Le Pape Pie IX aux Orientaux.
Placé, malgré Notre indignité, par la disposition divine, sur le Siège suprême de l’Apôtre Pierre, et chargé du poids de toutes les Eglises, Nous n’avons cessé, depuis le commencement de notre Pontificat, de jeter les regards de Notre amour aux nations chrétiennes de l’Orient et des pays limitrophes, quel que soit leur rite, car, pour bien des raisons, elles semblent réclamer de Nous une sollicitude toute particulière. C’est dans l’Orient qu’est apparu l’unique Fils de Dieu, fait homme pour nous autres hommes, et que par sa vie, sa mort et sa résurrection, il a daigné accomplir l’œuvre de la rédemption humaine. C’est dans l’Orient que l’Evangile de lumière et de paix a d’abord été prêché par le divin Sauveur lui-même et par ses disciples, et que fleurirent de nombreuses Églises, illustres par le nom des Apôtres qui les ont fondées. Dans la suite des temps et pendant un long cours de siècles, des évêques et des martyrs fameux et beaucoup d’autres personnages célèbres par leur sainteté et par leur doctrine ont surgi du sein des nations orientales ; tout l’univers chante la gloire d’Ignace d’Antioche, de Polycarpe de Smyrne, des trois Grégoire de Néocésarée, de Nysse et de Nazianze, d’Athanase d’Alexandrie, de Basile de Césarée, de Jean-Chrysostome, des deux Cyrille, de Jérusalem et d’Alexandrie, de Grégoire l’Arménien, d’Éphrem de Syrie, de Jean Damascène, de Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves, sans parler de tant d’autres, presque innombrables, ou qui répandirent aussi leur sang pour le Christ, ou qui, par leurs savants écrits et leurs œuvres de sainteté, se sont acquis un nom immortel. Une autre gloire de l’Orient est le souvenir de ces nombreuses assemblées d’évêques, et spécialement des premiers Conciles œcuméniques qui furent célébrés, et dans lesquels, sous la présidence du Pontife romain, la foi catholique fut défendue contre les novateurs de cet âge et confirmée par de solennels jugements. Enfin, même en ces derniers temps, depuis qu’une partie, hélas ! trop nombreuse, des chrétiens de l’Orient, s’est éloignée de la communion de ce Saint-Siège, et par conséquent de l’unité de l’Église catholique, depuis que ces contrées sont tombées sous la domination de peuples étrangers à la religion chrétienne, il s’y est encore rencontré beaucoup d’hommes qui, par le secours de la grâce divine, ont fait preuve, au milieu de toutes les calamités et de périls sans cesse renaissants, d’une fermeté inébranlable dans la vraie foi et dans l’unité catholique. Nous voulons surtout louer d’une manière toute particulière ces Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques, qui n’ont rien épargné pour tenir leur troupeau à l’abri dans la profession de la vérité catholique, et dont les soins bénis de Dieu ont été tels, qu’après la tempête et en des temps plus calmes, on a retrouvé se maintenant dans l’union catholique, en ces lieux désolés, un troupeau considérable.
C’est donc à vous d’abord, que s’adressent Nos paroles, Vénérables Frères et fils bien-aimés, Évêques catholiques, et vous clercs de tout ordre, et vous laïques, qui avez persévéré, inébranlables dans la foi et la communion de ce Saint-Siège, ou qui, non moins dignes de louange, lui êtes revenus après avoir reconnu l’erreur. Bien que Nous Nous soyons déjà empressé de répondre à plusieurs d’entre vous dont Nous avons reçu les lettres de félicitation pour Notre élévation au souverain Pontificat, et bien que, par Notre Lettre encyclique du 9 novembre 1846, Nous ayons parlé à tous les Évêques de l’univers catholique, Nous tenons à vous donner une assurance plus particulière de l’ardent amour que Nous vous portons et de Notre sollicitude pour tout ce qui vous regarde. Nous trouvons une occasion favorable de vous témoigner ces sentiments, au moment où Notre vénérable frère Innocent, Archevêque de Saïda, est envoyé par nous, en qualité d’ambassadeur près la Sublime Porte, afin de complimenter de Notre part le très-puissant Empereur des Turcs et le remercier de la gracieuse ambassade qu’il nous a envoyée le premier. Nous avons enjoint de la manière la plus pressante à ce vénérable frère de recommander instamment à cet Empereur et vos personnes et vos intérêts, et les intérêts de l’Église catholique dans toute l’étendue du vaste empire ottoman. Nous ne doutons point que cet Empereur, qui a déjà donné des preuves de sa bienveillance envers vous, ne vous soit de plus en plus favorable et n’empêche que, parmi ses sujets, personne n’ait à souffrir pour la cause de la religion chrétienne. L’Archevêque de Saïda fera encore mieux connaître les mouvements de Notre amour pour vous aux Évêques et primats de vos nations respectives qu’il pourra entretenir à Constantinople ; avant de revenir vers Nous, il parcourra, selon que les temps et les circonstances le lui permettront, certains lieux de l’Orient, afin de visiter de Notre part, comme Nous le lui avons ordonné, les Églises catholiques de tout rite établies dans ces contrées, et de porter les témoignages de Notre affection et des paroles de consolation, au milieu de leur peines, à ceux de Nos Vénérables Frères et de Nos fils bien-aimés qu’il y rencontrera.
Le même Archevêque vous remettra, et aura soin de porter à la connaissance de tous la lettre que Nous vous adressons comme un témoignage de Notre amour pour vos actions catholiques ; vous y trouverez la preuve que Nous n’avons rien plus à cœur que de bien mériter chaque jour et de vous-mêmes et de la religion catholique dans vos contrées. Et comme, entre autres choses, il Nous a été rapporté que, dans le régime ecclésiastique de vos nations, certains points, par le malheur des temps passés, demeurent ou incertains ou réglés autrement qu’il ne conviendrait, Nous Nous emploierons avec joie, en vertu de Notre autorité apostolique, pour que tout soit désormais disposé et ordonné conformément aux règles des sacrés Canons et aux traditions des Saints-Pères. Nous maintiendrons intactes vos liturgies catholiques particulières ; car elles sont pour Nous d’un grand prix, bien qu’elles diffèrent en quelques choses de la liturgie latine. Nos prédécesseurs les eurent toujours en grande estime, à cause de la vénérable antiquité de leur origine, des langues employées par les Apôtres et les Pères, dans lesquels elles sont écrites, et enfin de la magnificence de leurs rites, très propres à enflammer la piété des fidèles et à imprimer le respect pour les divins mystères.
Divers Décrets et Constitutions des Pontifes romains rendus pour la conservation des liturgies orientales témoignent sur ce point des sentiments du Siège apostolique. Il suffit de citer les lettres apostoliques de notre prédécesseur Benoît XIV, et spécialement celle du 26 juillet 1735 [1], commençant par ces mots : Allatae sunt. Aussi, les prêtres orientaux qui se trouvent en Occident ont-ils toute liberté de célébrer dans les églises des Latins, selon le rite propre de leur nation, et trouvent-ils même en divers lieux, mais surtout à Rome, des temples qui leur sont spécialement destinés. De plus, il ne manque pas de monastères du rite oriental, ni de maisons consacrées aux Orientaux, ni de collèges érigés pour recevoir leurs fils, ou seuls, ou mêlés à d’autres jeunes gens, afin qu’élevés dans les lettres et les sciences sacrées et formés à la discipline cléricale, ils puissent devenir capables d’exercer ensuite les fonctions ecclésiastiques, chacun dans sa propre nation. Et quoique les calamités des derniers temps aient détruit quelques-uns de ces instituts, plusieurs sont encore debout et florissants ; leur existence, Vénérables Frères et fils bien-aimés, n’est-elle pas une preuve manifeste de l’affection singulière que vous porte, à vous et à tout ce qui vous touche, le Siège apostolique ?
Du reste, vous savez déjà, Vénérables Frères et très chers fils, comment, pour mieux veiller à vos affaires religieuses, Nous Nous aidons des travaux de cette Congrégation de Cardinaux de la sainte Église romaine qui tire son nom du but pour lequel elle est établie, a Propaganda fide. Mais beaucoup d’autres encore, dans notre illustre cité, soit Romains, soit étrangers, travaillent dans vos intérêts. Ainsi, quelques Évêques du rite latin, joints à d’autres Évêques des rites orientaux et d’autres personnes religieuses, ont formé, il n’y a pas longtemps, sous l’autorité de la Congrégation dont Nous venons de parler, une pieuse association, dont le but est de contribuer de toutes manières, à l’aide de prières quotidiennes et d’aumônes, au progrès et au développement de la religion catholique parmi vous. Dès que Nous avons connu ce pieux dessein, Nous l’avons loué et approuvé, excitant ses auteurs à mettre sans retard la main à l’œuvre.
Ce que Nous venons de dire s’adresse à tous Nos fils de l’Orient, mais notre parole se tourne maintenant, d’une manière toute particulière, vers vous tous qui avez autorité sur les autres, et quelle que soit votre dignité, ô Vénérables Frères, Évêques des catholiques de ces contrées ! que cette exhortation vous soit comme un aiguillon, qu’elle excite encore votre zèle et le zèle de votre clergé. Nous vous exhortons donc, dans le Seigneur notre Dieu, de veiller, pleins de confiance dans le secours céleste, et avec une ardeur encore plus grande, à la garde de votre cher troupeau, d’être sans cesse sa lumière par la parole et par l’exemple, afin qu’il marche dignement selon le plaisir de Dieu, et produisant les fruits de toutes sortes de bonnes œuvres. Que les prêtres qui vous sont soumis se donnent tout entiers aux mêmes soins ; pressez surtout ceux qui ont la charge des âmes, afin qu’ils aient à cœur la décence de la maison de Dieu, qu’ils excitent la piété du peuple, qu’ils administrent saintement les choses saintes, et que, sans négliger leurs autres devoirs, ils mettent toute leur attention à instruire les enfants des éléments de la doctrine chrétienne et à distribuer aux autres fidèles le pain de la divine parole, selon la capacité de chacun. Ils doivent, et vous devez vous-mêmes déployer la plus grande vigilance pour que tous les fidèles soient jaloux de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix, rendant grâces au Seigneur des lumières et au Père des miséricordes de ce qu’il a daigné permettre, par un effet de sa grâce, dans un si grand bouleversement de toutes choses, qu’ils soient demeurés fermes dans la communion catholique de l’unique Église du Christ, ou qu’ils y soient rentrés, pendant qu’un si grand nombre de leurs compatriotes sont encore errants, hors de l’unique bercail du Christ, abandonnés par leurs pères depuis un si long temps.
Après vous avoir ainsi parlé, Nous ne pouvons Nous empêcher d’adresser des paroles de charité et de paix à ces Orientaux qui, quoique se glorifiant du nom de chrétiens, se tiennent éloignés de la communion du Siège de Pierre. La charité de Jésus-Christ nous presse, et suivant ses avertissements et ses exemples, nous courons après les brebis dispersées par des sentiers ardus et impraticables, nous efforçant de porter secours à leur faiblesse, pour qu’elles rentrent enfin dans le bercail des troupeaux du Seigneur.
Écoutez Notre parole, ô vous tous qui, dans les contrées de l’Orient ou sur ses frontières, vous faites gloire de porter le nom de chrétien, et qui cependant n’êtes point en communion avec la sainte Église romaine ; et vous surtout qui, chargés des fonctions sacrées ou revêtus des plus hautes dignités ecclésiastiques, avez autorité sur ces peuples. Rappelez-vous l’ancien état de vos Églises, lorsqu’elles étaient unies entre elles et avec les autres Églises de l’univers catholique par le lien de l’unité. Examinez ensuite à quoi ont servi les divisions qui ont suivi et dont le résultat a été de rompre l’unité soit de la doctrine, soit du régime ecclésiastique, non seulement avec les Églises Occidentales, mais encore entre vos propres Églises. Souvenez-vous du symbole de la foi, dans lequel vous confessez avec nous : croire l’Église, une, sainte, catholique et apostolique, et voyez s’il est possible de trouver cette unité de l’Église catholique, sainte et apostolique, au sein d’une pareille division de vos Églises, lorsque vous refusez de la reconnaître dans la communion de l’Église Romaine, sous l’autorité de laquelle un si grand nombre d’Églises sont unies et le furent toujours dans toutes les parties du monde. Et pour bien comprendre ce caractère de l’unité qui doit distinguer l’Église catholique, réfléchissez sur cette prière rapportée dans l’Évangile de S. Jean [2], par laquelle le Christ, Fils unique de Dieu, prie son Père pour ses disciples : « Père très-saint, conservez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous-mêmes » ; et il ajoute immédiatement : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en Moi, par le moyen de leur parole, afin que tous soient un comme Toi, Père, en Moi, et Moi en Toi, et enfin qu’eux-mêmes soient un en Nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée, afin qu’ils soient un, comme Nous sommes un : Moi en eux, et Toi en Moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité, et pour que le monde connaisse que Tu m’as envoyé et que Tu les as aimés comme Tu m’as aimé ».
Or, l’auteur même du salut de l’homme, le Christ, Notre-Seigneur, a posé le fondement de son unique Église, contre laquelle ne prévaudront pas les portes de l’enfer, dans le Prince des Apôtres, Pierre, à qui il a donné les clefs du royaume des cieux [3] ; pour qui il a prié, afin que sa foi ne défaillît jamais, lui commandant, en outre, de confirmer ses frères dans cette même foi [4] ; à qui il a confié la charge de paître et ses agneaux et ses brebis [5], c’est-à-dire toute l’Église que composent les agneaux et les brebis véritables du Christ. Et ces prérogatives appartiennent pareillement aux Évêques romains, successeurs de Pierre ; car, après la mort de Pierre, l’Église ne peut être privée du fondement sur lequel elle a été bâtie par le Christ, elle qui doit durer jusqu’à la consommation des siècles. C’est pourquoi S. Irénée, disciple de Polycarpe, qui avait lui-même reçu les enseignements de l’apôtre Jean, Irénée, ensuite évêque de Lyon, que les Orientaux, aussi bien que les Occidentaux, comptent parmi les principales lumières de l’antiquité chrétienne, voulant, pour réfuter les hérétiques de son temps, constater la doctrine transmise par les apôtres, crut inutile d’énumérer les successions de toutes les Églises d’origine apostolique ; il lui parut suffisant d’alléguer contre les novateurs la doctrine de l’Église romaine, parce que, dit-il :
C’est une nécessité que toute l’Église, c’est-à-dire les fidèles répandus dans tout l’univers, conviennent, à cause de sa suprématie suprême, avec cette Église romaine, dans laquelle, selon le témoignage universel, a toujours été conservée la tradition qui vient des apôtres.
Iren. Contra haereses, lib. III, cap. 3.
Vous tenez tous, Nous le savons, à conserver la doctrine gardée par vos ancêtres. Suivez donc les anciens Évêques et les anciens chrétiens de toutes les contrées de l’Orient ; d’innombrables monuments attestent que, d’accord avec les Occidentaux, ils respectaient l’autorité des Pontifes romains. Entre les documents les plus remarquables que l’antique Orient a laissés sur ce sujet (outre le témoignage d’Irénée, que nous venons de citer), Nous aimons à rappeler ce qui se passa, au quatrième siècle, dans la cause d’Athanase, Évêque d’Alexandrie, non moins illustre par Sa Sainteté que par sa doctrine et son zèle pastoral. Condamné injustement par des Évêques de l’Orient, surtout dans le concile tenu à Tyr, et chassé de son Église, il vint à Rome où se rendirent aussi d’autres Évêques des contrées orientales, comme lui injustement dépouillés de leurs sièges. « L’Évêque de Rome (c’était Jules, notre prédécesseur) ayant examiné la cause de chacun d’eux, et les trouvant tous fidèles à la doctrine de la foi de Nicée, et d’accord en tout avec lui-même, les reçut dans sa communion. Et parce que, à cause de la dignité de son siège, le soin de tous lui appartenait, il rendit son église à chacun de ces Évêques. Il écrivit aussi aux Évêques de l’Orient, les réprimandant, parce qu’ils n’avaient pas jugé selon la justice dans la cause de ces pontifes et parce qu’ils troublaient la paix de l’Église [6]. » – Au commencement du cinquième siècle, Jean-Chrysostome, Évêque de Constantinople, non moins illustre qu’Athanase, condamné à Calcédoine, dans un Concile, par une souveraine injustice, eut recours par ses lettres et par ses envoyés, à notre Siège Apostolique, et fut déclaré innocent par Notre prédécesseur saint Innocent Ier [7].
Le concile de Calcédoine, tenu en 451, est un autre et célèbre monument de la vénération de vos ancêtres pour l’autorité des Pontifes romains. Les six cents Évêques qui le composaient, presque tous de l’Orient (sauf quelques rares exceptions), après avoir entendu, dans la seconde session, la lecture d’une lettre du Pontife romain, saint Léon-le-Grand, s’écrièrent tous d’une seule voix : Pierre a parlé par la bouche de Léon. Et l’assemblée, que présidaient les Légats pontificaux, s’étant ensuite séparée, les Pères du Concile, dans la relation des faits par eux envoyée à saint Léon, affirment que lui-même, dans la personne de ses Légats, avait commandé aux Évêques réunis, comme la tête aux membres [8].
Et ce ne sont pas seulement les actes du Concile de Calcédoine, mais encore les actes de tous les autres anciens Conciles de l’Orient, que Nous pourrions alléguer et par lesquels il est constant que les Pontifes romains ont toujours eu la première place dans les Conciles, surtout dans les Conciles œcuméniques et que leur autorité a été invoquée et avant la célébration des Conciles et après leur dissolution. Du reste, en dehors des Conciles, nous avons grand nombre de passages des écrits des Pères et des anciens auteurs de l’Orient, ainsi que beaucoup d’actes de leur histoire, par lesquels il est évident que l’autorité suprême des Pontifes romains a toujours été en vigueur dans tout l’Orient, du temps de vos ancêtres. Mais il serait trop long de rapporter ici tous ces témoignages ; ceux que Nous avons indiqués suffisent d’ailleurs pour montrer la vérité ; Nous Nous contenterons donc de rappeler comment, au temps même des apôtres, se conduisirent les fidèles de Corinthe, à l’occasion des dissensions qui avaient si gravement troublé leur Église. Les Corinthiens s’adressèrent à saint Clément, qui, peu d’années après la mort de Pierre, avait été fait Pontife de l’Église romaine ; ils lui écrivirent à ce sujet et chargèrent Fortunat de lui porter ces lettres. Clément, après avoir mûrement examiné l’affaire, chargea le même Fortunat, auquel il adjoignit ses propres envoyés, Claudius Ephebe et Valère Viton, de porter à Corinthe cette fameuse lettre du saint Pontife et de l’Église romaine [9], à laquelle les Corinthiens et tous les autres Orientaux attachaient tant de prix que, dans les siècles suivants, on la lisait publiquement dans beaucoup d’églises [10].
Nous vous exhortons donc et Nous vous conjurons de ne plus tarder à rentrer dans la communion du Saint-Siège de Pierre, dans lequel est le fondement de la véritable Église du Christ, comme l’attestent et la tradition de vos ancêtres, ainsi que la tradition des autres anciens Pères, et les paroles mêmes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, contenues dans les saints Evangiles et que nous avons rapportées. Car il n’est pas, il ne sera jamais possible que ceux-là soient dans la communion de l’Église, Une, Sainte, Catholique et Apostolique, qui veulent être séparés de la solidité de la Pierre sur laquelle l’Église a été divinement édifiée.
Aucune raison ne peut donc vous excuser de ne pas revenir à la véritable Église et à la communion de ce Saint-Siège. Vous le savez bien, dans les choses qui touchent à la profession de la religion divine, il n’est rien de si dur qu’on ne doive supporter pour la gloire du Christ et pour le prix de la vie éternelle. Quant à Nous, Nous vous en donnons l’assurance, rien ne nous serait plus doux que de vous voir revenir à notre communion ; bien loin de chercher à vous affliger par quelque prescription qui pourrait paraître dure, Nous vous recevrons avec une bienveillance toute paternelle et avec le plus tendre amour, selon la coutume constante du Saint-Siège. Nous ne vous demandons que les choses absolument nécessaires : revenez à l’unité ; accordez-vous avec Nous dans la profession de la vraie foi, que l’Église catholique retient et enseigne ; avec l’Église même, gardez la communion du siège suprême de Pierre. Pour ce qui est de vos rites sacrés, il n’y aura à rejeter que les choses, qui s’y rencontreraient, contraires à la foi et à l’unité catholiques. Cela effacé, vos antiques liturgies orientales demeureront intactes ; Nous avons déjà déclaré dans la première partie de cette lettre combien ces liturgies Nous sont chères, et combien elles l’ont toujours été à nos prédécesseurs, à cause de leur antiquité et de la magnificence de leurs cérémonies, si propres à nourrir la piété.
De plus, Nous avons délibéré et arrêté, quant aux ministres sacrés, aux prêtres et aux pontifes des nations orientales qui reviendront à l’unité catholique, de tenir la même conduite qu’ont tenue nos prédécesseurs en tant d’occasions, dans les temps qui ont immédiatement précédé celui où Nous vivons et dans les temps antérieurs ; Nous leur conserverons leur rang et leurs dignités et Nous compterons sur eux, non moins que sur les autres clercs catholiques de l’Orient, pour maintenir et propager parmi leurs peuples le culte de la religion catholique. Enfin, Nous avons la même bienveillance et le même amour pour eux et pour les laïques qui reviendront à Notre communion, que pour tous les autres catholiques orientaux ; Nous Nous appliquerons, sans relâche et avec le plus grand soin, à bien mériter des uns et des autres.
Daigne le Dieu très-clément donner à notre parole une vertu efficace ! que ses bénédictions se répandent sur ceux de nos frères et de nos fils qui partagent notre sollicitude pour le salut de vos âmes ! Oh ! si cette consolation Nous était donnée de voir l’unité catholique rétablie parmi les chrétiens de l’Orient et de trouver dans cette unité un nouveau secours pour propager de plus en plus la foi véritable de Jésus-Christ parmi les nations infidèles ! Nous ne cessons pas de le demander au Dieu des miséricordes, Père des lumières, par son Fils unique, notre Rédempteur, par les prières et les supplications les plus ardentes, invoquant la protection de la très bienheureuse Vierge, Mère de Dieu et des saints Apôtres, des Martyrs, des Pères, qui, par leur prédication, leur sang, leurs vertus et leurs écrits, ont conservé et propagé dans l’Orient la véritable religion du Christ. Remplis du désir de vous voir revenir au bercail de l’Église catholique, et de vous bénir comme nos frères et comme nos fils, et en attendant le jour où cette joie nous sera donnée, Nous témoignons de nouveau Notre affection et Notre tendresse aux catholiques répandus dans les contrées de l’Orient, à tous, Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, clercs et laïques, et Nous leur donnons Notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, le 6 janvier 1848, la seconde année de Notre pontificat.
Le Pape Pie IX.
Source : Journal « Irenikon » publié au monastère de Chevetogne, Belgique, 1929.
- Cf. le Bullaire de Benoît XIV, tome iv, n° 47 ; On peut consulter également d’autres constitutions du même pontife sur le même sujet, tome I, n° 87, et tome III, n° 44.[↩]
- Jn 17, 2, 20, et sv.[↩]
- Mt 16, 18–19.[↩]
- Lc 22, 31–32.[↩]
- Jn 21, 15 sv.[↩]
- Sosomène, Hist. eccles., lib. III, c. 8. Voyez aussi saint Athanase, dans son Apologie contre, les Ariens, passim.[↩]
- Cf. les lettres de saint Innocent Ier à saint Jean-Chrysostome et les lettres de saint Jean-Chrysostome à saint Innocent, au clergé et au peuple de Constantinople, au tom. III, des Œuvres de saint Jean-Chrysostome pag. 515 et suivantes, édition des Bénédictins de Saint-Maur.[↩]
- Labbe, tom. IV, pag. 1235 et 7755, éd. de Venise.[↩]
- Bibliotheca veterum patrum, a Gallandio édita, tom. I, p. 9 et seqq.[↩]
- Euseb. Hist. ecclesiast., lib. III, cap. 16. – Voyez encore dans Eusèbe, liv. IV. ch. 23, le témoignage de Denys, évêque de Corinthe.[↩]