Luther, l’ennemi de la grâce de Jésus-​Christ – 4e partie : catholiques et protestants depuis Vatican II

IV – Catholiques et protestants depuis Vatican II

1. La Toussaint est l’une des grandes fêtes catho­liques, par excel­lence, c’est à dire une fête que seuls les membres de la sainte Eglise romaine, dûment ins­truits du dogme révé­lé par Dieu, sont en mesure de célé­brer digne­ment et sans conteste. Car cette fête exprime l’un des points essen­tiels de la foi catho­lique : la valeur méri­toire des bonnes œuvres non seule­ment pour le propre salut de celui qui les accom­plit, mais aus­si pour le salut de son pro­chain. Cette véri­té est au fon­de­ment du dogme de la com­mu­nion des saints, et saint Augustin la résume en disant que « Dieu qui nous a créé sans nous ne nous sau­ve­ra pas sans nous » [1]. Le pro­tes­tant, lui, qui n’est ni catho­lique ni chré­tien, dans la mesure même où il n’est pas romain parce qu’il refuse l’autorité suprême du vicaire du Christ, l’évêque de Rome, ne peut pas s’associer à une pareille célé­bra­tion. A la suite de Luther et de Calvin, en effet, il nie la valeur méri­toire des bonnes œuvres pour le salut. Il nie donc le dogme de la com­mu­nion des saints. Le 1er novembre est donc une jour­née fon­ciè­re­ment anti-​œcuménique, une jour­née que les catho­liques et les pro­tes­tants ne pour­ront jamais fêter ensemble.

2. Cette célé­bra­tion com­mune est pour­tant l’un des prin­ci­paux objec­tifs visés par le Pape François, dans le droit fil du concile Vatican II. Et c’est pour­quoi, en cette vigile de la Toussaint, ce Pape a vou­lu se faire « le témoin volon­taire et par­ti­ci­pa­tif » de la démarche entre­prise par les luthé­riens de Suède, pour célé­brer le cinq-​centième anni­ver­saire de la contes­ta­tion entre­prise par Luther. S’adressant aux suc­ces­seurs atti­trés de l’hérésiarque, il leur dit : « Ce qui nous unit est beau­coup plus que ce qui nous divise » [2]. C’est ce qu’ont dit avant lui Jean-​Paul II [3] et Benoît XVI [4], afin de pro­mou­voir un œcu­mé­nisme qui va contre l’en­sei­gne­ment du Magistère anté­rieur au funeste Concile Vatican II.

3. Qu’est ce qui divise les catho­liques et les pro­tes­tants, en effet ? Luther l’a dit une fois pour toutes, dans un texte déci­sif, le Manifeste à la noblesse chré­tienne de la Nation alle­mande (août 1520). Ce texte est une décla­ra­tion de guerre totale et sans mer­ci à l’Eglise catho­lique romaine, qui est com­pa­rée à la ville de Jéricho. Luther appelle les chré­tiens à mar­cher sur elle, pour en rever­ser les trois murailles, qui sont : le sacre­ment de l’ordre, le magis­tère infaillible du Pape et le pri­mat de juri­dic­tion de l’évêque de Rome. Voilà, de l’aveu même de Luther, ce qui sépare les pro­tes­tants et les catho­liques : le sacer­doce (et avec le sacer­doce, le saint sacri­fice de la messe) ; la Tradition du magis­tère ; le pou­voir de la papau­té. Et ce sont là les trois pivots sur les­quels repose l’unité de l’Eglise, vou­lue par le Christ : uni­té de sacre­ments et de culte qui dépend du sacer­doce ; uni­té de foi qui dépend du Magistère et de la Tradition ; uni­té de gou­ver­ne­ment qui dépend du pri­mat du pape. En défi­ni­tive, ce qui sépare les catho­liques et les pro­tes­tants, c’est la défi­ni­tion même de l’unité de l’Eglise, prise dans ses trois fon­de­ments. Ce sont jus­te­ment ces trois fon­de­ments que la nou­velle théo­lo­gie du concile Vatican II a sérieu­se­ment ébran­lés : pour autant, ce concile a accom­pli une véri­table « pro­tes­tan­ti­sa­tion » du catho­li­cisme, au sens où il a intro­duit dans la pen­sée des hommes d’Eglise les germes de la révolte luthérienne.

4. Le concile a ébran­lé la doc­trine tra­di­tion­nelle du sacer­doce : le cha­pitre II de la consti­tu­tion Lumen gen­tium sur l’Eglise ne fait plus la dis­tinc­tion entre le sacer­doce des membres de la hié­rar­chie, qui est un sacer­doce au sens propre, et le sacer­doce com­mun des fidèles, qui est un sacer­doce au sens impropre. Pie XII affirme que, si l’on peut par­ler d’un cer­tain « sacer­doce » des fidèles, cette expres­sion équi­vaut à un titre sim­ple­ment hono­ri­fique et qu’il se dis­tingue comme tel du sacer­doce vrai­ment et pro­pre­ment dit [5]. Cette der­nière pré­ci­sion a dis­pa­ru dans le n° 10 de Lumen gen­tium : le sacer­doce com­mun des fidèles y est pré­sen­té comme essen­tiel­le­ment dif­fé­rent du sacer­doce minis­té­riel des membres de la hié­rar­chie, mais cette dif­fé­rence n’est plus dési­gnée comme celle qui existe entre un sacer­doce spi­ri­tuel et un sacer­doce vrai­ment et pro­pre­ment dit. Cette omis­sion auto­rise à défi­nir le sacer­doce com­mun des fidèles comme un sacer­doce au sens propre du terme. Et c’est ce que vou­lait Luther : tous les fidèles chré­tiens bap­ti­sés sont pour lui des prêtres au sens propre de ce terme, parce que leur foi les met en rela­tion directe avec Dieu. Après le concile, mais dans la logique de celui-​ci, le pape Paul VI modi­fia le rite de la messe, de façon à y intro­duire cette nou­velle concep­tion du sacer­doce, où le rôle du célé­brant est occul­té au pro­fit de l’action com­mune des fidèles. De plus, à cause des ambi­guï­tés de ce nou­veau rite, la messe appa­raît beau­coup plus comme le mémo­rial de la Cène du Jeudi Saint que comme le renou­vel­le­ment et la réac­tua­li­sa­tion du sacri­fice du Vendredi Saint. C’est encore ce que vou­lait Luther : faire de la messe le simple sou­ve­nir du repas du Jeudi Saint, afin de sti­mu­ler la foi des fidèles.

5. Le concile a ébran­lé la doc­trine tra­di­tion­nelle du magis­tère et de la Tradition : le n° 12 de la consti­tu­tion Lumen gen­tium sur l’Eglise met l’accent sur le « sens de la foi » des fidèles et donc sur le rôle de l’Eglise ensei­gnée, au détri­ment du magis­tère et de l’Eglise ensei­gnante. Les fidèles sont ins­pi­rés par le Saint-​Esprit et pour autant pre­miers dépo­si­taires de la véri­té révé­lée par Dieu, et la hié­rar­chie ensei­gnante a seule­ment pour mis­sion de mettre au point la for­mule dog­ma­tique requise à la conser­va­tion de cette intui­tion ori­gi­nelle. La Tradition devient donc la conti­nui­té d’une expé­rience vécue en com­mu­nion et le magis­tère ne fait que la tra­duire en termes intel­li­gibles. C’est encore ce que vou­lait Luther : selon lui, chaque fidèle reçoit direc­te­ment les lumières du Saint Esprit, qui font de lui un pro­phète inspiré.

6. Enfin, dans le cha­pitre III de la consti­tu­tion Lumen gen­tium, le concile fait du col­lège des évêques un deuxième sujet du pou­voir suprême, en plus du pape. Et dans ce col­lège, le pape n’est plus que le chef des évêques, tan­dis que c’est le col­lège qui est chef de l’Eglise. Ce prin­cipe de la col­lé­gia­li­té porte atteinte à la papau­té et à la nature monar­chique du gou­ver­ne­ment de l’Eglise. Il va dans le sens d’un gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, où le pape est le porte-​parole d’une assem­blée elle-​même repré­sen­ta­tive du Peuple. C’est tou­jours ce que vou­lait Luther : non pas une Eglise socié­té mais une com­mu­nion démocratique.

7. Il y a plus. Le prin­cipe fon­da­men­tal du pro­tes­tan­tisme est en effet le prin­cipe du libre exa­men. Ce prin­cipe équi­vaut à éta­blir la pri­mau­té de la conscience sur tout le reste. La règle de la croyance et de l’agir moral est non pas ce qui est vrai et bien, mais ce que la conscience pré­sente comme vrai et bien. Ce pré­sup­po­sé sub­jec­ti­viste et rela­ti­viste est à la racine de la décla­ra­tion Dignitatis huma­nae sur la liber­té reli­gieuse. En découle l’autonomie de l’ordre tem­po­rel posée éga­le­ment en prin­cipe par la consti­tu­tion Gaudium et spes (n° 36), qui fait écho au prin­cipe pro­tes­tant du « cujus regio ejus reli­gio » : il n’y a pas de reli­gion d’Etat, mais il y a seule­ment autant de reli­gions que de citoyens. En découle aus­si l’œcuménisme : si la reli­gion est une affaire de conscience, l’unité reli­gieuse, dans et par l’Eglise, est un idéal vers lequel convergent toutes les consciences, sans jamais l’atteindre. Et c’est bien la démarche qui ins­pire le décret Unitatis redin­te­gra­tio du concile.

8. Le concile a donc contri­bué à cette guerre sans mer­ci par laquelle le pro­tes­tan­tisme a vou­lu mettre à bas le triple pou­voir de la sainte Eglise, pou­voir de son sacer­doce, de son magis­tère et de son gou­ver­ne­ment monar­chique. Il s’est donc fait le com­plice de Luther. Et il donne à pré­sent aux papes imbus de ses ensei­gne­ments le moyen de faire cause com­mune avec les pro­tes­tants, en leur disant : « Ce qui nous unit est beau­coup plus que ce qui nous divise ». Certes, oui, mais à quel prix ? Au prix du salut éter­nel des âmes, qui sont bal­lot­tées au vent de ces nou­velles doc­trines pro­tes­tan­ti­sées. Le salut éter­nel des âmes est pour­tant la loi suprême, la loi qui doit ins­pi­rer toute la foi et tout l’apostolat de la sainte Eglise : il repré­sente une exi­gence qui rend impos­sible et vaine la démarche entre­prise par François et ses prédécesseurs.

Abbé Jean-​Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Notes de bas de page
  1. Commentaire sur le Psaume 70, n° 2.[]
  2. Discours à Malmö, lors de l’événement œcu­mé­nique, le 31 octobre 2016.[]
  3. Discours au Docteur Christian Krause, pré­sident de la Fédération luthé­rienne mon­diale, le 9 décembre 1999.[]
  4. Discours lors de la ren­contre avec les repré­sen­tants du Conseil de l’église évan­gé­lique d’Allemagne à Erfurt, le 23 sep­tembre 2011.[]
  5. Pie XII, « Discours du 2 novembre 1954 » dans Acta apos­to­li­cae sedis, 1954, p. 669.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.