20 ans après, Rome a‑t-​elle changé ?

De la moindre fibre de notre être nous vou­lons ser­vir l’Eglise catho­lique et lui être fidèles. Nous pro­fes­sons inlas­sa­ble­ment la foi comme la morale catho­lique, le culte comme la doc­trine de l’Eglise. Nous nous effor­çons de ne jamais nous appuyer sur nous-​mêmes, mais constam­ment sur le Magistère de tou­jours, défi­ni et cer­tain, contre les nou­veau­tés dan­ge­reuses ou per­ni­cieuses qui se sont glis­sées et qui semblent triom­pher par­tout, jus­qu’à Rome et dans tout l’u­ni­vers catho­lique. Les pre­miers nous vou­drions voir Rome retrou­ver sa Tradition et la véri­table expres­sion de la foi, tant litur­gique que doc­tri­nale. C’est là notre plus cher désir, notre espoir, notre combat.

Il ne faut pour­tant pas prendre ses dési­rs pour des réa­li­tés, ni croire ache­vée la ter­rible crise que tra­verse l’Eglise sim­ple­ment parce que nous l’at­ten­dons et l’es­pé­rons, ou parce que cer­tains signes encou­ra­geants pour­raient, tel l’arbre, cacher la forêt moder­niste qui a enva­hi le sanc­tuaire de toutes parts : une vraie jungle à cou­per à la machette et au bulldozer !

Depuis qu’il est pape, Benoît XVI a, selon ses propres termes, pu don­ner l’im­pres­sion qu’il s’employait à « résoudre les pro­blèmes » aux­quels l’Eglise est confron­tée((Rencontre du 29 août 2005 avec Mgr Fellay.)) . Mais à côté du latin qu’il a réha­bi­li­té à l’oc­ca­sion de son pre­mier dis­cours, le 20 avril 2005, à côté du camau­ro ou du cha­peau pon­ti­fi­cal qu’il a su arbo­rer non sans fier­té, à côté du Motu pro­prio du 7 juillet 2007 qui a pu être consi­dé­ré par le clan pro­gres­siste comme une pierre dans son jar­din, force est de consta­ter que le sou­ve­rain pon­tife s’emploie d’a­bord et avant tout à conduire et à conso­li­der la révo­lu­tion conci­liaire en en repre­nant tous les grands axes, même les plus fous et les plus contraires à la foi.

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Au len­de­main de son élec­tion, le nou­veau pape s’en­ga­geait réso­lu­ment dans cette ligne :

« je veux affir­mer avec force ma ferme volon­té de pour­suivre l’en­ga­ge­ment de mise en ouvre du Concile Vatican II, dans le sillage de mes pré­dé­ces­seurs et en fidèle conti­nui­té avec la tra­di­tion bimil­lé­naire de l’Eglise »((Homélie après la concé­lé­bra­tion eucha­ris­tique avec les car­di­naux élec­teurs en la cha­pelle Sixtine, 20 avril 2005, n.3. )).

Que l’on ne s’y trompe pas : la tra­di­tion n’est pas ici le cri­té­rium de véri­té qui vien­drait pas­ser au crible les nou­veau­tés conci­liaires pour les cor­ri­ger ou les oublier, mais la simple affir­ma­tion que le concile doit être lu, com­pris et accueilli au moyen de « l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té »((Discours du 22 décembre 2005.)) . Car « au fil des années, les docu­ments conci­liaires n’ont rien per­du de leur actua­li­té ; leurs ensei­gne­ments se révèlent même par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nents en ce qui concerne les nou­velles exi­gences de l’Eglise et de la socié­té mon­dia­li­sée actuelle »1 .

La liberté religieuse ?

Elle est omni­pré­sente dans maints dis­cours, aus­si bien pour salir la mémoire des mar­tyrs qui auraient ver­sé leur sang pour elle((Discours aux car­di­naux du 22 décembre 2005. )) que pour entre­te­nir le faux œcu­mé­nisme et le dia­logue inter­re­li­gieux tous azi­muts, et bien sûr lors­qu’il s’a­git de prê­cher les droits de l’homme dans les cercles onu­siens. Elle est sans cesse pré­sup­po­sée et pos­tu­lée en amont de tout cre­do, de toute véri­té, de toute reli­gion et de tout culte. Un pos­tu­lat fon­ciè­re­ment rela­ti­viste et indif­fé­ren­tiste par lequel le pape vou­drait pour­tant défendre la véri­té de la reli­gion catholique((Rencontre inter­re­li­gieuse à New York le 17 avril et dis­cours à l’O.N.U. le 18 avril 2008. )) . L’aboutissement de cette contra­dic­tion interne abou­tit à célé­brer la laï­ci­té « à l’a­mé­ri­caine », cou­ron­ne­ment de la liber­té reli­gieuse et seule condi­tion d’ex­pres­sion légi­time de la foi dans la socié­té. La laï­ci­sa­tion rem­place ain­si le règne de Notre-​Seigneur sur les nations.

L’œcuménisme ?

Dès les pre­miers mois de son pon­ti­fi­cat, Benoît XVI a mul­ti­plié les ren­contres, dont les plus remar­quées eurent lieu à la syna­gogue de Cologne le 19 août 2005 et à la mos­quée d’Istanbul le 30 novembre 2006((Tout récem­ment encore, l’œ­cu­mé­nisme et le dia­logue inter­re­li­gieux fai­saient par­tie inté­grante du séjour de Benoît XVI aux Etats-​Unis : visite à la syna­gogue, ren­contre œcu­mé­nique, allo­cu­tion devant deux cents repré­sen­tants juifs, hin­douistes, musul­mans, boud­dhistes, etc. )) . Il a repris à son compte le fumeux « esprit d’Assise » parce que, selon lui, « c’est dans la prière qu’il est pos­sible de faire une expé­rience par­ti­cu­lière de Dieu et d’en tirer des encou­ra­ge­ments effi­caces dans le dévoue­ment à la cause de la paix »2 . On pour­rait donc invo­quer n’im­porte quelle idole pour faire l’ex­pé­rience de Dieu ? On obtien­drait donc la paix par l’en­tre­mise de toutes les reli­gions de la terre et des enfers, toutes les sectes et les cou­rants de pen­sée les plus divers, y com­pris maçonniques ?

A cet idéal dévoyé Benoît XVI appelle spé­cia­le­ment « les trois reli­gions mono­théistes » « à coopé­rer entre elles pour le bien com­mun de l’hu­ma­ni­té, en ser­vant la cause de la jus­tice et de la paix dans le monde. » Car, affirme le pape en repre­nant l’en­sei­gne­ment de Vatican II, « judaïsme, chris­tia­nisme, et islam croient dans le Dieu unique, Créateur du ciel et de la terre »((Allocution à la délé­ga­tion du Comité juif amé­ri­cain (American Jewish Committee), le 16 mars 2006. Voir Nostra Ætate, 28 octobre 1965. )) .

Le pape actuel conti­nue donc ici l’ouvre de son pré­dé­ces­seur, l’œil fixé sur cette chi­mère de l’u­ni­té du genre humain fon­dée sur la sacro-​sainte digni­té de la personne((Message du 12 décembre 2006 pour la jour­née de la paix du 1er jan­vier 2007. )) . En réa­li­té, cette uni­té n’est qu’un idéal natu­ra­liste, une illu­soire fra­ter­ni­té uni­ver­selle qui asser­vit l’Eglise à l’hu­ma­ni­té au sein de la socié­té mondialisée((Voir les dis­cours de Benoît XVI au camp d’Auschwitz-​Birkenau, le 28 mars 2006 ; à Ratisbonne, le 12 sep­tembre 2006 ; devant les repré­sen­tants de l’Islam en Italie et les Ambassadeurs de pays musul­mans, le 25 sep­tembre 2006 ; la lettre à l’ar­che­vêque d’Assise du 2 sep­tembre 2006, etc. Cf. Le Chardonnet n°228 de mai 2007. )) .

La collégialité ?

Cette nou­veau­té du concile Vatican II intro­duit « deux têtes » pour impo­ser l’exer­cice soli­daire du pri­mat « dans la diver­si­té des rôles et des fonc­tions du pon­tife romain et des évêques »((Homélie du 20 avril 2005, n.2. )) . Cette dimen­sion col­lé­giale du gou­ver­ne­ment du pape s’illustre aus­si bien sym­bo­li­que­ment dans le bla­son sans tiare que Benoît XVI a choi­si comme armes pontificales((Voir le dis­cours du 24 avril 2005 où Benoît XVI explique pour­quoi il a repris son bla­son épis­co­pal de Munich et Freising. La céré­mo­nie d’i­nau­gu­ra­tion du pon­ti­fi­cat (et non plus de cou­ron­ne­ment) fut éga­le­ment l’oc­ca­sion d’exal­ter les « repré­sen­tants de tous les états de vie du peuple de Dieu » et non le pou­voir pon­ti­fi­cal ou le pri­mat de Pierre. )) qu’en pra­tique, comme on l’a vu au moment du synode sur l’Eucharistie (octobre 2005) et les docu­ments qui en ont éma­né. Ce fut, sauf erreur, le pre­mier acte de gou­ver­ne­ment de l’Eglise uni­ver­selle du nou­veau pape : un synode où il par­ti­ci­pa comme simple évêque avant d’en éta­blir une syn­thèse qui devait n’a­bou­tir qu’à un énième rap­pel contre les abus liturgiques.

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Une conclu­sion s’im­pose. Benoît XVI a confir­mé et repris à son compte pour les éta­blir avec fer­me­té tous les grands chan­tiers du pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II. Ce der­nier, dans son chant du cygne, dénon­çait « l’a­po­sta­sie silen­cieuse » comme, trente ans plus tôt, Paul VI rele­vait la pré­sence « des fumées de Satan » infil­trées dans le sanc­tuaire. Les mêmes causes pro­duisent tou­jours les mêmes effets. Les erreurs de Vatican II demeurent la source empoi­son­née par laquelle Satan conti­nue de répandre à pleine main l’i­vraie de la cor­rup­tion. À cela l’Esprit de véri­té oppose inlas­sa­ble­ment le com­bat de la foi : un com­bat public pour faire entendre la voix de la Tradition et répandre les sources de l’eau vive.

En 1987 Mgr Lefebvre dénon­çait les trois erreurs fon­da­men­tales « pro­fes­sées publi­que­ment par les moder­nistes qui occupent l’Eglise » et concluait logi­que­ment à l’ex­trême gra­vi­té de la situation((Mgr Lefebvre, « Vingt ans de com­bat » in Fideliter n°55, janvier-​février 1987, p. 12–13.)). De ce constat il allait en tirer, l’an­née sui­vante, toutes les leçons en accom­plis­sant « l’o­pé­ra­tion sur­vie de la Tradition ». Vingt ans plus tard, le com­bat continue.

Conclusion du dos­sier : quelle doit-​être notre attitude ?

Source : Le Chardonnet n° 239 de juin 2008

  1. Homélie-​programme du 20 avril 2005. []
  2. Lettre à Mgr Sorrentino à l’oc­ca­sion du 20ème anni­ver­saire de la ren­contre inter­re­li­gieuse de prière pour la paix, 2 sep­tembre 2006. []