Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

17 septembre 1863

Lettre encyclique Incredibili afflictamur

Sur la persécution infligée à l'Église dans la République de Nouvelle-Grenade

La Nouvelle-​Grenade cor­res­pond approxi­ma­ti­ve­ment à la Colombie actuelle. Sous l’in­fluence de la Franc-​Maçonnerie, le gou­ver­ne­ment d’a­lors menait une poli­tique de per­sé­cu­tion anti­ca­tho­lique que déplore le pape :

Nous vous envoyons cette Lettre apos­to­lique, pour Nous plaindre des injus­tices et des outrages dont le gou­ver­ne­ment de la Nouvelle-​Grenade s’est ren­du cou­pable à l’égard de l’Eglise, des per­sonnes qui lui sont consa­crées, de ses biens, et de ce Saint-​Siège, et pour les flétrir.

Cette lettre est citée comme source de la pro­po­si­tion condam­née n° 26 du Syllabus de Pie IX : « L’Église n’a pas le droit natu­rel et légi­time d’acquérir et de posséder. »

A nos véné­rables frères Antoine, Archevêque de Santa-​Fe de Bogota et aux évêques ses suf­fra­gants dans la répu­blique de Nouvelle-​Grenade.
Pie X, Pape

Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.

Nous sommes en proie à une incroyable dou­leur, et Nous gémis­sons avec Vous, Vénérables Frères, en consi­dé­rant de quelle manière cruelle et cou­pable le gou­ver­ne­ment de la répu­blique de la Nouvelle-​Grenade attaque, bou­le­verse et déchire l’Eglise catho­lique. Nous avons peine à trou­ver des paroles qui puissent expri­mer l’énormité des atten­tats mul­ti­pliés et sacri­lèges par les­quels ce gou­ver­ne­ment, se por­tant contre Nous et ce Siège Apostolique aux attaques les plus vio­lentes, s’efforce de fou­ler aux pieds et de détruire notre très sainte reli­gion, ses droits sacrés, sa doc­trine, son culte et ses mi­nistres. Depuis deux ans sur­tout ce gou­ver­ne­ment a pro­mul­gué des lois et des décrets détes­tables, qui sont tout à fait contraires à l’Eglise catho­lique, à sa doc­trine, à son auto­ri­té et à ses droits. En ver­tu de ces lois et de ces décrets iniques, il est défen­du, sans par­ler du reste, aux ministres sacrés d’exercer le minis­tère ecclé­sias­tique sans l’autorisation de la puis­sance civile ; tous les biens de l’Eglise ont été usur­pés et ven­dus ; ce qui a pri­vé de leurs reve­nus les paroisses, les familles reli­gieuses de l’un et de l’autre sexe, le cler­gé, les éta­blissements hos­pi­ta­liers, les mai­sons de refuge, les pieuses confré­ries, les béné­fices et même les cha­pel­le­nies éta­blies sous le droit de patro­nat. Par ces mêmes lois, contraires à toute jus­tice, le droit d’acquérir et de pos­sé­der, qui appar­tient légi­ti­me­ment à l’Eglise, est plei­ne­ment vio­lé, et la liber­té de tout culte non catho­lique éta­blie. Elles sup­priment toutes les familles reli­gieuses de l’un et de l’autre sexe fixées sur le ter­ri­toire de la répu­blique, et leur inter­disent abso­lu­ment l’existence. Elles défendent la pro­mul­ga­tion de toutes lettres et de tout res­crit éma­nés de ce Siège Apostolique, et infligent la peine de l’exil aux ecclé­sias­tiques, celles de l’amende et de l’emprisonnement aux laïques qui refu­se­raient d’obtempérer à cette défense. En outre, par ces lois et ces décrets détes­tables, tout membre du cler­gé, sécu­lier ou régu­lier, qui refu­serait de se confor­mer à la loi qui pres­crit la spo­lia­tion des biens ecclé­sias­tiques, est condam­né à l’exil, et il est inter­dit à tous les ecclé­sias­tiques de rem­plir les devoirs du sacré minis­tère, s’ils n’ont préa­la­ble­ment prê­té ser­ment d’obéir à la Constitution de la répu­blique de la Nouvelle-​Grenade et à toutes les lois de l’Etat, tant à celles qui ont déjà été por­tées et qui sont si pré­ju­di­ciables à l’Eglise, qu’à celles qui pour­raient être édic­tées plus tard ; enfin, on punit de l’exil qui­conque refu­se­rait ce ser­ment illi­cite et impie. Toutes ces prescrip­tions, et beau­coup d’autres tout à fait injustes et impies qu’il nous répugne de rap­pe­ler en détail, ont été ren­dues contre l’Eglise, par le gou­ver­ne­ment de la Nouvelle-​Grenade, au mépris de toutes les lois divines et humaines.

Dans votre amour pour la reli­gion, Vénérables Frères, vous n’avez pas négli­gé de vous éle­ver réso­lu­ment, tant de vive voix que par écrit, contre tous ces atten­tats et ces décrets iniques et sacri­lèges, et de défendre avec un cou­rage que rien n’a pu ébran­ler la cause et les droits de l’Eglise. Cette conduite a exci­té la colère du Gouvernement ; il a sévi avec fureur contre vous, contre tous les ecclé­sias­tiques qui vous sont sou­mis et qui sont demeu­rés fidèles à leur voca­tion et à l’accomplissement de leurs devoirs, et, en géné­ral, contre tout ce qui appar­tient à l’Eglise. Vous avez été presque tous per­sé­cu­tés, sai­sis par la force armée, sépa­rés avec vio­lence de vos trou­peaux, jetés dans les fers, condam­nés à l’exil et relé­gués dans des régions dont le cli­mat est mor­tel ; les ecclésias­tiques, ain­si que les novices des familles reli­gieuses qui ont résis­té, comme ils le devaient, aux ordres cri­mi­nels du Gouvernement, ou ont été mis en pri­son, ou ont été exi­lés et ont trou­vé la mort sur une terre étran­gère, ou ont été for­cés de mener une vie misé­rable au sein des forêts. Les vierges consa­crées à Dieu, après avoir été toutes bru­ta­le­ment chas­sées de leurs monas­tères par ce même gou­ver­ne­ment, et réduites au plus extrême dénue­ment, ont reçu l’hos­pi­ta­li­té chez de pieux fidèles qu’avait tou­chés leur misé­rable condi­tion ; mais le Gouvernement, furieux de cet accueil, menace de les chas­ser des mai­sons où elles ont trou­vé un asile et de les dis­per­ser. Les temples saints et les cou­vents ont été dépouillés, souillés, conver­tis en casernes ; les orne­ments et tous les objets sacrés ont été enle­vés, le culte divin sup­pri­mé, et le peuple chré­tien, auquel on a enle­vé ses légi­times pas­teurs, se trouve pri­vé de tous les secours de notre divine reli­gion. Qui ne voit quels périls en résultent pour le salut des âmes et quel sujet d’amère afflic­tion c’est pour Nous et pour vous. Quel homme, ani­mé de sen­ti­ments catho­liques ou seule­ment d’humanité, ne gémi­rait pro­fon­dé­ment de voir le gou­ver­ne­ment de la Nouvelle-​Grenade per­sécuter si cruel­le­ment l’Eglise catho­lique, atta­quer si vio­lem­ment sa doc­trine, son auto­ri­té, ses ministres sacrés, et se por­ter à de tels outrages, à de telles ini­qui­tés contre Notre auto­ri­té suprême, l’autorité de ce Siège Apostolique ?

Ce que l’on doit sur­tout déplo­rer, Vénérables Frères, c’est qu’il se soit ren­contré un cer­tain nombre d’ecclésiatiques qui n’ont pas hési­té à obéir aux lois détes­tables de ce gou­ver­ne­ment, à les appuyer et à prê­ter le ser­ment illi­cite men­tion­né plus haut. Cela a été pour Nous et pour vous une source de grande dou­leur, et pour tous les gens de bien une cause d’étonnement et de deuil.

Emu de cette cruelle épreuve de l’Eglise catho­lique et de la perte des âmes qui en est la suite, Nous sou­ve­nant des devoirs de Notre charge apos­to­lique, plein de sol­li­ci­tude pour le bien de toutes les Eglises, et regar­dant comme Nous étant adres­sée cette parole dite autre­fois au pro­phète : « Crie sans cesse, élève ta voix comme une trom­pette reten­tis­sante, fais connaître à mon peuple les crimes qu’il a com­mis, et à la mai­son de Jacob les péchés dont elle s’est souillée » (Is 68, 1). Nous vous envoyons cette Lettre apos­to­lique, pour Nous plaindre des injus­tices et des outrages dont le gou­ver­ne­ment de la Nouvelle-​Grenade s’est ren­du cou­pable à l’égard de l’Eglise, des per­sonnes qui lui sont consa­crées, de ses biens, et de ce Saint-​Siège, et pour les flé­trir. Tous ces atten­tats contre les biens et les droits de l’Eglise, soit ceux que Nous avons men­tion­nés soit les autres qui ont été com­mis par ce même gou­ver­ne­ment ou par ses subor­don­nés : décrets, actes, mesures de toutes sortes, Nous les réprou­vons de Notre auto­ri­té apos­to­lique, Nous les condam­nons, Nous abro­geons ces lois et ces décrets avec toutes leurs consé­quences en ver­tu de cette même auto­ri­té ; Nous les décla­rons abso­lu­ment nuis et de nulle valeur pour le pas­sé aus­si bien que pour l’avenir. Quant aux auteurs de ces décrets, Nous les sup­plions ins­tam­ment, au nom du Seigneur, d’ouvrir enfin les yeux, de voir quelles graves bles­sures ils font à l’Eglise, et de se rap­pe­ler en même temps, en y réflé­chis­sant sérieu­se­ment, les cen­sures et les peines que les Constitutions apos­to­liques et les décrets des conciles géné­raux portent contre les en­vahisseurs des droits de l’Eglise, et que ceux-​ci encourent ipso fac­to. Qu’ils aient pitié de leur âme et qu’ils se sou­viennent que « ceux qui com­mandent seront jugés avec la plus grande rigueur. » (Sg 6, 6) Quant aux ecclé­sias­tiques qui, appuyant le Gouvernement, ont misé­ra­ble­ment oublié leurs devoirs, Nous les aver­tis­sons et Nous les exhor­tons de toutes nos forces pour que, se rap­pe­lant leur sainte voca­tion, ils rentrent promp­te­ment dans le che­min de la jus­tice et de la véri­té, et suivent « l’exemple de ceux qui, après une triste chute, » se sont fait gloire, à notre grande joie et à la grande joie de leurs pas­teurs, de rétrac­ter et de condam­ner le ser­ment d’obéissance qu’ils avaient eu le mal­heur de prê­ter au Gouvernement.

En atten­dant ce retour, nous sommes heu­reux, Vénérables Frères, de vous payer le tri­but de louanges qui vous est dû, à vous qui lut­tez, comme de vaillants sol­dats de Jésus-​Christ, avec autant de constance que de cou­rage ; vous qui, de vive voix et par écrit, avez défen­du autant qu’il était en vous la cause de l’Eglise, sa doc­trine, ses droits, sa liber­té, et veillé avec sol­li­ci­tude au salut du trou­peau qui vous est confié, en ayant soin de le pré­mu­nir contre les machi­na­tions impies des hommes enne­mis et contre les dan­gers qui menacent la reli­gion ; à vous qui avez souf­fert, avec une constance vrai­ment épisco­pale, les outrages, les vexa­tions, les plus dures per­sé­cu­tions. Nous ne dou­tons pas que vous ne per­sé­vé­riez dans la conduite que vous avez tenue jusqu’ici à votre grand hon­neur, et que vous ne conti­nuiez à défendre la cause de notre divine reli­gion et à pour­voir au salut des fidèles autant que cela est en votre pouvoir.

Nous louons aus­si, comme il le mérite, le fidèle cler­gé de la répu­blique de la Nouvelle-​Grenade, qui, exact obser­va­teur de sa voca­tion, et fer­me­ment atta­ché à Nous, à cette Chaire de Pierre et à ses pré­lats, a été si gra­ve­ment per­sé­cu­té à cause de l’Eglise, de la véri­té et de la jus­tice, à ce cler­gé qui a souf­fert et qui souffre encore chaque jour avec tant de patience toute sorte de mau­vais traitements.

Il Nous est impos­sible de ne pas louer et admi­rer tant de vierges consa­crées à Dieu, qui, bien qu’expulsées avec vio­lence de leurs monas­tères et réduites au plus triste dénue­ment, sont demeu­rées fidèles à l’Epoux céleste, et suppor­tent avec une ver­tu véri­ta­ble­ment chré­tienne leur misé­rable condi­tion, ne ces­sant ni le jour ni la nuit de répandre leur cœur devant Dieu et de le prier avec autant d humi­li­té que de fer­veur pour le salut de tout le monde, et même pour celui de leurs per­sé­cu­teurs. Nous devons enfin un témoi­gnage de louange au peuple catho­lique de la Nouvelle-​Grenade, dont l’immense majo­rité per­sé­vère dans l’amour, la foi, le res­pect et la sou­mis­sion que ce peuple a voués depuis si long­temps à l’Eglise catho­lique, à Nous, au Siège Aposto­lique, ain­si qu’à ses Pasteurs.

Ne ces­sons pas, Vénérables Frères, de nous pré­sen­ter avec confiance de­vant le trône de la grâce, de prier et de conju­rer hum­ble­ment et avec fer­veur le Père des misé­ri­cordes et le Dieu de toute conso­la­tion, pour qu’il se lève et juge sa cause, qu’il arrache son Eglise aux affreuses cala­mi­tés qui l’accablent en vos contrées et sur presque toute la sur­face du globe, qu’il la console et lui donne le secours néces­saire au moment oppor­tun, qu’il lui accorde dans sa clé­mence la paix et la séré­ni­té qui sont depuis si long­temps l’objet de Nos vœux, qu’il ait pitié de tous, selon l’étendue de sa misé­ri­corde, et qu’il fasse par sa ver­tu toute-​puissante que tous les peuples, toutes les nations, toutes les races, connaissent, adorent, craignent, aiment de tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit ce même Dieu, et son Fils unique Notre-​Seigneur Jésus-​Christ avec le Saint-​Esprit, afin que, obser­vant reli­gieu­se­ment les pré­ceptes divins, ils marchent, fils de la lumière, en toute bon­té, jus­tice et vérité.

Enfin, comme gage de Notre spé­ciale bien­veillance envers vous, Nous vous accor­dons avec ten­dresse, et du plus intime de Notre cœur, Notre béné­dic­tion apos­to­lique, qui attire tous les dons célestes, à vous, Vénérables Frères, ain­si qu’au trou­peau confié à votre vigilance.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 17 sep­tembre de l’an 1863, de Notre Pontificat le dix-huitième.

Source : Recueil des allo­cu­tions consis­to­riales, ency­cliques et autres lettres apos­to­liques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865, p. 488.

7 mars 1874
Sur les persécutions dont était victime l'Église de l'Empire d'Autriche-Hongrie et la liberté dont l'Eglise doit jouir à l'égard du pouvoir civil
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