Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

22 décembre 1887

Lettre encyclique Officio sanctissimo

Le catholicisme en Bavière. Résistance au Kulturkampf & Condamnation de la Franc-Maçonnerie

A nos Vénérables Frères les arche­vêques et évêques de Bavière LÉON XIII, PAPE

Vénérables Frères, Salut et béné­dic­tion apostolique.

Sous l’impulsion du devoir très saint de la charge apos­to­lique, Nous Nous sommes effor­cé, gran­de­ment et pen­dant long­temps, Vous le savez, d’obtenir que la situa­tion de l’Eglise catho­lique en Prusse fût un peu amé­lio­rée et que, réta­blie en son rang de digni­té, elle pût voir refleu­rir, et au delà, son ancien hon­neur. Par l’inspiration et avec le secours de Dieu, Nos conseils et Nos tra­vaux ont eu cet effet que Nous avons adou­ci le conflit anté­rieur et que Nous gar­dons l’espérance de voir les catho­liques jouir tran­quille­ment en ce pays d’une pleine liber­té. — Mais aujourd’­hui, Notre esprit se porte à tour­ner avec un soin tout par­ti­cu­lier Nos pen­sées et Nos sol­li­ci­tudes vers la Bavière ; non pas certes que Nous esti­mions que la ques­tion reli­gieuse est en Bavière dans le même état qu’en Prusse : mais Nous sou­hai­tons et dési­rons vive­ment que, dans ce royaume aus­si qui se glo­ri­fie, depuis ses ancêtres les plus recu­lés, de pro­fes­ser la reli­gion catho­lique, tous les empê­che­ments qui s’opposent à la liber­té de l’Eglise catho­lique soient oppor­tu­né­ment sup­pri­més. — Pour arri­ver a la réa­li­sa­tion de ce des­sein salu­taire, Nous vou­lons employer tous les moyens qui Nous sont lais­sés et appli­quer sans retard tout ce que Nous pou­vons avoir de force et d’autorité. En outre, Nous Vous fai­sons appel, comme il convient, Vénérables Frères, et, par vos soins, Nous fai­sons appel à Nos fils très chers de Bavière pour qu’avec Vous, selon Notre pou­voir, Nous pas­sions en revue tout ce qui concerne l’extension du domaine de la foi, que Nous vous don­nions des conseils à ce sujet, et qu’à ce sujet Nous fas­sions aus­si avec confiance des ins­tances même auprès des chefs de l’Etat.

Dans les annales sacrées de la Bavière — Nous rap­pe­lons des faits qui ne Vous sont pas incon­nus, — il est nombre d’événements dont l’Eglise et l’Etat ont sujet de se réjouir ensemble, car du jour où, par les soins et le zèle sou­ve­rains du saint abbé Séverin, qui fut l’a­pôtre de la Norique, et des autres pré­di­ca­teurs de l’Evangile, les divines semences de la foi furent répan­dues au sein de votre contrée, elle y prit et y fixa de si pro­fondes racines qu’elle n’a jamais pu dès lors être entiè­re­ment arra­chée, ni par aucune bar­ba­rie de la supers­tition, ni par le trouble et le chan­ge­ment des affaires publiques. C’est, pour­quoi, vers la fin du VIIe siècle, lorsque Rupert, le saint évêque de Worms, entre­prit, à l’invitation du duc de Bavière, Théodon, de réveiller et d’accroître la foi chré­tienne dans ces régions, il trou­va jusqu’au milieu de la super­sti­tion nombre de gens ou bien voués au culte de la foi ou bien dési­reux de l’embrasser. Quant à Théodon lui-​même, cet excellent prince, dans l’ardeur de foi qui le pres­sait, entre­prit le voyage de Rome et, pros­ter­né aux tom­beaux des saints Apôtres et aux pieds de l’auguste Vicaire de Jésus-​Christ, il don­na le pre­mier ce très noble exemple de pié­té et d’alliance avec le Siège apos­to­lique, exemple que d’autres excel­lents princes ont reli­gieu­se­ment imi­té depuis. — Vers le même temps, le car­di­nal Martinien, évêque de Sabine, était envoyé en Bavière par le saint Pontife, Grégoire II, pour appor­ter aide et accrois­se­ment aux affaires catho­liques, et il lui était adjoint pour com­pa­gnons Georges et Dorothée, tous deux car­di­naux de la sainte Eglise romaine. Et peu de temps après, on voyait venir à Rome, près du Souverain Pontife, Corbinien, évêque de Frisinge, homme remar­quable par la sain­te­té de sa vie et le mépris de soi, qui par des tra­vaux et un zèle pareils aux tra­vaux apos­to­liques de Rupert, les affer­mit et les accrut. Mais celui à qui l’on doit des éloges au-​dessus de tous les autres, pour avoir nour­ri et pro­pa­gé la foi en Bavière, c’est sans contre­dit saint Boniface, arche­vêque de Mayence, lui qui, père, apôtre et mar­tyr de l’Allemagne chré­tienne, est célé­bré en toute véri­té par des éloges immor­tels. C’est lui qui exer­ça des léga­tions de la part des Pontifes romains Grégoire II et III et Zacharie, de la grande faveur des­quels il jouit tou­jours ; en leur nom et par leur auto­ri­té, il divi­sa les pays de Bavière en dio­cèses, et de la sorte, ayant éta­bli les rangs de la hié­rar­chie, il assu­ra pour tou­jours la foi déjà assise. Selon que l’écrivait saint Grégoire II à Boniface lui-​même, le champ du Seigneur, qui demeu­rait inculte et qui, en rai­son de l’in­fi­dé­li­té, se héris­sait de pointes d’é­pines, grâce au sillon tra­cé par le soc de la doc­trine, a reçu la semence du Verbe et a pro­duit une fer­tile mois­son de fidé­li­té.

Depuis lors, la reli­gion des Bavarois, quoique cruel­le­ment assaillie, dans le cours des âges, est res­tée constam­ment intacte au milieu de toutes les tra­verses des évé­ne­ments civils. Car, lors même qu’on vit arri­ver ensuite ces troubles et ces com­bats de l’empire contre le sacer­doce, com­bats si âpres, longs et cala­mi­teux, alors même il y eut plus pour l’Eglise à se réjouir qu’à se plaindre de ce qui se pas­sait en Bavière. Par une sou­ve­raine réso­lu­tion, ils se tinrent du côté de Grégoire IX, Pontife légi­time, sans se lais­ser émou­voir par l’au­dace effré­née des dis­si­dents, non plus que par leurs menaces ; et, ce qui était très dif­fi­cile, long­temps après, ils gar­dèrent tou­jours reli­gieu­se­ment l’intégrité de la foi et leur vieille alliance avec l’Eglise romaine, sans se lais­ser effrayer par la vio­lence et l’attaque des nova­teurs. Or, cette ver­tu, cette fer­me­té de vos pères, doit être d’autant plus célé­brée que la nou­velle secte s’était mal­heu­reu­se­ment sou­mis presque tous les peuples voi­sins. Assurément les Bavarois, qui vivaient dans ces temps dou­lou­reux, méri­taient bien ce que, par un juste éloge, dans une lettre écrite aux grands, le même Gré­goire II avait dit, long­temps aupa­ra­vant, des catho­liques de Thuringe, ins­truits de la foi chré­tienne par saint Boniface : « Recon­naissant la constance que Nous vous avons ensei­gnée, de votre foi magni­fique en Jésus-​Christ, dans ce fait qu’aux païens, qui vou­laient vous contraindre à ado­rer les idoles, vous avez répon­du avec une foi entière que vous aimez mieux mou­rir heu­reu­se­ment que de vio­ler en quoi que ce soit la foi en Jésus-​Christ après l’avoir une fois reçue ; tout rem­pli d’une grande joie, Nous ren­dons les grâces qui sont dues à notre Dieu et Rédempteur, dis­pen­sa­teur de tout bien. Nous sou­hai­tons que vous arri­viez à une condi­tion meilleure encore, et que vous vous confir­miez dans les des­seins de votre foi d’adhérer de toutes vos âmes reli­gieuses au Saint-​Siège Apostolique, et, autant que le récla­me­ra le besoin de notre sainte reli­gion, de cher­cher votre conso­la­tion auprès de cette Chaire Apostolique, Mère spi­ri­tuelle de tous les fidèles, comme il convient aux fils cohé­ri­tiers du royaume, par rap­port à leur père royal. »

Or, bien que la grâce du Dieu de misé­ri­corde, qui, dans le pas­sé, a pro­té­gé et bien­veillam­ment embras­sé Votre nation, Nous ordonne d’espérer et d’augurer les meilleures choses pour l’avenir, néan­moins, pour la part qui incombe à cha­cun, Nous devons mon­trer ce qui a le plus d’efficacité, soit pour répa­rer les dom­mages déjà faits à la reli­gion, soit pour empê­cher ceux qui la menacent, afin que la doc­trine chré­tienne et les plus saintes ins­ti­tu­tions des mœurs puissent être chaque jour mises à la por­tée d’un plus grand nombre et pro­duire plus au loin des fruits de grande joie. Nous ne disons pas cela parce qu’il man­que­rait à la cause catho­lique chez Vous des défen­seurs plus aptes et nul­le­ment timides ; car Nous savons à mer­veille, Vénérables Frères, que Vous et avec Vous la plus grande et la plus saine par­tie du cler­gé et des fidèles laïques n’êtes nulle­ment froids et oisifs en face des com­bats et des périls qui envi­ronnent et qui pressent Votre Eglise. Aussi, de même que Notre pré­dé­ces­seur Pie IX, dans des lettres très tendres aux évêques de Bavière, don­na de grands éloges aux efforts consa­crés par eux avec éclat à la défense des droits sacrés de l’Eglise, de même Nous don­nons spon­ta­né­ment et publi­que­ment de justes éloges à cha­cun des Bavarois qui ont entre­pris vaillam­ment et sou­te­nu la défense de la reli­gion des ancêtres. Mais, dans les temps où la Providence de Dieu per­met que son Eglise soit agi­tée par de cruelles tem­pêtes,” dans ces temps-​là il réclame de nous à non droit des cœurs plus ardents et des forces mieux pré­pa­rées pour venir au secours de son Eglise. Vous êtes una­nimes, Vénérables Frères, à voir doulou­reusement avec Nous en quels temps hos­tiles et mau­vais l’Eglise se trouve ; Vous voyez sur­tout où en sont Vos affaires, et avec quelles dif­fi­cul­tés Vous-​mêmes êtes aux prises. Vous com­pre­nez donc par expé­rience que Vos devoirs sont plus grands main­te­nant que par le pas­sé, et que pour les rem­plir, Vous devez y appor­ter avec plus de soin la vigi­lance, l’activité, la force et la pru­dence chrétiennes.

Avant toutes choses, Nous Vous deman­dons et Vous exhor­tons de pré­pa­rer et d’orner Votre cler­gé, car le cler­gé est pareil à une armée, et, comme ses règle­ments et la nature de ses fonc­tions demandent que, sous l’autorité des évêques, il soit presque assidû­ment en rap­port avec le peuple chré­tien, il appor­te­ra d’autant plus d’hon­neur et de force à la socié­té qu’il l’emportera par le nombre et la dis­ci­pline. C’est pour­quoi ce fut tou­jours le plus grand sou­ci de l’Eglise de choi­sir et d’élever au sacer­doce des jeunes gens « dont le carac­tère et la volon­té donnent l’espoir qu’ils ser­vi­ront perpétuel­lement aux minis­tères ecclé­sias­tiques » ; et aus­si « de for­mer ces jeunes gens dès les plus tendres années à la pié­té et à la reli­gion, avant que l’habitude des vices pos­sède tous les hommes ». Elle a éta­bli pour eux des éta­blis­se­ments spé­ciaux et des col­lèges et elle a pres­crit des règles très sages, sur­tout dans le saint concile de Trente, afin que ce col­lège des ministres de Dieu soit perpétuel­lement un Séminaire. Or, en cer­tains endroits, des lois ont été por­tées et sont en vigueur, qui, si elles n’empêchent pas abso­lu­ment, apportent des troubles à ce que par­tout le cler­gé s’élève lui-​même et se forme d’après sa dis­ci­pline. En cette affaire, qui est du plus grand inté­rêt qu’il soit pos­sible, Nous esti­mons qu’il faut mainte­nant, comme Nous l’avons fait ailleurs, pro­cla­mer publi­que­ment Notre juge­ment et, par tous les moyens en Notre pou­voir, gar­der saint et invio­lé le droit de l’Eglise. L’Eglise, en effet, comme socié­té par­faite en son genre, a le droit inné de ras­sem­bler et de for­mer ses troupes qui ne nuisent à per­sonne, qui sont pour beau­coup un secours, dans le royaume paci­fique que Jésus-​Christ a fon­dé sur la terre pour le salut du genre humain.

Mais le cler­gé rem­pli­ra inté­gra­le­ment et com­plè­te­ment les devoirs qui lui sont confiés lorsque, grâce au soin des évêques, il aura, dans les Séminaires, acquis la dis­ci­pline d’esprit et de cœur que réclame, avec la digni­té du sacer­doce chré­tien, le cours des temps et des mœurs ; c’est-à-dire qu’il lui faut excel­ler dans la science de la doc­trine et, chose capi­tale, dans la per­fec­tion de la ver­tu, afin qu’il se conci­lie les esprits des hommes et les amène au respect.

Il est néces­saire de faire écla­ter aux yeux de tous quelle magni­fique lumière abonde en la science chré­tienne, afin que les ténèbres de l’ignorance, qui est très enne­mie de la reli­gion, étant chas­sées, la véri­té se répande au loin et au large et éta­blisse heu­reu­se­ment sa domination.

Il faut aus­si repous­ser et écar­ter les mul­tiples erreurs, pro­duit de l’ignorance, de la mau­vaise foi ou des pré­ju­gés, qui détournent vilai­ne­ment les esprits de la véri­té catho­lique et lui ins­pirent à son égard comme un sen­ti­ment de dégoût. Cette charge très impor­tante, qui consiste à exhor­ter selon la saine doc­trine et à confondre ceux qui contre­disent, appar­tient à l’ordre des prêtres, qui l’ont reçue légi­ti­me­ment de Dieu lorsque, par sa divine puis­sance, il les envoya pour ensei­gner toutes les nations : Allez dans le monde entier, prê­chez l’Evangile à toute créa­ture : de telle sorte que les évêques choi­sis à la place des apôtres, soient à la tête comme maîtres dans l’Eglise de Dieu et que les prêtres leur servent d’auxiliaires.

A ces saints devoirs, il a été plei­ne­ment et par­fai­te­ment satis­fait, plus que jamais dans les pre­miers siècles de notre reli­gion et les sui­vants, lorsque fut si vif pen­dant si long­temps le com­bat contre la tyran­nie de la super­sti­tion ; c’est alors que l’armée sacer­do­tale mois­son­na une si grande gloire, ain­si que l’ordre très saint des Pères et des doc­teurs dont la sagesse et l’éloquence fleu­ri­ront à jamais dans la mémoire et l’admiration de tous. Par eux, en effet, la doc­trine chré­tienne, plus habi­le­ment trai­tée, plus abon­dam­ment expli­quée, défen­due avec une vaillance sans égale, appa­rut d’autant plus avec la véri­té et l’excellence de son carac­tère divin ; au con­traire, on vit tom­ber la doc­trine des païens, com­bat­tue et mépri­sée même par les igno­rants comme illo­gique, absurde et inepte au suprême degré. Et c’est vai­ne­ment que les adver­saires se coali­sèrent pour retar­der ou arrê­ter ce cours de la sagesse catho­lique ; c’est en vain que les phi­lo­so­phies grecques oppo­sèrent dans un lan­gage vrai­ment magni­fique leurs écoles, sur­tout la pla­to­ni­cienne et l’aristotélicienne. Car les nôtres, ne décli­nant pas même ce genre de com­bat, appli­quèrent aux phi­lo­sophes païens leurs talents et leurs études ; scru­tant avec une dili­gence presque incroyable ce qu’avait pro­fes­sé cha­cun d’eux, ils exa­mi­nèrent chaque chose, pesèrent, com­pa­rèrent ; beau­coup d’idées furent par eux reje­tées ou cor­ri­gées ; beau­coup approu­vées et accep­tées comme il était juste ; et il fut par eux décou­vert et pro­cla­mé que ce qui est repous­sé comme faux par la rai­son même et l’in­tel­li­gence de l’homme, cela seule­ment est oppo­sé à la doc­trine chré­tienne, de telle sorte que qui veut s’opposer à cette doc­trine et y résis­ter, s’oppose et résiste néces­sai­re­ment à sa propre rai­son. Voilà quelles furent les luttes sou­te­nues par nos pères ; voi­là quelles illustres vic­toires ils rem­por­tèrent, et cela non pas seule­ment par la ver­tu et les armes de la foi, mais aus­si avec l’aide de la rai­son humaine.; celle-​ci, en effet, gui­dée par la lumière de la sagesse céleste, était entrée à pleine voie, de l’ignorance d’un grand nombre de choses et comme d’une forêt d’erreurs, dans le che­min de la vérité.

Cet admi­rable accord et concert de la foi avec la rai­son a été mis en hon­neur par les féconds tra­vaux d’un grand nombre ; mais il brille sur­tout, conden­sé pour ain­si dire et expo­sé à tous les regards en un seul édi­fice, à savoir dans l’ouvrage de saint Augustin sur la Cité de Dieu, et, sem­bla­ble­ment, dans l’une et l’autre Somme de saint Thomas, livres dans les­quels est ren­fer­mé tout ce qui a fait l’objet des plus ingé­nieuses pen­sées et des dis­putes de tous les sages, et où l’on peut cher­cher l’essence et la source de cette doc­trine émi­nente qu’on nomme la théo­lo­gie chré­tienne. — Le sou­venir de si écla­tants exemples doit assu­ré­ment être rap­pe­lé au cler­gé et entre­te­nu par lui aujourd’hui que, de toutes parts, les enne­mis four­bissent leurs vieilles armes, et qu’on renou­velle presque les anciens com­bats. Seulement, tan­dis qu’autrefois les païens com­bat­taient la reli­gion chré­tienne pour n’être pas détour­nés des rites et des ins­ti­tu­tions du culte invé­té­ré de leurs divi­ni­tés, aujourd’hui l’œuvre détes­table des hommes les plus méchants vise à arra­cher entiè­re­ment des peuples chré­tiens toutes les idées divines et néces­saires qui leur ont été com­mu­ni­quées avec la foi ; et ain­si à les rendre pires que les païens et à les ame­ner au der­nier degré de la misère, à savoir au mépris et au ren­ver­se­ment com­plet de toute foi et de toute religion.

Ceux qui ont don­né nais­sance à cette peste impure, plus détes­table qu’aucune autre, ce sont ceux qui ont accor­dé à l’homme, en ver­tu de sa seule nature, de pou­voir connaître et déci­der de la doc­trine révé­lée, par sa rai­son et juge­ment, sans devoir être sou­mis le moins du monde à l’autorité de l’Eglise et du Pontife Romain aux­quels seuls il appar­tient, de par le man­dat et le bien­fait de Dieu, de gar­der cette doc­trine, de la dis­tri­buer, et en juger en toute véri­té. Dès lors la voie s’ouvrait, et elle s’est ouverte pour eux misé­rablement, les entraî­nant à vicier et à écar­ter toutes les véri­tés qui sont pla­cées au-​dessus de la nature des enten­de­ments de l’homme ; c’est alors qu’ils ont nié qu’il y eût aucune auto­ri­té venant de Dieu, et qu’avec plus d’impudence encore, ils ont nié Dieu même, et enfin ils en sont venus aux théo­ries d’un absurde idéa­lisme et d’un maté­ria­lisme abject. Et cepen­dant, cet avi­lis­se­ment des plus grandes choses, ceux qui s’appellent ratio­na­listes comme ceux qui s’appellent natu­ra­listes n’hésitent pas à l’appeler men­son­gè­re­ment le pro­grès de la science et le pro­grès de la socié­té humaine, quand c’est en réa­li­té la perte et la ruine de l’une et de l’autre.

Ainsi, Vénérables Frères, Vous savez et Vous com­pre­nez par quels moyens et quelle voie il faut ensei­gner aux élèves de l’Eglise les grandes doc­trines, afin que dans leurs fonc­tions ils tra­vaillent con­venablement et uti­le­ment pour ce temps. C’est pour­quoi, quand ils seront for­més et affi­nés par les huma­ni­tés, qu’ils n’abordent par les émi­nentes études de la théo­lo­gie sacrée avant de s’y être dili­gemment pré­pa­rés par l’étude de la phi­lo­so­phie. Nous vou­lons dire cette phi­lo­so­phie pro­fonde et solide, inves­ti­ga­trice des pro­blèmes les plus éle­vés, patronne émi­nente de véri­té et dont la ver­tu les empê­chant de flot­ter et d’être entraî­nés à tout vent de doc­trine par la malice des hommes et par l’astuce de ceux qui nous envi­ronnent d’er­reurs, leur per­met­tra de four­nir à la véri­té même l’appui des autres doc­trines, par la dis­cus­sion et la réfu­ta­tion des théo­ries cap­tieuses ou déce­vantes. A ce des­sein, Nous avons déjà aver­ti de leur mettre en main et de leur expo­ser assi­dû­ment et habi­le­ment les œuvres du grand saint Thomas d’Aquin, et à maintes reprises Nous avons fait à ce sujet les recom­man­da­tions les plus graves. Nous sommes convain­cu que le cler­gé en a déjà recueilli les fruits les meilleurs, et Nous atten­dons avec un ferme espoir qu’ils seront plus excel­lents et plus abon­dants encore.

C’est que la méthode du Docteur angé­lique est admi­ra­ble­ment propre à for­mer les esprits ; c’est qu’elle four­nit le moyen de com­menter, de phi­lo­so­pher, de dis­ser­ter d’une façon pres­sante et invin­cible : car elle montre lumi­neu­se­ment les choses déri­vant cha­cune les unes des autres par une série non inter­rom­pue, et toutes s’enchaînant et s’unissant entre elles, toutes se rap­por­tant à des prin­cipes supé­rieurs, puis elle élève à la contem­pla­tion de Dieu, qui est la cause effi­ciente, la force, le modèle sou­ve­rain de toutes choses, à qui fina­le­ment toute la phi­lo­so­phie de l’homme, pour grand qu’il soit, doit se rap­por­ter. Ainsi, par saint Thomas, la science des choses divines et humaines, des causes qui contiennent ces choses, cette science est à la fois admi­ra­ble­ment éclai­rée et soli­de­ment affer­mie. Contre cette méthode, les vieilles sectes d’erreurs se sont ruées en vain ; et les nou­velles, qui en dif­fèrent plu­tôt par le nom et l’apparence que par la chose, après avoir aus­si levé la tête, sont tom­bées sous ses coups, ain­si que l’ont mon­tré beau­coup de nos écri­vains. Il est vrai que la rai­son humaine veut péné­trer avec des armes libres dans la connais­sance inté­rieure et cachée des choses, elle le veut et ne peut pas ne pas le vou­loir ; mais avec Thomas d’Aquin pour auteur et pour maître, elle le fait plus vite et plus libre­ment, parce qu’elle le fait avec une entière sécu­ri­té, à l’abri de tous périls de dépas­ser les fron­tières de la véri­té. Car on ne peut rai­son­na­ble­ment appe­ler liber­té ce qui conduit et dis­perse les opi­nions jusqu’au caprice et à la fan­tai­sie, bien plus, à une licence per­verse, à une science fausse et men­teuse qui est le déshon­neur de l’esprit et une vraie ser­vi­tude. C’est là vrai­ment le très sage doc­teur qui s’avance entre les fron­tières de la véri­té, qui non seule­ment ne s’attaque pas à Dieu, prin­cipe et terme de toute véri­té, mais qui lui adhère très étroi­te­ment et qui lui rend tou­jours hom­mage, tou­jours de quelque façon qu’il lui découvre ses mys­tères ; qui n’est pas moins sain­te­ment obéis­sant dans son ensei­gne­ment au Pontife romain, qui révère en lui l’autorité divine et qui tient qu’il est abso­lument néces­saire, de néces­si­té de salut, d’être sou­mis au Pontife romain. — Qu’à son école donc, le cler­gé gran­disse et s’exerce dans l’étude de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie : car, de la sorte, il sera savant et plus vaillant que per­sonne dans les saints combats.

Or, on peut à peine dire de quelle grande uti­li­té est la lumière de la doc­trine répan­due par le cler­gé dans tous les rangs du peuple, si elle brille comme sur un can­dé­labre de ver­tu. Car, dans les pré­ceptes qui ont pour but de cor­ri­ger les mœurs humaines, les exemples des maîtres sont presque plus puis­sants que leurs ensei­gne­ments ; il n’est per­sonne, en effet, trai­tant avec quelqu’un, qui lui donne aus­si faci­le­ment confiance, si ses actes dif­fèrent de ses paroles et de ses ensei­gne­ments. Tenons nos yeux et nos esprits fixés sur

Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui, parce qu’il est la véri­té, nous a ensei­gné ce que nous devons croire, et, parce qu’il est la vie et la voie, s’est pro­po­sé lui-​même à nous comme l’exemple le plus par­fait de la façon dont nous devons nous conduire hon­nê­te­ment en cette vie et nous appli­quer à obte­nir le bien suprême. Lui-​même a vou­lu que ses dis­ciples fussent ins­truits et ren­dus par­faits de la sorte « Que votre lumière, dit-​il, c’est-à-dire la doc­trine, luise de telle sorte devant les hommes qu’ils voient que vos œuvres sont bonnes, c’est-à-dire les preuves de la doc­trine, et qu’ils glo­ri­fient votre Père qui est dans les cieux, embras­sant ain­si la doc­trine et la morale de l’Evangile en un seul pré­cepte qu’il leur confiait le soin de propager.

En effet, ce sont ces règle­ments divins sur les­quels il faut que la vie sacer­do­tale se forme et se dirige. Il faut abso­lu­ment et il est néces­saire que les prêtres se per­suadent et gravent pour ain­si dire dans leur esprit qu’ils ne sont plus de la famille du siècle, mais qu’ils ont été choi­sis par un vrai des­sein de Dieu pour vivre de la vie de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, bien qu’ils passent leur temps au milieu du siècle. Or, s’ils vivent vrai­ment de Jésus-​Christ et en lui, ils ne cher­che­ront en rien leurs inté­rêts, mais ils seront tout aux choses qui sont de Jésus-​Christ ; ils ne vise­ront pas à cap­ter la vaine faveur des hommes, mais ils atten­dront la grâce solide qui vient de Dieu ; ils s’abstiendront des choses basses et de la corrup­tion dont ils auront hor­reur, et, se fai­sant riches des biens célestes, ils les répan­dront lar­ge­ment et joyeu­se­ment comme le veut la sainte cha­ri­té ; jamais non plus, il ne leur arri­ve­ra de pré­fé­rer leur juge­ment ou leur déci­sion à la déci­sion et au juge­ment de l’évêque, mais en obéis­sant aux évêques comme en obéis­sant à ceux qui représen­tent la per­sonne de Jésus-​Christ, ils tra­vaille­ront très heu­reu­se­ment à la vigne du Seigneur, amas­sant pour la vie éter­nelle une abon­dance de fruits choi­sis. Mais qui­conque se sépare de son pas­teur et du Pasteur des pas­teurs, le Souverain Pontife, n’est uni par aucun pacte avec Jésus-​Christ. Qui vous écoute m’é­coute, et qui vous méprise me méprise. Or, qui est éloi­gné du Christ dis­sipe plu­tôt qu’il ne moissonne.

De là res­sortent, en outre, le genre et le mode d’o­béis­sance due aux hommes pré­po­sés au pou­voir civil. Car, bien loin qu’on veuille mécon­naître leurs droits, ils doivent, au contraire, être res­pec­tés par les autres citoyens et avec plus de zèle encore par les prêtres : Rendez à César ce qui est à César. Elles sont, en effet, très nobles et très hautes les charges que Dieu, le sou­ve­rain Maître, a impo­sées aux hommes revê­tus du prin­ci­pal, à cette fin qu’ils gou­vernent, con­servent et accroissent l’Etat par la sagesse, la rai­son et l’observation entière de la Justice. Que le cler­gé donc soit dili­gent à rem­plir cha­cun des devoirs du citoyen, non en esclave, mais en sujet res­pectueux, par reli­gion et non par crainte, de manière que ses mem­bres conci­lient, une juste défé­rence envers l’autorité, avec leur digni­té et se montrent à la fois citoyens et prêtres de Dieu.

Et s’il arri­vait que le pou­voir civil empié­tât sur les droits de Dieu et de l’Eglise, que les prêtres soient alors un insigne exemple de la manière dont le chré­tien doit per­sis­ter dans le devoir, dans les temps redou­tables pour la reli­gion ; qu’il sup­porte beau­coup de choses en silence, avec un cou­rage inébran­lable ; qu’il soit pru­dent dans le mal qu’il aura à endu­rer et qu’il ne s’entende et ne pac­tise en rien avec les méchants ; et si les choses en viennent à cette alter­na­tive de mécon­naître les ordres de Dieu ou de déplaire aux hommes, qu’il refasse, d’une voix indé­pen­dante, la mémo­rable et très digne réponse des apôtres : « Il faut obéir à Dieu plu­tôt qu’aux hommes. »

A cette sorte d’esquisse de la manière d’élever la jeu­nesse ecclé­siastique, il Nous plaît et il convient d’ajouter ce qui a trait à la jeu­nesse en géné­ral ; car Nous avons grand sou­ci que son édu­ca­tion ait de bons et de com­plets résul­tats, soit pour la culture de l’esprit, soit pour la for­ma­tion du cœur. L’Eglise a tou­jours eu des embrasse­ments mater­nels pour le jeune âge ; elle n’a ces­sé de tra­vailler amou­reu­se­ment à sa pro­tec­tion et elle l’a entou­ré de nom­breux secours, de là, toutes ces congré­ga­tions reli­gieuses éta­blies pour éle­ver l’adolescence dans les arts et la science, sur­tout pour la for­mer à la sagesse et à la ver­tu chré­tienne. Et ain­si, grâce à cela, la pié­té envers Dieu péné­trait faci­le­ment ces tendres cœurs ; les devoirs de l’homme envers soi, envers les autres et envers la patrie, qui de bonne heure en étaient déduits, s’exercaient aus­si de bonne heure avec les meilleures espé­rances. L’Eglise a donc juste sujet de gémir en voyant que ses enfants lui sont arra­chés dès le pre­mier âge et pous­sés dans les écoles où, lorsque toute connais­sance de Dieu n’est pas sup­pri­mée, elle n’est que super­fi­cielle et mêlée de faux ; où il n’y a aucune digue contre le déluge des erreurs, aucune foi pour les témoi­gnages divins, aucune place pour la véri­té qui lui per­mette de se défendre elle-​même. Or, il est sou­ve­rai­ne­ment injuste d’ex­clure du domi­cile des lettres et des sciences l’autorité de l’Eglise catho­lique, car c’est à l’Eglise que Dieu a don­né la mis­sion d’ensei­gner la reli­gion, c’est-à-dire la chose dont tout homme a besoin pour acqué­rir le salut éter­nel ; et cette mis­sion n’a été don­née à aucune autre socié­té humaine, et il n’y en a aucune qui puisse la reven­di­quer ; c’est pour­quoi elle pro­clame avec rai­son un droit qui lui appar­tient en propre et se plaint de le voit détruire. — Il faut prendre garde, au sur­plus, et avoir le plus grand soin que, dans les écoles qui ont secoué com­plè­te­ment ou en par­tie le joug de l’Eglise, la jeu­nesse ne se trouve en péril et qu’elle n’éprouve aucun dom­mage quant à la foi catho­lique et à l’honnêteté des mœurs.

« A cet effet, le zèle du cler­gé et des hon­nêtes gens sera d’un grand secours, soit qu’ils s’efforcent d’empêcher que l’enseignement de la reli­gion, non seule­ment ne soit pas chas­sé de ces écoles, mais qu’il y occupe la place qu’il mérite et soit confié à des maîtres capables et d’une ver­tu éprou­vée, soit qu’ils trouvent et orga­nisent d’autres moyens de faire don­ner pure­ment et com­mo­dé­ment cet enseigne­ment à la jeu­nesse. En cela, le concours et la coopé­ra­tion des pères de famille seront de la plus grande uti­li­té. Il faut donc user à leur égard de remon­trances et d’exhortations aus­si pres­santes que pos­sible. Ainsi, qu’ils consi­dèrent quels grands et saints devoirs ils par­tagent avec Dieu à l’égard de leurs enfants ; qu’ils doivent les éle­ver dans la connais­sance de la reli­gion, dans la pra­tique des bonnes mœurs, dans le ser­vice de Dieu ; qu’ils se rendent cou­pables, en expo­sant de jeunes êtres naïfs et sans défense au dan­ger de maîtres sus­pects. Dans ces devoirs qui dérivent de la pro­créa­tion même des enfants, que les parents sachent qu’il y a, de par la nature et la jus­tice, autant de droits, et que ces droits sont de telle nature qu’on n’en peut rien délais­ser soi-​même, ni rien en aban­donner à quelque puis­sance que ce soit, atten­du qu’il n’est pas per­mis à l’homme de délier une obli­ga­tion dont l’homme est tenu envers Dieu. Que les parents consi­dèrent donc qu’ils ont une grande charge de pro­tec­tion envers leurs enfants, mais bien plus grande encore à l’égard de cette vie supé­rieure et plus excel­lente des âmes à laquelle ils doivent les for­mer : et lorsqu’ils ne peuvent la rem­plir eux-​mêmes, il est de leur devoir de don­ner à leurs enfants des auxi­liaires étran­gers, en sorte que ceux-​ci reçoivent et recueillent de maîtres auto­ri­sés l’enseignement reli­gieux néces­saire. Et il n’est pas rare, ce magni­fique exemple de pié­té et de muni­fi­cence don­né (dans les endroits où il n’y avait que des écoles publiques dites neutres) par des catho­liques qui ont ouvert des écoles à eux, au prix de grands efforts et à grands frais, et qui les entre­tiennent avec une égale constance. Certes, il est gran­de­ment à dési­rer que ces excel­lents et sûrs asiles de la jeu­nesse soient éta­blis en plus grand nombre pos­sible, là où il y en a besoin, selon les néces­si­tés et les res­sources locales.

Et on ne peut taire que l’éducation chré­tienne de la jeu­nesse importe gran­de­ment au bien de la socié­té civile elle-​même. Il est assez mani­feste que d’innombrables et graves dan­gers menacent un Etat où l’enseignement et le sys­tème d’études en sont consti­tués en dehors de la reli­gion et, ce qui est pire encore, contre elle. Car dès qu’on met de côté ou qu’on méprise ce sou­ve­rain et divin magis­tère, qui apprend à révé­rer Dieu et sur son fon­de­ment, à tenir tous les ensei­gne­ments de l’autorité de Dieu, dans une foi abso­lue, la science humaine s’abîme par une pente natu­relle, dans les plus per­ni­cieuses erreurs, celles du natu­ra­lisme et du ratio­na­lisme. Et comme consé­quences, le juge­ment et l’appréciation des idées, et par cela même, natu­rel­le­ment, des actes, étant remis à chaque homme, l’au­to­ri­té publique des gou­ver­nants s’en trouve affai­blie et débi­li­tée : car il serait extra­or­di­naire que ceux qui ont été péné­trés de cette opi­nion, la plus per­verse de toutes, qu’ils ne sont assu­jet­tis d’aucune manière au gou­ver­ne­ment et à la conduite de Dieu, recon­nussent quelque auto­ri­té humaine et qu’ils s’y sou­missent. Or, les fon­de­ments sur les­quels repose toute auto­ri­té étant ébran­lés, la socié­té civile se dis­sout et s’évanouit ; il n’y a plus d’Etat et il ne reste par­tout que la domi­na­tion de la force et du crime. Mais la socié­té peut-​elle, à l’aide de ses propres forces seule­ment, conju­rer une si funeste catas­trophe ? Le peut-​elle en refu­sant le secours de l’Eglise ? Le peut-​elle sur­tout en com­bat­tant l’Eglise ? La réponse est claire et obvie pour tout esprit sage. La sagesse poli­tique elle-​même conseille donc de lais­ser aux évêques et au cler­gé leur part dans l’instruction et l’éducation de la jeu­nesse, et de veiller soi­gneu­se­ment à ce que la très noble fonc­tion de l’enseignement ne soit pas confiée” à des hommes d’une reli­gion molle et vide, où même ouver­te­ment éloi­gnés de l’Eglise. Et ce serait là sur­tout un abus into­lé­rable si de pareils hommes étaient appe­lés à ensei­gner les sciences sacrées les plus hautes de toutes.

Il importe encore extrê­me­ment, Vénérables Frères, que Vous écar­tiez et que Vous repous­siez les périls qui menacent Vos trou­peaux par la conta­gion des francs-​maçons. Combien les pro­jets et les arti­fices de cette secte téné­breuse sont rem­plis de malice et dan­ge­reux pour l’Etat, Nous l’avons mon­tré ailleurs, dans une Encyclique par­ticulière, et Nous avons indi­qué les moyens de com­battre et de détruire son influence. On ne pour­ra jamais assez aver­tir les chré­tiens de se gar­der de cette fac­tion scé­lé­rate : car, bien que dès le prin­cipe elle ait conçu une pro­fonde haine contre l’Eglise catho­lique et qu’elle n’ait fait depuis que l’augmenter et l’exciter chaque jour, elle n’exerce pas tou­jours publi­que­ment son ini­mi­tié, mais le plus sou­vent même elle agit subrep­ti­ce­ment et hypo­cri­te­ment, sur­tout à l’égard de la jeu­nesse, qui, dépour­vue d’expérience et de sagesse, se prend tris­te­ment dans des filets cachés même sous les appa­rences de la pié­té et de la charité.

En ce qui concerne les moyens de pré­ser­va­tion vis-​à-​vis d’hommes qui sont sépa­rés des catho­liques par la foi, obser­vez loya­le­ment les pres­crip­tions de l’Eglise, pour que la fré­quen­ta­tion ou la per­ver­si­té de leurs opi­nions ne deviennent pas une source de dan­ger pour le peuple chré­tien. Nous voyons, il est vrai, et Nous déplo­rons extrê­mement que ni Vous ni Nous, nous n’avons un pou­voir égal à notre désir et à notre zèle pour détour­ner entiè­re­ment ces dan­gers ; néan­moins Nous ne croyons pas inutile d’exciter Votre sol­li­ci­tude pasto­rale et de sti­mu­ler en même temps l’activité des catho­liques, afin que nos com­muns efforts puissent écar­ter ou du moins dimi­nuer tous les obs­tacles éle­vés contre nos com­muns vœux. « Concevez donc, dirons-​Nous, en Vous exhor­tant avec les paroles mêmes de Notre pré­dé­ces­seur Léon le Grand, une ardeur pieuse et rem­plie de sol­li­ci­tude pour la reli­gion, et que le zèle de tous les fidèles s’élève contre les plus cruels enne­mis des âmes. »

C’est pour­quoi, après avoir secoué la négli­gence ou la tor­peur qui auraient pu s’établir, que tous les bons embrassent la cause de la reli­gion et de l’Eglise comme la leur, et qu’ils com­battent fidèle­ment et avec per­sé­vé­rance pour elle. Il arrive trop sou­vent, en effet, que les méchants se confirment dans leur malice et dans la facul­té de nuire, et même qu’ils s’en pré­valent par l’inertie et la timi­di­té des bons. Sans doute, les efforts et le zèle des catho­liques n’au­ront pas tou­jours l’effet qu’ils s’en pro­po­se­raient et qu’ils en atten­draient : ils ser­vi­ront, du moins, à la fois à rete­nir leurs adver­saires et à encou­ra­ger les faibles et les timides, sans comp­ter le grand avan­tage qu’il y a dans la satis­fac­tion du devoir accom­pli. Et d’ail­leurs, Nous ne vou­drions pas admettre que le zèle et l’action des catho­liques, avec une bonne direc­tion et de la per­sé­vé­rance, ne puis­sent pas atteindre leur but. Car il est tou­jours arri­vé et il arri­ve­ra tou­jours que les entre­prises les plus héris­sées de dif­fi­cul­tés finis­sent par abou­tir heu­reu­se­ment, pour­vu, comme nous l’avons obser­vé, qu’elles soient menées cou­ra­geu­se­ment eL éner­gi­que­ment, en pre­nant pour guide et pour auxi­liaire le pru­dence chré­tienne. Et, en effet, il faut bien que la véri­té, que tout homme par nature désire avi­de­ment, finisse tôt ou tard par vaincre les esprits : elle peut être oppri­mée et étouf­fée dans les troubles et les mala­dies de l’esprit, mais jamais détruite.

Tout ceci paraît s’appliquer plus par­ti­cu­liè­re­ment, pour plu­sieurs rai­sons, à la Bavière. Car, comme elle a le bon­heur, par la grâce de Dieu, d’être comp­tée au nombre des royaumes catho­liques, elle a moins besoin de rece­voir la foi divine que de l’entretenir, l’ayant reçue de ses pères, et de la fomen­ter ; d’ailleurs, ceux qui pour le gou­ver­ne­ment de l’Etat, font, en ver­tu de la puis­sance publique, les lois, sont en grande par­tie catho­liques, et comme la plu­part aus­si de ses citoyens et de ses habi­tants sont catho­liques, Nous ne dou­tons aucu­ne­ment qu’ils ne veuillent venir de toutes leurs forces en aide et au secours de l’Eglise, leur Mère, au milieu de ses épreuves. Si tous, donc, mettent en com­mun leurs efforts aus­si éner­gi­que­ment et aus­si acti­ve­ment qu’ils le doivent, il y aura lieu cer­tai­ne­ment, avec la grâce de Dieu, de se réjouir des heu­reux résul­tats de leur zèle. Nous recom­man­dons à tous cette union, car, de même qu’il n’y a rien de plus per­ni­cieux que la dis­corde, de même il n’y a rien de plus puis­sant et de plus effi­cace que l’entente et l’harmonie des esprits lorsqu’ils tendent dans la conjonc­tion des forces à un seul et même but. A cet effet, les catho­liques ont, par les lois un moyen facile de deman­der l’amélioration de la condi­tion et du régime de l’Etat, et de dési­rer et de vou­loir une consti­tu­tion, qui, si elle n’est pas favo­rable et bien­veillante pour l’Eglise et pour eux, comme ce serait de toute jus­tice, ne leur soit pas du moins dure­ment hostile.

Et il ne sera pas juste d’accuser per­sonne et de blâ­mer ceux des nôtres qui ont recours à de sem­blables moyens ; car, de ces mêmes moyens, dont les enne­mis du nom catho­lique ont cou­tume de se ser­vir pour la licence, c’est-à-dire pour obte­nir et presque arra­cher aux gou­ver­nants des lois contraires à la liber­té civile et reli­gieuse, n’est-il pas per­mis aux catho­liques de se ser­vir de la manière la plus hon­nête, dans l’intérêt de la reli­gion et pour la défense des biens, pri­vi­lèges et droits qui ont été divi­ne­ment octroyés à l’Eglise catho­lique et qui doivent être res­pec­tés en tout hon­neur par tous, gou­ver­nants et sujets ?

De ces biens de l’Eglise que Nous devons par­tout et tou­jours con­server et défendre de toute injus­tice, le pre­mier est cer­tai­ne­ment pour elle de jouir de toute la liber­té d’action dont elle a besoin pour vaquer au salut des hommes. Car cette liber­té est divine, elle a pour auteur le Fils unique de Dieu qui a fait naître l’Eglise par l’effusion de son sang, qui l’a éta­blie à per­pé­tui­té par­mi les hommes, et qui a vou­lu en être lui-​même le chef ; et elle est tel­le­ment de l’essence de l’Eglise, œuvre par­faite et divine, que ceux qui agissent contre cette liber­té, agissent par là même contre Dieu et contre le devoir. Car ain­si que Nous l’avons dit ailleurs et plus d’une fois, Dieu a éta­bli son Eglise pour sau­ve­gar­der et répar­tir les biens suprêmes des âmes, supé­rieurs par leur nature à tout le reste, et pour appor­ter aux hommes, par le moyen de la foi et de la grâce une vie nou­velle en Jésus-​Christ, une vie qui assure le salut éter­nel. Mais comme le carac­tère et les droits de toute socié­té se détermi­nent d’après sa rai­son d’être et son but, selon les condi­tions de son exis­tence et confor­mé­ment à sa ten­dance, il s’ensuit natu­rel­le­ment que l’Eglise est une socié­té aus­si dis­tincte de la socié­té civile que leur rai­son d’être et leur but dif­fèrent entre eux ; qu’elle est une socié­té néces­saire, éten­due à tout le genre humain, puisque tous les hommes sont appe­lés à la vie chré­tienne, en sorte que ceux qui refusent d’y entrer ou la quittent sont sépa­rés à tout jamais et pri­vés de la vie céleste, qu’elle est une socié­té émi­nem­ment indé­pendante et la pre­mière de toutes, en rai­son même de l’excellence des biens célestes et immor­tels vers les­quels elle converge tout entière.

Mais une ins­ti­tu­tion essen­tiel­le­ment libre requiert, tout le monde le voit, le libre emploi des moyens néces­saires à son fonctionne­ment. Or, il faut à l’Eglise comme organes idoines et néces­saires, le pou­voir de trans­mettre la doc­trine chré­tienne, de pro­cu­rer les sacre­ments, d’exercer le culte divin, de régler et de gou­ver­ner toute la dis­ci­pline ecclé­sias­tique : de toutes ces fonc­tions et de ces faveurs dont Dieu a vou­lu inves­tir et munir son Eglise, il a vou­lu avec une admi­rable pro­vi­dence qu’elle en fût seule dotée. A elle seule il a remis en dépôt toutes les choses qu’il a révé­lées aux hommes ; il l’a éta­blie comme seule inter­prète, juge et maî­tresse très sage et infaillible de la véri­té dont tous les Etats comme les » indi­vi­dus doivent écou­ter et suivre les pré­ceptes ; il est éga­le­ment cer­tain qu’il a don­né libre man­dat à l’Eglise de juger et de déci­der ce qui convien­drait le mieux à ses fins. — Aussi est-​ce injus­te­ment que les pou­voirs civils prennent ombrage et s’offensent de la liber­té de l’Eglise, puisque le prin­cipe de la puis­sance civile et de la puis­sance reli­gieuse est un et le même, à savoir : Dieu. C’est pour­quoi il ne peut y avoir entre elles ni désac­cord, ni entraves réci­proques, ni empié­te­ments, puisque Dieu ne peut être en dés­union avec lui-​même et qu’il ne peut y avoir conflit dans ses œuvres ; bien plus, il y a entre elles mer­veilleux accord de causes et de faits. Il appert aus­si que, lorsque l’Eglise catho­lique, obéis­sant aux ordres de son auteur, étend de plus en plus son dra­peau par­mi les nations, elle ne fait pas inva­sion sur le ter­ri­toire du pou­voir civil et ne nuit en rien à son action ; mais que, au contraire, elle pro­tège et garde ces nations, à l’imitation de ce qui arrive avec la foi chré­tienne qui, loin d’étouffer les lumières de la rai­son humaine, lui apporte plu­tôt un sur­croît d’éclat, soit en la détour­nant des opi­nions erro­nées où il est facile à la nature humaine de tom­ber, soit en lui ouvrant plus larges et plus éle­vés les hori­zons de l’intelligence.

Pour ce qui regarde la Bavière, il est inter­ve­nu entre ce Siège apos­to­lique et elle cer­tains arran­ge­ments par­ti­cu­liers. Ces arrange­ments ont été rati­fiés et consa­crés par des pactes réci­proques. Ces arran­ge­ments, bien qu’il eût beau­coup concé­dé, en fai­sant une con­vention sur son droit, le Siège apos­to­lique les a tou­jours gar­dés inté­gralement et reli­gieu­se­ment, comme il a cou­tume, et jamais il n’a rien fait qui pût four­nir aucune cause de conflit. C’est pour­quoi il faut sou­hai­ter fer­me­ment que les conven­tions soient main­te­nues et reli­gieu­se­ment obser­vées des deux côtés, non seule­ment quant à la lettre, mais sur­tout quant à l’esprit selon lequel elles ont été rédigées.

Il fut un temps, il est vrai, où sur­git quelque trouble dé la con­corde et une cause de conflit ; mais, par un décret, Maximilien 1er l’apaisa, et Maximilien II fit de même en tout bien et toute jus­tice, en sanc­tion­nant cer­tains tem­pé­ra­ments oppor­tuns. Or, Nous savons que ces dis­po­si­tions ont été abro­gées plus récem­ment. Nous, cepen­dant, en rai­son de la reli­gion et de la pru­dence du prince qui gou­verne le royaume de Bavière, Nous devons avoir confiance que celui qui tient d’un illustre héri­tage le rang et la reli­gion des Maximilien vou­dra lui-​même pour­voir promp­te­ment à la défense des inté­rêts catho­liques par la sup­pres­sion des obs­tacles qui s’y opposent, et en pro­cu­rer le développement.

Par suite, les catho­liques (qui forment la par­tie la plus considé­rable des citoyens et qui sans aucun doute est recom­man­dable par son amour de la patrie et son res­pect pour ses gou­ver­nants), s’ils voient que dans une affaire aus­si impor­tante on répond et on satis­fait à leurs dési­rs, excel­le­ront encore plus dans leur res­pect et leur fidé­li­té envers leur prince, à peu près comme font des fils pour leur père, et sui­vant avec une entière volon­té cha­cun de ses conseils pour le bien et l’honneur du royaume, ils les accom­pli­ront pleine­ment et de toutes leurs forces.

Voilà, Vénérables Frères, ce que le devoir de la charge apos­to­lique Nous a pres­sé de Vous com­mu­ni­quer. Il reste main­te­nant à implo­rer tous ensemble et à l’envi le secours de Dieu ; et, pour cela, servons-​nous près de Lui, comme inter­ces­seurs, de la très glo­rieuse Vierge Marie, des célestes patrons du royaume de Bavière, afin qu’il accède bien­veillam­ment à Nos vœux com­muns ; qu’il accorde à l’Eglise la tran­quilli­té et la liber­té, et que la Bavière jouisse, grâce à Lui, d’une gloire et d’une pros­pé­ri­té gran­dis­sant de jour en jour.

Comme pré­sage des dons célestes, et en témoi­gnage de Notre par­ticulière bien­veillance, Nous Vous don­nons de tout cœur, Véné­rables Frères, à Vous, au cler­gé et à tout le peuple confié à Votre vigi­lance, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le vingt-​deuxième jour de décembre de l’année 1887, la dixième de notre Pontificat.

LÉON XIII, PAPE