Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 20 août 1941
A la vue de cette foule nombreuse et pieuse de jeunes époux chrétiens réunis autour de Nous, Nous exultons et Nous rendons grâce à Dieu, auteur des dons précieux de la foi, de l’espérance et en particulier de la confiance qu’il plaît à Notre affection paternelle d’invoquer sur vos personnes et vos désirs. Si la divine pitié pour la misère humaine donne à Notre prière force et puissance, la bénédiction qui descend de Dieu, elle, est toute-puissante : à un seul mot de Dieu, voilà que du néant sortent le ciel et la terre, des ténèbres le soleil, de la terre et des eaux la multitude des vivants. Alors se lève de la poussière, par l’opération divine, l’homme, pour recevoir un esprit immortel (Gn 2,7), comme un souffle de la bouche du Créateur, et pour écouter avec sa compagne semblable à lui et tirée de son flanc ce commandement qui est une bénédiction : « Croissez et multipliez sur la terre » (Gn 1,28). Quant à vous, jeunes époux, qui avez cru au nom du Christ, notre Sauveur et Rédempteur, vous avez été, aux pieds des autels, bénis en ce nom, afin que par vous s’accroisse le peuple des enfants de Dieu et s’accomplisse le nombre des élus. C’est à ces hautes fins du mariage que le Seigneur a daigné vous appeler par le lien indissoluble dont il a uni vos cœurs et vos vies.
Rien donc d’étonnant, selon une pensée qu’insinuait notre dernière allocution, qu’un état si noble exige des actes héroïques : héroïsmes extraordinaires de situations exceptionnelles, héroïsmes imposés par la vie quotidienne ; héroïsmes souvent cachés et qui n’en sont pas moins admirables. Nous voudrions aujourd’hui attirer votre attention plus particulièrement là-dessus.
Aux temps modernes comme aux premiers siècles du christianisme, dans les pays où sévissent les persécutions religieuses ouvertes, ou sournoises et non moins dures, les plus humbles fidèles peuvent, d’un moment à l’autre, se trouver dans la dramatique nécessité de choisir entre leur foi, qu’ils ont le devoir de conserver intacte, et leur liberté, leurs moyens de subsistance ou même leur propre vie. Mais aux époques normales elles-mêmes, dans les conditions ordinaires des familles chrétiennes, il arrive parfois que les âmes se voient dans l’alternative de violer un imprescriptible devoir ou de s’exposer, dans leur santé, dans leurs biens, dans leurs positions familiale et sociale, à des sacrifices et à des risques douloureux et pressants : elles se voient mises dans la nécessité d’être héroïques et de se montrer héroïques, si elles veulent rester fidèles à leurs devoirs et demeurer dans la grâce de Dieu.
Héroïsme dans l’observation des lois inviolables de la vie matrimoniale
Quand Nos prédécesseurs, et tout spécialement Pie XI dans son encyclique Casti connubii, rappelaient les lois saintes et inéluctables de la vie matrimoniale, ils se rendaient parfaitement compte que dans bien des cas l’inviolable observation de ces lois exige de l’héroïsme. Qu’il s’agisse de respecter les fins que Dieu a établies pour le mariage ; qu’il s’agisse, pour un cœur inquiet, de résister aux passions et sollicitations ardentes et séductrices qui lui suggèrent de chercher ailleurs ce qu’il n’a pas ou croit n’avoir pas trouvé dans sa légitime union aussi pleinement qu’il l’espérait ; ou bien qu’il s’agisse, pour ne pas briser ou relâcher l’union des cœurs et de l’amour mutuel, de savoir pardonner, de savoir oublier un différend, une offense, ou un heurt peut-être grave : que de drames intimes déroulent leurs amertumes derrière le voile de la vie quotidienne ! Que d’héroïques sacrifices cachés ! Que d’angoisses morales pour vivre sous le même toit et garder à sa place et à son devoir une constance de chrétien !
… dans la vie commune
Quelle force d’âme n’est pas exigée souvent par cette vie de chaque jour ? Il faudra, chaque matin, reprendre le même travail, rude peut-être et monotone ; il conviendra, pour la paix, de supporter le sourire aux lèvres, aimablement, joyeusement, les défauts
réciproques, les oppositions jamais aplanies, les petites divergences de goûts, d’habitudes, d’idées, auxquelles donne lieu souvent la vie commune ; il faudra, parmi les menues difficultés et les petits incidents, inévitables souvent, garder intacts le calme et la bonne humeur ; il s’agira, dans une froide rencontre, de savoir se taire, de savoir retenir les plaintes à temps, de savoir changer de ton et adoucir sa parole qui, si elle ne se maîtrisait, détendrait des nerfs irrités, mais créerait dans le foyer domestique une atmosphère pénible. Que de force d’âme requise en toutes ces occasions ! Ce sont là mille détails infimes de la vie quotidienne, mille instants qui passent ; chacun est bien peu de chose, presque rien ; mais ils se succèdent, ils s’accumulent, ils finissent par devenir pesants et ils contribuent pour une bonne part à entraver et à paralyser, dans une souffrance mutuelle des époux, la paix et la joie du foyer.
… dans la tâche familiale de la mère.
Et pourtant, la femme, l’épouse, la mère entend être la source de la joie et de la paix de la famille, elle en veut être l’aliment et le soutien spécial. N’est-ce pas elle qui crée et resserre le lien d’amour entre le père et les enfants ? N’est-ce pas elle qui par son affection résume pour ainsi dire en elle-même la famille tout entière ? N’est-ce pas elle qui la surveille, qui la garde, qui la protège et la défend ? Elle est le chant du berceau, le sourire des bébés roses et frétillants, et le sourire des bébés en pleurs et infirmes, la première maîtresse qui montre à ses enfants le ciel, qui apprend à ses fils et filles à s’agenouiller au pied de l’autel, et qui parfois leur inspire les pensées et les désirs les plus sublimes.
Donnez-Nous une mère qui sente sa maternité spirituelle non moins vivante en son cœur que sa maternité naturelle : Nous verrons en elle l’héroïne de la famille, la femme forte que vous pouvez célébrer avec le chant du roi Lemuel au livre des Proverbes : « La force et la grâce sont sa parure, et elle se rit de l’avenir. Elle ouvre la bouche avec sagesse et les bonnes paroles sont sur sa langue. Elle surveille les sentiers de sa maison et elle ne mange pas le pain de l’oisiveté. Ses fils se lèvent et la proclament heureuse ; son époux se lève et lui donne des éloges » (Pr 31,25–28).
Laissez-Nous donner d’autres éloges encore à la mère et à la femme forte : l’éloge de l’héroïsme dans la douleur. L’épreuve, l’affliction et la peine la trouvent très souvent plus courageuse, plus intrépide et résignée que l’homme, parce qu’elle sait tirer de l’amour la science de la douleur. Considérez les saintes femmes de l’Evangile qui suivent le Christ et l’assistent de leur présence, qui l’accompagnent de leurs lamentations sur la voie du Calvaire et jusqu’à la croix (Lc 8,1–3 ; Lc 23,27). Le Cœur du Christ n’est que miséricorde pour les larmes de la femme : elles en ont fait l’expérience, les sœurs éplorées de Lazare, la veuve de Naïm, et Madeleine tout en larmes auprès de son sépulcre. Aujourd’hui même, en ces heures où le sang coule, Dieu sait à combien de veuves de Naïm le Rédempteur manifeste sa bonté : sans aller jusqu’à ressusciter leur fils tombé à la guerre, il verse au cœur de combien de mères le baume de sa parole réconfortante : Noli flere, « ne pleure pas » (Lc 7,13).
Soyez fidèles dans les efforts quotidiens.
Bien-aimés fils et filles, n’hésitez point : tournez-vous avec confiance vers les cimes héroïques du voyage que vous commencez. Il a toujours été vrai que c’est des menues occupations qu’on passe aux grandes entreprises et que la vertu est la fleur qui couronne une plante arrosée par les efforts assidus de chaque jour. C’est là l’héroïsme quotidien de la fidélité aux devoirs habituels et communs de la vie ordinaire ; et c’est là l’héroïsme qui forge et aguerrit les hommes, qui les élève et les trempe pour les jours où Dieu leur demandera un héroïsme extraordinaire.
C’est là, et non ailleurs, qu’il faut aller chercher la source de cet héroïsme extraordinaire. Dans les événements de la vie familiale comme en toutes les circonstances de la vie humaine, l’héroïsme a sa racine principale dans le sentiment profond et souverain du devoir, du devoir qui ne souffre ni marchandage ni compromis et qui doit l’emporter en toutes choses et sur toutes choses. Ce sentiment nous enseigne comment la volonté divine clairement manifestée ne souffre aucune discussion et qu’elle exige de chacun qu’il s’incline devant elle ; ce sentiment, par-dessus tout, nous fait comprendre que cette volonté divine est la voix d’un amour infini à notre égard ; ce n’est pas en un mot le sentiment d’un devoir abstrait ou d’une loi tyrannique, inexorable, hostile, qui écraserait notre liberté de vouloir et d’agir : c’est le sentiment d’une loi qui répond et se plie aux exigences d’un amour, aux exigences d’une amitié infiniment généreuse qui domine et gouverne les multiples vicissitudes de notre vie d’ici-bas.
Ce sentiment chrétien si puissant du devoir se développera et se renforcera en vous, bien-aimés fils et filles, par votre persévérante fidélité aux plus humbles tâches et obligations de chacune de vos journées. Par là, les menus sacrifices, les petites victoires sur vous-mêmes se multiplieront, affermissant de plus en plus en vous la vertueuse habitude de ne pas tenir compte des impressions, impulsions et répugnances qui peuvent se présenter sur le sentier de votre vie, lorsqu’il s’agit d’un devoir, d’une volonté de Dieu à accomplir. L’héroïsme n’est pas le fruit d’un jour et il ne mûrit pas en une matinée ; c’est par de longues ascensions que se forment et s’élèvent les grandes âmes, c’est par là qu’elles se trouvent prêtes, au moment où l’occasion s’en présente, aux gestes magnifiques et aux suprêmes triomphes qui nous remplissent d’admiration.
Afin que grandissent dans vos âmes ce sentiment chrétien du devoir et cette joyeuse et courageuse confiance, Nous vous accordons de tout cœur, en gage des grâces divines les plus abondantes, Notre Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.