca­sion offerte par le 25e anni­ver­saire de l’Encyclique Rerum Ecclesiae, Nous louons avec grande joie le tra­vail déjà accom­pli et Nous vous exhor­tons tous à le pour­suivre tou­jours avec la plus grande ardeur, vous tous, Vénérables Frères dans l’Épiscopat, vous, pro­pa­ga­teurs de l’Évangile, ministres sacrés, et cha­cun des fidèles, soit qu’ils tra­vaillent dans les ter­ri­toires qui sont encore pays de Mission, soit qu’en un point quel­conque de la terre, par des prières adres­sées à Dieu, par la for­ma­tion et l’aide appor­tée aux can­di­dats se des­ti­nant aux Missions, ou bien enfin en quê­tant des aumônes, ils viennent en aide à cette cause si importante.

Nous aimons d’a­bord par­ler briè­ve­ment ici des pro­grès réa­li­sés. En 1926 on comp­tait 400 Missions ; actuel­le­ment on en compte 600 ; alors les catho­liques n’at­tei­gnaient pas 15 mil­lions, aujourd’­hui ils sont près de 28.000.000. En cette même année 1926, les prêtres, soit venus de l’ex­té­rieur, soit des Missions mêmes, étaient 14.800 ; aujourd’­hui, ils sont plus de 26.800. A cette époque, presque tous les pas­teurs, chefs de Missions, étaient étran­gers ; en 25 ans, 88 de ces Missions ont été confiées au cler­gé indi­gène ; et comme en de nom­breux endroits la Hiérarchie Ecclésiastique est déjà nor­ma­le­ment consti­tuée avec des Évêques choi­sis par­mi les habi­tants du lieu, il appa­raît encore plus clai­re­ment que la reli­gion de Jésus-​Christ est vrai­ment catho­lique et qu’elle ne peut être consi­dé­rée comme étran­gère en aucun point de la terre.

C’est ain­si que, pour don­ner des exemples, en Chine et en cer­taines régions de l’Afrique, la Hiérarchie Ecclésiastique a été éta­blie selon les lois cano­niques ; trois conciles « plé­niers » de très grande impor­tance ont été réunis, le pre­mier en 1934 en Indochine, le second en 1937 en Australie, le troi­sième, l’an der­nier, aux Indes. Les petits Séminaires ont gran­de­ment aug­men­té en nombre et en qua­li­té ; les grands Séminaristes qui, il y a 25 ans, n’é­taient que 1.770, sont à pré­sent 4.300, et de nom­breux Séminaires Régionaux ont été construits. A Rome, à l’Athénée de la Propagande, un Institut Missionnaire a été fon­dé ; à Rome éga­le­ment, et en d’autres endroits, de nom­breuses chaires de Missiologie ont été consti­tuées. A Rome encore, le Collège Saint-​Pierre a été ins­ti­tué pour la for­ma­tion plus com­plète des prêtres indi­gènes aux sciences sacrées, à la ver­tu et à l’a­pos­to­lat. Deux nou­velles Universités ont été fon­dées ; les col­lèges et les écoles d’en­sei­gne­ment supé­rieur et moyen, qui pré­cé­dem­ment étaient envi­ron 1.600, sont aujourd’­hui plus de 5.000 ; les écoles élé­men­taires sont à peu près deux fois plus nom­breuses qu’a­lors ; on peut dire éga­le­ment que le nombre des dis­pen­saires et des hôpi­taux où sont soi­gnés toutes sortes de malades, d’in­firmes et de lépreux, a dou­blé. De plus, l’Union Missionnaire du Clergé a pris pen­dant ces années un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable ; l’Agence Fides a été créée, dont le but est de recher­cher, rédi­ger et dif­fu­ser les nou­velles reli­gieuses ; la presse mis­sion­naire a presque par­tout aug­men­té ses édi­tions et ses tirages ; de nom­breux congrès mis­sion­naires ont été tenus, par­mi les­quels il convient de signa­ler celui qui eut lieu l’an der­nier à Rome pen­dant l’Année Sainte, et qui a fort bien mon­tré tout ce qui a été réa­li­sé dans cet ordre d’i­dées ; il n’y a pas long­temps, un Congrès Eucharistique, tenu dans la Côte de l’Or, à Kumasi, a réuni dans une pié­té fer­vente un nombre remar­quable d’as­sis­tants ; fina­le­ment, en faveur de l’Œuvre Pontificale de la Sainte Enfance, Nous avons dési­gné un jour spé­cial chaque année, des­ti­né à la pro­mou­voir par la prière et les aumônes (Epist. Praeses Consilii, A. A. S., 1951, pp. 88–89) ; tous ces faits montrent clai­re­ment que les œuvres d’a­pos­to­lat répondent comme il se doit aux chan­ge­ments de condi­tion et aux besoins nou­veaux par de nou­velles méthodes et des entre­prises plus adaptées.

Il ne faut pas omettre de signa­ler que, durant cette période, cinq Délégations Apostoliques ont été juri­di­que­ment consti­tuées en diverses régions qui dépendent du Conseil suprême de la Propagande ; en outre, bon nombre de ter­ri­toires dépendent désor­mais de Nonces et d’Internonces Apostoliques. Nous aimons, à ce sujet, décla­rer que la pré­sence et le zèle de ces Prélats ont déjà por­té des fruits très abon­dants : ils ont sur­tout obte­nu que les œuvres mis­sion­naires, mieux orga­ni­sées et s’ai­dant mutuel­le­ment davan­tage, concourent plus effi­ca­ce­ment au même but. Nos Légats ont aus­si gran­de­ment concou­ru à cette même fin en visi­tant chaque région, en par­ti­ci­pant, revê­tus de Notre auto­ri­té, à des réunions épis­co­pales dans les­quelles les Ordinaires locaux met­taient en com­mun leur expé­rience en vue du bien géné­ral pour déter­mi­ner des méthodes d’a­pos­to­lat plus conve­nables et plus faciles. Ce concours fra­ter­nel de la foi et des œuvres eut aus­si cet avan­tage que les auto­ri­tés civiles et ceux qui ne par­tagent pas la foi catho­lique eurent une plus grande estime de la reli­gion chrétienne.

Ce que Nous venons de rap­pe­ler briè­ve­ment des pro­grès des Missions pen­dant ces 25 der­nières années, et ce que Nous avons pu voir pen­dant l’Année Sainte ― lorsque des foules impor­tantes affluaient à Rome des régions loin­taines culti­vées par les pré­di­ca­teurs de l’Évangile pour obte­nir les dons de Dieu et Notre béné­dic­tion ― ces choses, disons-​Nous, Nous incitent vive­ment à renou­ve­ler le vœu ardent de l’Apôtre des nations quand il écri­vait aux Romains : « … pour vous com­mu­ni­quer quelque don spi­ri­tuel qui puisse vous affer­mir, ou plu­tôt pour nous encou­ra­ger chez vous mutuel­le­ment par la foi qui nous est com­mune, à vous et à moi » (Rom., I, 11–12).

Et il Nous semble que le Divin Maître Lui-​même nous répète à tous ces paroles de conso­la­tion et d’ex­hor­ta­tion : « Levez les yeux et voyez les champs : ils sont déjà blancs pour la mois­son » (Joan., IV, 35). Cependant, comme les pro­pa­ga­teurs de la véri­té chré­tienne ne suf­fisent pas aux besoins actuels, à ces paroles répond en quelque sorte l’in­vi­ta­tion du même Divin Rédempteur : « La mois­son est abon­dante, mais les ouvriers sont en petit nombre. Priez donc le Maître de la mois­son d’en­voyer des ouvriers à sa mois­son » (Matth., IX, 37–38).

Nous savons assu­ré­ment, et c’est une grande conso­la­tion pour Notre cœur, que le nombre de ceux qu’un ins­tinct sur­na­tu­rel appelle à pro­pa­ger l’Évangile par toute la terre aug­mente heu­reu­se­ment de nos jours et ravive les espoirs de l’Église ; mais il reste encore beau­coup à faire, il reste beau­coup à obte­nir de Dieu par d’humbles prières. Considérant les innom­brables nations qui doivent être appe­lées par ces ouvriers évan­gé­liques à l’u­nique ber­cail et à l’u­nique port du salut. Nous adres­sons au Chef des Pasteurs ces paroles de l’Ecclésiastique : « De même que vous avez mon­tré devant eux votre sain­te­té en nous, de même, devant nous, mani­fes­tez votre sain­te­té en eux, pour qu’ils apprennent, comme nous l’a­vons appris nous-​mêmes, qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Vous, Seigneur » (Eccli., XXXVI, 4 et 5).

Ces heu­reux accrois­se­ments des Missions ont été dus non seule­ment aux tra­vaux des semeurs de la parole divine, mais aus­si au sang ver­sé en abon­dance dans le témoi­gnage du mar­tyre, car au cours de ces der­nières années, les per­sé­cu­tions les plus âpres contre l’Église nais­sante se firent sen­tir en cer­taines nations ; de nos jours même telles régions de l’Extrême-​Orient voient ver­ser le sang pour la même cause. Nous appre­nons, en effet, que pour avoir été cou­ra­geu­se­ment fidèles à leur reli­gion de nom­breux chré­tiens, des reli­gieuses mis­sion­naires, des prêtres indi­gènes et même cer­tains Évêques ont été chas­sés de leur domi­cile et de leurs biens et souffrent la faim hors de leur pays, ou bien sont jetés en pri­son ou en camp de concen­tra­tion, ou même par­fois sont sau­va­ge­ment mis à mort.

C’est pour Notre cœur une très grande souf­france que de son­ger aux angoisses, aux dou­leurs, à la mort de ces fils très chers ; non seule­ment Nous les accom­pa­gnons tous de Notre amour de père, mais Nous en par­lons avec un res­pect pater­nel, car Nous savons fort bien que leur rôle s’é­lève par­fois jus­qu’à la digni­té du mar­tyre. Jésus-​Christ, le pre­mier des mar­tyrs, a décla­ré : « S’ils m’ont per­sé­cu­té, ils vous per­sé­cu­te­ront vous aus­si » (Joan., XV, 20) ; « dans le monde vous aurez de la tri­bu­la­tion ; mais ayez confiance : moi, j’ai vain­cu le monde » (Joan., XVI, 33) ; « si le grain de blé tom­bé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt il porte beau­coup de fruit » (Joan., XII, 24–25).

Les mes­sa­gers et pro­pa­ga­teurs de la véri­té et de la ver­tu chré­tiennes qui, loin de leur patrie, trouvent la mort en s’ac­quit­tant de leur sainte fonc­tion sont des semences dont la volon­té de Dieu fera un jour ger­mer des fruits très abon­dants. C’est pour­quoi l’a­pôtre Paul affir­mait : « Nous nous glo­ri­fions, dans nos tri­bu­la­tions » (Rom., V, 3) ; et saint Cyprien, Évêque et mar­tyr, conso­lait et exhor­tait les chré­tiens de son temps en ces termes : « Le Seigneur a vou­lu que nous nous réjouis­sions et que nous exul­tions dans les per­sé­cu­tions, parce que lorsque les per­sé­cu­tions se pro­duisent, c’est alors que se dis­tri­buent les cou­ronnes de la foi, c’est alors que sont éprou­vés les sol­dats de Dieu, c’est alors que les cieux sont ouverts aux mar­tyrs. Nous n’a­vons pas, en effet, don­né notre nom à la milice pour devoir son­ger uni­que­ment à la paix et refu­ser le com­bat, alors que le Seigneur le pre­mier a mar­ché au com­bat, notre maître en humi­li­té, en patience et en souf­france, lui qui a fait le pre­mier ce qu’il ensei­gnait à faire, lui qui a souf­fert le pre­mier pour nous ce qu’il exhor­tait à souf­frir » (S. Cypriani Epist., LVI, ML, IV, 351 A).

Les semeurs de l’Évangile qui peinent aujourd’­hui dans les régions loin­taines font pro­gres­ser une cause sem­blable à celle de l’Église pri­mi­tive. Ceux en effet qui, avec les Princes des Apôtres Pierre et Paul, appor­taient la véri­té de l’Évangile à la cita­delle de l’empire romain, se trou­vaient à Rome à peu près dans des condi­tions sem­blables. Quiconque consi­dère l’Église qui nais­sait à cette époque la ver­ra dépour­vue de toutes res­sources humaines, sou­mise aux dif­fi­cul­tés, aux mal­heurs, aux attaques ; il ne pour­ra se défendre d’un sen­ti­ment d’ad­mi­ra­tion en voyant que la troupe paci­fique des chré­tiens a vain­cu une puis­sance telle qu’il n’y en avait peut-​être jamais eu de plus grande. Or, ce qui est arri­vé alors, arri­ve­ra encore sans aucun doute maintes et maintes fois. De même que le jeune David, se confiant plus dans le secours divin que dans sa fronde, jeta à terre le géant Goliath que pro­té­geait une cui­rasse, ain­si cette socié­té divine que le Christ a fon­dée, ne pour­ra jamais être vain­cue par aucune puis­sance ter­restre, mais elle triom­phe­ra d’un front serein de toutes les attaques. Bien que Nous sachions que cela soit l’ef­fet de pro­messes divines qui ne faillirent jamais, Nous ne pou­vons cepen­dant Nous rete­nir d’ex­pri­mer Notre recon­nais­sance à tous ceux qui ont témoi­gné de leur foi cou­ra­geuse et invin­cible à Jésus-​Christ et à l’Église, colonne et fon­de­ment de la véri­té (cf. I Tim., III, 15), tout en les exhor­tant à conti­nuer tou­jours avec la même constance.

Nous rece­vons très sou­vent des nou­velles de cette foi invin­cible et de ce cou­rage intré­pide, et c’est pour Nous une grande conso­la­tion. S’il n’a pas man­qué d’hommes pour s’ef­for­cer de sépa­rer les catho­liques de ce Siège Apostolique de Rome, sous pré­texte que l’a­mour de cha­cun pour sa propre patrie et la fidé­li­té envers elle requer­rait une telle sépa­ra­tion, Nos fils ont pu et peuvent à bon droit répondre qu’ils ne le cèdent à aucun citoyen en matière de patrio­tisme, mais qu’ils veulent abso­lu­ment jouir d’une juste liberté.

Ce qu’il faut bien avoir pré­sent à l’es­prit, et que Nous avons déjà signa­lé plus haut, c’est que le tra­vail qui reste à faire demande un effort gigan­tesque et d’in­nom­brables tra­vailleurs. Rappelons-​nous qu’une immense mul­ti­tude de nos frères « demeure assise dans les ténèbres et l’ombre mor­telle » (Ps. CVI, 10) et que leur nombre est de l’ordre d’un mil­liard. C’est pour­quoi semble réson­ner encore l’i­nef­fable gémis­se­ment du Cœur très aimant de Jésus-​Christ : « J’ai aus­si d’autres bre­bis qui ne sont pas de ce ber­cail ; celles-​là éga­le­ment, il faut que je les conduise, et elles écou­te­ront ma voix, et il y aura un seul trou­peau, un seul pas­teur » (Joan., X, 16)

Et il ne manque pas de pas­teurs, comme vous le savez, Vénérables Frères, qui s’ef­forcent d’é­car­ter les bre­bis de cet unique ber­cail, de cet unique port du salut ; vous savez aus­si que ce péril est, en cer­tains endroits, plus grand de jour en jour. C’est pour­quoi, consi­dé­rant devant Dieu cette immense mul­ti­tude d’hommes qui sont encore pri­vés de la véri­té évan­gé­lique et mesu­rant toute la gra­vi­té du dan­ger dans lequel tant d’hommes se trouvent soit à cause de l’ex­ten­sion du maté­ria­lisme athée, soit à cause d’une cer­taine doc­trine qui se dit chré­tienne mais qui est en fait imbue des idées et des erreurs com­mu­nistes, Nous sommes sai­sis d’une vive angoisse et pous­sés à pro­mou­voir par­tout et de toutes Nos forces les œuvres de l’a­pos­to­lat, et Nous consi­dé­rons comme adres­sée à Nous-​mêmes l’ex­hor­ta­tion du pro­phète : « Crie à pleine voix, ne te retiens pas, fais reten­tir ta voix comme la trom­pette » (Is., LVIII, 1).

Et Nous recom­man­dons à Dieu d’une manière spé­ciale dans nos prières les ouvriers apos­to­liques qui s’a­donnent aux Missions dans les régions inté­rieures de l’Amérique latine ; car Nous savons à quels dan­gers, à quelles embûches, ils sont expo­sés par les erreurs cachées ou mani­festes que répandent les non-catholiques.

Dans l’in­ten­tion de rendre tou­jours plus effi­cace l’ac­ti­vi­té des pré­di­ca­teurs de l’Évangile et pour qu’au­cune goutte de leur sueur et de leur sang ne soit répan­due en vain, Nous vou­lons expo­ser ici briè­ve­ment des prin­cipes et des règles selon les­quelles l’ac­tion et le zèle des Missionnaires doivent être conduits.

Il convient tout d’a­bord de remar­quer que celui qui, par une ins­pi­ra­tion sur­na­tu­relle, est appe­lé à faire fleu­rir chez les nations païennes et loin­taines la véri­té de l’Évangile est des­ti­né à une fonc­tion tout à fait grande, tout à fait éle­vée. Il consacre, en effet, sa vie à Dieu pour pro­pa­ger son Règne jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre. Celui-​ci ne recherche pas ses propres avan­tages, mais ceux de Jésus-​Christ (Phil., II, 21). Celui-​ci enfin consi­dère comme adres­sées par­ti­cu­liè­re­ment à lui-​même ces phrases magni­fiques de l’Apôtre des Gentils : « Nous fai­sons fonc­tion d’am­bas­sa­deurs… pour le Christ » (II Cor., V, 20) ; « Si nous vivons dans la chair, nous ne com­bat­tons pas selon la chair » (II Cor., X, 3) ; « Je me suis fait faible avec les faibles afin de gagner les faibles » (I Cor., IX, 22).

Il doit donc consi­dé­rer comme une seconde patrie la terre à laquelle il vient por­ter la lumière de l’Évangile, et l’ai­mer comme il convient ; si bien qu’il ne recherche pas d’a­van­tages maté­riels, ni les inté­rêts de son pays ou de son ins­ti­tut reli­gieux, mais bien ce qui concerne le salut des âmes. Assurément il doit avoir un grand amour pour son pays et pour son ins­ti­tut, mais il doit aimer encore davan­tage l’Église. Et qu’il se sou­vienne que son ins­ti­tut ne tire­ra aucun pro­fit de ce qui s’op­pose au bien de l’Église.

Il faut, en outre, que ceux qui sont appe­lés à ce genre d’a­pos­to­lat, alors qu’ils sont encore dans leur patrie, soient for­més non seule­ment à toutes les ver­tus et à toutes les connais­sances ecclé­sias­tiques, mais il faut qu’ils apprennent encore les doc­trines et acquièrent les connais­sances par­ti­cu­lières qui leur seront un jour de la plus grande uti­li­té quand ils s’ac­quit­te­ront de leur office de mes­sa­gers de l’Évangile. C’est pour­quoi ils doivent connaître les langues, celles sur­tout qui leur seront un jour néces­saires ; il faut qu’ils soient éga­le­ment suf­fi­sam­ment ini­tiés à la méde­cine, à l’a­gri­cul­ture, à l’eth­no­gra­phie, à l’his­toire, à la géo­gra­phie et autres sciences du même genre.

Le but des Missions, comme cha­cun sait, est d’a­bord de faire res­plen­dir pour de nou­veaux peuples la lumière de la véri­té chré­tienne et de sus­ci­ter de nou­veaux chré­tiens. Mais le but der­nier auquel elles doivent tendre ― et qu’il faut tou­jours avoir sous les yeux ― c’est que l’Église soit fer­me­ment et défi­ni­ti­ve­ment éta­blie chez de nou­veaux peuples, et qu’elle reçoive une Hiérarchie propre, choi­sie par­mi les habi­tants du lieu.

Dans la lettre que le 9 août de l’an­née der­nière Nous avons adres­sée à Notre cher Fils le Cardinal Pierre FUMASONI-​BIONDI, Préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande, Nous écri­vions entre autres choses : « L’Église assu­ré­ment n’a nul­le­ment le des­sein de domi­ner les peuples ou de s’emparer du pou­voir tem­po­rel : son seul désir est de por­ter à toutes les nations la lumière sur­na­tu­relle de la foi, de favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment de la civi­li­sa­tion humaine et civile et la concorde entre les peuples » (Epist. Perlibenti equi­dem, A. A. S., 1950, p. 727).

Dans la Lettre Apostolique Maximum illud (A. A. S., 1919, p. 440 sq.), de Notre pré­dé­ces­seur Benoît XV, datée de 1919, ain­si que dans l’Encyclique Rerum Ecclesiae (A. A. S., 1926, p. 65 sq.), de Notre pré­dé­ces­seur immé­diat, Pie XI, il était pro­cla­mé que les Missions devaient s’ef­for­cer, comme vers leur but suprême, d’é­ta­blir l’Église dans de nou­velles terres. Et Nous-​mêmes, lorsque en 1944, comme Nous l’a­vons rap­pe­lé ci-​dessus, Nous avons reçu les Directeurs des Œuvres Missionnaires, Nous avons décla­ré : « Le des­sein que les pré­di­ca­teurs de l’Évangile embrassent avec cou­rage et géné­ro­si­té, consiste à étendre l’Église à de nou­velles régions, de telle sorte qu’elle y fixe des racines tou­jours plus pro­fondes, et qu’a­près s’y être déve­lop­pée elle puisse le plus tôt pos­sible y vivre et y fleu­rir sans l’aide des œuvres mis­sion­naires. Ces œuvres mis­sion­naires en effet ne cherchent pas leur propre inté­rêt, mais il faut qu’elles tendent de toutes leurs forces à atteindre le but éle­vé dont Nous venons de par­ler ; lors­qu’elles l’au­ront atteint, elles se consa­cre­ront volon­tiers à d’autres entre­prises » (A. A. S., 1944, p. 210). « C’est pour­quoi les pro­pa­ga­teurs de l’Évangile ne résident pas dans les champs d’a­pos­to­lat déjà culti­vés, comme s’ils y étaient à demeure, mais leur mis­sion est plu­tôt de faire briller sur toute la terre la véri­té de l’Évangile et de consa­crer cette terre par la sain­te­té chré­tienne. L’entreprise qui est pro­po­sée aux Missionnaires est en effet la sui­vante : étendre d’une région à l’autre, d’un pas chaque jour plus rapide, jus­qu’à la demeure la plus éloi­gnée et la plus incon­nue, jus­qu’à l’homme le plus éloi­gné et le plus incon­nu, le Règne du Divin Rédempteur, qui est res­sus­ci­té triom­phant de la mort et à qui tout pou­voir à été don­né au ciel et sur la terre » (cf. Matth. XXVIII, 18. – A. A. S., 1944, p. 208).

Il est clair cepen­dant que l’Église ne peut s’é­ta­blir conve­na­ble­ment en de nou­velles régions à moins que les ins­ti­tu­tions et les œuvres n’y soient orga­ni­sées comme il faut, à moins sur­tout qu’un cler­gé indi­gène à la hau­teur des besoins n’y soit créé et for­mé, Nous aimons pour cela répé­ter en les emprun­tant à l’Encyclique Rerum Ecclesiae ces phrases graves et sages : « … S’il faut prendre soin que cha­cun d’entre vous ait le plus grand nombre pos­sible d’é­lèves indi­gènes, appliquez-​vous en outre à les for­mer comme il convient, à la sain­te­té que demande la vie sacer­do­tale, à cet esprit d’a­pos­to­lat uni au désir du salut de leurs Frères qui les ren­dra capables de sacri­fier même leur vie pour leur conci­toyens » (A. A. S., 1926, p. 76).

« Supposez qu’une guerre ou d’autres évé­ne­ments poli­tiques rem­placent dans un ter­ri­toire de Mission un régime par un autre et que le départ des Missionnaires de telle nation soit deman­dé ou décré­té ; sup­po­sez ― ce qui arri­ve­ra certes plus dif­fi­ci­le­ment ― que des indi­gènes par­ve­nus à un cer­tain degré de culture et ayant atteint une cer­taine matu­ri­té poli­tique veuillent, pour obte­nir leur auto­no­mie, chas­ser de leur ter­ri­toire les fonc­tion­naires, les troupes et les Missionnaires de la nation qui leur com­mande, et ne puissent y arri­ver qu’au moyen de la force. Quelle ruine, Nous le deman­dons, ne mena­ce­rait pas l’Église en ces régions, si on n’a­vait entiè­re­ment pour­vu aux besoins des nou­veaux chré­tiens en dis­po­sant comme un réseau de prêtres indi­gènes sur tout le ter­ri­toire ? » (A. A. S., 1926, p. 75).

En voyant réa­li­sé en de nom­breuses régions de l’Extrême-​Orient ce que Notre pré­dé­ces­seur immé­diat écri­vait dans une sorte de pres­sen­ti­ment, Nous sommes sai­sis d’une grande dou­leur. Les flo­ris­santes mis­sions qui s’y trou­vaient, déjà blanches pour la mois­son (Joan., IV, 35), sont actuel­le­ment, hélas ! dans les plus grandes dif­fi­cul­tés. Qu’il Nous soit per­mis d’es­pé­rer que les peuples de Corée et de Chine, remar­quables par leurs dons natu­rels d’hu­ma­ni­té et de noblesse, et qui depuis long­temps ont brillé par la splen­deur de leur civi­li­sa­tion, seront le plus tôt pos­sible libé­rés non seule­ment des conflits et des guerres qui les bou­le­versent, mais aus­si de cette doc­trine néfaste, qui ne cherche que les biens d’ici-​bas et refuse les biens célestes ; qu’ils estiment aus­si à leur juste prix la cha­ri­té et le cou­rage chré­tien des Missionnaires étran­gers et des prêtres indi­gènes, qui au prix de leurs fatigues, et s’il le faut, au risque de leur vie, ne cherchent rien d’autre que le vrai bien du peuple.

Nous ren­dons grâces à Dieu de ce que dans l’un et l’autre pays un cler­gé de choix et déjà nom­breux s’est levé du milieu de ces popu­la­tions pour l’es­pé­rance de l’Église, et de ce que plu­sieurs dio­cèses ont été confiés à des Évêques de ce pays. Si on a pu fina­le­ment en arri­ver là, l’é­loge doit en reve­nir aux Missionnaires étrangers.

A ce sujet tou­te­fois, il Nous semble oppor­tun de noter un point, que Nous esti­mons digne de consi­dé­ra­tion atten­tive quand les Missions qui étaient aupa­ra­vant confiées au cler­gé étran­ger passent aux mains des Évêques et des prêtres natio­naux. L’Institut reli­gieux dont les membres ont labou­ré au prix de leur sueur le champ du Seigneur, lors­qu’un décret du Conseil Supérieur de la Propagation de la Foi confie à d’autres ouvriers la vigne culti­vée par eux et déjà cou­verte de fruits, ne doit pas néces­sai­re­ment l’a­ban­don­ner tout à fait ; mais ce sera faire œuvre utile et conve­nable que de conti­nuer à aider le nou­vel Évêque choi­si dans le peuple du lieu. De même, en effet, que dans tous les autres dio­cèses du monde, des Religieux aident la plu­part du temps l’Évêque local, de même dans les régions de Missions, les Religieux, bien qu’o­ri­gi­naires d’une autre nation, ne ces­se­ront pas de mener le com­bat comme des troupes auxi­liaires ; et c’est ain­si que se réa­li­se­ra heu­reu­se­ment ce que le Divin Maître a décla­ré au puits de Sichar : « Le mois­son­neur reçoit son salaire et recueille des fruits pour la vie éter­nelle, pour que le semeur se réjouisse en même temps que le mois­son­neur » (Joan., IV, 36).

Nous dési­rons en outre adres­ser Notre exhor­ta­tion non seule­ment aux Missionnaires, mais aus­si aux laïques, qui « de grand cœur et de bon gré » (II Mach., I, 3), mili­tant dans les rangs de l’Action catho­lique, prêtent leurs concours aux Missions.

On peut certes assu­rer que le concours des laïques, que nous appe­lons aujourd’­hui Action catho­lique, n’a jamais man­qué depuis les ori­gines de l’Église ; bien plus, il a four­ni aux Apôtres et aux autres pro­pa­ga­teurs de l’Évangile une aide consi­dé­rable, et la reli­gion chré­tienne lui dut un déve­lop­pe­ment impor­tant. C’est ain­si que l’Apôtre des Gentils nomme à ce sujet Apollos, Lydie, Aquila, Priscille, Philémon ; dans l’é­pître aux Philippiens, il écrit : « Et toi aus­si, mon fidèle com­pa­gnon, je te prie de venir en aide à celles qui ont com­bat­tu pour l’Évangile avec moi, avec Clément et mes autres col­la­bo­ra­teurs dont les noms sont dans le livre de vie » (Phil., IV, 3).

De même, cha­cun sait que la doc­trine chré­tienne a été répan­due le long des voies consu­laires non seule­ment par les Évêques et les prêtres, mais aus­si par les magis­trats, les sol­dats et les par­ti­cu­liers. De nom­breux mil­liers de fidèles, qui venaient de rece­voir la foi chré­tienne et dont les noms sont aujourd’­hui incon­nus, brû­lant du désir de pro­pa­ger la nou­velle reli­gion qu’ils avaient embras­sée, se sont effor­cés de pré­pa­rer la voie à la véri­té évan­gé­lique ; c’est pour­quoi en une cen­taine d’an­nées le nom chré­tien et la ver­tu chré­tienne étaient par­ve­nus à toutes les prin­ci­pales villes de l’Empire Romain.

Saint Justin, Minucius Félix, Aristide, le consul Acilius Glabrion, le patrice Flavius Clemens, saint Tarcisius, des saints et des saintes mar­tyrs, presque innom­brables, pour avoir, par leurs peines et leur sang répan­du, for­ti­fié et fécon­dé l’Église gran­dis­sante, peuvent être dits en quelque sorte les avant-​gardes et les pré­cur­seurs de l’Action catho­lique. Nous aimons ici rap­por­ter la phrase magni­fique de l’au­teur de la lettre à Diognète, qui semble aujourd’­hui encore un aver­tis­se­ment d’ac­tua­li­té : « Les chré­tiens… habitent des patries par­ti­cu­lières, mais comme des loca­taires ;… toute région étran­gère est pour eux une patrie, et toute patrie, une terre étran­gère » (Epist. ad Diognetum, V, 5 ; ed. Funk, I, 399).

Pendant les inva­sions bar­bares du Moyen Âge, nous voyons des hommes et des femmes du pre­mier rang, aus­si bien que d’humbles arti­sans et d’éner­giques femmes du peuple chré­tien s’ef­for­cer de tout leur pou­voir de conver­tir authen­ti­que­ment leurs conci­toyens à la reli­gion de Jésus-​Christ et d’y confor­mer leurs mœurs, comme aus­si bien de sau­ver la reli­gion et la cité en cas de dan­ger. Avec Notre immor­tel pré­dé­ces­seur Léon le Grand, qui s’op­po­sa for­te­ment à l’in­va­sion de l’Italie par Attila, se trou­vaient, nous dit la tra­di­tion, deux per­son­nages consu­laires. Lorsque les ter­ribles bandes des Huns assié­geaient Paris, la sainte vierge Geneviève, qui met­tait ses délices dans les prières inin­ter­rom­pues et les âpres péni­tences, veilla selon ses forces avec une admi­rable cha­ri­té sur les âmes et les corps de ses conci­toyens. Théodelinde, reine des Lombards, appelle ins­tam­ment son peuple à embras­ser la reli­gion chré­tienne. En Espagne, le roi Récarède s’ef­force de rame­ner de l’hé­ré­sie arienne à la vraie foi le peuple qui lui est confié. En Gaule, on trouve non seule­ment de saints évêques qui, ― comme Remi, évêque de Reims, Césaire, évêque d’Arles, Grégoire, évêque de Tours, Éloi, évêque de Noyon et plu­sieurs autres – brillèrent par leur ver­tu et leur ardeur apos­to­lique, mais on peut voir des reines qui, durant cette époque, enseignent aux igno­rants et aux humbles la véri­té chré­tienne, nour­rissent les malades, les affa­més et toute sorte de mal­heu­reux ; c’est ain­si, pour don­ner des exemples, que Clotilde attire si bien le cœur de Clovis à la reli­gion chré­tienne, qu’elle finit par l’a­me­ner à accep­ter volon­tiers le bap­tême ; Radegonde et Bathilde recueillent avec la plus grande cha­ri­té les malades, et soignent les lépreux. En Angleterre, la reine Berthe reçoit à son arri­vée saint Augustin, l’a­pôtre de cette nation, et, par ses efforts, per­suade son mari Ethelbert d’ac­cep­ter avec bien­veillance les pré­ceptes de l’Évangile. A peine les Anglo-​Saxons, nobles ou rotu­riers, hommes ou femmes, vieillards ou jeunes gens, ont-​ils embras­sé la foi, comme pous­sés par un ins­tinct de la grâce, ils lient aus­si­tôt avec le Siège Apostolique des liens très étroits de pié­té, de fidé­li­té, de respect.

De la même manière en Allemagne c’est un spec­tacle mer­veilleux de voir saint Boniface et ses com­pa­gnons par­cou­rir ces régions dans leurs voyages apos­to­liques et les arro­ser géné­reu­se­ment de leurs sueurs. Les fils et les filles de cette nation cou­ra­geuse et géné­reuse, dans un élan d’ar­deur, prê­tèrent leur aide et le secours de leur zèle aux moines, aux prêtres, aux Évêques, pour que la lumière de la véri­té évan­gé­lique brillât chaque jour davan­tage sur ces vastes régions, et pour que les pré­ceptes chré­tiens et la ver­tu chré­tienne pro­gressent de jour en jour et portent des fruits de salut.

Il n’y a donc aucune époque où l’Église catho­lique, non seule­ment par le tra­vail infa­ti­gable du cler­gé, mais aus­si avec l’aide deman­dée aux laïques, n’ait assu­ré de nou­veaux déve­lop­pe­ments à la reli­gion et n’ait éga­le­ment ame­né les peuples à une plus grande pros­pé­ri­té sociale. Tout le monde sait ce qu’ont fait à ce sujet en Allemagne une sainte Élisabeth, land­grave de Thuringe, un saint Ferdinand roi en Castille, un saint Louis IX en France : par leur sain­te­té et leur zèle ils ont éten­du leurs bien­faits à tous les rangs de la socié­té, soit en ins­ti­tuant des œuvres utiles, soit en pro­pa­geant de toutes leurs forces la vraie reli­gion, soit sur­tout en don­nant à tous l’exemple de leur vie. On n’i­gnore pas les mérites des fra­ter­ni­tés du Moyen Âge dans les­quelles étaient grou­pés arti­sans et ouvriers des deux sexes qui, tout en pour­sui­vant la vie sécu­lière, avaient néan­moins devant les yeux un idéal de per­fec­tion évan­gé­lique dont ils pour­sui­vaient per­son­nel­le­ment la recherche et vers lequel ils s’ef­for­çaient avec le cler­gé d’o­rien­ter les autres.

Or, les condi­tions dans les­quelles on se trou­vait aux pre­miers temps de l’Église se retrouvent aujourd’­hui dans la plu­part des régions où tra­vaillent les Missionnaires ; ou du moins les peuples dont ils ont le soin souffrent de besoins aux­quels il fut néces­saire de répondre à l’âge sui­vant. C’est pour­quoi il faut abso­lu­ment que des laïcs, se réunis­sant très nom­breux dans les rangs de l’Action catho­lique unissent là leur zèle géné­reux et actif à l’a­pos­to­lat hié­rar­chique du cler­gé. L’œuvre des caté­chistes est assu­ré­ment néces­saire, mais non moins néces­saire est l’ac­ti­vi­té atten­tive de ceux qui, sans rece­voir aucun hono­raire, mais uni­que­ment pous­sés par l’a­mour de Dieu, se mettent à la dis­po­si­tion des prêtres pour les aider dans leurs fonctions.

Nous dési­rons donc que par­tout, selon le nombre des catho­liques hommes et femmes, des asso­cia­tions se consti­tuent ; qu’il y en ait aus­si pour les jeunes gens qui pour­suivent leurs études, pour les ouvriers et les arti­sans, pour les spor­tifs, qu’il y ait éga­le­ment des congré­ga­tions et de pieuses asso­cia­tions qui puissent être dites les troupes auxi­liaires des Missionnaires. Pour consti­tuer et for­mer ces groupes que l’on s’at­tache tou­te­fois plus à l’hon­nê­te­té, à la ver­tu, au zèle des membres qu’à leur nombre.

Il faut remar­quer en outre que rien ne conci­lie plus effi­ca­ce­ment aux Missionnaires la confiance des pères et mères de famille que le soin que l’on prend de leurs enfants. Ceux-​ci en conver­tis­sant leur esprit à la véri­té chré­tienne et leurs mœurs à la ver­tu concour­ront non seule­ment au bien de leur propre famille, mais aus­si à la vigueur, à l’hon­neur et à l’illus­tra­tion de toute la com­mu­nau­té ; et il arri­ve­ra sou­vent que si la vie de la com­mu­nau­té chré­tienne était quelque peu affai­blie ils la rap­pel­le­ront heu­reu­se­ment à son ancienne vigueur.

Bien que, comme cha­cun sait, l’Action catho­lique soit prin­ci­pa­le­ment des­ti­née à pro­mou­voir les œuvres d’a­pos­to­lat, rien n’empêche cepen­dant que ceux qui en font par­tie, soient éga­le­ment membres d’as­so­cia­tions dont le but soit de confor­mer les ins­ti­tu­tions sociales et poli­tiques aux prin­cipes et aux règles chré­tiennes ; bien plus, le droit dont ils jouissent per­met, et le devoir qu’ils ont demande qu’ils y prennent part, non seule­ment comme citoyens, mais aus­si comme catholiques.

La jeu­nesse, sur­tout celle que l’on cultive par les lettres, les études supé­rieures et les arts libé­raux, diri­ge­ra demain les affaires de son pays. Tous recon­naissent l’im­por­tance des soins qu’il faut don­ner à l’é­du­ca­tion, aux écoles, aux col­lèges. Nous exhor­tons donc pater­nel­le­ment les Supérieurs de Missions à ne rien épar­gner de leurs peines ni de leurs res­sources pour déve­lop­per ces entreprises.

Les écoles, en effet, nouent d’op­por­tunes rela­tions entre les Missionnaires et les païens de toute classe. La jeu­nesse sur­tout, souple encore comme la cire, éprouve plus aisé­ment le désir de com­prendre, d’ap­pré­cier et d’embrasser la doc­trine catho­lique. Ces jeunes, plus ins­truits, seront demain les chefs de l’État ; les masses les sui­vront comme leurs guides et leurs maîtres. Ainsi, l’Apôtre des nations pré­sen­tait à l’é­lite la plus docte, la sagesse sublime de l’Évangile, quand devant l’Aréopage il annon­çait le Dieu incon­nu. Si après ces contacts quelques-​uns seule­ment se donnent au Christ, un plus grand nombre éprou­ve­ra un attrait secret pour la beau­té supé­rieure de cette reli­gion et la cha­ri­té de ceux qui la professent.

Ces écoles et col­lèges servent aus­si émi­nem­ment à réfu­ter les erreurs de tout genre que répandent de plus en plus les non catho­liques et les com­mu­nistes et qui atteignent ouver­te­ment ou en secret sur­tout les jeunes.

Il n’est pas moins utile de publier et de répandre des écrits de cir­cons­tance. Il n’y a pas lieu, croyons-​nous, de nous étendre là-​dessus ; on sait assez l’in­fluence des jour­naux, revues et tracts pour expo­ser la véri­té et le bien, pour en impré­gner les esprits, pour démas­quer l’er­reur, réfu­ter les men­songes qui attaquent la reli­gion ou déforment au détri­ment des âmes, les ques­tions sociales vio­lem­ment agi­tées. Nous louons donc vive­ment les Pasteurs sou­cieux de répandre par la presse le plus pos­sible des écrits de ce genre, solides et soi­gnés. On a déjà beau­coup entre­pris en ce domaine, mais il reste encore beau­coup à faire.

Il Nous plaît de recom­man­der ici vive­ment les œuvres et les éta­blis­se­ments qui s’emploient auprès des malades, des infirmes, des éprou­vés de tous genres : hôpi­taux, lépro­se­ries, dis­pen­saires, hos­pices pour vieillards, mater­ni­tés, orphe­li­nats, refuges pour néces­si­teux. Ces œuvres qui Nous paraissent pour ain­si dire les fleurs les plus belles du jar­din où se dépensent les ouvriers de l’Évangile, font revivre sous nos yeux, en quelque sorte, le Divin Rédempteur en per­sonne « qui pas­sa en fai­sant le bien et gué­ris­sant les malades » (Act., X, 38).

Ces pro­diges de cha­ri­té pré­parent sou­ve­rai­ne­ment les âmes et les attirent à la foi et à la pra­tique chré­tiennes. Jésus-​Christ lui-​même en a fait aux Apôtres la recom­man­da­tion : « En quelque ville que vous entriez et qu’on vous reçoive… gué­ris­sez les malades qui s’y trou­ve­ront et dites-​leur : Le Royaume de Dieu est proche de vous » (Luc., X, 8–9).

Il faut enfin que les reli­gieux et les reli­gieuses qui sentent l’ap­pel de ces voca­tions fruc­tueuses se donnent, avant de quit­ter leur patrie, la culture intel­lec­tuelle et morale que requièrent aujourd’­hui ces ser­vices. Il ne manque pas de reli­gieuses, Nous le savons, qui munies de diplômes offi­ciels, ont pour­sui­vi l’é­tude de mala­dies affreuses comme la lèpre et ont trou­vé des remèdes adap­tés ; on leur doit des louanges méri­tées. Nous les bénis­sons pater­nel­le­ment ain­si que tous les Missionnaires qui se dépensent dans les lépro­se­ries et nous adres­sons à leur cha­ri­té sublime, l’hom­mage de Notre admiration.

Pour ce qui est de la méde­cine et de la chi­rur­gie, il sera à pro­pos évi­dem­ment d’ap­pe­ler à l’aide des laïcs, diplô­més, prêts à quit­ter volon­tiers leur patrie pour aider les mis­sion­naires, mais aus­si hommes de saine doc­trine et de vertu.

Nous en venons main­te­nant à un sujet qui n’a pas moins d’im­por­tance et de gra­vi­té ; Nous vou­lons dire un mot de la ques­tion sociale et de sa solu­tion dans la jus­tice et la cha­ri­té. Pendant que les pro­pos com­mu­nistes se répandent aujourd’­hui par­tout et faci­le­ment trompent les simples et les humbles, Nous croyons entendre reten­tir à Nos oreilles la parole de Jésus-​Christ : « J’ai pitié de la foule » (Marc., VIII, 2). Il faut abso­lu­ment faire pas­ser dans la pra­tique avec zèle, ardeur, éner­gie, les vrais prin­cipes qu’en­seigne l’Église en matière sociale. Il faut abso­lu­ment gar­der tous les peuples de ces erreurs per­ni­cieuses ou bien, s’ils en ont été infec­tés, il faut les gué­rir de ces doc­trines vio­lentes qui pré­sentent la jouis­sance des biens de ce monde comme l’u­nique but de l’homme en cette vie, qui attri­buent à la sou­ve­rai­ne­té de l’État et à sa déci­sion la pro­prié­té et la ges­tion de tous les biens, rédui­sant ain­si presque jus­qu’à l’a­néan­tir, la digni­té de la per­sonne humaine. Il faut abso­lu­ment ensei­gner à tous en public, en pri­vé, que nous sommes ici-​bas des exi­lés en route vers l’im­mor­telle patrie, appe­lés à l’é­ter­ni­té, au bon­heur éter­nel que nous devons atteindre un jour en sui­vant les dic­tées de la véri­té et de la ver­tu. Seul, le Christ est le gar­dien de l’hu­maine” jus­tice et le très doux conso­la­teur de la dou­leur, inévi­table ici-​bas ; Lui seul nous découvre le port de la paix, de la jus­tice et de l’é­ter­nelle joie auquel tous, rache­tés par son sang, au terme de notre voyage ter­restre, nous devons atteindre.

Mais c’est aus­si le devoir de tous, autant qu’il est pos­sible, d’a­dou­cir, d’al­lé­ger, de sou­la­ger les souf­frances, les misères, les angoisses qui affligent nos frères en cette vie.

La cha­ri­té peut en par­tie remé­dier à bien des injus­tices d’ordre social, mais c’est insuf­fi­sant ; il faut d’a­bord que la jus­tice s’af­firme, s’im­pose et soit mise en pratique.

Il nous plaît à ce pro­pos de citer ici les paroles que Nous adres­sions à Noël 1942 aux Éminentissimes Cardinaux et aux Évêques réunis : « L’Église a condam­né les divers sys­tèmes du socia­lisme mar­xiste et elle les condamne encore aujourd’­hui confor­mé­ment à son devoir et à son droit per­ma­nent de mettre les hommes à l’a­bri de cou­rants et d’in­fluences qui mettent en péril leur salut éter­nel. Mais l’Église ne peut pas igno­rer ou ne pas voir, que l’ou­vrier dans son effort pour amé­lio­rer sa situa­tion, se heurte à tout un sys­tème qui, loin d’être conforme à la nature, est en oppo­si­tion avec l’ordre de Dieu et avec la fin assi­gnée par Dieu aux biens ter­restres. Si fausses, si condam­nables, si dan­ge­reuses qu’aient été et que soient les voies sui­vies, qui pour­rait, et sur­tout quel prêtre, quel chré­tien pour­rait demeu­rer sourd au cri qui monte d’en bas et réclame dans le monde d’un Dieu juste, jus­tice et fra­ter­ni­té ? Le silence serait cou­pable, inex­cu­sable devant Dieu, contraire au bon sens éclai­ré de l’Apôtre qui, tout en prê­chant la fer­me­té contre l’er­reur, sait en même temps qu’il faut mon­trer beau­coup de déli­ca­tesse envers les éga­rés, aller à eux le cœur ouvert pour écou­ter leurs aspi­ra­tions, leurs espé­rances, leurs rai­sons… La digni­té de la per­sonne humaine sup­pose donc nor­ma­le­ment comme fon­de­ment natu­rel pour vivre, le droit à l’u­sage des biens de la terre ; à ce droit cor­res­pond l’o­bli­ga­tion fon­da­men­tale d’ac­cor­der une pro­prié­té pri­vée, autant que pos­sible à tous. Les normes juri­diques posi­tives, réglant la pro­prié­té pri­vée, peuvent chan­ger et en res­treindre plus ou moins l’u­sage ; mais si elles veulent contri­buer à la paci­fi­ca­tion de la com­mu­nau­té, elles devront empê­cher que l’ou­vrier, père ou futur père de famille, soit condam­né à une dépen­dance, à une ser­vi­tude éco­no­mique, incon­ci­liable avec les droits de sa personne.

Que cette ser­vi­tude dérive de la puis­sance du capi­tal pri­vé ou du pou­voir de l’État, l’ef­fet est le même. Bien plus, sous la pres­sion d’un État qui domine tout, qui règle toute la sphère de la vie publique et pri­vée, qui pénètre jusque dans le champ des idées et des convic­tions de la conscience, ce défaut de liber­té peut avoir des consé­quences plus graves encore, comme l’ex­pé­rience en four­nit la mani­fes­ta­tion et le témoi­gnage » (A. A. S., 1943, pp. 16–17).

Il vous revient, Vénérables Frères, qui vous dépen­sez de toute façon dans les Missions, de don­ner tous vos soins à ce que ces prin­cipes et ces normes passent dans la pra­tique. Examinez les condi­tions par­ti­cu­lières du pays, consultez-​vous en vos réunions d’Évêques, en vos synodes et autres assem­blées, et fon­dez selon vos res­sources les grou­pe­ments sociaux et éco­no­miques, les asso­cia­tions et ins­ti­tuts que les cir­cons­tances et le carac­tère de vos popu­la­tions demandent.

C’est sûre­ment un devoir de votre charge pas­to­rale de veiller à ce que le trou­peau qui vous est confié n’aille pas s’é­ga­rer hors du vrai che­min, vic­time de ces nou­velles erreurs qui se couvrent des appa­rences de la véri­té et de la jus­tice, vic­time aus­si d’en­traî­ne­ments néfastes. Que les apôtres de l’Évangile qui vous secondent avec zèle, se dis­tinguent entre tous en ce point ; ils seront sûrs alors de ne point entendre un jour cette parole : « Les fils de ce siècle sont plus pru­dents que les fils de la lumière » (Luc., XVI, 8). Il sera tou­te­fois oppor­tun qu’ils s’ad­joignent, chaque fois que ce sera pos­sible, des laïques com­pé­tents, recon­nus pour leur droi­ture et leur pru­dence, qui prennent en mains ces entre­prises et les développent.

Le vaste domaine de l’a­pos­to­lat mis­sion­naire n’é­tait pas jadis déli­mi­té par les fron­tières ecclé­sias­tiques pré­cises, ni confié à des Ordres ou Congrégations reli­gieuses en col­la­bo­ra­tion avec un cler­gé indi­gène en pro­grès, ce qui est deve­nu géné­ra­le­ment, on le sait, la situa­tion actuelle. Il est aus­si arri­vé par­fois qu’on a confié cer­taines régions aux reli­gieux d’une pro­vince par­ti­cu­lière d’un même Institut. Nous recon­nais­sons les avan­tages de ce régime, l’or­ga­ni­sa­tion des mis­sions en devient plus rapide et plus facile. Cela tou­te­fois peut sus­ci­ter de sérieux incon­vé­nients aux­quels il est à pro­pos de remé­dier autant que pos­sible. Nos pré­dé­ces­seurs déjà ont trai­té un sujet ana­logue en leurs lettres que Nous avons rap­pe­lées (cf. A. A. S., 1919, p. 444, et A. A. S., 1926, pp. 81–82), et ils ont don­né sur la matière des normes très sages qu’il Nous plaît de renou­ve­ler ici et de confir­mer. Connaissant votre zèle pour la reli­gion et le salut des âmes, Nous vous exhor­tons à les accueillir avec un esprit filial et une prompte obéissance.

Il arrive en effet que ces ter­ri­toires, très vastes d’or­di­naire, que le Saint Siège a confiés à votre zèle pour que vous les gagniez au Christ Notre-​Seigneur, vos Instituts ne peuvent leur don­ner qu’un nombre de mis­sion­naires bien infé­rieur à la néces­si­té, N’hésitez donc pas à imi­ter la pra­tique des dio­cèses consti­tués : des reli­gieux clercs ou laïcs de divers Instituts, des reli­gieuses de Congrégations dif­fé­rentes entourent l’Évêque et lui donnent leur concours. De même pour la pro­pa­ga­tion de la foi, l’ins­truc­tion de la jeu­nesse indi­gène et d’autres œuvres du même genre, n’hé­si­tez pas à appe­ler à par­ta­ger vos tra­vaux des reli­gieux ou des Missionnaires qui ne seraient pas de votre Institut, qu’ils soient reli­gieux, clercs ou laïcs. Les Ordres et les Congrégations reli­gieuses peuvent se glo­ri­fier de la mis­sion qu’ils ont reçue auprès des païens comme des conquêtes qu’ils ont ajou­tées au Royaume du Christ ; mais qu’ils se rap­pellent aus­si qu’ils n’ont point reçu les ter­ri­toires de mis­sion en droit per­son­nel et per­pé­tuel ; ces ter­ri­toires leur sont confiés selon le gré du Siège Apostolique, à qui demeurent le droit et la charge de veiller à leur juste et plein déve­lop­pe­ment. Le Pontife Romain en consé­quence ne s’ac­quit­te­rait pas de sa charge s’il se conten­tait de répar­tir entre les Instituts des ter­ri­toires plus ou moins éten­dus ; il doit encore, ce qui importe davan­tage, veiller sans cesse de toute façon à ce que ces Instituts mis­sion­naires envoient en nombre et sur­tout en qua­li­té, les Missionnaires qu’il faut aux régions qui leur sont confiées pour répandre en tout le pays la lumière de la véri­té chré­tienne et y tra­vailler effi­ca­ce­ment (A. A. S., 1926, pp. 81–82).

Il Nous reste à tou­cher un point que Nous sou­hai­tons vive­ment voir par­fai­te­ment sai­si de tous. L’Église depuis son ori­gine jus­qu’à nos jours, a tou­jours sui­vi la norme très sage selon laquelle l’Évangile ne détruit et n’é­teint chez les peuples qui l’embrassent, rien de ce qui est bon, hon­nête et beau en leur carac­tère et leur génie. En effet lorsque l’Église convie les peuples à s’é­le­ver sous la conduite de la reli­gion chré­tienne à une forme supé­rieure d’hu­ma­ni­té et de culture, elle ne se conduit pas comme celui qui, sans rien res­pec­ter, abat une forêt luxu­riante, la sac­cage et la ruine, mais elle imite plu­tôt le jar­di­nier qui greffe une tige de qua­li­té sur des sau­va­geons pour leur faire pro­duire un jour des fruits plus savou­reux et plus doux.

La nature humaine garde en elle, mal­gré la tache héri­tée de la triste chute d’Adam, un fonds natu­rel­le­ment chré­tien (cf. Tertull., Apologet., cap. XVII ; ML, I, 377 A) qui, éclai­ré par la lumière divine et nour­ri de la grâce, peut s’é­le­ver à la ver­tu authen­tique et à la vie sur­na­tu­relle. Pour ce motif, l’Église n’a jamais trai­té avec mépris et dédain les doc­trines des païens ; elle les a plu­tôt libé­rées de toute erreur et impu­re­té, puis ache­vées et cou­ron­nées par la sagesse chré­tienne. De même, leurs arts et leur culture, qui s’é­taient éle­vés par­fois à une très grande hau­teur, elle les a accueillis avec bien­veillance, culti­vés avec soin et por­tés à un point de beau­té qu’ils n’a­vaient peut-​être jamais atteint encore. Elle n’a pas non plus condam­né abso­lu­ment, mais sanc­ti­fié en quelque sorte, les mœurs par­ti­cu­lières des peuples et leurs ins­ti­tu­tions tra­di­tion­nelles. Tout en modi­fiant l’es­prit et la forme, elle a fait ser­vir leurs fêtes à rap­pe­ler les mar­tyrs et à glo­ri­fier les saints mys­tères. A ce pro­pos, saint Basile écrit excel­lem­ment : « A la façon des tein­tu­riers qui pré­parent soi­gneu­se­ment leur étoffe, puis la plongent dans la pourpre ou dans une autre cou­leur, si nous vou­lons que l’é­clat du bien demeure en nous à jamais indé­lé­bile, nous nous for­me­rons d’a­bord par des études pro­fanes avant d’é­tu­dier à fond les sciences sacrées et révé­lées. Habitués à regar­der le soleil sur les eaux, nous pour­rons lever les yeux sur la Lumière elle-​même… La vie de l’arbre est de se char­ger de fruits à son heure et pour­tant les feuilles qui fré­missent autour des rameaux ajoutent à leur beau­té. Ainsi l’âme trouve son fruit par excel­lence dans la Vérité même à laquelle tou­te­fois la sagesse humaine, sans déplaire, sert comme de man­teau, comme un feuillage qui entoure les fruits d’ombre et de beau­té… C’est la voie par laquelle, dit-​on, l’in­com­pa­rable Moïse, dont la sagesse est répu­tée par­tout, s’é­tant d’a­bord for­mé chez les maîtres d’Égypte, s’é­le­va à la contem­pla­tion de Celui qui est. On rap­porte éga­le­ment que plus tard, le sage Daniel abor­da les doc­trines sacrées une fois ins­truit dans la sagesse des Chaldéens de Babylone » (S. Basil., Ad ado­les­centes, 2 ; MG, XXXI, 567 A).

Nous écri­vions Nous-​même en Notre pre­mière Encyclique Summi Pontificatus ces paroles : « D’innombrables recherches et inves­ti­ga­tions de pion­niers, accom­plies en esprit de sacri­fice, de dévoue­ment et d’a­mour par les Missionnaires de tous les temps, se sont pro­po­sé de faci­li­ter l’in­time com­pré­hen­sion et le res­pect des civi­li­sa­tions les plus variées et d’en rendre les valeurs spi­ri­tuelles fécondes pour une vivante et vivi­fiante pré­di­ca­tion de l’Évangile du Christ. Tout ce qui, dans ces usages et cou­tumes, n’est pas indis­so­lu­ble­ment lié à des erreurs reli­gieuses sera tou­jours exa­mi­né avec bien­veillance, et quand ce sera pos­sible, pro­té­gé et encou­ra­gé » (A. A. S., 1939, p. 429).

En 1944, en Notre dis­cours aux Directeurs des Œuvres Pontificales Missionnaires, Nous disions entre autres ces paroles : « L’apôtre est le mes­sa­ger de l’Évangile et le héraut de Jésus-​Christ. Le rôle qu’il rem­plit ne demande pas qu’il trans­porte dans les loin­taines Missions, comme on y trans­plan­te­rait un arbre, les formes de culture des peuples d’Europe, mais ces nations nou­velles, fières par­fois d’une culture très ancienne, doivent être ins­truites et réfor­mées de telle sorte plu­tôt qu’elles deviennent aptes à rece­voir, d’un cœur avide et empres­sé, les règles et les pra­tiques de la vie chré­tienne. Ces règles peuvent s’ac­cor­der avec toute culture pro­fane, pour­vu qu’elle soit saine et pure et la rendre plus capable de pro­té­ger la digni­té humaine et d’at­teindre le bon­heur. Les catho­liques d’un pays sont d’a­bord citoyens de la grande famille de Dieu et de son Royaume (cf. Ephes., II, 19), mais ils ne cessent pas pour cela d’être citoyens aus­si de leur patrie ter­restre » (A. A. S., 1944, p. 210).

Pie XI, Notre pré­dé­ces­seur, lors de l’Année Jubilaire 1925, fit pré­pa­rer une très vaste expo­si­tion mis­sion­naire dont il mar­qua en ces termes l’heu­reux résul­tat : « C’est presque un miracle que ce nou­veau témoi­gnage grâce auquel Nous tou­chons la vivante struc­ture de l’Église de Dieu, une à tra­vers toutes les nations. A vrai dire, l’Exposition a sur­gi et demeure tel un livre immense et sai­sis­sant » (Allocution du 10 jan­vier 1926).

Suivant cet exemple, afin de mettre à la por­tée du plus grand nombre pos­sible les mérites sin­gu­liers des Missions sur­tout dans le domaine de la haute culture, Nous avons au cours de la der­nière Année Sainte, fait recueillir une riche docu­men­ta­tion et l’a­vons fait expo­ser tout près du Vatican, comme la pré­sen­ta­tion en pleine lumière du déve­lop­pe­ment chré­tien des Beaux Arts sus­ci­té par les Missions chez les peuples culti­vés et chez d’autres moins déve­lop­pés. On a ain­si consta­té la part très grande qu’ont eue les tra­vaux des Missionnaires dans le déve­lop­pe­ment des arts et dans les études des Académies sur la matière. On y a vu aus­si que l’Église ne s’op­pose au génie d’au­cun peuple, mais plu­tôt le porte à sa plus haute perfection.

Nous attri­buons à la bon­té de Dieu le fait que tous aient accueilli avec par­ti­cu­lier inté­rêt un évé­ne­ment sem­blable qui atteste publi­que­ment la vita­li­té et la vigueur accrues des Missions. Grâce en effet au zèle des Missionnaires, l’Évangile a péné­tré les âmes de peuples fort éloi­gnés et fort divers au point de sus­ci­ter chez eux de belles mani­fes­ta­tions d’un renou­veau artis­tique. Ce qui montre une fois de plus que la foi chré­tienne, assi­mi­lée et vécue, peut seule éle­ver l’es­prit de l’homme jus­qu’à pro­duire ces œuvres exquises qui demeurent la gloire impé­ris­sable de l’Église catho­lique et l’or­ne­ment le plus beau du culte divin.

Vous vous rap­pe­lez fort bien la vive recom­man­da­tion faite par l’Encyclique Rerum Ecclesiae à l’Union Missionnaire du Clergé dont le but est d’u­nir les clercs de l’un et l’autre cler­gé et leurs grands sémi­na­ristes, dans un effort com­mun de pro­pa­gande en faveur des Missions. Nous avons sui­vi ses pro­grès avec grand plai­sir, comme Nous l’in­di­quions plus haut. Nous dési­rons vive­ment qu’elle croisse sans cesse et sti­mule le zèle des prêtres et des fidèles qui leur sont confiés à aider les œuvres mis­sion­naires. Cette asso­cia­tion est comme la source d’où dérivent les eaux nour­ri­cières aux autres œuvres Pontificales de la Propagation de la Foi, de Saint-​Pierre Apôtre pour le Clergé indi­gène, de la Sainte-​Enfance. Il n’y a pas lieu de Nous attar­der à rap­pe­ler l’im­por­tance, la néces­si­té et les mérites écla­tants de ces œuvres que Nos Prédécesseurs ont enri­chies d’in­dul­gences. Il Nous plaît assu­ré­ment que l’on recueille les aumônes des fidèles, sur­tout le « jour des Missions », mais le pre­mier de nos vœux est que tous prient le Dieu Tout-​puissant, de sus­ci­ter de nom­breuses voca­tions mis­sion­naires, qu’ils s’ins­crivent eux-​mêmes aux Œuvres Pontificales que Nous avons dites et qu’ils s’ef­forcent de les pro­mou­voir. Vous n’i­gno­rez pas, Vénérables Frères, que Nous avons ins­ti­tué récem­ment une fête des­ti­née aux enfants, afin de pro­mou­voir, par la prière et l’au­mône, l’Œuvre de la Sainte-​Enfance. Puissent nos chers petits enfants s’ha­bi­tuer ain­si à prier avec ins­tance pour le salut des infi­dèles et puissent dans leurs âmes encore inno­centes ger­mer et mûrir les voca­tions missionnaires.

Il Nous plaît de louer aus­si l’Œuvre éta­blie pour four­nir aux Missions les orne­ments sacer­do­taux ; d’ex­pri­mer Notre pater­nelle bien­veillance à ces groupes de femmes qui concourent uti­le­ment, à la confec­tion de vête­ments litur­giques ou de linge d’autel.

Enfin, Nous vou­lons adres­ser à tous Nos chers Ministres de l’Église, cette parole d’en­cou­ra­ge­ment : le zèle du peuple chré­tien pour le salut des infi­dèles ravive sa foi et lui fait pro­duire des fruits excel­lents ; quand la fer­veur pour les Missions s’ac­croît, la pié­té éga­le­ment s’accroît.

Enfin, Nous ne vou­lons point ter­mi­ner cette Lettre sans dire au Clergé et à tous les fidèles, Notre affec­tueuse gra­ti­tude. Nous avons consta­té en effet encore cette année, une aug­men­ta­tion des aumônes de Nos fils pour les Missions. Il est bien sûr que votre cha­ri­té ne peut mieux s’employer qu’à étendre ain­si le Règne du Christ et à por­ter le salut aux âmes pri­vées de la foi, puisque « le Seigneur lui-​même a confié à cha­cun le salut de son pro­chain » (Eccli., XVII, 12).

En consé­quence, il Nous plaît de reprendre avec plus d’ins­tance et dans une sol­li­ci­tude nou­velle, le mot d’ordre que Nous écri­vions en Notre Lettre, le 9 août 1950, à Notre Cher Fils, le Cardinal FUMASONI-​BIONDI, Préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande : « Que tous les fidèles per­sé­vèrent en leur volon­té d’ai­der les Missions, qu’ils mul­ti­plient pour elles leurs indus­tries, qu’ils adressent à Dieu d’in­ces­santes prières, qu’ils aident les Missionnaires et leur four­nissent les secours nécessaires.

L’Église, en effet, est le Corps Mystique du Christ dans lequel « tous les membres souffrent quand un membre souffre » (I Cor., XII, 26). Puis donc qu’un grand nombre de ses membres aujourd’­hui sont déchi­rés et tor­tu­rés, c’est le devoir de tous les fidèles du Christ de s’u­nir à eux de cœur et de fait. La fureur guer­rière a sac­ca­gé et détruit en cer­taines Missions un grand nombre d’é­glises, de rési­dences, d’é­coles et d’hô­pi­taux. Le monde catho­lique tout entier vou­dra géné­reu­se­ment dans son ardente cha­ri­té pour les Missions don­ner le néces­saire pour rele­ver tous ces édi­fices » (A. A. S., 1950, pp. 727–728).

Vous savez par­fai­te­ment, Vénérables Frères, que l’hu­ma­ni­té actuelle est empor­tée comme en deux camps oppo­sés, pour ou contre le Christ. Elle court les plus grands dan­gers ; il en résul­te­ra le salut du Christ ou d’é­pou­van­tables ruines. Le zèle indus­trieux et débor­dant des Missionnaires s’ef­force d’é­tendre le Règne du Christ, mais d’autres hérauts qui ramènent tout à la matière et rejettent tout espoir d’un bon­heur éter­nel, veulent réduire les hommes à l’é­tat le plus affreux.

L’Église catho­lique a donc bien rai­son, mère aimante de tous les hommes, d’ap­pe­ler tous ses fils, où qu’ils se trouvent, à aider les semeurs intré­pides de l’Évangile par leurs aumônes, leurs prières, l’aide aux futurs Missionnaires. Elle les presse mater­nel­le­ment de mani­fes­ter des entrailles de misé­ri­corde (cf. Coloss., III, 12) et de par­ta­ger le tra­vail apos­to­lique, sinon de fait du moins de cœur ; enfin de ne pas lais­ser sans réponse l’ap­pel du Cœur très doux de Jésus « venu cher­cher et sau­ver ce qui était per­du » (Luc., XIX, 10). Si les fidèles contri­buent à por­ter la douce lumière de la foi, fût-​ce dans un seul foyer, ils auront fait sur­gir une source de grâces qui se déve­lop­pe­ra sans fin ; s’ils ont aidé à for­mer un prêtre, il leur revien­dra le grand mérite de toutes ses messes, de tous ses fruits d’a­pos­to­lat et de sa sain­te­té. Tous les fidèles ne forment en effet qu’une seule grande famille ayant tous en par­tage les mérites de l’Église mili­tante, souf­frante et triom­phante. Rien ne paraît mieux indi­qué que le dogme de la Communion des Saints pour gra­ver dans l’es­prit et le cœur des fidèles l’u­ti­li­té et l’im­por­tance des Missions.

Vous ayant expri­mé Nos vœux pater­nels et don­né ces normes appro­priées, Nous avons confiance que ce 25e anni­ver­saire de l’Encyclique Rerum Ecclesiae sera pour tous les catho­liques le point de départ de nou­veaux efforts en faveur des Missions.

En cette douce espé­rance, à cha­cun de vous, Vénérables Frères, au Clergé et à tout le peuple fidèle, à ceux nom­mé­ment qui sou­tiennent au pays cette sainte cause par leurs prières et leurs aumônes, comme à ceux qui se dépensent au loin dans les Missions, Nous accor­dons du fond du cœur comme gage des béné­dic­tions célestes et de Notre pater­nelle bien­veillance, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 2 juin 1951, en la fête de saint Eugène Ier , en la trei­zième année de Notre Pontificat.

PIE XII, PAPE.