Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 décembre 1892

Lettre encyclique Inimica vis

Sur la Franc-maçonnerie

Aux Archevêques et aux Évêques d’Italie.
LÉON XIII, PAPE

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

Il est une force enne­mie qui, sous l’instigation et l’impulsion de l’esprit du mal, n’a ces­sé de com­battre le nom chré­tien, et s’est tou­jours asso­cié cer­tains hommes pour réunir et diri­ger leurs efforts des­truc­teurs contre les véri­tés révé­lées de Dieu, et, au moyen de funestes dis­cordes, contre l’unité de la socié­té chré­tienne. Ce sont là comme des cohortes dis­po­sées pour l’attaque, et per­sonne n’i­gnore com­bien, dans tous les temps, l’Eglise a eu à souf­frir de leurs assauts.

Or, l’esprit com­mun à toutes les sectes anté­rieures, qui se sont insur­gées contre les ins­ti­tu­tions catho­liques, a repris vie dans la secte que l’on nomme maçon­nique, et qui, fière de puis­sance et de richesse, ne craint pas d’attiser avec une vio­lence inouïe le feu de la guerre, et de le por­ter dans tous les domaines les plus sacrés. Durant l’espace d’un siècle et demi, vous le savez, les Pontifes Romains, Nos pré­dé­ces­seurs, ont ful­mi­né contre cette secte, non une sen­tence, mais plu­sieurs sen­tences de condam­na­tion. Nous- même, comme il le fal­lait, Nous l’avons condam­née, en aver­tis­sant avec éner­gie les peuples chré­tiens de se mettre en garde, par une vigi­lance des plus atten­tives, contre ses per­fi­dies, et de repous­ser, en vaillants dis­ciples do Jésus-​Christ, ses cri­mi­nelles audaces. Bien plus, afin de fer­mer les volon­tés à l’insouciance et au som­meil, Nous avons eu soin de déchi­rer les mys­tères de cette secte si perni­cieuse, et Nous avons mon­tré comme du doigt les arti­fices dont elle se sert pour entraî­ner la ruine des inté­rêts catholiques.

Toutefois, pour dire les choses comme elles sont, un bon nombre d’Italiens s’abandonnent en ce point à une sécu­ri­té irré­flé­chie qui les rend mal­avi­sés et impré­voyants : aus­si ne voient-​ils pas la gran­deur du péril, ou ne savent-​ils pas la mesu­rer selon la véri­té. Or, c’est la foi des aïeux, c’est le salut méri­té aux hommes par Jésus-​Christ, et, en consé­quence, ce sont les bien­faits de la civi­li­sa­tion chré­tienne que le dan­ger menace. N’est-il pas visible, en effet, que la secte maçon­nique ne craint plus rien, qu’elle ne recule devant aucun adver­saire, et que, de jour en jour, gran­dit sa har­diesse ? Des cités entières sont enva­hies de sa conta­gion ; toutes les ins­ti­tu­tions civiles sont de plus en plus pro­fon­dé­ment péné­trées de son souffle, et le but où elle aspire, comme ailleurs çà et là, c’est d’arracher à la race ita­lienne la reli­gion catho­lique, prin­cipe et source des plus pré­cieux biens

De là, le nombre infi­ni des moyens per­fides qu’elle emploie pour éteindre la foi divine ; de là, les lois qu’elle ins­pire, et qui sont autant d’actes de mépris et d’oppression pour la légi­time liber­té de l’Eglise ; de là, la théo­rie qu’elle a inven­tée et qu’elle pra­tique, à savoir que l’Eglise n’est douée ni de la puis­sance, ni de la nature d’une socié­té par­faite, qu’à l’Etat appar­tient le pre­mier rang, et que le pou­voir sacré ne vient qu’après le prin­ci­pal civil. Doctrine aus­si funeste que fausse, sou­vent frap­pée d’anathème par le Siège Apostolique ; doc­trine qui, entre autres maux nom­breux qu’elle enfante, pousse les gou­ver­ne­ments civils à des usur­pa­tions sacri­lèges, et à s’attribuer sans crainte les pré­ro­ga­tives dont ils ont dépouillé l’Eglise. Manifeste est ce pro­cé­dé en ce qui concerne les béné­fices ecclé­sias­tiques ; ils donnent et ils ôtent, à leur gré, le droit d’en per­ce­voir les fruits.

Par un autre pro­cé­dé non moins insi­dieux, les sec­taires maçons cherchent par des pro­messes à séduire le cler­gé infé­rieur. A quelle fin ? Rien n’est plus facile à décou­vrir, atten­du sur­tout que les inven­teurs de ce piège ne prennent pas assez de soin pour cacher leur inten­tion. Ce qu’ils veulent, c’est de gagner dou­ce­ment à leur cause les ministres des choses sacrées ; et puis, une fois enla­cés dans les idées nou­velles, d’en faire des révol­tés contre l’autorité légi­time de laquelle ils relèvent. En cela, cepen­dant, ils ne semblent pas s’être ren­du suf­fi­sam­ment compte de la ver­tu de nos prêtres. Voilà déjà bien des années qu’ils sont en butte aux ten­ta­tions les plus variées, et néan­moins, ils ont don­né d’é­cla­tants exemples de résis­tance et de foi. On peut donc conce­voir la ferme espé­rance qu’ils sau­ront res­ter, avec l’aide de Dieu, et n’importe en quelles cir­cons­tances dif­fi­ciles, tou­jours fidèles à la reli­gion du devoir.

De tout ce que nous venons de dire en quelques mots, il est aisé de devi­ner ce que peut la secte des maçons et ce qu’elle pour­suit comme fin der­nière. Or, ce qui aug­mente le mal, et ce qu’il Nous est impos­sible de consta­ter sans une vive angoisse de cœur, c’est qu’un trop grand nombre de Nos com­pa­triotes donnent leur nom ou prêtent leur concours à la secte, pous­sés par l’intérêt per­son­nel et par une misé­rable ambition.

Puisqu’il en est de la sorte, et pour obéir à Notre conscience qui Nous en fait une obli­ga­tion urgente, Nous venons, Vénérables Frères, sol­li­ci­ter Votre cha­ri­té épis­co­pale, et Vous deman­der de tra­vailler avant tout au salut des éga­rés dont il vient d’être ques­tion. Que Votre acti­vi­té, aus­si assi­due que constante, se pro­pose de les rame­ner de leur éga­re­ment, et de les pré­ser­ver d’une perte cer­taine. Dégager des filets maçon­niques celui qui s’y est embar­ras­sé est, sans doute, une entre­prise très labo­rieuse et d’un suc­cès dou­teux, si l’on ne consi­dère que la nature de la secte : il ne faut, néan­moins, déses­pé­rer d’aucune gué­ri­son, car mer­veilleuse est lit puis­sance de la cha­ri­té apos­to­lique ; Dieu, en effet, vient à son aide, Dieu, Maître et arbitre des volon­tés humaines.

Ensuite, il fau­dra aus­si pro­fi­ter de toute occa­sion pour gué­rir ceux qui, par timi­di­té, contractent le mal dont il s’agit : ce n’est point par suite d’une nature mau­vaise, c’est plu­tôt par mol­lesse de cœur, par manque de conseil qu’ils en arrivent à favo­ri­ser les entre­prises maçon­niques. Grave et très grave est le juge­ment qu’a por­té à ce sujet Félix III, Notre pré­dé­ces­seur : C’est approu­ver l’er­reur que ne pas y résis­ter ; c’est étouf­fer la véri­té que ne pas la défendre.… Quiconque cesse de s’op­po­ser à un for­fait mani­feste peut en être regar­dé comme le com­plice secret. Chez de telles âmes, il est néces­saire de rele­ver le cou­rage, de rame­ner leurs pen­sées aux exemples des aïeux, de leur rap­pe­ler que la force de cœur est la gar­dienne du devoir et de la digni­té per­son­nelle, de leur ins­pi­rer ain­si du regret et de la honte d’agir ou d’a­voir agi avec lâche­té. Qu’est-ce que notre vie tout entière, sinon un com­bat dont l’enjeu prin­ci­pal est le salut, et quoi de plus désho­no­rant pour un chré­tien que d’être assez lâche pour tra­hir son devoir ?

Il est éga­le­ment néces­saire de sou­te­nir ceux qui tombent par igno­rance. Ici, Nous dési­gnons les hommes, en nombre considé­rable, que cap­tivent d’hypocrites appa­rences, qu’attirent divers appâts, et qui per­mettent qu’on les affi­lie à la Société maçon­nique, sans savoir ce qu’ils font. On doit gran­de­ment espé­rer, Vénérables Frères, qu’avec la grâce de Dieu ils en vien­dront à répu­dier l’erreur et à recon­naître la véri­té, sur­tout si, confor­mé­ment à Notre ins­tante prière, Vous Vous appli­quez à démas­quer l’esprit de la secte et à dévoi­ler ses occultes des­seins. Ces des­seins, du reste, ne sau­raient désor­mais pas­ser pour occultes, depuis que leurs auteurs eux-​mêmes les ont révé­lés d’une foule de manières. Dans ces der­niers mois encore, et d’un bout à l’autre de l’Italie, qui a pu ne pas entendre une voix de sec­taire publiant, jusqu’à en faire parade, ces iniques des­seins ? Renverser de fond en comble l’édifice reli­gieux bâti de la main de Dieu même, vou­loir régler, non seule­ment la vie publique, mais encore la vie pri­vée, d’après les seuls prin­cipes du natu­ra­lisme, voi­là ce que veut la franc-​maçonnerie, et ce qu’elle appelle, avec autant d’impiété que de folie, la res­tau­ra­tion de la socié­té civile. Dans quel abîme les nations n’iront-elles donc pas se pré­ci­pi­ter si le peuple chré­tien, pour les sau­ver, ne se décide à les rete­nir par sa vigi­lance et par de sages efforts ?

Mais, en pré­sence de pré­ten­tions non moins per­verses qu’auda­cieuses, il ne suf­fit pas d’éviter les pièges de cette secte si abomi­nable : il importe encore de la com­battre, et de la com­battre avec les armes que four­nit la foi divine et qui, autre­fois, ont triom­phé du paga­nisme. A Vous donc, Vénérables Frères, de recou­rir aux conseils, aux exhor­ta­tions et aux exemples pour enflam­mer les cœurs ; à Vous de réchauf­fer dans le cler­gé et chez Notre peuple cet amour de la reli­gion, ce zèle salu­taire, dont les œuvres, la constance et l’in­tré­pi­di­té honorent avec tant d’é­clat, en des causes sem­blables, les catho­liques des autres nations. L’ardeur d’au­tre­fois à défendre la foi antique s’est refroi­die, dit-​on, dans les popu­la­tions ita­liennes, et cette accu­sa­tion n’est peut-​être pas sans fon­de­ment ; si l’on exa­mine, en effet, dans les deux camps, l’état des cœurs, on remarque chez les enne­mis bien plus d’élan pour atta­quer la reli­gion que chez les amis pour la défendre. Mais il n’y a pas de milieu, quand on veut se sau­ver, entre périr ou com­battre à outrance. Aux engour­dis et aux lan­guis­sants, efforcez-​Vous de rendre le cou­rage ; des bons sol­dats, sou­te­nez la vaillance ; par­mi les com­bat­tants, étouf­fez tout germe de dis­corde, et faites que, sous Votre conduite et Votre auto­ri­té, unis dans une même pen­sée et une même disci­pline, ils en viennent har­di­ment aux mains avec leurs adversaires.

L’importance de la lutte, la néces­si­té de conju­rer le péril Nous ont déci­dé à adres­ser une Lettre au peuple d’Italie lui-​même. Nous avons vou­lu, Vénérables Frères, qu’elle Vous par­vînt en même temps que celle-​ci. A Votre zèle de la pro­pa­ger le plus pos­sible, et, là où besoin en sera, d’en être, par un déve­lop­pe­ment oppor­tun, les inter­prètes auprès du peuple. De celle manière, espé­rons qu’avec la béné­dic­tion de Dieu et à la vue des maux prêts à les acca­bler, les cœurs se réveille­ront et n’hésiteront pas à leur oppo­ser les remèdes que Nous avons indiqués.

Comme gage des dons célestes, comme témoi­gnage de Notre bien­veillance, Nous Vous accor­dons affec­tueu­se­ment, à Vous, Véné­rables Frères, et aux peuples confiés à Votre garde, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 décembre 1892, dans la quin­zième année de Notre Pontificat.

LÉON XIII, PAPE.