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« Crise intégriste » : Benoît XVI s’explique dans une lettre
Dans une lettre très personnelle, Benoît XVI reconnaît l’ampleur de la crise, assume les erreurs et redonne la véritable portée de la levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes
Le mode d’expression est inhabituel pour un pape. Sur la forme : une lettre envoyée aux évêques pour s’expliquer sur une décision, et écrite avec une plume très personnelle qui, notait jeudi 12 mars le P. Federico Lombardi, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, « révèle de manière toute particulière la personnalité de ce pape » : il est rare que le successeur de Pierre fasse part ainsi de sa propre souffrance.
Inhabituel sur le fond : Benoît XVI reconnaît l’ampleur de la crise provoquée dans l’Église par la révocation de l’excommunication. Il assume les erreurs, notamment de communication, avec humilité.
Écrite dans l’objectif de « ramener la paix dans l’Église », la lettre explique la portée de la levée de l’excommunication. Puis le pape replace ce geste dans la logique de son pontificat. Il demande aux catholiques une plus grande solidarité à son égard, leur reprochant en des termes assez durs les « discordances » exprimées : « Si vous vous mordez et dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres », dit-il, citant saint Paul
Deux erreurs
Benoît XVI ne nie pas la profondeur de la crise interne à l’Église, qui « a laissé perplexes » de nombreux évêques. Il désigne les deux erreurs commises. D’abord le cas Williamson, sur lequel il ne revient que brièvement, estimant que les rencontres qu’il a eues depuis avec les représentants juifs – jeudi encore, il recevait le grand rabbinat d’Israël – ont levé les malentendus.
De fait, le pape ne peut être soupçonné de revenir sur le rapprochement avec le judaïsme : cette exigence exista, dit-il « dès le début de mon travail théologique personnel », comme le prouvent le discours comme cardinal à l’Académie des sciences morales et politiques en 1995, ou le document de la Commission biblique pontificale sur Le Peuple juif et ses Saintes Écritures. Seconde erreur, la mauvaise communication. Au passage, le pape demande à ses collaborateurs une plus grande attention à Internet (sur lequel les propos de Mgr Williamson avaient été diffusés).
Comment comprendre la portée de la levée de l’excommunication ? Benoît XVI insiste sur le fait qu’elle concerne des personnes – les quatre évêques, non la Fraternité – et qu’elle lève une sanction disciplinaire. Mais du point de vue doctrinal, le problème reste entier. Tant que la discussion n’aura pas eu lieu, « la Fraternité n’a aucun statut canonique dans l’Église » et, précision importante, « ses ministres n’exercent de façon légitime aucun ministère dans l’Église ».
La Fraternité devra accepter Vatican II
Qui dit discussion doctrinale implique qu’elle soit menée à ce niveau-là. Logiquement, le pape annonce l’intégration de la commission « Ecclesia Dei » dans la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cela devrait permettre, ajoute le pape dans une critique implicite au mode de fonctionnement d’« Ecclesia Dei », d’améliorer la collégialité des prises de décisions, en intégrant dans le processus de délibération des cardinaux chefs de dicastères, ainsi que des représentants des conférences épiscopales.
Sur les négociations elles-mêmes, le pape fixe les deux extrêmes à éviter : il ne s’agit pas de « geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 » (année du concile), donc la Fraternité devra accepter Vatican II, mais aussi le Magistère de tous les papes qui ont suivi, comme le précisait une note de la Secrétairerie d’État le 4 février. Inversement, il ne faut pas non plus considérer que toute l’histoire de l’Église a commencé avec Vatican II. C’est la fameuse « herméneutique de la réforme » à l’égard d’un concile s’inscrivant dans la continuité de l’Église, définie devant la Curie en décembre 2005.
Une fois ces précisions données, Benoît XVI replace cette décision et la crise dans le cadre de son pontificat. C’est un passage intéressant pour comprendre le mode choisi par ce pape théologien pour gouverner l’Église. La réconciliation avec les intégristes n’est pas sa priorité comme telle, dit-il. Comme il l’a souligné dès le début, l’axe de son pontificat est d’affermir ses frères dans la foi. Mais cela passe par un effort constant au service de l’unité. L’unité avec les autres chrétiens, mais aussi avec les autres croyants : deux points – œcuménisme et dialogue interreligieux – au nombre des éléments auxquels les intégristes s’opposent le plus fortement.
Le pape ne se fait guère d’illusion sur les intégristes
C’est donc comme geste de « petite réconciliation » qu’il faut comprendre la main tendue aux intégristes. Benoît XVI l’avait explicité dans sa lettre aux évêques accompagnant le motu proprio qui libéralisait l’usage de l’ancien Missel. Le pape ne se fait guère d’illusion sur les intégristes. Les termes qu’il utilise pour les caractériser (« éléments déformés et malades, suffisance et présomption, unilatéralisme ») ne sont pas tendres.
Mais, interroge-t-il dans une analyse quasi politique, ne faut-il « pas mieux tenter de prévenir les radicalisations, et de réintégrer – autant que possible – leurs éventuels adhérents dans les grandes forces qui façonnent la vie sociale ? ». D’autre part, il y a un principe de réalité : un « mouvement de 491 prêtres, 215 séminaristes, 6 séminaires, 88 écoles, 2 instituts universitaires, 117 frères, 164 sœurs » ne peut laisser indifférent.
Il y va enfin d’une attitude spirituelle. Benoît XVI dit avoir souffert du manque de tolérance avec laquelle il a été traité, subissant « une haine sans crainte ni réserve ». Manifestement, certains reproches, notamment venus d’Allemagne, l’ont blessé. Et le pape de reprocher aux catholiques critiques de « se mordre et se dévorer entre eux ».
L’affaire des intégristes a révélé, au sein des pays occidentaux, la force de l’opinion publique à l’intérieur de l’Église. Comme le note le canoniste Adolphe Borras, vicaire général de Liège, « il y a eu beaucoup de prises de position, certaines excessives, mais nous devons nous former à une culture du débat : nous sommes en train de faire l’apprentissage de Vatican II ».
Isabelle de GAULMYN, à Rome in La Croix