La Nouvelle-Grenade correspond approximativement à la Colombie actuelle. Sous l’influence de la Franc-Maçonnerie, le gouvernement d’alors menait une politique de persécution anticatholique que déplore le pape :
Nous vous envoyons cette Lettre apostolique, pour Nous plaindre des injustices et des outrages dont le gouvernement de la Nouvelle-Grenade s’est rendu coupable à l’égard de l’Eglise, des personnes qui lui sont consacrées, de ses biens, et de ce Saint-Siège, et pour les flétrir.
Cette lettre est citée comme source de la proposition condamnée n° 26 du Syllabus de Pie IX : « L’Église n’a pas le droit naturel et légitime d’acquérir et de posséder. »
A nos vénérables frères Antoine, Archevêque de Santa-Fe de Bogota et aux évêques ses suffragants dans la république de Nouvelle-Grenade.
Pie X, PapeVénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.
Nous sommes en proie à une incroyable douleur, et Nous gémissons avec Vous, Vénérables Frères, en considérant de quelle manière cruelle et coupable le gouvernement de la république de la Nouvelle-Grenade attaque, bouleverse et déchire l’Eglise catholique. Nous avons peine à trouver des paroles qui puissent exprimer l’énormité des attentats multipliés et sacrilèges par lesquels ce gouvernement, se portant contre Nous et ce Siège Apostolique aux attaques les plus violentes, s’efforce de fouler aux pieds et de détruire notre très sainte religion, ses droits sacrés, sa doctrine, son culte et ses ministres. Depuis deux ans surtout ce gouvernement a promulgué des lois et des décrets détestables, qui sont tout à fait contraires à l’Eglise catholique, à sa doctrine, à son autorité et à ses droits. En vertu de ces lois et de ces décrets iniques, il est défendu, sans parler du reste, aux ministres sacrés d’exercer le ministère ecclésiastique sans l’autorisation de la puissance civile ; tous les biens de l’Eglise ont été usurpés et vendus ; ce qui a privé de leurs revenus les paroisses, les familles religieuses de l’un et de l’autre sexe, le clergé, les établissements hospitaliers, les maisons de refuge, les pieuses confréries, les bénéfices et même les chapellenies établies sous le droit de patronat. Par ces mêmes lois, contraires à toute justice, le droit d’acquérir et de posséder, qui appartient légitimement à l’Eglise, est pleinement violé, et la liberté de tout culte non catholique établie. Elles suppriment toutes les familles religieuses de l’un et de l’autre sexe fixées sur le territoire de la république, et leur interdisent absolument l’existence. Elles défendent la promulgation de toutes lettres et de tout rescrit émanés de ce Siège Apostolique, et infligent la peine de l’exil aux ecclésiastiques, celles de l’amende et de l’emprisonnement aux laïques qui refuseraient d’obtempérer à cette défense. En outre, par ces lois et ces décrets détestables, tout membre du clergé, séculier ou régulier, qui refuserait de se conformer à la loi qui prescrit la spoliation des biens ecclésiastiques, est condamné à l’exil, et il est interdit à tous les ecclésiastiques de remplir les devoirs du sacré ministère, s’ils n’ont préalablement prêté serment d’obéir à la Constitution de la république de la Nouvelle-Grenade et à toutes les lois de l’Etat, tant à celles qui ont déjà été portées et qui sont si préjudiciables à l’Eglise, qu’à celles qui pourraient être édictées plus tard ; enfin, on punit de l’exil quiconque refuserait ce serment illicite et impie. Toutes ces prescriptions, et beaucoup d’autres tout à fait injustes et impies qu’il nous répugne de rappeler en détail, ont été rendues contre l’Eglise, par le gouvernement de la Nouvelle-Grenade, au mépris de toutes les lois divines et humaines.
Dans votre amour pour la religion, Vénérables Frères, vous n’avez pas négligé de vous élever résolument, tant de vive voix que par écrit, contre tous ces attentats et ces décrets iniques et sacrilèges, et de défendre avec un courage que rien n’a pu ébranler la cause et les droits de l’Eglise. Cette conduite a excité la colère du Gouvernement ; il a sévi avec fureur contre vous, contre tous les ecclésiastiques qui vous sont soumis et qui sont demeurés fidèles à leur vocation et à l’accomplissement de leurs devoirs, et, en général, contre tout ce qui appartient à l’Eglise. Vous avez été presque tous persécutés, saisis par la force armée, séparés avec violence de vos troupeaux, jetés dans les fers, condamnés à l’exil et relégués dans des régions dont le climat est mortel ; les ecclésiastiques, ainsi que les novices des familles religieuses qui ont résisté, comme ils le devaient, aux ordres criminels du Gouvernement, ou ont été mis en prison, ou ont été exilés et ont trouvé la mort sur une terre étrangère, ou ont été forcés de mener une vie misérable au sein des forêts. Les vierges consacrées à Dieu, après avoir été toutes brutalement chassées de leurs monastères par ce même gouvernement, et réduites au plus extrême dénuement, ont reçu l’hospitalité chez de pieux fidèles qu’avait touchés leur misérable condition ; mais le Gouvernement, furieux de cet accueil, menace de les chasser des maisons où elles ont trouvé un asile et de les disperser. Les temples saints et les couvents ont été dépouillés, souillés, convertis en casernes ; les ornements et tous les objets sacrés ont été enlevés, le culte divin supprimé, et le peuple chrétien, auquel on a enlevé ses légitimes pasteurs, se trouve privé de tous les secours de notre divine religion. Qui ne voit quels périls en résultent pour le salut des âmes et quel sujet d’amère affliction c’est pour Nous et pour vous. Quel homme, animé de sentiments catholiques ou seulement d’humanité, ne gémirait profondément de voir le gouvernement de la Nouvelle-Grenade persécuter si cruellement l’Eglise catholique, attaquer si violemment sa doctrine, son autorité, ses ministres sacrés, et se porter à de tels outrages, à de telles iniquités contre Notre autorité suprême, l’autorité de ce Siège Apostolique ?
Ce que l’on doit surtout déplorer, Vénérables Frères, c’est qu’il se soit rencontré un certain nombre d’ecclésiatiques qui n’ont pas hésité à obéir aux lois détestables de ce gouvernement, à les appuyer et à prêter le serment illicite mentionné plus haut. Cela a été pour Nous et pour vous une source de grande douleur, et pour tous les gens de bien une cause d’étonnement et de deuil.
Emu de cette cruelle épreuve de l’Eglise catholique et de la perte des âmes qui en est la suite, Nous souvenant des devoirs de Notre charge apostolique, plein de sollicitude pour le bien de toutes les Eglises, et regardant comme Nous étant adressée cette parole dite autrefois au prophète : « Crie sans cesse, élève ta voix comme une trompette retentissante, fais connaître à mon peuple les crimes qu’il a commis, et à la maison de Jacob les péchés dont elle s’est souillée » (Is 68, 1). Nous vous envoyons cette Lettre apostolique, pour Nous plaindre des injustices et des outrages dont le gouvernement de la Nouvelle-Grenade s’est rendu coupable à l’égard de l’Eglise, des personnes qui lui sont consacrées, de ses biens, et de ce Saint-Siège, et pour les flétrir. Tous ces attentats contre les biens et les droits de l’Eglise, soit ceux que Nous avons mentionnés soit les autres qui ont été commis par ce même gouvernement ou par ses subordonnés : décrets, actes, mesures de toutes sortes, Nous les réprouvons de Notre autorité apostolique, Nous les condamnons, Nous abrogeons ces lois et ces décrets avec toutes leurs conséquences en vertu de cette même autorité ; Nous les déclarons absolument nuis et de nulle valeur pour le passé aussi bien que pour l’avenir. Quant aux auteurs de ces décrets, Nous les supplions instamment, au nom du Seigneur, d’ouvrir enfin les yeux, de voir quelles graves blessures ils font à l’Eglise, et de se rappeler en même temps, en y réfléchissant sérieusement, les censures et les peines que les Constitutions apostoliques et les décrets des conciles généraux portent contre les envahisseurs des droits de l’Eglise, et que ceux-ci encourent ipso facto. Qu’ils aient pitié de leur âme et qu’ils se souviennent que « ceux qui commandent seront jugés avec la plus grande rigueur. » (Sg 6, 6) Quant aux ecclésiastiques qui, appuyant le Gouvernement, ont misérablement oublié leurs devoirs, Nous les avertissons et Nous les exhortons de toutes nos forces pour que, se rappelant leur sainte vocation, ils rentrent promptement dans le chemin de la justice et de la vérité, et suivent « l’exemple de ceux qui, après une triste chute, » se sont fait gloire, à notre grande joie et à la grande joie de leurs pasteurs, de rétracter et de condamner le serment d’obéissance qu’ils avaient eu le malheur de prêter au Gouvernement.
En attendant ce retour, nous sommes heureux, Vénérables Frères, de vous payer le tribut de louanges qui vous est dû, à vous qui luttez, comme de vaillants soldats de Jésus-Christ, avec autant de constance que de courage ; vous qui, de vive voix et par écrit, avez défendu autant qu’il était en vous la cause de l’Eglise, sa doctrine, ses droits, sa liberté, et veillé avec sollicitude au salut du troupeau qui vous est confié, en ayant soin de le prémunir contre les machinations impies des hommes ennemis et contre les dangers qui menacent la religion ; à vous qui avez souffert, avec une constance vraiment épiscopale, les outrages, les vexations, les plus dures persécutions. Nous ne doutons pas que vous ne persévériez dans la conduite que vous avez tenue jusqu’ici à votre grand honneur, et que vous ne continuiez à défendre la cause de notre divine religion et à pourvoir au salut des fidèles autant que cela est en votre pouvoir.
Nous louons aussi, comme il le mérite, le fidèle clergé de la république de la Nouvelle-Grenade, qui, exact observateur de sa vocation, et fermement attaché à Nous, à cette Chaire de Pierre et à ses prélats, a été si gravement persécuté à cause de l’Eglise, de la vérité et de la justice, à ce clergé qui a souffert et qui souffre encore chaque jour avec tant de patience toute sorte de mauvais traitements.
Il Nous est impossible de ne pas louer et admirer tant de vierges consacrées à Dieu, qui, bien qu’expulsées avec violence de leurs monastères et réduites au plus triste dénuement, sont demeurées fidèles à l’Epoux céleste, et supportent avec une vertu véritablement chrétienne leur misérable condition, ne cessant ni le jour ni la nuit de répandre leur cœur devant Dieu et de le prier avec autant d humilité que de ferveur pour le salut de tout le monde, et même pour celui de leurs persécuteurs. Nous devons enfin un témoignage de louange au peuple catholique de la Nouvelle-Grenade, dont l’immense majorité persévère dans l’amour, la foi, le respect et la soumission que ce peuple a voués depuis si longtemps à l’Eglise catholique, à Nous, au Siège Apostolique, ainsi qu’à ses Pasteurs.
Ne cessons pas, Vénérables Frères, de nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, de prier et de conjurer humblement et avec ferveur le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, pour qu’il se lève et juge sa cause, qu’il arrache son Eglise aux affreuses calamités qui l’accablent en vos contrées et sur presque toute la surface du globe, qu’il la console et lui donne le secours nécessaire au moment opportun, qu’il lui accorde dans sa clémence la paix et la sérénité qui sont depuis si longtemps l’objet de Nos vœux, qu’il ait pitié de tous, selon l’étendue de sa miséricorde, et qu’il fasse par sa vertu toute-puissante que tous les peuples, toutes les nations, toutes les races, connaissent, adorent, craignent, aiment de tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit ce même Dieu, et son Fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ avec le Saint-Esprit, afin que, observant religieusement les préceptes divins, ils marchent, fils de la lumière, en toute bonté, justice et vérité.
Enfin, comme gage de Notre spéciale bienveillance envers vous, Nous vous accordons avec tendresse, et du plus intime de Notre cœur, Notre bénédiction apostolique, qui attire tous les dons célestes, à vous, Vénérables Frères, ainsi qu’au troupeau confié à votre vigilance.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 17 septembre de l’an 1863, de Notre Pontificat le dix-huitième.
Source : Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865, p. 488.