Pie VII

251ᵉ Pape ; de 1800 à 1823

13 septembre 1821

Lettre encyclique Ecclesiam a Jesu Christo

Sur les Francs-maçons et les sociétés secrètes

Donné à Rome, près Sainte-​Marie-​Majeure, le 13 sep­tembre 1821
Pie, évêque,
Serviteur des ser­vi­teurs de Dieu.

Pour en conser­ver le per­pé­tuel souvenir.

L’Église que Jésus-​Christ notre Sauveur a fon­dée sur la pierre ferme, et contre laquelle, selon la pro­messe du même Sauveur, les portes de l’enfer ne pré­vau­dront jamais, a été si sou­vent atta­quée, et par des enne­mis si ter­ribles que, sans cette divine et immuable pro­messe, il eût paru à craindre qu’elle ne suc­com­bât entiè­re­ment, cir­con­ve­nue, soit par la force, soit par les arti­fices de ses per­sé­cu­teurs. Ce qui est arri­vé dans des temps déjà recu­lés se renou­velle encore, et sur­tout à la déplo­rable époque où nous vivons, époque qui semble être ces der­niers temps, annon­cés tant de fois par les apôtres, où « vien­dront des impos­teurs mar­chant d’impiété en impié­té, en sui­vant leurs dési­rs ». Personne n’ignore quel nombre pro­di­gieux d’hommes cou­pables se sont ligués dans ces temps si dif­fi­ciles contre le Seigneur et contre le Christ, et ont mis tout en œuvre pour trom­per les fidèles par les sub­ti­li­tés d’une fausse et vaine phi­lo­so­phie, et pour les arra­cher du sein de l’Église, dans la folle espé­rance de rui­ner et de ren­ver­ser cette même Église. Pour atteindre plus faci­le­ment ce but, la plu­part d’entre eux ont for­mé des socié­tés occultes, des sectes clan­des­tines, se flat­tant par ce moyen d’en asso­cier plus libre­ment un plus grand nombre à leurs com­plots et à leurs des­seins pervers.

Il y a long­temps que ce Saint Siège, ayant décou­vert ces sectes, s’éleva contre elles avec force et cou­rage, et mit au grand jour les téné­breux des­seins qu’elles for­maient contre la reli­gion et contre la socié­té civile. Il y a déjà long­temps qu’il exci­ta l’attention géné­rale sur ce point, en pro­vo­quant la vigi­lance néces­saire pour que ces sectes ne pussent ten­ter l’exécution de leurs cou­pables pro­jets. Mais il faut gémir de ce que le zèle du Saint-​Siège n’a pas obte­nu les effets qu’il atten­dait, et de ce que ces hommes per­vers ne se sont pas désis­tés de leur entre­prise, de laquelle sont enfin résul­tés tous les mal­heurs que nous avons vus. Bien plus, ces hommes, dont l’orgueil s’enfle sans cesse, ont osé for­mer de nou­velles socié­tés secrètes.

Dans le nombre il faut indi­quer ici une socié­té nou­vel­le­ment for­mée, qui s’est pro­pa­gée au loin dans toute l’Italie et dans d’autres contrées, et qui, bien que divi­sée en plu­sieurs branches et por­tant dif­fé­rents noms, sui­vant les cir­cons­tances, est cepen­dant réel­le­ment une, tant par la com­mu­nau­té d’opinions et de vues que par sa consti­tu­tion. Elle est le plus sou­vent dési­gnée sous le nom de Carbonari. Ils affectent un sin­gu­lier res­pect et un zèle tout mer­veilleux pour la reli­gion catho­lique, et pour la doc­trine et la per­sonne de notre Sauveur Jésus-​Christ, qu’ils ont quel­que­fois la cou­pable audace de nom­mer leur grand-​maître et le chef de leur socié­té. Mais ces dis­cours, qui paraissent plus doux que l’huile, ne sont autre chose que des traits dont se servent ces hommes per­fides pour bles­ser plus sûre­ment ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Ils viennent à vous sem­blables à des bre­bis, mais ils ne sont au fond que des loups dévorants.

Sans doute, ce ser­ment si sévère par lequel, à l’exemple des anciens Priscillianistes, ils jurent qu’en aucun temps et qu’en aucune cir­cons­tance ils ne révé­le­ront quoique ce soit qui puisse concer­ner la socié­té, à des hommes qui n’y seraient point admis, ou qu’ils ne s’entretiendront jamais avec ceux des der­niers grades des choses rela­tives aux grades supé­rieurs ; de plus, ces réunions clan­des­tines et illé­gi­times qu’ils forment à l’instar de plu­sieurs héré­tiques, et cette agré­ga­tion de gens de toutes les reli­gions et de toutes les sectes, dans leur socié­té, montrent assez, quand même il ne s’y join­drait pas d’autres indices, qu’il ne faut avoir aucune confiance dans leurs discours.

Mais il n’est besoin ni de conjec­tures, ni de preuves, pour por­ter sur leurs dis­cours le juge­ment que Nous venons d’énoncer. Leurs livres impri­més, dans les­quels on trouve ce qui s’observe dans leurs réunions, et sur­tout dans celles des grades supé­rieurs, leurs caté­chismes, leurs sta­tuts, d’autres docu­ments authen­tiques et très dignes de foi, et les témoi­gnages de ceux qui, après avoir aban­don­né cette socié­té, en ont révé­lé aux magis­trats les arti­fices et les erreurs ; tout prouve que les Carbonari ont prin­ci­pa­le­ment pour but de pro­pa­ger l’indifférence en matière de reli­gion, le plus dan­ge­reux de tous les sys­tèmes ; de don­ner à cha­cun la liber­té abso­lue de se faire une reli­gion sui­vant ses pen­chants et ses idées ; de pro­fa­ner et de souiller la Passion du Sauveur par quelques-​unes de leurs cou­pables céré­mo­nies ; de mépri­ser les sacre­ments de l’Église (aux­quels ils paraissent par un hor­rible sacri­lège en sub­sti­tuer quelques-​uns inven­tés par eux), et même les mys­tères de la reli­gion catho­lique ; enfin, de ren­ver­ser ce Siège Apostolique contre lequel, ani­més d’une haine toute par­ti­cu­lière à cause de la pri­mau­té de cette Chaire [1], ils trament les com­plots les plus noirs et les plus détestables.

Les pré­ceptes de morale que donne la socié­té des Carbonari ne sont pas moins cou­pables, comme le prouvent ces mêmes docu­ments, quoiqu’elle se vante hau­te­ment d’exiger de ses sec­ta­teurs qu’ils aiment et pra­tiquent la cha­ri­té et les autres ver­tus, et s’abstiennent de tout vice. Ainsi elle favo­rise ouver­te­ment le plai­sir des sens ; ain­si elle enseigne qu’il est per­mis de tuer ceux qui révé­le­raient le secret dont Nous avons par­lé plus haut ; et quoique Pierre, le prince des apôtres, recom­mande aux chré­tiens « de se sou­mettre pour Dieu, à toute créa­ture humaine qu’il a éta­blie au-​dessus d’eux, soit au roi, comme étant le pre­mier dans l’État, soit aux magis­trats, comme étant les envoyés du roi, etc. » [2] et quoique l’apôtre saint Paul ordonne que « tout homme sois sou­mis aux puis­sances plus éle­vées, » [3] cepen­dant cette socié­té enseigne qu’il est per­mis d’exciter des révoltes pour dépouiller de leur puis­sance les rois et tous ceux qui com­mandent, aux­quels elle donne le nom inju­rieux de tyrans.

Tels sont les dogmes et pré­ceptes de cette socié­té, ain­si que tant d’autres qui y sont conformes. De là ces atten­tats com­mis der­niè­re­ment en Italie par les Carbonari, atten­tats qui ont tant affli­gé les hommes hon­nêtes et pieux. Nous donc qui sommes consti­tué le gar­dien de la mai­son d’Israël, qui est la sainte Église ; Nous qui, par Notre charge pas­to­rale, devons veiller à ce que le trou­peau du Seigneur, qui Nous a été divi­ne­ment confié, n’éprouve aucun dom­mage, Nous pen­sons que, dans une cause si grave, il Nous est impos­sible de Nous abs­te­nir de répri­mer les efforts sacri­lèges de cette socié­té. Nous sommes aus­si frap­pé de l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, d’heureuse mémoire, Clément XII et Benoît XIV, dont l’un, par sa consti­tu­tion In emi­nen­ti du 28 avril 1738, et l’autre, par sa consti­tu­tion Providas du 18 mai 1751, condam­nèrent et pro­hi­bèrent la socié­té De’ Liberi Muratori ou des Francs-​Maçons, ou bien les socié­tés dési­gnées par d’autres noms, sui­vant la dif­fé­rence des langues et des pays, socié­tés qui ont peut-​être été l’origine de celle des Carbonari ou qui cer­tai­ne­ment lui ont ser­vi de modèle ; et quoique Nous ayons déjà expres­sé­ment pro­hi­bé cette socié­té par deux édits sor­tis de Notre Secrétairerie d’État, Nous pen­sons, à l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, que des peines sévères doivent être solen­nel­le­ment décré­tées contre la socié­té, sur­tout puisque les Carbonari pré­tendent qu’ils ne peuvent être com­pris dans les deux consti­tu­tions de Clément XII et de Benoît XIV, ni être sou­mis aux peines qui y sont portées.

En consé­quence, après avoir enten­du une congré­ga­tion choi­sie par­mi Nos Vénérables Frères les Cardinaux, et sur l’avis de cette congré­ga­tion, ain­si que de Notre propre mou­ve­ment, et d’après une connais­sance cer­taine des choses et une mûre déli­bé­ra­tion, et par la plé­ni­tude du pou­voir apos­to­lique, Nous arrê­tons et décré­tons que la sus­dite socié­té des Carbonari, ou de quelque autre nom qu’elle soit appe­lée, doit être condam­née et pro­hi­bée, ain­si que ses réunions, affi­lia­tions et conven­ti­cules, et Nous la condam­nons et pro­hi­bons par Notre pré­sente consti­tu­tion, qui doit tou­jours res­ter en vigueur.

C’est pour­quoi Nous recom­man­dons rigou­reu­se­ment, et en ver­tu de l’obéissance due au Saint Siège, à tous les chré­tiens en géné­ral, et à cha­cun en par­ti­cu­lier, quels que soient leur état, leur grade, leur condi­tion, leur ordre, leur digni­té et leur pré­émi­nence, tant aux laïques qu’aux ecclé­sias­tiques, sécu­liers et régu­liers ; Nous leur recom­man­dons, disons-​nous, de s’abstenir de fré­quen­ter, sous quelque pré­texte que ce soit, la socié­té des Carbonari ou de la pro­pa­ger, de la favo­ri­ser, de la rece­voir ou de la cacher chez soi ou ailleurs, de s’y affi­lier, d’y prendre quelque grade, de lui four­nir le pou­voir et les moyens de se réunir quelque part, de lui don­ner des avis et des secours, de la favo­ri­ser ouver­te­ment ou en secret, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, par soi ou par d’autres, ou de quelque manière que se soit, ou d’insinuer, de conseiller, de per­sua­der à d’autres de se faire rece­voir dans cette socié­té, de l’aider et de la favo­ri­ser ; enfin, Nous leur recom­man­dons de s’abstenir entiè­re­ment de tout ce qui concerne cette socié­té, de ses réunions, affi­lia­tions et conven­ti­cules, sous peine de l’excommunication, qu’encourront tous ceux qui contre­vien­draient à la pré­sente consti­tu­tion, et dont per­sonne ne pour­ra rece­voir l’absolution que de Nous, ou du Pontife Romain alors exis­tant, à moins que ce ne soit à l’article de la mort.

Nous leur ordon­nons en outre, sous la même peine de l’excommunication, réser­vée à Nous et aux Pontifes Romains Nos suc­ces­seurs, de dénon­cer aux Évêques ou à qui de droit tous ceux qu’ils connaî­traient pour être membre de cette socié­té ou pour avoir trem­pé dans quelques-​uns des com­plots dont Nous avons parlé.

Enfin, pour repous­ser plus effi­ca­ce­ment tout dan­ger d’erreur, Nous condam­nons et Nous pros­cri­vons ce que les Carbonari nomment leurs caté­chismes, leurs livres où est écrit ce qui se passe dans leurs assem­blées, leurs sta­tuts, leurs codes, tous les livres écrits pour leur défense, soit impri­més, soit manus­crits, et défen­dons à tous les fidèles, sous la même peine d’excommunication, de lire ou de gar­der aucun de ces livres, leur ordon­nant en même temps de les livrer tous aux auto­ri­tés ordi­naires et aux autres qui ont le droit de les recevoir.

Nous vou­lons qu’on ajoute aux copies des pré­sentes même impri­mées, signées de la main d’un notaire public, et scel­lées du sceau d’une per­sonne consti­tuée en digni­té ecclé­sias­tique, la même foi que l’on ajou­te­rait aux pré­sentes, si elles étaient repré­sen­tées ou mon­trées en original.

Qu’il ne soit donc per­mis à aucun homme d’enfreindre ou de contra­rier, par une entre­prise témé­raire, cette Bulle de Notre confir­ma­tion, réno­va­tion, appro­ba­tion, com­mis­sion, invo­ca­tion, réqui­si­tion, décret et volon­té. Si quelqu’un est assez témé­raire pour le ten­ter, qu’il sache qu’il encour­ra l’indignation du Dieu Tout-​Puissant, et des bien­heu­reux apôtres S. Pierre et S. Paul.

Donné à Rome, près Sainte-​Marie-​Majeure, le 13 sep­tembre, de l’Incarnation de Notre Seigneur mil huit cent vingt-​et-​un, la vingt-​deuxième année de Notre Pontificat.

Pie VII, Pape

Notes de bas de page
  1. S. Aug. Epist. 43[]
  2. Ep. I. cap. II, vers. 13[]
  3. Rom. cap. III, v. 14[]