Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

26 décembre 1910

Lettre Ex Quo Nono

Sur la question du retour des dissidents à l'unité catholique

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 26 décembre 1910

Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le siège apos­to­lique.
À nos véné­rables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

PIE X, PAPE
Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Depuis le jour où, au déclin du IXe siècle, les nations de l’Orient ont com­men­cé à être arra­chées à l’u­ni­té de l’Église catho­lique, il est dif­fi­cile de dire la quan­ti­té d’ef­forts qui ont été faits par de saints per­son­nages en vue de rame­ner dans le sein de cette Église les frères dis­si­dents. Plus que tous, les Souverains Pontifes, Nos Prédécesseurs, en ver­tu de la charge qu’ils rem­plis­saient de défendre la foi et l’u­ni­té ecclé­sias­tique, n’ont omis aucune ten­ta­tive pour mettre fin soit par de pater­nelles exhor­ta­tions, soit par des délé­ga­tions offi­cielles, soit par des Conciles solen­nels, au très funeste schisme qui a été pour l’Occident un grand cha­grin et à cau­sé à l’Orient un grave dom­mage. Ils témoignent de cette sol­li­ci­tude, pour n’en citer que quelques-​uns, les Grégoire IX, Innocent IV, Clément IV, Grégoire X, Eugène IV, Grégoire XIII et Benoît XIV1. Mais per­sonne n’i­gnore avec quel géné­reux empres­se­ment en ces der­niers temps, Notre Prédécesseur, d’heu­reuse mémoire, Léon XIII, a invi­té les nations de l’Orient à s’u­nir de nou­veau à l’Église romaine.

« Pour Nous, dit-​il, c’est un fait cer­tain que le sou­ve­nir même de la très antique gloire de l’Orient et la renom­mée des ser­vices ren­dus par lui à l’hu­ma­ni­té Nous est un charme. Là, en effet, est le ber­ceau du salut du genre humain ; là sont les ori­gines de la sagesse chré­tienne ; c’est de là que, comme un fleuve très abon­dant, s’est déver­sé sur l’Occident le flot de tous les bien­faits que nous avons reçus avec le saint Évangile… En livrant Notre esprit à ces consi­dé­ra­tions, Nous ne dési­rons et ne sou­hai­tons rien tant que de don­ner Nos soins à ce que par tout l’Orient revive la ver­tu et la gran­deur des ancêtres. Et cela d’au­tant plus que le cours des évé­ne­ments humains y laisse appa­raître de temps en temps des indices de nature à faire espé­rer que les peuples de l’Orient, sépa­rés pen­dant long­temps du sein de l’Eglise romaine, se récon­ci­lie­ront un jour, s’il plaît à Dieu, avec elle ».

Allocution Si fuit in re, 13 déc 1880, aux car­di­naux, Acta t. II, p. 179 voir aus­si les Lettres apos­to­liques Praeclara gra­tu­la­tio­nis, du 20 juin 1894, Acta t. XIV, p. 195

Il n’est, certes, pas moindre, vous le savez bien, Vénérables Frères, Notre désir qui nous fait sou­hai­ter de voir bien­tôt luire le jour, objet des vœux anxieux de tant de saints per­son­nages, où tom­be­ra tout à fait défi­ni­ti­ve­ment le mur qui, depuis long­temps, sépare les deux peuples, où, enla­cés dans l’u­nique embras­se­ment de la foi et de la cha­ri­té, ils ver­ront enfin refleu­rir la paix tant implo­rée, et où il n’y aura plus qu’un seul ber­cail et un seul pas­teur (Jn X, 16).

Nous étions sous l’im­pres­sion de ces sen­ti­ments lorsque naguère, dans une revue de fon­da­tion récente, Roma e l’Oriente, parut un article qui Nous cau­sa un grand cha­grin. Il avait pour titre : « Pensée sur la ques­tion de l’u­nion des Églises ». Cet écrit four­mille de tant et de si graves erreurs théo­lo­giques, et même his­to­riques, qu’il était dif­fi­cile d’en accu­mu­ler davan­tage en moins de pages.

On y admet, avec autant de témé­ri­té que de faus­se­té, l’o­pi­nion que le dogme de la pro­ces­sion du Saint-​Esprit a Filio ne découle nul­le­ment des paroles mêmes de l’Évangile et n’est pas confir­mé par la foi des anciens Pères ; c’est de même avec une très grande impru­dence qu’on met en doute la ques­tion de savoir si les dogmes sacrés du Purgatoire et de l’Immaculée Conception ont été recon­nus par les saints des siècles anté­rieurs. Venant à par­ler de la consti­tu­tion de l’Église, on renou­velle d’a­bord une erreur condam­née depuis long­temps par Notre Prédécesseur Innocent X (Décret de la Congrégation géné­rale du Saint-​Office, 24 jan­vier 1647), à savoir que saint Paul aurait été consi­dé­ré comme un frère abso­lu­ment égal à saint Pierre ; puis, non moins faus­se­ment, on invite à croire que l’Église pri­mi­tive ne connais­sait pas la pri­mau­té d’un seul chef, la monar­chie ; que la supré­ma­tie de l’Église romaine ne se fonde pas sur des argu­ments valables. On n’y laisse pas même intacte la doc­trine catho­lique sur l’Eucharistie, quand on enseigne péremp­toi­re­ment qu’on peut adop­ter l’o­pi­nion que, chez les Grecs, les paroles consé­cra­toires n’ont d’ef­fet qu’a­près la prière appe­lée épi­clèse, alors qu’on sait bien que l’Église n’a le droit de rien inno­ver pour ce qui touche à la sub­stance des sacre­ments, et il ne lui répugne pas moins de décla­rer valide la Confirmation admi­nis­trée par n’im­porte quel prêtre2.

Par ce simple résu­mé des erreurs dont cet écrit est rem­pli, vous com­pren­drez faci­le­ment, Vénérables Frères, qu’il ait été pour tous ceux qui l’ont lu un très grand scan­dale, et que Nous-​même ayons été extrê­me­ment sur­pris d’y voir la doc­trine catho­lique si net­te­ment et si imper­ti­nem­ment déna­tu­rée, en même temps que divers points rela­tifs à l’his­toire du schisme orien­tal si har­di­ment faussés.

C’est une erreur que d’ac­cu­ser les très saints pon­tifes Nicolas Ier et Léon IX d’a­voir pour une grande part pro­vo­qué la dis­sen­sion, le pre­mier par son orgueil et son ambi­tion, le second par la vio­lence de ses récri­mi­na­tions, comme s’il fal­lait attri­buer à l’or­gueil la vigueur apos­to­lique du pre­mier dans la défense de droits sacro-​saints, et appe­ler cruau­té le zèle du second à répri­mer le mal. C’est éga­le­ment fou­ler aux pieds les droits de l’his­toire que de trai­ter comme des bri­gan­dages ces saintes expé­di­tions qu’on appelle les Croisades, ou encore, ce qui est plus grave, d’im­pu­ter au désir de domi­na­tion plu­tôt qu’à la pré­oc­cu­pa­tion apos­to­lique de nour­rir le trou­peau du Christ, le zèle et les efforts des Pontifes romains pour la réunion des Eglises.

Nous n’a­vons pas été non plus légè­re­ment stu­pé­fait de lire dans ce même écrit l’as­ser­tion que les Grecs à Florence ont été contraints par les Latins de sous­crire à l’u­ni­té, ou qu’ils ont été ame­nés par de faux argu­ments à accep­ter le dogme de la pro­ces­sion du Saint-​Esprit. On va même, dans ce mépris des lois de l’his­toire, jus­qu’à émettre des doutes sur le carac­tère œcu­mé­nique des Conciles géné­raux qui ont été tenus depuis le schisme grec, c’est-​à-​dire du VIIIe Concile œcu­mé­nique jus­qu’à celui du Vatican. Tout cela pour conclure à un pro­jet d’u­ni­té hybride, d’a­près lequel ne serait désor­mais recon­nu légi­time par les deux Églises que ce qui était leur patri­moine com­mun avant le schisme. Pour le reste, on le tien­drait dans un silence pro­fond, comme des addi­tions peut-​être illé­gi­times, en tout cas superflues.

Nous avons cru devoir, Vénérables Frères, por­ter ce qui pré­cède à votre connais­sance non seule­ment pour que vous sachiez que les pro­po­si­tions pré­ci­tées, Nous les réprou­vons comme fausses, témé­raires, étran­gères à la foi catho­lique, mais aus­si afin que autant qu’il est en votre pou­voir, vous vous effor­ciez d’é­car­ter des peuples qui sont confiés à votre vigi­lance un fléau si per­ni­cieux, en exhor­tant tous les catho­liques à demeu­rer fermes dans la doc­trine reçue et à n’adhé­rer à aucune autre, « fût-​elle annon­cée par un ange du ciel » (Ga I, 8). En même temps, Nous vous conju­rons avec ins­tance de les bien per­sua­der que Nous n’a­vons rien tant à cœur que de voir tous les hommes de bonne volon­té tra­vailler inlas­sa­ble­ment à obte­nir au plus tôt l’u­ni­té si dési­rée, afin que les bre­bis dis­per­sées par la dis­sen­sion se réunissent dans une même pro­fes­sion de foi catho­lique, sous un seul Pasteur suprême. Ce résul­tat, Nous l’ob­tien­drons plus faci­le­ment si nous mul­ti­plions les prières à l’Esprit-​Saint qui « est un Dieu de paix et non pas de dis­corde » (I Co XIV, 33). Ainsi se réa­li­se­ra le vœu que le Christ expri­mait avec des gémis­se­ments avant de subir les der­niers tour­ments (Jn XVII, 21) : « Qu’ils soient un, mon Père, comme vous êtes en moi et moi en vous ; qu’ils soient, eux aus­si un en nous ».

Enfin, que tous se pénètrent bien de cette idée qu’on ferait œuvre abso­lu­ment vaine si d’a­bord on ne main­te­nait fidèle et entière la foi catho­lique, telle qu’elle a été trans­mise et consa­crée dans la Sainte Écriture, la tra­di­tion des Pères, le consen­te­ment de l’Église, les conseils géné­raux et les décrets des Souverains Pontifes. Courage donc à tous ceux qui ont à cœur de défendre la cause de l’u­ni­té ; revê­tus du casque de la foi, tenant fer­me­ment l’ancre de l’es­pé­rance, embra­sés du feu de la cha­ri­té qu’ils tra­vaillent de tout leur zèle à cette tâche toute divine. Et Dieu, père et ami de la paix, maître des temps et des heures (Ac I, 7) hâte­ra le jour où les peuples d’Orient doivent reve­nir triom­phants à l’u­ni­té catho­lique et, unis au Siège apos­to­lique, puri­fiés de toute erreur, entrer au port du salut éternel

Vous pren­drez soin, Vénérables Frères, de faire tra­duire soi­gneu­se­ment cette lettre dans la langue de la région qui vous est confiée et de la répandre. En vous annon­çant avec joie que le cher auteur de cet écrit, rédi­gé avec légè­re­té mais avec bonne foi, a adhé­ré sin­cè­re­ment et de tout cœur en Notre pré­sence aux doc­trines expo­sées dans cette lettre et s’est décla­ré prêt à ensei­gner, reje­ter et condam­ner, jus­qu’à la fin de sa vie tout ce que le Saint-​Siège apos­to­lique enseigne, rejette et condamne, comme gage des divines faveurs et en témoi­gnage de Notre bien­veillance, Nous vous accor­dons affec­tueu­se­ment dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 26 décembre 1910, la sep­tième année de Notre Pontificat.

PIE X, PAPE

  1. la Constitution Nuper ad nos du 16 mars 1743 pres­crit une pro­fes­sion de foi spé­ciale aux Orientaux []
  2. Cf. Benoît XIV, Constitution Etsi pas­to­ra­lis, pour les Italo-​Grecs, 26 mai 1742, où il déclare inva­lide la Confirmation confé­rée par un simple prêtre latin en ver­tu de la seule délé­ga­tion de l’é­vêque []
13 septembre 1868
Appel au retour de tous les dissidents à rentrer dans l’Église catholique, unique bercail du Christ
  • Pie IX