Sauf avis contraire, les articles ou conférences qui n’émanent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être considérés comme reflétant la position officielle de la Fraternité Saint-Pie X |
Certains attendaient que le pape démissionne, d’autres demandaient qu’on recondamne la Fraternité Saint-Pie X, plusieurs souhaitaient qu’on relativise le geste du 21 janvier 2009 en affirmant que les évêques « lefebvristes » étaient hors de l’Église, qu’on recoure à la mise en doute de la validité de leurs sacrements ou encore qu’on présente leurs prêtres comme d’obscurs doctrinaires d’un ancien temps.
Benoît XVI persiste et signe
Le pape n’a pas plié devant « les loups ». Il a persisté et signé. Dans une lettre publiée aux évêques du monde entier le 10 mars, il a tour à tour battu en brèche l’idée selon laquelle la Fraternité était schismatique. Il a rappelé que ses évêques étaient validement consacrés. Il a loué l’honnêteté de ses 491 prêtres animés par « l’amour pour le Christ ».
Au-delà de ces rappels filés, on sent malgré tout à la lecture le bouleversement d’un pape presque sidéré de considérer la disproportion qui existe entre d’une part son « geste discret de miséricorde envers quatre évêques » et, d’autre part, la « discussion d’une véhémence telle qu’on n’en avait plus connue depuis très longtemps ». Il y a incohérence. En face d’un décalage si invraisemblable, le sang du pasteur ne fait qu’un tour, il vient défendre sa brebis contre les loups. Il explique alors que ces derniers ont toujours besoin d’une bête à abattre médiatiquement. Il vient à la rescousse de la Fraternité en lui faisant bénéficier de la protection dévolue à l’aura et à l’autorité de sa charge. Mieux encore, en décrivant l’œuvre de Mgr Lefebvre comme un bouc-émissaire, il relativise grandement les griefs portés contre elle.
Même sur Vatican II, contrairement à ce que disent journalistes et évêques à l’unisson, on ne trouve pas les exigences qu’eux-mêmes imposent. Nulle part, le pape ne parle de concile non-négociable. Nulle part, Benoît XVI affirme que la Fraternité devra se plier à la vision commune de la liberté religieuse, nulle part il ne lui impose de se mettre sous l’autorité de la collégialité dévolue aux seuls évêques diocésains. Il parle de « problèmes à traiter ». Il dit aussi qu’il ne faut pas « geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962. » Tout ceci ne semble pas contraire aux aspirations d’une Fraternité qui se voit concéder des discussions doctrinales. N’est-ce pas ce que, précisément, elle souhaitait ?
La seule nuance apportée à ce tableau est la référence à l’irrégularité juridique de la Fraternité aux yeux de Rome. Mais, je crois honnêtement qu’il n’y a personne qui pense un instant, même au sein de cette Fraternité qui a jusque là elle-même repoussé des accords canoniques, qu’elle soit officiellement en règle avec le Saint-Siège. Le pape affirme qu’il y a une distinction à établir entre les personnes et l’institution. Mais qui vient demander une église ? Qui vient se présenter pour baptiser ? Les personnes ou l’institution ? Benoît XVI joue habilement.
Rappels romains
A contrario, le Souverain Pontife fait-il preuve de mansuétude vis-à-vis des égarements épiscopaux ? Pas vraiment, il condamne au contraire, sans pour autant les nommer, ceux qui, dans les rangs catholiques ont « pensé devoir [l”]offenser avec une hostilité prête à se manifester ». Il valide son constat dramatique du chemin de Croix du Colisée (2005) en rappelant qu’en bien des endroits la foi risquait « de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter ». Il fait une profession de foi contre le relativisme en demandant aux évêques de prêcher « non pas un dieu quelconque, mais ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï » reconnu « en Jésus Christ crucifié et ressuscité ».
Alors, il ne reste que quelques lots de consolation aux évêques rebelles, comme celui qui consiste à dire que le décret du 21 janvier n’était pas une priorité. Benoît XVI avait déjà agi ainsi il y a deux ans : Tout en imposant la libération de la messe traditionnelle à la terre entière, il affirmait dans une lettre déjà adressée à ses confrères dans l’épiscopat (7 juillet 2007) que cela ne concernait finalement que quelques initiés formés au latin et à la liturgie. Qu’importe, son geste est passé et c’est bien lui qui compte, non une formule qui a été plus ou moins oubliée et qui visait avant tout à rassurer.
A peine la lettre publiée, les conférences épiscopales de l’Europe du Nord se sont alors précipitées à leurs secrétariats. Il fallait coûte que coûte publier des communiqués faisant mine de se réjouir des propos pontificaux à l’appui de quelques lots de consolation qu’elle concédait aux évêques en révolte, histoire de se montrer proches du pape et, surtout, d’effrayer cette Fraternité afin qu’elle s’en aille d’elle-même. Ce fut un fiasco total puisque, déjouant leurs pronostics, Monseigneur Fellay a répondu immédiatement : il accueillait avec joie la lettre de Benoît XVI, remerciant le pape d’ouvrir les discussions attendues, allant jusqu’à reprendre les citations (saint Luc) et les références (la Vierge de Confiance) du courrier romain. Si la lettre de Benoît XVI a dû faire blêmir plus d’un de ces évêques contestataires, ils ont dû plus que frémir à la lecture de celle de Monseigneur Fellay.
La mouvance Ecclesia Dei tributaire de la doctrine ?
Dans quelques communautés Ecclesia Dei, on s’est parfois ému de l’intégration inattendue de la commission du même nom dans la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il est vrai que l’histoire a montré que ces instituts et fraternités oscillaient selon les temps ou les personnes sur le discours à tenir : Lorsqu’il fallait manifester son attachement à Rome, on disait qu’on acceptait tout le Magistère du pape. Quand, au contraire, on souhaitait faire cause commune avec la Fraternité Saint-Pie X, on concédait bien volontiers que la liberté religieuse ou l’œcuménisme ambiant restaient problématiques. Cette oscillation cachait finalement une ambigüité, celle qui avouait sans le dire que les études positives et les critiques promises par mille et un accords pratiques n’avaient jamais eu lieu.
Et voici que le pape, contre toute attente, place toute la mouvance Ecclesia Dei à la remorque des discussions doctrinales avec le clergé d’Écône. Il y a de quoi inquiéter plus d’un des membres de ces communautés. Le pape serait-il si irrité au point d’oublier ceux qui ont passé accord avec Rome depuis 1988 ? Penserait-il qu’au fond ils n’ont jamais accepté les réformes ? Mais dans une telle hypothèse, ne serait-ce pas reconnaître pour lui qu’elles étaient plus ou moins en rupture avec la Tradition de l’Église ?
Je peux me tromper, mais on peut, au contraire, envisager que si Benoît XVI rend ces communautés tributaires de la discussion théologique, c’est qu’il croit en l’issue de ces colloques qu’il a prévus non seulement dans le décret du 21 janvier mais également dans la lettre du 10 mars. Sinon, il ne prendrait pas le risque de sacrifier ces milieux auxquels il a maintes fois exprimé son attachement sur l’autel de l’enlisement que seuls prédisent ceux qui n’ont jamais cru dans les discussions doctrinales.
Sans doute, y a‑t-il le passé, les prises de position antérieures, les discours qui nous ont fait trembler. Mais les mois de janvier et de février 2009 ont semblé durer, à bien des égards, une éternité. Les lignes ont bougé, les avis ont changé, encore plus profondément qu’ils n’ont été altérés en l’espace de vingt ans. L’esprit de Benoît XVI lui-même a été marqué. La gravité de sa lettre le révèle. Tous, pape, cardinaux, évêques ou prêtres ne peuvent que constater que, dans le contexte actuel, la Fraternité a été un signe de contradiction. Qui sait si au cœur de ce séisme de quelques semaines, Notre-Dame n’a pas marqué tous les cœurs ?
Pour l’heure, le chef de l’Église se trouve au pied du mur : Ou bien il continue, contre vents et marées, à protéger, comme dans cette lettre, cette société religieuse malaimée et il prouve que l’expérience de la Tradition est bel et bien envisageable, ou bien il ouvre la porte de l’enclos aux loups et l’œuvre de restauration de l’Église se trouvera reléguée aux calendes grecques. Mgr Fellay en observateur avisé a toujours aimé reconnaître, malgré les divergences qui le séparait de lui, que lorsque Joseph Ratzinger d’abord cardinal puis pape se trouvait au pied du mur, il posait généralement le bon choix. Prions !
Côme Prévigny, agrégé de l’université – Le 16 mars 2009