Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

12 mai 1943

Discours aux jeunes époux

L'adhésion filiale à la vérité révélée

Table des matières

Le cin­quième et der­nier dis­cours sur les ver­tus du foyer domes­tique est aus­si le der­nier dis­cours aux jeunes époux clô­tu­rant une série de soixante-​dix-​neuf entre­tiens qui se sont éche­lon­nés sur une période de plus de quatre ans.

La foi est adhésion filiale à la parole de Dieu.

Les familles chré­tiennes des dif­fé­rents peuples forment ensemble, chers jeunes époux, dans l’unité d’une même foi, une grande famille spi­ri­tuelle où le Christ est l’Epoux et l’Eglise l’Epouse. Cette famille a pour Chef visible le Vicaire du Christ sur la terre, le Pontife romain, et c’est auprès de lui que votre pié­té vous a réunis dans le désir d’écouter sa parole, cette parole de la foi divine que nous a révé­lée le Rédempteur du monde et à laquelle vous adhé­rez filiale­ment. C’est de cette dis­po­si­tion de votre âme, c’est de cette adhé­sion filiale à la parole de Dieu que Nous dési­rons Nous entre­te­nir avec vous aujourd’hui, réser­vant comme sujets d’autres allo­cu­tions le don sur­na­tu­rel de la foi et sa jus­ti­fi­ca­tion aux regards de la rai­son naturelle.

De cette adhé­sion filiale à la véri­té révé­lée naît la force coura­geuse de la foi qui ani­mait les pre­miers chré­tiens. Ils se tenaient prêts à scel­ler leur foi de leur sang, per­sua­dés qu’ils étaient que le Christ, le Fils de Dieu, nous a révé­lé du Père céleste des secrets que lui-​même, qui est la Sagesse de Dieu, connais­sait fort bien, de même qu’un homme qui contemple de la cime d’une haute mon­tagne l’immensité des mers loin­taines, les décrit à ceux qui vivent au fond de la val­lée et qui se fient à sa parole de véri­té. Sans cher­cher plus avant, sûre de l’infaillible auto­ri­té de Celui qui parle, l’âme fidèle croit ce que Dieu a révé­lé et que lui enseigne l’Eglise, gar­dienne de la parole divine.

L’adhésion des enfants aux conseils de leurs parents.

Si d’une part, chers enfants, vous consi­dé­rez les véri­tés que Dieu nous a révé­lées et, de l’autre, la doci­li­té des fidèles, une scène immense et mer­veilleuse s’offre à vos regards dans la grande famille catho­lique. Vous en retrou­vez une pâle mais déli­cate image dans ces douces et intimes réunions du foyer domes­tique où la mère et les enfants sont grou­pés autour du père et écoutent sa parole avec une atten­tive et res­pec­tueuse affec­tion. Que dit-​il ? Que raconte-​t-​il ? Peut-​être de vieux sou­ve­nirs de son enfance ; peut-​être aus­si qu’il leur fait part de ses expé­riences et de son savoir d’homme mûr ; peut- être encore leur explique-​t-​il quelques mer­veilles de la nature, de la tech­nique, de la science ou de l’art. S’il a été sur les champs de bataille ou en cap­ti­vi­té, il leur mon­tre­ra les cica­trices de ses bles­sures et leur racon­te­ra les tra­vaux et les souf­frances que son amour a sup­portés pour eux, pour le cher foyer qu’il défen­dait et dont la pen­sée ne le quit­tait point. Il y a tant de choses qui montent d’elles-mêmes aux lèvres d’un père pour l’instruction, la joie, le récon­fort, la for­ma­tion de ses enfants ! Contemplez son visage rayon­nant d’affec­tion, alors que parlent sa mémoire, son esprit, son cœur. Admirez ensuite le regard et l’attitude de la mère et des enfants ; goû­tez ce spec­tacle plein de charme, mais cher­chez aus­si à sai­sir les sen­ti­ments qui se mani­festent et se suivent sur leur visage et dans leurs yeux. Qu’y lisez-​vous ? Une atten­tion sou­te­nue et un vif inté­rêt, et en même temps une adhé­sion qui n’hésite point et qui ne réserve rien, une adhé­sion par­faite à tout ce qu’ils entendent. Les enfants sont sus­pen­dus aux lèvres pater­nelles ; et si l’un d’eux, trop petit pour bien com­prendre, semble inter­ro­ger de son œil inquiet, voi­là la mère qui se penche vers lui, qui lui explique tout, qui devient auprès de lui une maî­tresse affec­tueuse, empres­sée de lui apprendre toutes les paroles de son père.

L’attention dans l’Eglise à la parole du Christ.

Il n’est pas néces­saire d’en savoir plus long pour com­prendre à quoi s’applique cette scène si humaine et si déli­cieuse. N’y avez-​vous pas recon­nu Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’Epoux de l’Eglise, le fon­dateur de la famille chré­tienne ? N’y avez-​vous pas recon­nu l’Eglise notre Mère, et vous-​mêmes qui rece­vez de l’Epoux la parole et de la Mère les expli­ca­tions que la fai­blesse humaine, l’ignorance humaine, la cor­rup­tion humaine rendent néces­saires. N’est-ce pas bien que se lisent dans vos yeux la même pieuse atten­tion et la même adhé­sion d’iné­branlable confiance ? Y a‑t-​il peut-​être quelque sujet qui puisse vous inté­res­ser à un plus haut point que ces pro­fonds secrets de Dieu qui sont au ciel l’objet de la vision béa­ti­fique des anges et des saints ? En effet, il vous révèle ce qui est dès avant l’origine des choses, dès l’éternité ; il vous découvre les invi­sibles beau­tés de la créa­tion et il vous apprend qu’il donne aux créa­tures visibles et maté­rielles la trans­pa­rence d’un voile léger à tra­vers lequel il se fait connaître à vous ; le Verbe de Dieu vous enseigne com­ment il s’est fait, dans l’Incarnation, sem­blable à vous, petit enfant, et com­ment il a pas­sé en fai­sant le bien et en gué­ris­sant les malades ; il vous dit ce qu’il a endu­ré pour votre salut et il vous montre les marques de ses plaies ; il vous raconte sa mort, sa résur­rec­tion, sa gloire, son règne pré­sent, l’annonce de son règne futur où il vous a pré­pa­ré votre place et où il vous attend. Oui, votre Rédempteur, le Pasteur de vos âmes, vous raconte toutes ces inef­fables véri­tés et ces sublimes mys­tères de son amour et, dans la science infi­nie et gran­diose de sa toute- puis­sance divine, il a des mil­liers d’autres secrets de béa­ti­tude à vous révé­ler. Il est donc plei­ne­ment légi­time, Nous devrions dire divi­nement natu­rel, que vous vous seriez étroi­te­ment autour de lui, avides d’écouter tous ces récits, toutes ces confi­dences qui sont à la fois d’un charme incom­pa­rable et d’un sou­ve­rain bien­fait pour vos âmes dans le besoin ; comme il est évi­dem­ment néces­saire, dans votre igno­rance humaine, dans votre inca­pa­ci­té humaine de satis­faire vos dési­rs d’intelligence, que vous inter­ro­giez là-​dessus votre Mère la sainte Eglise, la priant de vous com­mu­ni­quer ce que Dieu a dit, de vous l’expliquer, de le mettre autant que pos­sible à la por­tée de votre esprit.

… qui doit être adhésion.

Mais il ne suf­fit pas que vous prê­tiez l’oreille à la parole de la révé­la­tion et aux leçons de votre Maître ; il est non moins néces­saire que vous y adhé­riez de tout cœur, sans l’ombre même d’un doute, d’une incer­ti­tude ou d’une hési­ta­tion. C’est ain­si qu’un vrai fils écoute son père, homme faillible pour­tant et limi­té dans son action, capable par consé­quent d’altérer, d’exagérer ou d’atténuer la réa­li­té qu’il exprime, ne serait-​ce que pour cou­vrir son incom­pétence ou pour embel­lir et ani­mer la conver­sa­tion. Quel enfant ose­rait néan­moins jamais soup­çon­ner son père d’une telle atteinte à la véri­té, ou bien sup­po­ser qu’il tombe dans l’erreur ou enseigne ce dont il est igno­rant ? Mais quand c’est Dieu, la Sagesse et la Vérité même qui parle et qui révèle, est-​ce que votre rai­son ne vous dit pas qu’il lui est impos­sible de se trom­per ou de vous trom­per, qu’il s’agisse même de la moindre des choses ? En par­ti­cu­lier, si vous consi­dé­rez que tout ce qui arrive est dans ses mains et qu’il le pré­voit, le per­met ou l’accomplit et l’ordonne, si bien qu’on dit que non si muove foglia, che Dio non voglia, « qu’il ne bouge pas feuille, si ce n’est que Dieu le veuille ».

Imaginez un ins­tant une ombre au tableau que Nous venons de vous dépeindre. Supposez qu’un des enfants, un de ces enfants qui ont per­du l’ingénue sim­pli­ci­té des petits, mais sans encore pos­sé­der la res­pec­tueuse réserve des grands, sup­po­sez que cet enfant affecte de ne prendre aucune part à ce qui se dit et qu’il attende avec un visage d’ennui la fin de la conver­sa­tion dans l’impatience d’aller rejoindre ses cama­rades et de retour­ner à ses jeux. Ses frères n’en seraient-​ils pas offen­sés, indi­gnés, scan­da­li­sés ? Le front de la mère ne se couvrirait-​il pas d’un nuage ? Cet enfant ne semblerait-​il pas avoir per­du l’intelligence ou le cœur, ou bien l’un et l’autre ?

Cette ombre au tableau se retrouve dans la manière d’adhérer à la révé­la­tion et à la foi. Les véri­tés révé­lées, objet de la foi, éten­dent à l’infini, au-​delà des limites de la science humaine, l’horizon de nos connais­sances sur Dieu et les œuvres de Dieu des­ti­nées à l’élévation et à la répa­ra­tion du genre humain ; elles élar­gissent le champ de notre acti­vi­té reli­gieuse et morale ; elles sti­mulent et animent le cœur dans la fer­me­té de l’espérance, le réchauffent et le récon­fortent dans le lien de la divine cha­ri­té. Et pour­tant trop de chré­tiens n’ont aucun sou­ci de la parole de Dieu, ne prêtent aucune atten­tion aux confi­dences dont le Christ rem­plit les Evangiles, parce qu’ils n’ont d’intérêt que pour la matière pas­sa­gère et fugi­tive, que pour les lec­tures et dis­cours fri­voles, que pour les diver­tis­se­ments et les passe-​temps, les nou­velles et les his­toires les plus inutiles à la vie et à l’activité de l’homme. Ils ont per­du la can­deur des enfants et ils n’ont pas acquis la grave doci­li­té des âmes vigoureuses.

En effet, si Nous vou­lons rendre à ce mot la pro­fon­deur de sa signi­fi­ca­tion ori­gi­nale, la doci­li­té n’est-elle pas la marque de la vigueur qui anime et sou­tient l’esprit, qui lui ouvre les yeux sur la pau­vre­té du savoir humain et qui le dis­pose à rece­voir avec une adhé­sion pleine de recon­nais­sance la doc­trine de Celui qui a la science et l’autorité de maître ? Rien de plus légi­time que de cher­cher avec amour à ren­for­cer notre convic­tion que la parole enten­due, c’est Dieu qui nous l’a révé­lée : rien de plus louable que d’y sou­mettre notre rai­son et que d’appliquer notre intel­li­gence et nos connais­sances humaines à la com­prendre et péné­trer de mieux en mieux, à la goû­ter et aimer de plus en plus, à en vivre avec tou­jours plus de sincérité.

L’intelligence des croyants est supérieure à l’esprit fort et orgueilleux.

Mais consi­dé­rons à pré­sent l’attitude de beau­coup de pré­ten­dus esprits forts, dédai­gneux d’accueillir rien de révé­lé qu’ils n’aient pesé dans leur fausse balance : quel contraste ! Ils n’admettent rien qu’ils n’aient sou­mis à la cri­tique incom­pé­tente de leur juge­ment, rien qu’ils n’aient réduit à la mesure de leur intel­li­gence et de sa courte vue. C’est qu’ils sont inca­pables de voir leurs propres limites, de com­prendre que la véri­té est plus vaste que l’esprit de l’homme et sa recherche ; inca­pables de com­prendre que, s’il y a déjà dans la nature des secrets qui leur échappent, il y a, bien au-​delà, d’au­tres mys­tères plus pro­fonds, et que c’est une sublime per­fec­tion pour l’esprit humain que de les connaître, un hon­neur que de se cour­ber devant eux, et que rien que de les entre­voir donne à l’âme sagesse et paix. Ces esprits orgueilleux, vous les ren­con­trez par les rues des villes, dans les chaires des hautes écoles et dans les aca­démies. Ils ne savent point dans les per­plexi­tés de la foi, dans les doutes, dans les mal­en­ten­dus, dans les objec­tions qu’ils entendent et qui les troublent, recou­rir au Christ, l’Auteur de la foi, et lui dire avec le père du luna­tique de l’Evangile : « Je crois, Seigneur, aidez mon incré­du­li­té ! » (Matth., xvii, 14 ; Marc, ix, 24.) Car « avant d’appliquer le rai­son­ne­ment à ce que l’on croit, il faut croire, écrit saint Ambroise, afin que nous n’ayons pas l’air de deman­der à Dieu des expli­ca­tions comme à un homme quel­conque. Qu’on y réflé­chisse bien, croire les hommes qui se font les témoins des autres, et ne pas croire Dieu qui se fait dans ses paroles le témoin de soi-​même, c’est là une sin­gu­lière indi­gni­té » [1]. Oui, quelle indi­gni­té que de refu­ser sa foi à Dieu, lequel ne peut jurer que par lui-​même, puisque per­sonne n’est au-​dessus de lui.

Mais que devient donc la logique de ces esprits forts, qui veulent pas­ser pour très rai­son­nables et qui se croient les pala­dins de la rai­son humaine contre la foi et contre Dieu ? Ils mettent plus de bienveil­lance à accueillir les affir­ma­tions les plus har­dies et les moins fon­dées et plus d’empressement à les croire, et cela sans exa­men, sans réserve, même lorsqu’elles pro­viennent des sources les moins pures. Certes, dans la pra­tique de la vie sociale, il faut, pour la tran­quillité com­mune, que l’on croie le pro­chain sur parole tant qu’il n’a pas don­né de preuve mani­feste de son incom­pé­tence, de sa légè­re­té ou de sa déloyau­té. Mais la digni­té et la droi­ture de la conscience ne peuvent que se révol­ter, lorsqu’elle voit qu’on fait une seule excep­tion à cette règle de vie : contre Dieu et contre l’Eglise, leur refu­sant la foi que l’on accorde aux hommes.

Donnez donc à la foi divine cette adhé­sion filiale qui n’est pas autre chose, pour par­ler plus clai­re­ment, que l’assentiment de l’intelligence aux véri­tés révé­lées de Dieu, assen­ti­ment que la volon­té humaine com­mande sous l’influence de la grâce. Car la foi est un libre assen­ti­ment que notre esprit accorde à Dieu à cause de son infaillible auto­ri­té, et per­sonne ne peut croire s’il ne veut croire. Nous don­nons à Dieu notre foi sans voir ce que nous croyons, car la foi a pour objet les choses invisibles.

L’éducation de la foi vive.

Jeunes époux qui vous repo­sez l’un sur l’autre pleins de confiance, futurs parents qui aspi­rez à jouir de la confiance de vos enfants, vous que ce désir pous­se­ra et aide­ra à sur­mon­ter toutes vos fai­blesses humaines, don­nez dès l’aurore de votre vie com­mune, don­nez à votre foyer la joyeuse ani­ma­tion d’une foi vive et d’une franche sou­mis­sion à Dieu et à la sainte Eglise de Dieu. Si vous vou­lez que vos enfants vous témoignent une affec­tueuse recon­nais­sance, une cor­diale doci­li­té, ne ces­sez pas de mani­fes­ter vous-​mêmes votre res­pec­tueux amour envers Dieu et ses repré­sen­tants. Et s’il vous arrive jamais de ren­con­trer des peines et des dou­leurs qui troublent tant soit peu votre foi et votre sou­mis­sion à la volon­té divine, deman­dez alors au ciel, vous aus­si, pour votre foi, comme les apôtres qui disaient au Christ : « Augmentez notre foi » (Luc, xvii, 5), cet accrois­se­ment, cette ardeur, cette puis­sance qui est mère de l’héroïsme dans les souf­frances et les mal­heurs, dans les pri­va­tions et les dan­gers, dans le sacri­fice de la vie. C’est par les actes, par les sacre­ments, par la puri­fi­ca­tion de l’âme, par l’espérance et l’amour qui vous unissent à Dieu et qui vous rendent forts dans vos souf­frances et dans vos entre­prises pour vous, pour la famille, pour le pro­chain, pour la patrie et pour l’Eglise, c’est par là que gran­di­ra votre foi. Et c’est par l’exemple visible de votre foi empres­sée et constante, mieux que par beau­coup de paroles, que vous élè­ve­rez vos enfants, non seule­ment dans l’observation du qua­trième com­man­de­ment de Dieu, mais encore des trois pre­miers. Eux à leur tour gar­de­ront ain­si à tra­vers les tem­pêtes de la vie le res­pect qu’ils ont pour vous et leur fidé­li­té au Christ.

C’est avec ces vœux et avec la confiance de les voir exau­cés par l’auteur et le consom­ma­teur de la foi, le divin Rédempteur, que Nous vous accor­dons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien de Discorsi e Radiomessaggi, t. V, p. 63 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 283.

Notes de bas de page
  1. S. Ambroise, De Abraham, 1. 1, c. 3, n. 21 ; Migne, P. L., t. 14, col. 450.[]