Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

20 avril 1884

Lettre encyclique Humanum Genus

Condamnation du relativisme philosophique de la franc-maçonnerie

Aux Vénérables Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres ordi­naires en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique

Depuis que, par la jalou­sie du démon, le genre humain s’est misé­ra­ble­ment sépa­ré de Dieu auquel il était rede­vable de son appel à l’exis­tence et des dons sur­na­tu­rels, il s’est par­ta­gé en deux camps enne­mis, les­quels ne cessent pas de com­battre, l’un pour la véri­té et la ver­tu, l’autre pour tout ce qui est contraire à la ver­tu et à la véri­té. Le pre­mier est le royaume de Dieu sur la terre, à savoir la véri­table Eglise de Jésus Christ, dont les membres, s’ils veulent lui appar­te­nir du fond du cœur et de manière à opé­rer le salut, doivent néces­sai­re­ment ser­vir Dieu et son Fils unique, de toute leur âme, de toute leur volon­té. Le second est le royaume de Satan. Sous son empire et en sa puis­sance se trouvent tous ceux qui, sui­vant les funestes exemples de leur chef et de nos pre­miers parents, refusent d’o­béir à la loi divine et mul­ti­plient leurs efforts, ici, pour se pas­ser de Dieu, là pour agir direc­te­ment contre Dieu.

Ces deux royaumes, saint Augustin les a vus et décrits avec une grande pers­pi­ca­ci­té, sous la forme de deux cités oppo­sées l’une à l’autre, soit par les lois qui les régissent, soit par l’i­déal qu’elles pour­suivent ; et, avec un ingé­nieux laco­nisme, il a mis en relief dans les paroles sui­vantes le prin­cipe consti­tu­tif de cha­cune d’elles : « Deux amours ont don­né nais­sance à deux cités : la cité ter­restre pro­cède de l’a­mour de soi por­té jus­qu’au mépris de Dieu ; la cité céleste pro­cède de l’a­mour de Dieu por­té jus­qu’au mépris de soi ». Dans toute la suite des siècles qui nous ont pré­cé­dés, ces deux cités n’ont pas ces­sé de lut­ter l’une contre l’autre, en employant toutes sortes de tac­tiques et les armes les plus diverses, quoique non tou­jours avec la même ardeur, ni avec la même impétuosité.

A notre époque, les fau­teurs du mal paraissent s’être coa­li­sés dans un immense effort, sous l’im­pul­sion et avec l’aide d’une Société répan­due en un grand nombre de lieux et for­te­ment orga­ni­sée, la Société des francs-​maçons. Ceux-​ci, en effet, ne prennent plus la peine de dis­si­mu­ler leurs inten­tions et ils riva­lisent d’au­dace entre eux contre l’au­guste majes­té de Dieu. C’est publi­que­ment, à ciel ouvert, qu’ils entre­prennent de rui­ner la sainte Eglise, afin d’ar­ri­ver, si c’é­tait pos­sible, à dépouiller com­plè­te­ment les nations chré­tiennes des bien­faits dont elles sont rede­vables au Sauveur Jésus Christ.

Gémissant à la vue des maux et sous l’im­pul­sion de la cha­ri­té, Nous Nous sen­tons sou­vent por­té à crier vers Dieu, « Seigneur, voi­ci que vos enne­mis font un grand fra­cas, ceux qui vous haïssent ont levé la tête. Ils ont our­di contre votre peuple des com­plots pleins de malice et ils ont réso­lu de perdre vos saints. Oui, ont-​ils dit, venez et chassons-​les du sein des nations ».

Cependant, en un si pres­sant dan­ger, en pré­sence d’une attaque si cruelle et si opi­niâtre du chris­tia­nisme, c” est de Notre devoir de signa­ler le péril, de dénon­cer les adver­saires, d’op­po­ser toute la résis­tance pos­sible à leurs pro­jets et à leur indus­trie, d’a­bord pour empê­cher la perte éter­nelle des âmes dont le salut Nous a été confié ; puis afin que le royaume de Jésus Christ, que Nous sommes char­gé de défendre, non seule­ment demeure debout et dans toute son inté­gri­té, mais fasse par toute la terre de nou­veau pro­grès, de nou­velles conquêtes.

Dans leur vigi­lante sol­li­ci­tude pour le salut du peuple chré­tien, Nos pré­dé­ces­seurs eurent bien vite recon­nu cet enne­mi capi­tal au moment où, sor­tant des ténèbres d’une conspi­ra­tion occulte, il s’é­lan­çait à l’as­saut en plein jour. Sachant ce qu’il était, ce qu’il vou­lait, et lisant pour ain­si dire dans l’a­ve­nir, ils don­nèrent aux princes et aux peuples le signal d’a­larme et les mirent en garde contre les embûches et les arti­fices pré­pa­rés pour les surprendre.

Le péril fut pro­non­cé pour la pre­mière fois par Clément XII en 1738, et la consti­tu­tion pro­mul­guée par ce pape fut renou­ve­lée et confir­mée par Benoît XIV. Pie VII mar­cha sur les traces des Pontifes et Léon XII, ren­fer­mant dans sa consti­tu­tion apos­to­lique Quo gra­vio­ra tous les actes et décrets des pré­cé­dents papes sur cette matière, les rati­fia et les confir­ma pour tou­jours. Pie VIII, Grégoire XVI et, à diverses reprises, Pie IX, ont par­lé dans le même sens.

Le but fon­da­men­tal et l’es­prit de la secte maçon­nique avaient été mis en pleine lumière par la mani­fes­ta­tion évi­dente de ses agis­se­ments, la connais­sance de ses prin­cipes, l’ex­po­si­tion de ses règles, de ses rites et de leurs com­men­taires aux­quels, plus d’une fois, s’é­taient ajou­tés les témoi­gnages de ses propres adeptes. En pré­sence de ces faits, il était tout simple que ce Siège apos­to­lique dénon­çât publi­que­ment la secte des francs-​maçons comme une asso­cia­tion cri­mi­nelle, non moins per­ni­cieuse aux inté­rêts du chris­tia­nisme qu’à ceux de la socié­té civile. Il édic­ta donc contre elle les peines les plus graves dont l’Eglise a cou­tume de frap­per les cou­pables et inter­dit de s’y affilier.

Irrités de cette mesure et espé­rant qu’ils pour­raient, soit par le dédain, soit par la calom­nie, échap­per à ces condam­na­tions ou en atté­nuer la force, les membres de la secte accu­sèrent les papes qui les avaient por­tées, tan­tôt d’a­voir ren­du des sen­tences iniques, tan­tôt d’a­voir excé­dé la mesure dans les peines infli­gées. C’est ain­si qu’ils s’ef­for­cèrent d’é­lu­der l’au­to­ri­té ou de dimi­nuer la valeur des consti­tu­tions pro­mul­guées par Clément XII, Benoît XIV, Pie VII et Pie IX.

Toutefois, dans les rangs mêmes de la secte, il ne man­qua pas d’as­so­ciés pour avouer, même mal­gré eux, que, étant don­né la doc­trine et la dis­ci­pline catho­liques, les Pontifes romains n’a­vaient rien fait que de très légitime.

A cet aveu, il faut joindre l’as­sen­ti­ment expli­cite d’un cer­tain nombre de princes ou de Chefs d’Etats qui eurent à cœur, soit de dénon­cer la socié­té des francs-​maçons au Siège apos­to­lique, soit de la frap­per eux-​mêmes comme dan­ge­reuse et por­tant des lois contre elle, ain­si que cela s’est pra­ti­qué en Hollande, en Autriche, en Suisse, en Espagne, en Bavière, en Savoie et dans quelques par­ties de l’Italie.

Il importe sou­ve­rai­ne­ment de faire remar­quer com­bien les évé­ne­ments don­nèrent rai­son à la sagesse de Nos pré­dé­ces­seurs. Leurs pré­voyantes et pater­nelles sol­li­ci­tudes n’eurent pas par­tout ni tou­jours le suc­cès dési­rable : ce qu’il faut attri­buer, soit à la dis­si­mu­la­tion et à l’as­tuce des hommes enga­gés dans cette secte per­ni­cieuse, soit à l’im­pru­dente légè­re­té de ceux qui auraient eu cepen­dant l’in­té­rêt le plus direct à la sur­veiller atten­ti­ve­ment. Il en résulte que, dans l’es­pace d’un siècle et demi, la secte des francs-​maçons a fait d’in­croyables pro­grès. Employant à la fois l’au­dace et la ruse, elle a enva­hi tous les rangs de la hié­rar­chie sociale et com­mence à prendre, au sein des États modernes, une puis­sance qui équi­vaut presque à la sou­ve­rai­ne­té. De cette rapide et for­mi­dable exten­sion sont pré­ci­sé­ment résul­tés pour l’Eglise, pour l’au­to­ri­té des princes, pour le salut public, les maux que Nos pré­dé­ces­seurs avaient depuis long­temps pré­vus. On est venu à ce point qu’il y a lieu de conce­voir pour l’a­ve­nir les craintes les plus sérieuses ; non certes, en ce qui concerne l’Eglise, dont les solides fon­de­ments ne sau­raient être ébran­lés par les efforts des hommes, mais par rap­port à la sécu­ri­té des Etats, au sein des­quels sont deve­nues trop puis­santes, ou cette secte de la franc-​maçonnerie, ou d’autres asso­cia­tions simi­laires qui se font ses coopé­ra­trices et ses satellites.

Pour tous ces motifs, à peine avions-​Nous mis la main au gou­ver­nail de l’Eglise que Nous avons clai­re­ment sen­ti la néces­si­té de résis­ter à un si grand mal et de dres­ser contre lui, autant qu’il serait pos­sible, Notre auto­ri­té apos­to­lique. Aussi pro­fi­tant de toutes les occa­sions favo­rables, Nous avons trai­té les prin­ci­pales thèses doc­tri­nales sur les­quelles les opi­nions per­verses de la secte maçon­nique semblent avoir exer­cé la plus grande influence. C’est ain­si que dans Notre ency­clique Quod apos­to­li mune­ris Nous Nous sommes effor­cé de com­battre les mons­trueux sys­tèmes des socia­listes et des com­mu­nistes. Notre autre ency­clique Arcanum Nous a per­mis de mettre en lumière et de défendre la notion véri­table et authen­tique de la socié­té domes­tique, dont le mariage est l’o­ri­gine et la source. Dans l’en­cy­clique Diuturnum Nous avons fait connaître, d’a­près les prin­cipes de la sagesse chré­tienne, l’es­sence du pou­voir poli­tique et mon­tré ses admi­rables har­mo­nies avec l’ordre natu­rel aus­si bien qu’a­vec le salut des peuples et des princes.

Aujourd’hui, à l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, Nous avons réso­lu de fixer direc­te­ment Notre atten­tion sur la socié­té maçon­nique, sur l’en­semble de sa doc­trine, sur ses pro­jets, ses sen­ti­ments et ses actes tra­di­tion­nels, afin de mettre en une plus écla­tante évi­dence, sa puis­sance pour le mal et d’ar­rê­ter dans ses pro­grès la conta­gion de ce funeste plan.

Il existe dans le monde un cer­tain nombre de sectes qui, bien qu’elles dif­fèrent les unes des autres par le nom, les rites, la forme, l’o­ri­gine, se res­semblent et sont d’ac­cord entre elles par l’a­na­lo­gie du but et des prin­cipes essen­tiels. En fait, elles sont iden­tiques à la franc-​maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point cen­tral d’où elles pro­cèdent et où elles abou­tissent. Et, bien qu’à pré­sent elles aient l’ap­pa­rence de ne pas aimer à demeu­rer cachées, bien qu’elles tiennent des réunions en plein jour et sous les yeux de tous, bien qu’elles publient leurs jour­naux, tou­te­fois, si l’on va au fond des choses, on peut voir qu’elles appar­tiennent à la famille des socié­tés clan­des­tines et qu’elles en gardent les allures. Il y a, en effet, chez elles, des espèces de mys­tères que leur consti­tu­tion inter­dit avec le plus grand soin de divul­guer, non seule­ment aux per­sonnes du dehors, mais même à bon nombre de leurs adeptes. A cette caté­go­rie, appar­tiennent les conseils intimes et suprêmes, les noms des chefs prin­ci­paux, cer­taines réunions plus occultes et inté­rieures ain­si que les déci­sions prises, avec les moyens et les agents d’exé­cu­tion. A cette loi du secret concourent mer­veilleu­se­ment : la divi­sion faite entre les asso­ciés des droits, des offices et des charges, la dis­tinc­tion hié­rar­chique savam­ment orga­ni­sée des ordres et des degrés et la dis­ci­pline sévère à laquelle tous sont sou­mis. La plu­part du temps, ceux qui sol­li­citent l’i­ni­tia­tion doivent pro­mettre, bien plus, ils doivent faire le ser­ment solen­nel de ne jamais révé­ler à per­sonne, à aucun moment, d’au­cune manière, les noms des asso­ciés, les notes carac­té­ris­tiques et les doc­trines de la Société. C’est ain­si que, sous les appa­rences men­son­gères et en fai­sant de la dis­si­mu­la­tion, une règle constante de conduite, comme autre­fois les mani­chéens, les francs-​maçons n’é­pargnent aucun effort pour se cacher et n’a­voir d’autres témoins que leurs complices.

Leur grand inté­rêt étant de ne pas paraître ce qu’ils sont, ils jouent le per­son­nage d’a­mis des lettres ou de phi­lo­sophes réunis ensemble pour culti­ver les sciences. Ils ne parlent que de leur zèle pour les pro­grès de la civi­li­sa­tion, de leur amour pour le pauvre peuple. A les en croire, leur seul but est d’a­mé­lio­rer le sort de la mul­ti­tude et d’é­tendre à un plus grand nombre d’hommes les avan­tages de la socié­té civile. Mais à sup­po­ser que ces inten­tions fussent sin­cères, elles seraient loin d’é­pui­ser tous leurs des­seins. En effet, ceux qui sont affi­liés doivent pro­mettre d’o­béir aveu­glé­ment et sans dis­cus­sion aux injonc­tions des chefs, de se tenir tou­jours prêts sur la moindre noti­fi­ca­tion, sur le plus léger signe, à exé­cu­ter les ordres don­nés, se vouant d’a­vance, en cas contraire, aux trai­te­ments les plus rigou­reux et même à la mort. De fait, il n’est pas rare que la peine du der­nier sup­plice soit infli­gée à ceux d’entre eux qui sont convain­cus, soit d’a­voir livré la dis­ci­pline secrète, soit d’a­voir résis­té aux ordres des chefs ; et cela se pra­tique avec une telle dex­té­ri­té que, la plu­part du temps, l’exé­cu­teur de ces sen­tences de mort échappe à la jus­tice éta­blie pour veiller sur les crimes et en tirer ven­geance. Or, vivre dans la dis­si­mu­la­tion et vou­loir être enve­lop­pé de ténèbres ; enchaî­ner à soi par les liens les plus étroits et sans leur avoir préa­la­ble­ment fait connaître à quoi ils s’en­gagent, des hommes réduits ain­si à l’é­tat d’es­claves ; employer à toutes sortes d’at­ten­tats ces ins­tru­ments pas­sifs d’une volon­té étran­gère ; armer pour le meurtre des mains à l’aide des­quelles on s’as­sure l’im­pu­ni­té du crime, ce sont là de mons­trueuses pra­tiques condam­nées par la nature elle-​même. La rai­son et la véri­té suf­fisent donc à prou­ver que la Société dont Nous par­lons est en oppo­si­tion for­melle avec la jus­tice et la mora­li­té naturelles.

D’autres preuves d’une grande clar­té, s’a­joutent aux pré­cé­dentes et font encore mieux voir com­bien, par sa consti­tu­tion essen­tielle, cette asso­cia­tion répugne à l’hon­nê­te­té. Si grandes, en effet, que puissent être par­mi les hommes l’as­tu­cieuse habi­le­té de la dis­si­mu­la­tion et l’ha­bi­tude du men­songe, il est impos­sible qu’une cause, quelle qu’elle soit, ne se tra­hisse pas par les effets qu’elle pro­duit : un bon arbre ne peut pas por­ter de mau­vais fruits, et un mau­vais n’en peut pas por­ter de bons.

Or, les fruits pro­duits par la secte maçon­nique sont per­ni­cieux et les plus amers. Voici, en effet, ce qui résulte de ce que Nous avons pré­cé­dem­ment indi­qué et cette conclu­sion Nous livre le der­nier mot de ses des­seins. Il s’a­git pour les francs-​maçons, et tous leurs efforts tendent à ce but, il s’a­git de détruire de fond en comble toute la dis­ci­pline reli­gieuse et sociale qui est née des ins­ti­tu­tions chré­tiennes et de lui en sub­sti­tuer une nou­velle façon­née à leurs idées et dont les prin­cipes fon­da­men­taux et les lois sont emprun­tées au naturalisme.

Tout ce que Nous venons ou ce que Nous Nous pro­po­sons de dire doit être enten­du de la secte maçon­nique envi­sa­gée dans son ensemble, en tant qu’elle embrasse d’autres socié­tés qui sont pour elle des soeurs et des alliées. Nous ne pré­ten­dons pas appli­quer toutes ces réflexions à cha­cun de leurs membres pris indi­vi­duel­le­ment. Parmi eux, en effet, il s’en peut trou­ver, et même en bon nombre, qui, bien que non exempts de faute pour s’être affi­liés à de sem­blables socié­tés, ne trempent cepen­dant pas dans leurs actes cri­mi­nels et ignorent le but final que ces socié­tés s efforcent d’at­teindre. De même encore, il se peut faire que quelques uns des groupes n’ap­prouvent pas les conclu­sions extrêmes aux­quelles la logique devrait les contraindre d’adhé­rer, puis­qu’elles découlent néces­sai­re­ment des prin­cipes com­muns à toute l’as­so­cia­tion. Mais le mal porte avec lui une tur­pi­tude qui, d’elle-​même, repousse et effraie. En outre, si des cir­cons­tances par­ti­cu­lières de temps ou de lieux peuvent per­sua­der à cer­taines frac­tions de demeu­rer en deçà de ce qu’elles sou­hai­te­raient de faire, ou de ce que font d’autres asso­cia­tions, il n’en faut pas conclure pour cela que ces groupes soient étran­gers au pacte fon­da­men­tal de la maçon­ne­rie. Ce pacte demande à être appré­cié, moins par les actes accom­plis et par leurs résul­tats que par l’es­prit qui l’a­nime et par ses prin­cipes généraux.

Or, le pre­mier prin­cipe des natu­ra­listes, c’est qu’en toutes choses, la nature ou la rai­son humaine doit être maî­tresse et sou­ve­raine. Cela posé, il s’a­git des devoirs envers Dieu, ou bien ils en font peu de cas, ou ils en altère l’es­sence par des opi­nions vagues et des sen­ti­ments erro­nés. Ils nient que Dieu soit l’au­teur d’au­cune révé­la­tion. Pour eux, en dehors de ce que peut com­prendre la rai­son humaine, il n’y a ni dogme reli­gieux, ni véri­té, ni maître en la parole de qui, au nom de son man­dat offi­ciel d’en­sei­gne­ment, on doive avoir foi. Or, comme la mis­sion tout à fait propre et spé­ciale de l’Eglise catho­lique consiste à rece­voir dans leur plé­ni­tude et à gar­der dans une pure­té incor­rup­tible, les doc­trines révé­lées de Dieu, aus­si bien que l’au­to­ri­té éta­blie pour les ensei­gner avec les autres secours don­nés du ciel en vue de sau­ver les hommes, c’est contre elle que les adver­saires déploient le plus d’a­char­ne­ment et dirigent leurs plus vio­lentes attaques.

Maintenant, qu’on voie à l’œuvre la secte des francs-​maçons dans les choses qui touchent à la reli­gion, là prin­ci­pa­le­ment où son action peut s’exer­cer avec une liber­té plus licen­cieuse et que l’on dise si elle ne semble pas s’être don­né pour man­dat de mettre à exé­cu­tion les décrets des naturalistes.

Ainsi, dut-​il lui en coû­ter un long et opi­niâtre labeur, elle se pro­pose de réduire à rien, au sein de la socié­té civile, le magis­tère et l’au­to­ri­té de l’Eglise ; d’où cette consé­quence que les francs-​maçons s’ap­pliquent à vul­ga­ri­ser, et pour laquelle ils ne cessent pas de com­battre, à savoir qu’il faut abso­lu­ment sépa­rer l’Eglise de l’Etat. Par suite, ils excluent des lois aus­si bien que de l’ad­mi­nis­tra­tion de la chose publique, la très salu­taire influence de la reli­gion catho­lique et ils abou­tissent logi­que­ment à la pré­ten­tion de consti­tuer l’Etat tout entier en dehors des ins­ti­tu­tions et des pré­ceptes de l’Eglise.

Mais il ne leur suf­fit pas d’ex­clure de toute par­ti­ci­pa­tion au gou­ver­ne­ment des affaires humaines, l’Eglise, ce guide si sage et si sûr : il faut encore qu’ils la traitent en enne­mie et usent de vio­lence contre elle. De là l’im­pu­ni­té avec laquelle, par la parole, par la plume, par l’en­sei­gne­ment, il est per­mis de s’at­ta­quer aux fon­de­ments même de la reli­gion catho­lique. Ni les droits de l’Eglise, ni les pré­ro­ga­tives dont la Providence l’a­vait dotée, rien n’é­chappe à leurs attaques. On réduit presque à rien sa liber­té d’ac­tion, et cela par des lois qui, en appa­rence, ne semblent pas trop oppres­sives, mais qui, en réa­li­té, sont expres­sé­ment faites pour enchaî­ner cette liber­té. Au nombre des lois excep­tion­nelles faites contre le cler­gé, Nous signa­le­rons par­ti­cu­liè­re­ment celles qui auraient pour résul­tat de dimi­nuer nota­ble­ment le nombre des ministres du sanc­tuaire et de réduire tou­jours davan­tage leurs moyens indis­pen­sables d’ac­tion et d’exis­tence. Les restes des biens ecclé­sias­tiques sou­mis à mille ser­vi­tudes, sont pla­cés sous la dépen­dance et le bon plai­sir d’ad­mi­nis­tra­teurs civils. Les com­mu­nau­tés reli­gieuses sont sup­pri­mées ou dispersées.

A l’é­gard du Siège apos­to­lique et du Pontife romain, l’i­ni­mi­tié de ces sec­taires a redou­blé d’in­ten­si­té. Après avoir, sous de faux pré­textes, dépouillé le pape de sa sou­ve­rai­ne­té tem­po­relle, néces­saire garan­tie de sa liber­té et de ses droits, ils l’ont réduit à une situa­tion tout à la fois inique et into­lé­rable, jus­qu’à ce qu’en­fin, en ces der­niers temps, les fau­teurs de ces sectes en soient arri­vés au point qui était depuis long­temps le but de leur secret des­sein : à savoir, de pro­cla­mer que le moment est venu de sup­pri­mer la puis­sance sacrée des Pontifes romains et de détruire entiè­re­ment cette Papauté qui est d’ins­ti­tu­tion divine. Pour mettre hors de doute l’exis­tence d’un tel plan, à défaut d’autres preuves, il suf­fi­rait d’in­vo­quer le témoi­gnage d’hommes qui ont appar­te­nu à la secte et dont la plu­part, soit dans le pas­sé, soit à une époque plus récente, ont attes­té comme cer­taine la volon­té où sont les francs-​maçons de pour­suivre le catho­li­cisme d’une ini­mi­tié exclu­sive et impla­cable, avec leur ferme réso­lu­tion de ne s’ar­rê­ter qu’a­près avoir rui­né de fond en comble toutes les ins­ti­tu­tions reli­gieuses éta­blies par les Papes.

Que si tous les membres de la secte ne sont pas obli­gés d’ad­ju­rer expli­ci­te­ment le catho­li­cisme, cette excep­tion, loin de nuire au plan géné­ral de la franc-​maçonnerie, sert plu­tôt ses inté­rêts. Elle lui per­met d’a­bord de trom­per plus faci­le­ment les per­sonnes simples et sans défiance, et elle rend acces­sible à un plus grand nombre l’ad­mis­sion dans la secte. De plus, en ouvrant leurs rangs à des adeptes qui viennent à eux des reli­gions les plus diverses, ils deviennent plus capables d’ac­cré­di­ter la grande erreur du temps pré­sent, laquelle consiste à relé­guer au rang des choses indif­fé­rentes le sou­ci de la reli­gion, et à mettre sur le pied de l’é­ga­li­té toutes les formes reli­gieuses. Or, à lui seul, ce prin­cipe suf­fit à rui­ner toutes les reli­gions, et par­ti­cu­liè­re­ment la reli­gion catho­lique, car, étant la seule véri­table, elle ne peut, sans subir la der­nière des injures et des injus­tices, tolé­rer que les autres reli­gions lui soit égalées.

Les natu­ra­listes vont encore plus loin. Audacieusement enga­gés dans la voie de l’er­reur sur les plus impor­tantes ques­tions, ils sont entraî­nés et comme pré­ci­pi­tés par la logique jus­qu’aux consé­quences les plus extrêmes de leurs prin­cipes, soit à cause de la fai­blesse de la nature humaine, soit par le juste châ­ti­ment dont Dieu frappe leur orgueil. Il suit de là qu’ils ne gardent même plus dans leur inté­gri­té et dans leur cer­ti­tude, les véri­tés acces­sibles à la seule lumière de la rai­son natu­relle, telles que sont assu­ré­ment l’exis­tence de Dieu, la spi­ri­tua­li­té et l’im­mor­ta­li­té de l’âme. Emportée dans cette nou­velle voie d’er­reur, la secte des francs-​maçons n’a pas échap­pé à ces écueils. En effet, bien que, prise dans son ensemble, la secte fasse pro­fes­sion de croire à l’exis­tence de Dieu, le témoi­gnage de ses propres membres éta­blit que cette croyance n’est pas, pour cha­cun d’eux indi­vi­duel­le­ment, l’ob­jet d’un assen­ti­ment ferme et d’une inébran­lable cer­ti­tude. Ils ne dis­si­mulent pas que la ques­tion de Dieu est par­mi eux une cause de grands dis­sen­ti­ments. Il est même avé­ré qu’il y a peu de temps, une sérieuse contro­verse s’est enga­gée entre eux à ce sujet. En fait, la secte laisse aux ini­tiés liber­té entière de se pro­non­cer en tel ou tel sens, soit pour affir­mer l’exis­tence de Dieu, soit pour la nier ; et ceux qui nient réso­lu­ment ce dogme sont aus­si bien reçus à l’i­ni­tia­tion que ceux qui, d’une façon cer­taine, l’ad­mettent encore, mais en le déna­tu­rant, comme les pan­théistes dont l’er­reur consiste pré­ci­sé­ment, tout en rete­nant de l’Etre divin on ne sait quelles absurdes appa­rences, à faire dis­pa­raître ce qu’il y a d’es­sen­tiel dans la véri­té de son existence.

Or, quand ce fon­de­ment néces­saire est détruit ou seule­ment ébran­lé, il va de soi que les autres prin­cipes de l’ordre natu­rel chan­cellent dans la rai­son humaine et qu’elle ne sait plus à quoi s’en tenir, ni sur la créa­tion du monde par un acte libre et sou­ve­rain du Créateur, ni sur le gou­ver­ne­ment de la Providence, ni sur la sur­vi­vance de l’âme et de la réa­li­té d’une vie future et immor­telle suc­cé­dant à la vie pré­sente. L’effondrement des véri­tés, qui sont la base de l’ordre natu­rel et qui importent si fort à la conduite ration­nelle et pra­tique de la vie, aura un contre­coup sur les moeurs pri­vées et publiques. Passons sous silence ces ver­tus sur­na­tu­relles que, à moins d’un don spé­cial de Dieu, per­sonne ne peut ni pra­ti­quer ni acqué­rir ; ces ver­tus dont il est impos­sible de trou­ver aucune trace chez ceux qui font pro­fes­sion d’i­gno­rer dédai­gneu­se­ment la rédemp­tion du genre humain, la grâce des sacre­ments, le bon­heur futur à conqué­rir dans le ciel. Nous par­lons sim­ple­ment des devoirs qui résultent des prin­cipes de l’hon­nê­te­té naturelle.

Un Dieu qui a créé le monde et qui le gou­verne par sa Providence ; une loi éter­nelle dont les pres­crip­tions ordonnent de res­pec­ter l’ordre de la nature et défendent de le trou­bler ; une fin der­nière pla­cée pour l’âme dans une région supé­rieure aux choses humaines et au-​delà de cette hôtel­le­rie ter­restre ; voi­là les sources, voi­là les prin­cipes de toute jus­tice et hon­nê­te­té. Faites-​les dis­pa­raître (c’est la pré­ten­tion des natu­ra­listes et des francs-​maçons) et il sera impos­sible de savoir en quoi consiste la science du juste et de l’in­juste ou sur quoi elle s’ap­puie. Quant à morale, la seule chose qui ait trou­vé grâce devant les membres de la secte franc-​maçonnique et dans laquelle ils veulent que la jeu­nesse soit ins­truite avec soin, c’est celle qu’ils appellent « morale civique », « morale indé­pen­dante », « morale libre », en d’autres termes, morale qui ne fait aucune place aux idées religieuses.

Or, com­bien une telle morale est insuf­fi­sante, jus­qu’à quel point elle manque de soli­di­té et flé­chit sous le souffle des pas­sions, on le peut voir assez par les tristes résul­tats qu’elle a déjà don­nés. Là en effet où, après avoir pris la place de la morale chré­tienne, elle a com­men­cé à régner avec plus de liber­té, on a vu promp­te­ment dépé­rir la pro­bi­té et l’in­té­gri­té des moeurs, gran­dir et se for­ti­fier les opi­nions les plus mons­trueuses, et l’au­dace des crimes par­tout déborde. Ces maux pro­voquent aujourd’­hui des plaintes et des lamen­ta­tions uni­ver­selles, aux­quelles font par­fois échos bon nombre de ceux-​là mêmes qui, bien mal­gré eux, sont contraints de rendre hom­mage à l’é­vi­dence de la vérité.

En outre, la nature humaine ayant été vio­lée par le péché ori­gi­nel, et à cause de cela, étant deve­nue beau­coup plus dis­po­sée au vice qu’à la ver­tu, l’hon­nê­te­té est abso­lu­ment impos­sible si les mou­ve­ments désor­don­nés de l’âme ne sont pas répri­més et si les appé­tits n’o­béissent pas à la rai­son. Dans ce conflit, il faut sou­vent mépri­ser les inté­rêts ter­restres et se résoudre aux plus durs tra­vaux et à la souf­france, pour que la rai­son vic­to­rieuse demeure en pos­ses­sion de sa prin­ci­pau­té. Mais les natu­ra­listes et les francs-​maçons n’a­joutent aucune foi à la Révélation que Nous tenons de Dieu, nient que le père du genre humain ait péché et, par consé­quent, que les forces du libre arbitre soient d’une façon « débi­li­tées ou incli­nées vers le mal ». Tout au contraire, ils exa­gèrent la puis­sance et l’ex­cel­lence de la nature et, met­tant uni­que­ment en elle le prin­cipe et la règle de la jus­tice, ils ne peuvent même pas conce­voir la néces­si­té de faire de constants efforts et de déployer un très grand cou­rage pour com­pri­mer les révoltes de la nature et pour impo­ser silence à ses appétits.

Aussi voyons-​nous mul­ti­plier et mettre à la por­tée de tous les hommes ce qui peut flat­ter leurs pas­sions. Journaux et bro­chures d’où la réserve et la pudeur sont ban­nies ; repré­sen­ta­tions théâ­trales dont la licence passe les bornes ; œuvres artis­tiques où s’é­talent avec un cynisme révol­tant les prin­cipes de ce qu’on appelle aujourd’­hui le réa­lisme ; inven­tions ingé­nieuses des­ti­nées à aug­men­ter les déli­ca­tesses et les jouis­sances de la vie ; en un mot, tout est mis en œuvre pour satis­faire l’a­mour du plai­sir avec lequel finit par se mettre d’ac­cord la ver­tu endormie.

Assurément ceux-​là sont cou­pables mais, en même temps, ils sont consé­quents avec eux-​mêmes qui, sup­pri­mant l’es­pé­rance des biens futurs, abaissent la féli­ci­té au niveau des choses péris­sables, plus bas même que les hori­zons ter­restres. A l’ap­pui de ces asser­tions, il serait facile de pro­duire des faits cer­tains bien qu’en appa­rence, incroyables. Personne en effet, n’o­béis­sant avec autant de ser­vi­li­té à ces habiles et rusés per­son­nages que ceux dont le cou­rage s’est éner­vé et bri­sé dans l’es­cla­vage des pas­sions, il s’est trou­vé dans la franc-​maçonnerie des sec­taires pour sou­te­nir qu’il fal­lait sys­té­ma­ti­que­ment employer tous les moyens de satu­rer la mul­ti­tude de licences et de vices, bien assu­rés qu’à ces condi­tions, elle serait tout entière entre leurs mains et pour­rait ser­vir d’ins­tru­ment à l’ac­com­plis­se­ment de leurs pro­jets les plus audacieux.

Relativement à la socié­té domes­tique, voi­ci à quoi se résume l’en­sei­gne­ment des natu­ra­listes. Le mariage n’est qu’une varié­té de l’es­pèce des contrats ; il peut donc être légi­ti­me­ment dis­sout à la volon­té des contrac­tants. Les chefs du gou­ver­ne­ment ont puis­sance sur le lien conju­gal. Dans l’é­du­ca­tion des enfants, il n’y a rien à leur ensei­gner métho­di­que­ment, ni à leur pres­crire en fait de reli­gion. C’est affaire à cha­cun d’eux, lors­qu’ils seront en âge, de choi­sir la reli­gion qui leur plai­ra. Or, non seule­ment les francs-​maçons adhèrent entiè­re­ment à ces prin­cipes, mais ils s’ap­pliquent à les faire pas­ser dans les mœurs et dans les ins­ti­tu­tions. Déjà, dans beau­coup de pays, même catho­liques, il est éta­bli qu’en dehors du mariage civil, il n’y a pas d’u­nion légi­time. Ailleurs, la loi auto­rise le divorce que d’autres peuples s’ap­prêtent à intro­duire dans leur légis­la­tion, le plus tôt pos­sible. Toutes ces mesures hâtent la réa­li­sa­tion pro­chaine du pro­jet de chan­ger l’es­sence du mariage et de le réduire à n’être plus qu’une union instable, éphé­mère, née du caprice d’un ins­tant et pou­vant être dis­soute quand ce caprice changera.

La secte concentre aus­si toutes ses éner­gies et tous ses efforts pour s’emparer de l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse. Les francs-​maçons espèrent qu’ils pour­ront aisé­ment for­mer d’a­près leurs idées cet âge si tendre et en plier la flexi­bi­li­té dans le sens qu’ils vou­dront, rien ne devant être plus effi­cace pour pré­pa­rer à la socié­té civile, une race de citoyens telle qu’ils rêvent de la lui don­ner. C’est pour cela que, dans l’é­du­ca­tion et l’ins­truc­tion des enfants, ils ne veulent tolé­rer les ministres de l’Eglise, ni comme sur­veillants, ni comme pro­fes­seurs. Déjà, dans plu­sieurs pays, ils ont réus­si à faire confier exclu­si­ve­ment à des laïques l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse, aus­si bien qu’à pros­crire tota­le­ment de l’en­sei­gne­ment de la morale, les grands et saints devoirs qui unissent l’homme à Dieu.

Viennent ensuite les dogmes de la science poli­tique. Voici quelles sont en cette matière les thèses des natu­ra­listes : « Les hommes sont égaux en droit ; tous, à tous les points de vue, sont d’é­gale condi­tion. Etant tous libres par nature, aucun d’eux n’a le droit de com­man­der à un de ses sem­blables et c’est faire vio­lence aux hommes que de pré­tendre les sou­mettre à une auto­ri­té quel­conque, à moins que cette auto­ri­té ne pro­cède d’eux-​mêmes. Tout pou­voir est dans le peuple libre ; ceux qui exercent le com­man­de­ment n’en sont les déten­teurs que par le man­dat ou par la conces­sion du peuple, de telle sorte que si la volon­té popu­laire change, il faut dépouiller de leur auto­ri­té les chefs de l’Etat, même mal­gré eux. La source de tous les droits et de toutes les fonc­tions civiles réside, soit dans la mul­ti­tude, soit dans le pou­voir qui régit l’Etat, mais quand il a été consti­tué d’a­près les nou­veaux prin­cipes. En outre, l’Etat doit être athée. Il ne trouve, en effet, dans les diverses formes reli­gieuses, aucune rai­son de pré­fé­rer l’une à l’autre ; donc, toutes doivent être mises sur un pied d’égalité ».

Or, que ces doc­trines soient pro­fes­sées par les francs-​maçons, que tel soit pour eux l’i­déal d’a­près lequel ils entendent consti­tuer les socié­tés, cela est presque trop évident pour avoir besoin d’être prou­vé. Il y a déjà long­temps qu’ils tra­vaillent à le réa­li­ser, en y employant toutes leurs forces et toutes leurs res­sources. Ils frayent ain­si le che­min à d’autres sec­taires nom­breux et plus auda­cieux, qui se tiennent prêts à tirer de ces faux prin­cipes des conclu­sions encore plus détes­tables, à savoir le par­tage égal et la com­mu­nau­té des biens entre tous les citoyens, après que toute dis­tinc­tion de rang et de for­tune aura été abolie.

Les faits que Nous venons de résu­mer mettent en une lumière suf­fi­sante la consti­tu­tion intime des francs-​maçons et montrent clai­re­ment par quelle route ils s’a­che­minent vers leur but. Leurs dogmes prin­ci­paux sont en un si com­plet et si mani­feste désac­cord avec la rai­son qu’il ne se peut ima­gi­ner rien de plus per­vers. En effet, vou­loir détruire la reli­gion et l’Eglise, éta­blies par Dieu lui-​même et assu­rées par lui d’une per­pé­tuelle pro­tec­tion, pour rame­ner par­mi nous, après dix huit siècles, les moeurs et les ins­ti­tu­tions des païens, n’est-​ce pas le comble de la folie et de la plus auda­cieuse impié­té ? Mais ce qui n’est ni moins hor­rible ni plus sup­por­table, c’est de voir répu­dier les bien­faits misé­ri­cor­dieux acquis par Jésus Christ, d’a­bord aux indi­vi­dus, puis aux hommes grou­pés en familles et en nations : bien­faits qui, au témoi­gnage des enne­mis du chris­tia­nisme, sont du plus haut prix. Certes, dans un plan si insen­sé et si cri­mi­nel, il est bien per­mis de recon­naître la haine impla­cable dont Satan est ani­mé à l’é­gard de Jésus Christ et sa pas­sion de vengeance.

L’autre des­sein, à la réa­li­sa­tion duquel les francs-​maçons emploient tous leurs efforts, consiste à détruire les fon­de­ments prin­ci­paux de la jus­tice et de l’hon­nê­te­té. Par là, ils se font les auxi­liaires de ceux qui vou­draient, qu’à l’ins­tar de l’a­ni­mal, l’homme n’eût d’autre règle d’ac­tion que ses dési­rs. Ce des­sein ne va rien moins qu’à désho­no­rer le genre humain et à le pré­ci­pi­ter igno­mi­nieu­se­ment à sa perte. Le mal s’aug­mente de tous les périls qui menacent la socié­té domes­tique et la socié­té civile. Ainsi que Nous l’a­vons expo­sé ailleurs, tous les peuples, tous les siècles s’ac­cordent à recon­naître dans le mariage quelque chose de sacré et de reli­gieux et la loi divine a pour­vu à ce que les unions conju­gales ne puissent pas être dis­soutes. Mais si elles deviennent pure­ment pro­fanes, s’il est per­mis de le rompre au gré des contrac­tants, aus­si­tôt la consti­tu­tion de la famille sera en proie au trouble et à la confu­sion ; les femmes seront décou­ron­nées de leur digni­té ; toute pro­tec­tion et toute sécu­ri­té dis­pa­raî­tront pour les enfants et pour leurs intérêts.

Quant à la pré­ten­tion de faire l’Etat com­plè­te­ment étran­ger à la reli­gion et pou­vant admi­nis­trer les affaires publiques sans tenir plus de compte de Dieu que s’il n’exis­tait pas, c’est une témé­ri­té sans exemple, même chez les païens. Ceux-​ci por­taient si pro­fon­dé­ment gra­vée au plus intime de leur âme, non seule­ment une idée vague des cieux, mais la néces­si­té sociale de la reli­gion, qu’à leur sens il eût été plus aisé à une ville de se tenir debout sans être appuyée au sol que pri­vée de Dieu. De fait, la socié­té du genre humain, pour laquelle la nature nous a créés, a été consti­tuée par Dieu autour de la nature. De lui, comme prin­cipe et comme source, découlent dans leur force et dans leur péren­ni­té, les bien­faits innom­brables dont elle nous enri­chit. Aussi, de même que la voix de la nature rap­pelle à chaque homme en par­ti­cu­lier l’o­bli­ga­tion où il est d’of­frir à Dieu le culte d’une pieuse recon­nais­sance, parce que c’est à lui que nous sommes rede­vables de la vie et des biens qui l’ac­com­pagnent, un devoir sem­blable s’im­pose aux peuples et aux sociétés.

De là résulte avec la der­nière évi­dence que ceux qui veulent bri­ser toute rela­tion entre la socié­té civile et les devoirs de la reli­gion, ne com­mettent pas seule­ment une injus­tice, mais, par leur conduite, prouvent leur igno­rance et leur inep­tie. En effet, c’est par la volon­té de Dieu que les hommes naissent pour être réunis et pour vivre en socié­té ; l’au­to­ri­té est le lien néces­saire au main­tien de la socié­té civile, de telle sorte que, ce lien bri­sé, elle se dis­sout fata­le­ment et immé­dia­te­ment. L’autorité a donc pour auteur le même Etre qui a créé la socié­té. Aussi, quel que soit celui entre les mains de qui le pou­voir réside, il est le ministre de Dieu. Par consé­quent, dans la mesure où l’exigent la fin et la nature de la socié­té humaine, il faut obéir au pou­voir légi­time com­man­dant des choses justes, comme à l’au­to­ri­té même de Dieu qui gou­verne tout ; et rien n’est plus contraire à la véri­té que de sou­te­nir qu’il dépend de la volon­té du peuple de refu­ser cette obéis­sance quand il lui plaît.

De même, si l’on consi­dère que tous les hommes sont de même race et de même nature et qu’ils doivent tous atteindre la même fin der­nière et si l’on regarde aux devoirs et aux droits qui découlent de cette com­mu­nau­té d’o­ri­gine et de des­ti­née, il n’est pas dou­teux qu’ils soient tous égaux. Mais, comme ils n’ont pas tous les mêmes res­sources d’in­tel­li­gence et qu’ils dif­fèrent les uns des autres, soit par les facul­tés de l’es­prit, soit par les éner­gies phy­siques, comme enfin il existe entre eux mille dis­tinc­tions de mœurs, de goûts, de carac­tères, rien ne répugne tant à la rai­son que de pré­tendre les rame­ner tous à la même mesure et d’in­tro­duire dans les ins­truc­tions de la vie civile une éga­li­té rigou­reuse et mathé­ma­tique. De même en effet que la par­faite consti­tu­tion du corps humain résulte de l’u­nion et de l’as­sem­blage des membres, qui n’ont ni les mêmes forces, ni les mêmes fonc­tions, mais dont l’heu­reuse asso­cia­tion et le concours har­mo­nieux donnent à tout l’or­ga­nisme sa beau­té plas­tique, sa force et son apti­tude à rendre les ser­vices néces­saires, de même, au sein de la socié­té humaine, se trouve une varié­té presque infi­nie de par­ties dis­sem­blables. Si elles étaient toutes égales entre elles et libres, cha­cune pour son compte, d’a­gir à leur guise, rien ne serait plus dif­forme qu’une telle socié­té. Si, au contraire, par une sage hié­rar­chie des mérites, des goûts, des apti­tudes, cha­cune d’elles concourt au bien géné­ral, vous voyez se dres­ser devant vous l’i­mage d’une socié­té bien ordon­née et conforme à la nature.

Les mal­fai­santes erreurs que Nous venons de rap­pe­ler menacent les Etats des dan­gers les plus redou­tables. En effet, sup­pri­mez la crainte de Dieu et le res­pect dû à ses lois ; lais­sez tom­ber en dis­cré­dit l’au­to­ri­té des princes ; don­nez libre car­rière et encou­ra­ge­ment à la manie des révo­lu­tions ; lâchez la bride aux pas­sions popu­laires ; bri­sez tout frein sauf celui du châ­ti­ment ; vous abou­tis­sez par la force des choses à un bou­le­ver­se­ment uni­ver­sel et à la ruine de toutes les ins­ti­tu­tions : tel est, il est vrai, le but avé­ré, expli­cite, que pour­suivent de leurs efforts beau­coup d’as­so­cia­tions com­mu­nistes et socia­listes ; et la secte des francs-​maçons n’a pas le droit de se dire étran­gère à leurs atten­tats, puis­qu’elle favo­rise leurs des­seins et que, sur le ter­rain des prin­cipes, elle est entiè­re­ment d’ac­cord avec elles. Si ces prin­cipes ne pro­duisent pas immé­dia­te­ment et par­tout leurs consé­quences extrêmes, ce n’est ni à la dis­ci­pline de la secte, ni à la volon­té des sec­taires qu’il faut l’at­tri­buer ; mais d’a­bord à la ver­tu de cette divine reli­gion qui ne peut être anéan­tie ; puis aus­si à l’ac­tion des hommes qui, for­mant la par­tie la plus saine des nations, refusent de subir le joug des socié­tés secrètes et luttent avec cou­rage contre leurs entre­prises insensées.

Et plût à Dieu que tous, jugeant l’arbre par ses fruits, sussent recon­naître le germe et le prin­cipe des maux qui nous accablent, des dan­gers qui nous menacent. Nous avons affaire à un enne­mi rusé et fécond en arti­fices. Il excelle à cha­touiller agréa­ble­ment les oreilles des princes et des peuples ; il a su prendre les uns et les autres par la dou­ceur de ses maximes et l’ap­pât de ses flat­te­ries. Les princes ? Les francs-​maçons se sont insi­nués dans leurs faveurs sous le masque de l’a­mi­tié, pour faire d’eux des alliés et de puis­sants auxi­liaires, à l’aide des­quels ils oppri­me­raient plus sûre­ment les catho­liques. Afin d’ai­guillon­ner plus vive­ment le zèle de ces hauts per­son­nages, ils pour­suivent l’Eglise d’im­pu­dentes calom­nies. C’est ain­si qu’ils l’ac­cusent d’être jalouse de la puis­sance des sou­ve­rains et de leur contes­ter leurs droits. Assurés par cette poli­tique, de l’im­pu­ni­té de leur audace, ils ont com­men­cé à jouir d’un grand cré­dit sur les gou­ver­ne­ments. D’ailleurs, ils se tiennent tou­jours prêts à ébran­ler les fon­de­ments des empires, à pour­suivre, à dénon­cer et même à chas­ser les princes, toutes les fois que ceux-​ci paraissent user du pou­voir autre­ment que la secte ne l’exige.

Les peuples, ils se jouent d’eux en les flat­tant par des pro­cé­dés sem­blables. Ils ont tou­jours à la bouche les mots de « liber­té » et de « pros­pé­ri­té publique ». A les en croire, c’est l’Eglise, ce sont les sou­ve­rains qui ont tou­jours fait obs­tacle à ce que les masses fussent arra­chées à une ser­vi­tude injuste et déli­vrées de la misère. Ils ont séduit le peuple par ce lan­gage fal­la­cieux et, exci­tant en lui la soif des chan­ge­ments, ils l’ont lan­cé à l’as­saut des deux puis­sances ecclé­sias­tique et civile. Toutefois, la réa­li­té des avan­tages qu’on espère demeure tou­jours au-​dessous de l’i­ma­gi­na­tion et de ses dési­rs. Bien loin d’être deve­nu plus heu­reux, le peuple, acca­blé par une oppres­sion et une misère crois­santes, se voit encore dépouillé des conso­la­tions qu’il eût pu trou­ver avec tant de faci­li­té et d’a­bon­dance dans les croyances et les pra­tiques de la reli­gion chré­tienne. Lorsque les hommes s’at­taquent avec l’ordre pro­vi­den­tiel­le­ment éta­bli par une juste puni­tion de leur orgueil, ils trouvent sou­vent l’af­flic­tion et la ruine de la for­tune pros­père sur laquelle ils avaient témé­rai­re­ment comp­té pour l’as­sou­vis­se­ment de tous leurs désirs.

Quant à l’Eglise, si, par-​dessus toute chose, elle ordonne aux hommes d’o­béir à Dieu, sou­ve­rain Seigneur de l’Univers, l’on por­te­rait contre elle un juge­ment calom­nieux si l’on croyait qu’elle est jalouse de la puis­sance civile ou qu’elle songe à entre­prendre sur les droits des princes. Loin de là ! Elle met sous la sanc­tion du devoir et de la conscience, l’o­bli­ga­tion de rendre à la puis­sance civile ce qui lui est légi­ti­me­ment dû. Si elle fait décou­ler de Dieu lui-​même, le droit de com­man­der, il en résulte pour l’au­to­ri­té, un sur­croît consi­dé­rable de digni­té et une faci­li­té plus grande de se conci­lier l’o­béis­sance, le res­pect et le bon vou­loir des citoyens.

D’ailleurs, tou­jours amie de la paix, c’est elle qui entre­tient la concorde en embras­sant tous les hommes dans la ten­dresse de sa cha­ri­té mater­nelle. Uniquement atten­tive à pro­cu­rer le bien des mor­tels, elle ne se lasse pas de rap­pe­ler qu’il faut tou­jours tem­pé­rer la jus­tice par la clé­mence, le com­man­de­ment par l’é­qui­té, les lois par la modé­ra­tion ; que le droit de cha­cun est invio­lable ; que c’est un devoir de tra­vailler au main­tien de l’ordre et de la tran­quilli­té géné­rale et de venir en aide, dans toute la mesure du pos­sible, par la cha­ri­té pri­vée et publique, aux souf­frances des mal­heu­reux. Mais, pour employer fort à pro­pos les paroles de saint Augustin, ils croient ou cherchent à faire croire que la doc­trine chré­tienne est incom­pa­tible avec le bien de l’Etat, parce qu’ils veulent fon­der l’Etat, non sur la soli­di­té des ver­tus, mais sur l’im­pu­ni­té des vices. Si tout cela était mieux connu, princes et peuples feraient preuve de sagesse poli­tique et agi­raient confor­mé­ment aux exi­gences du salut géné­ral, en s’u­nis­sant à l’Eglise pour résis­ter aux attaques des francs-​maçons, au lieu de s’u­nir aux francs-​maçons pour com­battre l’Eglise.

Quoi qu’il en puisse adve­nir, Notre devoir est de Nous appli­quer à trou­ver des remèdes pro­por­tion­nés à un mal si intense et dont les ravages ne se sont que trop éten­dus. Nous le savons : notre meilleur et plus solide espoir de gué­ri­son est dans la ver­tu de cette reli­gion divine que les francs-​maçons haïssent d’au­tant plus qu’ils la redoutent davan­tage. Il importe donc sou­ve­rai­ne­ment de faire d’elle le point cen­tral de la résis­tance contre l’en­ne­mi com­mun. Aussi, tous les décrets por­tés par les Pontifes romains, Nos pré­dé­ces­seurs, en vue de para­ly­ser les efforts et les ten­ta­tives de la secte maçon­nique, toutes les sen­tences pro­non­cées par eux pour détour­ner les hommes de s’af­fi­lier à cette secte ou pour les déter­mi­ner à en sor­tir, Nous enten­dons les rati­fier à nou­veau, tant en géné­ral qu’en par­ti­cu­lier. Plein de confiance à cet égard dans la bonne volon­té des chré­tiens, Nous les sup­plions, au nom de leur salut éter­nel, et Nous leur deman­dons de se faire une obli­ga­tion sacrée de conscience de ne jamais s’é­car­ter, même d’une seule ligne, des pres­crip­tions pro­mul­guées à ce sujet par le Siège apostolique.

Quant à vous, Vénérables Frères, Nous vous prions, Nous vous conju­rons d’u­nir vos efforts aux Nôtres et d’employer votre zèle à faire dis­pa­raître l’im­pure conta­gion du poi­son qui cir­cule dans les veines de la socié­té et l’in­fecte tout entière. Il s’a­git pour vous de pro­cu­rer la gloire de Dieu et le salut du pro­chain. Combattant pour de si grandes causes, ni le cou­rage, ni la force ne vous ferons défaut. Il vous appar­tient de déter­mi­ner dans votre sagesse par quels moyens plus effi­caces vous pour­rez avoir rai­son des dif­fi­cul­tés et des obs­tacles qui se dres­se­ront contre vous. Mais puisque l’au­to­ri­té inhé­rente à Notre charge Nous impose le devoir de vous tra­cer Nous-​même la ligne de conduite que Nous esti­mons la meilleure, Nous vous dirons :

En pre­mier lieu, arra­chez à la franc-​maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites la voir telle qu’elle est.

Secondement par vos dis­cours et par vos Lettres pas­to­rales spé­cia­le­ment consa­crées à cette ques­tion, ins­trui­sez vos peuples ; faites leur connaître les arti­fices employés par ces sectes pour séduire les hommes et les atti­rer dans leurs rangs, mon­trez leur la per­ver­si­té de leur doc­trine et l’in­fa­mie de leurs actes. Rappelez leur qu’en ver­tu des sen­tences plu­sieurs fois por­tées par Nos pré­dé­ces­seurs, aucun catho­lique, s’il veut res­ter digne de ce nom et avoir de son salut le sou­ci qu’il mérite, ne peut, sous aucun pré­texte, s’af­fi­lier à la secte des francs-​maçons. Que per­sonne donc ne se laisse trom­per par de fausses appa­rences d’hon­nê­te­té. Quelques per­sonnes peuvent en effet croire que, dans les pro­jets des francs-​maçons, il n’y a rien de for­mel­le­ment contraire à la sain­te­té de la reli­gion et des mœurs. Toutefois, le prin­cipe fon­da­men­tal qui est comme l’âme de la secte, étant condam­né par la morale, il ne sau­rait être per­mis de se joindre à elle ni de lui venir en aide d’au­cune façon.

Il faut ensuite, à l’aide de fré­quentes ins­truc­tions et exhor­ta­tions, faire en sorte que les masses acquièrent la connais­sance de la reli­gion. Dans ce but, Nous conseillons très fort d’ex­po­ser, soit par écrit, soit de vive voix et dans des dis­cours ad hoc les élé­ments des prin­cipes sacrés qui consti­tuent la phi­lo­so­phie chré­tienne. Cette der­nière recom­man­da­tion a sur­tout pour but de gué­rir, par une science de bon aloi, les mala­dies intel­lec­tuelles des hommes et de les pré­mu­nir tout à la fois contre les formes mul­tiples de l’er­reur et contre les nom­breuses séduc­tions du vice, sur­tout en un temps où la licence des écrits va de pair avec une insa­tiable avi­di­té d’ap­prendre. Pour l’ac­com­plir, vous aurez avant tout l’aide et la col­la­bo­ra­tion de votre cler­gé, si vous don­nez tout le soin à le bien for­mer et à le main­te­nir dans la per­fec­tion de la dis­ci­pline ecclé­sias­tique et dans la science des Saintes Lettres.

Toutefois, une cause si belle et d’une si haute impor­tance appelle encore à son secours le dévoue­ment intel­li­gent des laïques qui unissent les bonnes mœurs et l’ins­truc­tion à l’a­mour de la reli­gion et de la patrie. Mettez en com­mun, Vénérables Frères, les forces de ces deux ordres, et don­nez tous vos soins à ce que les hommes connaissent à fond l’Eglise catho­lique et l’aiment de tout leur cœur. Car plus cette connais­sance et cet amour gran­di­ront dans les âmes, plus on pren­dra en dégoût les socié­tés secrètes, plus on sera empres­sé d’en finir.

Nous pro­fi­tons à des­sein de la nou­velle occa­sion qui Nous est offerte d’in­sis­ter sur la recom­man­da­tion déjà faite par Nous en faveur du tiers ordre de saint François, à la dis­ci­pline duquel Nous avons appor­té de sages tem­pé­ra­ments. Il faut mettre un grand zèle à le pro­pa­ger et à l’af­fer­mir. Tel, en effet, qu’il a été éta­bli par son auteur, il consiste tout entier en ceci : atti­rer les hommes à l’a­mour de Jésus Christ, à la pra­tique des ver­tus chré­tiennes. Il peut donc rendre de grands ser­vices pour aider à vaincre la conta­gion de ces sectes détes­tables. Que cette sainte Association fasse donc tous les jours de nou­veaux pro­grès. Un grand nombre de fruits peuvent en être atten­dus et le prin­ci­pal est de conduire les âmes à la liber­té, à la fra­ter­ni­té, à l’é­ga­li­té juri­dique, non selon l’ab­surde façon dont les francs-​maçons entendent ces choses, mais telles que Jésus Christ a vou­lu enri­chir le genre humain et que saint François les a mises en pratique.

Nous par­lons donc ici de la liber­té des enfants de Dieu au nom de laquelle Nous refu­sons d’o­béir à des maîtres iniques qui s’ap­pellent Satan et les mau­vaises pas­sions. Nous par­lons de la fra­ter­ni­té qui nous rat­tache à Dieu comme au Créateur et Père de tous les hommes. Nous par­lons de l’é­ga­li­té qui, éta­blie sur les fon­de­ments de la jus­tice et de la cha­ri­té, ne rêve pas de sup­pri­mer toute dis­tinc­tion entre les hommes, mais excelle à faire, de la varié­té des condi­tions et des devoirs de la vie, une har­mo­nie admi­rable et une sorte de mer­veilleux concert dont pro­fitent natu­rel­le­ment les inté­rêts et la digni­té de la vie civile.

En troi­sième lieu, une ins­ti­tu­tion due à la sagesse de nos pères et momen­ta­né­ment inter­rom­pue par le cours des temps, pour­rait, à l’é­poque où nous sommes, rede­ve­nir le type et la forme de créa­tions ana­logues. Nous vou­lons par­ler de ces cor­po­ra­tions ouvrières des­ti­nées à pro­té­ger, sous la tutelle de la reli­gion, les inté­rêts du tra­vail et les moeurs des tra­vailleurs. Si le pierre de touche d’une longue expé­rience avait fait appré­cier à nos ancêtres l’u­ti­li­té de ces asso­cia­tions, notre âge en reti­re­rait peut-​être de plus grands fruits, tant elles offrent de pré­cieuses res­sources pour com­battre avec suc­cès et pour écra­ser la puis­sance des sectes. Ceux qui n’é­chappent à la misère qu’au prix du labeur de leurs mains, en même temps que, par leur condi­tion, ils sont sou­ve­rai­ne­ment dignes de la cha­ri­table assis­tance de leurs sem­blables, sont aus­si les plus expo­sés à être trom­pés par les séduc­tions et les ruses des apôtres du men­songe. Il faut donc leur venir en aide avec une grande habi­le­té et leur ouvrir les rangs d’as­so­cia­tions hon­nêtes pour les empê­cher d’être enrô­lés dans les mau­vaises. En consé­quence, et pour le salut du peuple, Nous sou­hai­tons ardem­ment de voir se réta­blir, sous les aus­pices et le patro­nage des évêques, ces cor­po­ra­tions appro­priées aux besoins du temps pré­sent. Ce n’est pas pour Nous une joie médiocre d’a­voir vu déjà se consti­tuer en plu­sieurs lieux, des asso­cia­tions de ce genre, ain­si que des socié­tés de patrons, le but des uns et des autres étant de venir en aide à l’hon­nête classe des pro­lé­taires, d’as­su­rer à leurs familles et à leurs enfants, le bien­fait d’un patro­nage tuté­laire, de leur four­nir les moyens de gar­der, avec de bonnes moeurs, la connais­sance de la reli­gion et l’a­mour de la piété.

Nous ne sau­rions pas­ser ici sous silence une Société qui a don­né tant d’exemples admi­rables et qui a si bien méri­té des classes popu­laires : Nous vou­lons par­ler de celle qui a pris le nom de son père, saint Vincent de Paul. On connaît assez les œuvres accom­plies par cette socié­té et le but qu’elle se pro­pose. Les efforts de ses membres tendent uni­que­ment à se por­ter, par une cha­ri­table ini­tia­tive, au secours des pauvres et des mal­heu­reux, ce qu’ils font avec une mer­veilleuse saga­ci­té et une non moins admi­rable modes­tie. Mais plus cette socié­té cache le bien qu’elle opère, plus elle est apte à pra­ti­quer la cha­ri­té chré­tienne et à sou­la­ger les misères des hommes.

Quatrièmement, afin d’at­teindre plus aisé­ment le but de Nos dési­rs, Nous recom­man­dons avec une nou­velle insis­tance à votre foi et à votre vigi­lance, la jeu­nesse qui est l’es­poir de la socié­té. Appliquez à sa for­ma­tion la plus grande par­tie de vos sol­li­ci­tudes pas­to­rales. Quels qu’aient déjà pu être à cet égard votre zèle et votre pré­voyance, croyez que vous n’en ferez jamais assez pour sous­traire la jeu­nesse aux écoles et aux maîtres prés des­quels elle serait expo­sée à res­pi­rer le souffle empoi­son­né des sectes. Parmi les pres­crip­tions de la doc­trine chré­tienne, il en est une sur laquelle devront insis­ter les parents, les pieux ins­ti­tu­teurs, les curés, sous l’im­pul­sion de leurs évêques. Nous vou­lons par­ler de la néces­si­té de pré­mu­nir leurs enfants ou leurs élèves contre ces socié­tés cri­mi­nelles, en leur appre­nant de bonne heure à se méfier des arti­fices per­fides et variés à l’aide des­quels leurs pro­sé­lytes cherchent à enla­cer les hommes. Ceux qui ont charge de pré­pa­rer les jeunes gens à rece­voir les sacre­ments comme il faut, agi­raient sage­ment s’ils ame­naient cha­cun d’eux à prendre la ferme réso­lu­tion de ne s’a­gré­ger à aucune socié­té à l’in­su de leurs parents ou sans avoir consul­té leur curé ou leur confesseur.

Du reste, nous savons très bien que nos com­muns labeurs, pour arra­cher du champ du Seigneur ces semences per­ni­cieuses, seraient tout à fait impuis­sants si, du haut du ciel, le Maître de la vigne ne secon­dait ces efforts. Il est donc néces­saire d’im­plo­rer son assis­tance et son secours avec une grande ardeur et par des sol­li­ci­ta­tions réité­rées, pro­por­tion­nées à la néces­si­té des cir­cons­tances et à l’in­ten­si­té du péril. Fière de ses pré­cé­dents suc­cès, la secte des francs-​maçons lève inso­lem­ment la tête et son audace semble ne plus connaître aucune borne. Rattachés les uns aux autres par le lien d’une fédé­ra­tion cri­mi­nelle et de leurs pro­jets occultes, ses adeptes se prêtent un mutuel appui et se pro­voquent entre eux à oser et à faire le mal.

A une si vio­lente attaque doit répondre une défense éner­gique. Que les gens de bien s’u­nissent donc, eux aus­si, et forment une immense coa­li­tion de prière et d’ef­forts. En consé­quence, Nous leur deman­dons de faire entre eux, par la concorde des esprits et des cœurs, une cohé­sion qui les rendent invin­cibles contre les assauts des sec­taires. En outre, qu’ils tendent vers Dieu des mains sup­pliantes et que leurs gémis­se­ments s’ef­forcent d’ob­te­nir la pros­pé­ri­té et les pro­grès per­sé­vé­rants du chris­tia­nisme, la pai­sible jouis­sance pour l’Eglise de la liber­té néces­saire, le retour des éga­rés au bien, le triomphe de la véri­té sur l’er­reur, de la ver­tu sur le vice.

Demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu, de se faire notre auxi­liaire et notre inter­prète. Victorieuse de Satan dès le pre­mier ins­tant de sa concep­tion, qu’Elle déploie sa puis­sance contre les sectes réprou­vées qui font si évi­dem­ment revivre par­mi nous l’es­prit de révolte, l’in­cor­ri­gible per­fi­die et la ruse du démon. Appelons à notre aide le prince des milices célestes, saint Michel, qui a pré­ci­pi­té dans les enfers les anges révol­tés ; puis saint Joseph, l’é­poux de la Très Sainte Vierge, le céleste et tuté­laire patron de l’Église catho­lique et les grands apôtres saint Pierre et saint Paul, ces infa­ti­gables semeurs et ces cham­pions invin­cibles de la foi catho­lique. Grâce à leur pro­tec­tion et à la per­sé­vé­rance de tous les fidèles dans la prière, Nous avons la confiance que Dieu dai­gne­ra envoyer un secours oppor­tun et misé­ri­cor­dieux au genre humain en proie à un si grand danger.

En atten­dant, comme gage des dons célestes et comme témoi­gnage de Notre bien­veillance, Nous vous envoyons du fond du cœur la béné­dic­tion apos­to­lique, à vous, Vénérables Frères, ain­si qu’au cler­gé et aux peuples confiés à votre sollicitude.

Donné à Rome, près Saint Pierre, le 20 avril 1884, de Notre Pontificat la sep­tième année.

LÉON XIII