Suite à la demande formulée par Jean-Paul II le 13 mai dernier, la troisième partie du secret de Fatima a été publiée le 26 juin. Sans doute aucun, il y a là une grâce propre à notre temps, qu’il nous faut saisir.
Dès l’abord du texte, le lecteur saisit de lui-même la portée de telle ou telle image du « troisième secret ». L’ange de la colère de Dieu, brandissant le glaive de feu, ne vient-il pas rappeler à tous que de Dieu on ne se moque pas, que le péché, contraire au respect dû à Dieu et à son œuvre, réclame vengeance au ciel (Michée, 5, 14) ? Rappel ô combien approprié à notre époque qui, croyant exalter l’amour paternel de Dieu, l’a en fait dénaturé pour avoir méprisé sa justice. Déjà saint Paul, l’apôtre de la grâce, se devait à de telles mises en garde : « Jésus apparaîtra dans le ciel, avec les messagers de sa puissance, au milieu d’une flamme de feu, pour faire justice de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent pas à l’Evangile de notre Seigneur Jésus » (II Thess. I, 8). Seule Notre-Dame, tout à la fois Immaculée et refuge des pécheurs, contient pour un temps l’exercice de cette divine justice : nous voyons un rayon immaculé sortir de sa main, et paralyser les desseins vengeurs de l’ange ; d’où l’importance toute particulière, en nos temps d’athéisme et de relativisme universel, de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Mais l’alternative n’en demeure pas moins tranchante. La conversion radicale (Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !) est le seul remède à la damnation éternelle, ainsi que l’indique d’ailleurs la suite de l’épître aux Thessaloniciens : « Ils subiront la peine d’une perdition éternelle, loin de la face du Seigneur et de l’éclat de sa puissance » (II Thess. I, 9).
Les limites de l’interprétation officielle
Malgré la limpidité des premières scènes, l’ensemble du « troisième secret » demeure bien obscur, d’où l’explication que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a joint aux lignes de sœur Lucie. Pourtant, cette “tentative” ne fut guère convaincante : la vision synthétique du XXe siècle qui nous y est présentée omet des faits aussi importants que le nazisme ou la montée de l’islamisme, omet également l’explication des phrases que sœur Lucie avait ajoutées au IVe mémoire : « Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi, etc. Cela ne le dites à personne. A François, oui, vous pouvez le dire ». Phrase incontournable en ce qui concerne la teneur du troisième secret, puisque la carmélite, un jour de 1943, déclara à l’évêque de Leiria que, d’une certaine manière, ces mots contenaient à eux seuls le troisième secret (cf. P. Alonso [1], La vérité sur le secret de Fatima, Madrid 1976, p. 64)
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, par la prudence des termes employés, a d’ailleurs reconnu les limites de ce qu’elle a dénommé une “tentative d’interprétation”. Maintes questions, plus pertinentes les unes que les autres, se sont posées pour faire correspondre cette analyse avec tout ce que les experts savaient de Fatima. N’en retenons qu’une seule : expliquant pourquoi le « troisième secret » ne devait être révélé qu’en 1960, sœur Lucie dit « qu’à cette date il paraîtrait plus clair ». En quoi la persécution de l’Eglise par le communisme, patente avec les événements qui secouèrent l’Espagne en 1936, fut-elle plus claire en 1960 ? Comment Jean XXIII, en pleine crise de Cuba, aurait-il pu dire, en présence du Cardinal Ottaviani : « Cela ne concerne pas les années de mon pontificat » ? (Père Alonso, La vérité sur le secret de Fatima, Te-qui, 1979, p. 106).
En fait, le texte du Cardinal Ratzinger a paradoxalement posé plus de problèmes qu’il n’était appelé à en résoudre, en raison de ses non-dits notamment. A l’origine de tous ces questionnements, la clé d’interprétation avancée par Mgr Bertone, dans son introduction historique. Selon la lettre que la voyante de Fatima adressait au Pape le 12 mai 1982, la vision contenue dans le troisième secret décrit les malheurs qui frapperaient l’Eglise au cas où celle-ci ne consacrerait pas, en un acte collégial, la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Par cette missive, la carmélite de Coïmbra venait dénoncer la consécration que, le lendemain, Jean-Paul II allait prononcer : celle-ci ne répondait pas aux demandes du ciel, et ce pour deux raisons : cette consécration serait le fait du seul pape, indépendamment de l’épiscopat, et avait pour objet de placer sous la protection du Cœur Immaculé de Marie le monde dans son entier, et non la Russie spécifiquement. Suite à ce “rappel à l’ordre”, Jean-Paul II, en union avec tous les évêques du monde, prononcera une deuxième formule consécratoire le 25 mars 1984 : « Nous te consacrons d’une manière spéciale les hommes et les nations qui ont particulièrement besoin de cette offrande et de cette consécration. » Malgré l’absence d’une mention explicite de la Russie, cette consécration suffit-elle à transformer le troisième secret, de menace pour l’avenir qu’il était, en clé d’interprétation pour le passé ? Tel semble être l’avis du Cardinal Ratzinger : « Les situations auxquelles fait référence le troisième secret de Fatima semblent désormais appartenir au passé » ; et de citer à l’appui les lignes que sœur Lucie écrivait le 8 novembre 1989 : « Oui, cela a été fait, comme Notre-Dame l’avait demandé, le 25 mars 1984 ». Ce que Mgr Bertone ne dit pas, c’est que, le 12 mars 1984, sœur Lucie après lecture du texte consécratoire, déclara à Mme Pestana, l’une de ses vieilles amies : « Cette consécration ne peut avoir un caractère décisif ». Le 25 avril 1986, à une cousine qui lui avait demandé au parloir, si la consécration avait été faite, elle redit « Non » en présence de plusieurs témoins. En mai 1989, sœur Lucie avait confirmé au cardinal Law, archevêque de Boston : « Non, cela n’a pas été fait ». L’absence des fruits promis par la Vierge en retour de cette consécration – conversion de la Russie au catholicisme et temps de paix – semblent donner raison à ces affirmations répétées. Alors, qu’en est-il de cette phrase du 8 novembre ? Reconnaissance plus ou moins extorquée, dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin et l’effondrement apparent du communisme ? Quoi qu’il en soit, il paraît difficile, dans les conditions actuelles, de bâtir toute l’interprétation du troisième secret autour de cette simple phrase.
Un secret partiellement révélé ?
C’est sans doute pourquoi certains spécialistes de Fatima (dont je ne suis pas), face à l’obscurité du tableau décrit, ont pensé que la Vierge elle-même aurait donné une ligne d’interprétation de cette vision, en des paroles introductives qui n’auraient pas été révélées par le Vatican. Si audacieuse que soit cette hypothèse, elle a pour elle d’avoir des arguments non négligeables.
Reprenons la fameuse phrase ajoutée par Lucie au 4° mémoire, après la transcription du 2° secret : « Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi, etc. Ceci, ne le dites à personne. A François, oui, vous pouvez le dire ». Ces derniers mots, non rapportés par le document d’interprétation, paraissaient sans importance jusqu’au 26 juin dernier. Pourtant, nous disent les tenants de cette thèse, ils ne peuvent être laissés de côté. En effet, le bienheureux François, au cours de chacune des apparitions, a toujours vu, mais n’a jamais rien entendu des paroles célestes. Or Notre Dame dit, en parlant de la 3° partie du secret (cf. le “etc.” de sœur Lucie qui suit la phrase relative au maintien de la foi) : « A François, oui, vous pouvez le dire ». Cela n’indique-t-il pas que la troisième partie du secret serait constituée, outre la description d’une vision, de paroles formelles de la Vierge ?
Pour accréditer davantage leur thèse, ces spécialistes avancent également le communiqué de presse que le Vatican diffusa le 8 février 1960 par l’intermédiaire de l’agence portugaise ANI (cf. La documentation catholique 1960 p. 752), pour annoncer que le secret ne serait pas publié. La troisième raison avancée pour justifier la non divulgation est ainsi formulée : « Bien que l’Eglise reconnaisse les apparitions de Fatima, elle ne désire pas prendre la responsabilité de garantir la véracité des paroles que les trois pastoureaux dirent que la Vierge leur avait adressées. »
Fatima et saint Jean Bosco
Pour ma part, si importantes soient-elles, je crains que ces interrogations sur ce qui peut-être n’a pas été dit ne nous détourne par trop du texte dévoilé. N’est-ce pas cette vision qui doit pour l’heure être l’objet premier de notre attention, donnée qu’elle est par l’Eglise ? Certes, les images intenses et graves s’y bousculent, obscures. Par nombre de ses expressions, elles m’ont néanmoins fait penser aux célèbres songes de saint Jean Bosco. Une procession douloureuse dont les membres appartiennent à tous les rangs de l’Eglise, un pape affligé traversant une ville à moitié en ruine au milieu des cadavres, des ennemis armés qui s’acharnent contre l’Eglise, deux anges consolateurs, la mort du chef suprême de l’Eglise : autant d’images familières au saint songeur de Turin, ainsi qu’en atteste ces quelques extraits sur lesquels je vous laisserai. « Maintenant, la voix du Ciel s’adresse au Pasteur des pasteurs. “Tu es, toi et tes assesseurs en grande réunion, mais l’ennemi du bien n’est pas en repos. Il étudie et use de tous les artifices contre toi ; il suscitera des ennemis parmi tes fils. Les puissances du siècle vomiront le feu et étoufferont les paroles des gardiens de ma loi. Cela ne sera pas” ». « Alors on vit une foule d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, de moines, de religieuses et de prêtres et à leur tête le souverain pontife, sortant du Vatican et se rangeant en cortège. Mais voici qu’un violent orage, obscurcissant la lumière, semblait entreprendre un combat entre elle et les ténèbres. Cependant on arrivait sur une place jonchée de morts, et de blessés ; certains d’entre eux demandaient du secours tandis que la procession s’éclaircissait beaucoup. Après avoir marché l’espace correspondant à deux cents levers de soleil, chacun s’aperçut qu’il ne se trouvait plus à Rome. L’effarement s’empara de tous les esprits et chacun se serra autour du pape pour sauvegarder sa personne et l’assister. A ce moment, on vit apparaître deux anges qui présentaient au pape un étendard […] Le pape se mit en marche et les rangs de la procession commencèrent à grossir. Lorsqu’il pénétra dans la ville sainte, il se mit à pleurer sur la désolation dans laquelle se trouvaient les habitants dont beaucoup n’étaient plus […] ». « […] Les ennemis [de l’Eglise] deviennent furieux et combattent à armes rapprochées en proférant des blasphèmes et des malédictions. Tout à coup, le pape est frappé gravement et tombe avec honneur. Secouru avec sollicitude, il est frappé une seconde fois, tombe de nouveau et meurt ».
Source : Lettre à nos frères prêtres
Le texte du troisième secret
« J.M.J.
La troisième partie du secret révélé le 13 juillet 1917 dans la Cova de Iria-Fatima.J’écris en obéissance à Vous, mon Dieu, qui me le commandez par l’intermédiaire de son Exc. Rev.
Monseigneur l’Évêque de Leiria et de Votre Très Sainte Mère, qui est aussi la mienne.Après les deux parties que j’ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre-Dame, un peu plus en hauteur, un Ange avec une épée de feu dans la main gauche ; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblait-il, devaient incendier le monde ; mais elles s’éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre-Dame en direction de lui ; l’Ange, indiquant la terre avec sa main droite, dit d’une voix forte : Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu : “Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant” un Évêque vêtu de Blanc, “nous avons eu le pressentiment que c’était le Saint-Père”. Divers autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande Croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne-liège avec leur écorce ; avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches ; et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques les Prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu.
Tuy – 3–1‑1944 ».
- Le Père Joaquin Maria Alonso fut le spécialiste officiel de Fatima (délégué par l’évêque de Leiria-Fatima) de 1966 à 1981, date de sa mort.[↩]