Pie VII

251ᵉ Pape ; de 1800 à 1823

29 avril 1814

Lettre apostolique à Monseigneur de Boulogne, évêque de Troyes Post tam diuturnas

Sur le projet de Charte française d'avril 1814

Table des matières

Dans sa Lettre Apostolique du 29 avril 1814, le Pape Pie VII déplore qu’a­près la chute de Napoléon et de la Révolution, l’ont n’ait plus le cou­rage de faire régner Jésus-​Christ en France.

Le contexte

En avril 1814, Napoléon est ren­ver­sé et le roi Louis XVIII accède au pou­voir. C’est la Restauration, le retour de la monar­chie fran­çaise avec les des­cen­dants de la Maison de Bourbon à laquelle appar­te­nait Louis XVI, le roi guillo­ti­né par la Révolution en 1793. Une Charte Constitutionnelle est éla­bo­rée, mais le pro­jet en cours fait injure à Notre-​Seigneur et à son Eglise en les pas­sant sous silence, relé­guant ain­si la seule vraie reli­gion à éga­li­té avec les fausses. Le Pape Pie VII prend sa plume et, par l’in­ter­mé­diaire de Mgr de Boulogne, évêque de Troyes, fait savoir ce qu’il en pense au nou­veau roi tout en l’ex­hor­tant à oppo­ser cou­ra­geu­se­ment son veto aux menées libérales.

Suite à cette Lettre Apostolique de Pie VII, la Charte finale pro­mul­guée par Louis XVIII le 4 juin 1814 cite certes la reli­gion catho­lique comme reli­gion de l’Etat mais demeure impré­gnée des erreurs dénoncées :

  • Article 5 – Chacun pro­fesse sa reli­gion avec une égale liber­té, et obtient pour son culte la même protection. 
  • Article 6 – Cependant la reli­gion catho­lique, apos­to­lique et romaine est la reli­gion de l’État. 
  • Article 7 – Les ministres de la reli­gion catho­lique, apos­to­lique et romaine, et ceux des autres cultes chré­tiens[1], reçoivent seuls des trai­te­ments du Trésor royal. 
  • Article 8 – Les Français ont le droit de publier et de faire impri­mer leurs opi­nions, en se confor­mant aux lois qui doivent répri­mer les abus de cette liberté.

La Restauration venait ain­si de perdre une des der­nières occa­sion de débar­ras­ser la France des prin­cipes libé­raux de la Révolution dont, avec l’Eglise, elle a tant à souf­frir aujourd’hui.

Pie VII, l’auteur de la Lettre Apostolique

Le pape Pie VII naquit en 1742 et mou­rut en 1823. Moine béné­dic­tin, il fut le 251e pape de l’Histoire de l’Eglise. Ami et confes­seur de son pré­dé­ces­seur le pape Pie VI, on le vit d’a­bord nom­mé évêque de Tivoli puis car­di­nal arche­vêque d’Imola. Après la mort de Pie VI à Valence en 1799, condam­né à la dépor­ta­tion sous le Directoire par la République fran­çaise, Pie VII fut élu Pape à Venise le 14 mars 1800. Il tra­vaille­ra à défendre et à res­tau­rer l’Eglise face aux coups suc­ces­sifs de la Révolution et de l’Empire. Il sera enle­vé et déte­nu pen­dant près de cinq ans (1809–1814) par Napoléon. La Lettre Apostolique est écrite dès son retour de cap­ti­vi­té depuis Fontainebleau vers Rome.

Mgr de Boulogne, évêque de Troyes

Le des­ti­na­taire de la Lettre Pastorale de Pie VII est Etienne-​Antoine de Boulogne (1747–1825). Prêtre réfrac­taire pen­dant la Révolution, il a échap­pé au mas­sacre des Carmes où il était empri­son­né. Il est fait évêque de Troyes sous Napoléon en 1808. Mais, un « concile natio­nal » est convo­qué par Napoléon le 26 avril 1811. Celui-​ci ne s’o­riente pas vers la recon­nais­sance des actes de Napoléon contre Pie VII. Le 12 juillet 1811 est exé­cu­tée l’ar­res­ta­tion des trois évêques les plus oppo­sés à l’Empereur : Mgr de Boulogne, évêque de Troyes, Mgr de Broglie, évêque de Gand, Mgr Hirn, évêque de Tournai. Mgr de Boulogne perd alors son siège de Troyes. Il y sera réta­bli par le roi Louis XVIII dès son retour aux Tuileries en 1814.

VÉNÉRABLE FRÈRE,

Salut et béné­dic­tion apostolique.

Après les longues et furieuses tem­pêtes, qui ont si étran­ge­ment agi­té le vais­seau de saint Pierre, et qui étaient, semble-​t-​il, sur le point de nous ren­ver­ser et de nous englou­tir nous-​même, qui tenons, quoique indigne, le gou­ver­nail, la vio­lence des vents com­mence enfin à s’a­pai­ser, et nous pou­vons espé­rer le retour de la tran­quilli­té, depuis si long­temps l’ob­jet de nos vœux et de nos prières, aus­si bien que de celles de tous les gens de bien.

Après avoir ain­si recou­vré notre ancienne liber­té au moment où nous nous y atten­dions le moins, nous nous réjouis­sions d’a­voir été ren­dus à nous-​même, ou plu­tôt à l’Eglise, et nous ren­dions au Père des misé­ri­cordes nos humbles actions de grâce pour un si grand bien­fait, lors­qu’un nou­veau sujet de grande conso­la­tion est venu accroître notre joie : nous avons appris que le roi dési­gné pour gou­ver­ner la nation fran­çaise était un des­cen­dant de cette glo­rieuse race qui a pro­duit autre­fois saint Louis, et qui s’est illus­trée par tant de mémo­rables ser­vices ren­dus à l’Eglise et à ce Siège Apostolique. A cette nou­velle, notre conten­te­ment a été si grand, que, sans la connaître encore que par la voie de la publi­ci­té, et déro­geant à cet égard à l’u­sage éta­bli, nous avons réso­lu d’en­voyer un nonce extra­or­di­naire en France, pour féli­ci­ter ce prince, en notre nom et dans les termes les plus expres­sifs, de la puis­sance royale qui lui est rendue.

La reli­gion catho­lique est entiè­re­ment pas­sée sous silence et il n’y est pas même fait men­tion du Dieu tout-​puissant par qui règnent les rois.

Mais cette joie a été bien­tôt trou­blée ; elle a fait place à une grande dou­leur, quand nous avons vu la nou­velle consti­tu­tion du royaume, décré­té par le sénat de Paris et publiée dans les jour­naux. Nous avions espé­ré qu’à la faveur de l’heu­reuse révo­lu­tion qui venait de s’ac­com­plir, non seule­ment la reli­gion catho­lique serait déli­vrée sans aucun retard de toutes les entraves qu’on lui avait impo­sées en France, mal­gré nos constantes récla­ma­tions, mais qu’on pro­fi­te­rait de cir­cons­tances si favo­rables pour la réta­blir dans tout son lustre et pour­voir à sa digni­té. Or, nous avons remar­qué en pre­mier lieu que, dans la consti­tu­tion men­tion­née, la reli­gion catho­lique est entiè­re­ment pas­sée sous silence, et qu’il n’y est pas même fait men­tion du Dieu tout-​puissant par qui règnent les rois, par qui les princes commandent.

Vous com­pren­drez faci­le­ment, véné­rable Frère, ce qu’une telle omis­sion a dû nous faire éprou­ver de peine, de cha­grin, d’a­mer­tume, à nous que Jésus-​Christ, le Fils de Dieu, Notre-​Seigneur, a char­gé du suprême gou­ver­ne­ment de la socié­té chré­tienne. Et com­ment ne serions nous pas déso­lé ? Cette reli­gion catho­lique éta­blie en France dès les pre­miers siècles de l’Eglise, scel­lée dans ce royaume même par le sang de tant de glo­rieux mar­tyrs, pro­fes­sée par la très grande par­tie du peuple fran­çais, à laquelle ce même peuple a gar­dé avec cou­rage et constance un invin­cible atta­che­ment à tra­vers les cala­mi­tés, les per­sé­cu­tions et les périls des der­nières années, cette reli­gion enfin que la race à laquelle appar­tient le roi dési­gné pro­fesse elle-​même, et qu’elle a tou­jours défen­due avec tant de zèle, non seule­ment elle n’est pas décla­rée la seule ayant droit dans toute la France à l’ap­pui des lois et de l’au­to­ri­té du gou­ver­ne­ment, mais elle est entiè­re­ment omise dans l’acte même du réta­blis­se­ment de la monarchie !

Par cela même qu’on éta­blit la liber­té de tous les cultes sans dis­tinc­tion, on confond la véri­té avec l’er­reur, et l’on met au rang des sectes héré­tiques et même de la per­fi­die judaïque, l’Epouse sainte et imma­cu­lée du Christ, l’Eglise hors de laquelle il ne peut y avoir de salut.

Un nou­veau sujet de peine, dont notre cœur est encore plus vive­ment affli­gé, et qui, nous l’a­vouons, nous cause un tour­ment, un acca­ble­ment et une angoisse extrêmes, c’est le 22e article de la consti­tu­tion. Non seule­ment on y per­met la liber­té des cultes et de conscience, pour nous ser­vir des termes mêmes de l’ar­ticle, mais on pro­met appui et pro­tec­tion à cette liber­té, et en outre aux ministres de ce qu’on nomme les cultes. Il n’est certes pas besoin de longs dis­cours, nous adres­sant à un évêque tel que vous, pour vous faire recon­naître clai­re­ment de quelle mor­telle bles­sure la reli­gion catho­lique en France se trouve frap­pée par cet article. Par cela même qu’on éta­blit la liber­té de tous les cultes sans dis­tinc­tion, on confond la véri­té avec l’er­reur, et l’on met au rang des sectes héré­tiques et même de la per­fi­die judaïque, l’Epouse sainte et imma­cu­lée du Christ, l’Eglise hors de laquelle il ne peut y avoir de salut. En outre, en pro­met­tant faveur et appui aux sectes des héré­tiques et à leurs ministres, on tolère et on favo­rise non seule­ment leurs per­sonnes, mais encore leurs erreurs. C’est impli­ci­te­ment la désas­treuse et à jamais déplo­rable héré­sie que saint Augustin men­tionne en ces termes : « Elle affirme que tous les héré­tiques sont dans la bonne voie et disent vrai, absur­di­té si mons­trueuse que je ne puis croire qu’une secte la pro­fesse réellement. »

Notre éton­ne­ment et notre dou­leur n’ont pas été moindres quand nous avons lu le 23e article de la consti­tu­tion, qui main­tient et per­met la liber­té de la presse, liber­té qui menace la foi et les mœurs des plus grands périls et d’une ruine cer­taine. Si quel­qu’un pou­vait en dou­ter, l’ex­pé­rience des temps pas­sés suf­fi­rait seule pour le lui apprendre. C’est un fait plei­ne­ment consta­té : cette liber­té de la presse a été l’ins­tru­ment prin­ci­pal qui a pre­miè­re­ment dépra­vé les mœurs des peuples, puis cor­rom­pu et ren­ver­sé leur foi, enfin sou­le­vé les sédi­tions, les troubles, les révoltes. Ces mal­heu­reux résul­tats seraient encore actuel­le­ment à craindre, vu la méchan­ce­té si grande des hommes, si, ce qu’à Dieu ne plaise, on accor­dait à cha­cun la liber­té d’im­pri­mer tout ce qu’il lui plairait.

Cette liber­té de la presse a été l’ins­tru­ment prin­ci­pal qui a pre­miè­re­ment dépra­vé les mœurs des peuples, puis cor­rom­pu et ren­ver­sé leur foi.

D’autres points de la nou­velle consti­tu­tion du royaume ont été aus­si pour nous un sujet d’af­flic­tion ; en par­ti­cu­lier les articles 6e, 24e et 25e. Nous ne vous expo­se­rons pas en détail nos rai­sons à cet égard. Votre fra­ter­ni­té, nous n’en dou­tons pas, dis­cer­ne­ra faci­le­ment la ten­dance de ces articles.

Dans une si grande et si juste afflic­tion de notre âme, une espé­rance nous console, c’est que le roi dési­gné ne sous­cri­ra pas les articles men­tion­nés de la nou­velle consti­tu­tion. La pié­té héré­di­taire de ses ancêtres et le zèle pour la reli­gion, dont nous ne dou­tons pas qu’il ne soit ani­mé, nous en donnent la plus entière confiance.

Mais comme nous ne sau­rions, sans tra­hir notre minis­tère, gar­der le silence dans un si grand péril de la foi et des âmes, nous avons vou­lu, véné­rable Frère, vous adres­ser cette lettre, à vous, dont nous connais­sons la foi et le cou­rage sacer­do­tal, pour en avoir eu des preuves nom équi­voques, non seule­ment afin qu’il soit bien consta­té que nous réprou­vons le plus éner­gi­que­ment pos­sible les articles ci-​dessus expo­sés, et tout ce qu’on vien­drait à pro­po­ser de contraire à la reli­gion catho­lique, mais encore afin que, vous concer­tant avec les autres évêques de la France que vous juge­rez à pro­pos de vous adjoindre et vous aidant de leurs conseils et de leur coopé­ra­tion, vous vous effor­ce­rez de conju­rer le plus promp­te­ment pos­sible les grands maux qui menacent l’Eglise en France et de faire abo­lir ces lois, ces décrets et ces autres ordon­nances du gou­ver­ne­ment qui sont encore en vigueur, et dont nous n’a­vons ces­sé de nous plaindre, comme vous le savez, pen­dant les pré­cé­dentes années.

Allez donc trou­ver le roi ; faites-​lui savoir la pro­fonde afflic­tion dont notre âme se trouve assaillie et accablée.

Allez donc trou­ver le roi ; faites-​lui savoir la pro­fonde afflic­tion dont, après tant de cala­mi­tés et de tri­bu­la­tions endu­rées jus­qu’au­jourd’­hui, et au milieu de la joie géné­rale, notre âme se trouve assaillie et acca­blée à cause des motifs men­tion­nés. Représentez-​lui quel coup funeste pour la reli­gion catho­lique, quel péril pour les âmes, quelle ruine pour la foi seraient le résul­tat de son consen­te­ment aux articles de ladite consti­tu­tion. Dites-​le-​lui de notre part : nous ne pou­vons nous per­sua­der qu’il veuille inau­gu­rer son règne en fai­sant à la reli­gion catho­lique une bles­sure si pro­fonde et qui serait presque incu­rable. Dieu lui-​même, aux mains de qui sont les droits de tous les royaumes, et qui vient de lui rendre le pou­voir, au grand conten­te­ment de tous les gens de bien, et sur­tout de notre cœur, exige cer­tai­ne­ment de lui qu’il fasse ser­vir prin­ci­pa­le­ment cette puis­sance au sou­tien et à la splen­deur de son Eglise. 

Nous espé­rons, nous avons la ferme confiance que, Dieu aidant, notre voix, trans­mise par vous, tou­che­ra son cœur, et que, mar­chant sur les traces de ses pré­dé­ces­seurs, à qui leur dévoue­ment pour la reli­gion catho­lique et la défense qu’ils en prirent tant de fois si géné­reu­se­ment, ont valu de la part de ce Saint-​Siège le titre de rois très chré­tiens, il pren­dra en main la cause de la foi catho­lique, comme c’est son devoir, comme tous les bons l’at­tendent de lui, comme nous le lui deman­dons nous-​même avec les plus vives instances.

Déployez, véné­rable Frère, toutes vos forces, tout le zèle dont vous êtes ani­mé pour la reli­gion ; faites ser­vir à cette grande et sainte cause l’as­cen­dant que vos qua­li­tés vous ont acquis et l’é­lo­quence qui vous dis­tin­gué. Le Seigneur, nous n’en dou­tons pas, vous sug­gé­re­ra les paroles conve­nables ; et, de notre côté, nous implo­re­rons pour vous le secours d’en haut. En atten­dant, nous vous don­nons, avec toute l’ef­fu­sion de notre cœur, à vous et au trou­peau confié à vos soins, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Césène, le 29e jour d’a­vril de l’an­née 1814, de notre pon­ti­fi­cat la 15e.

PIE VII, PAPE.

Source : Lettres Apostoliques de Pie IX, Grégoire XVI, Pie VII ; Editions Roger et Chernovitz.

Notes de bas de page
  1. Protestants com­pris.[]