Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 31 mars 1983

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Vous venez d’entendre l’oraison que l’Église met sur les lèvres du pon­tife, en ce jour de la messe chrismale.

« Ô Dieu qui avez vou­lu vous ser­vir des prêtres, pour opé­rer le salut, faites que par ce minis­tère, le peuple fidèle croisse en nombre et en sainteté ».

Mes bien chers amis, en effet, le Bon Dieu a vou­lu se ser­vir du minis­tère des prêtres. Il aurait pu, s’il avait vou­lu, se ser­vir du minis­tère des anges. Il aurait pu se pas­ser et des prêtres et des anges et réa­li­ser ce minis­tère Lui-​même. Il aurait pu res­ter par­mi nous, comme Il l’était pen­dant les trente-​trois années qu’il a pas­sées en Palestine.

Notre Seigneur a choi­si le minis­tère des prêtres. Et nous sommes prêtres par la volon­té de Notre Seigneur et aus­si par ce sacre­ment, par l’Ordre, qu’il a ins­ti­tué pré­ci­sé­ment la veille de sa mort, dans ce repas et ce sacri­fice qu’il a accom­pli avec ses apôtres au Cénacle. En cette soi­rée si divine, si sublime. Notre Seigneur accom­plis­sait à la fois l’institution de deux grands sacre­ments qui devaient ser­vir au salut des âmes : le Sacerdoce et l’Eucharistie. Manifestant par là, jus­te­ment, le lien pro­fond qu’il y a entre le Sacrifice eucha­ris­tique et le sacer­doce. Mais Notre Seigneur n’a pas vou­lu limi­ter les canaux de sa grâce au sacre­ment de l’Eucharistie. Il a ins­ti­tué d’autres sacre­ments par les­quels est dis­pen­sée la grâce sanc­ti­fiante, c’est-à-dire la com­mu­ni­ca­tion de sa propre vie, la com­mu­ni­ca­tion de sa vie divine, vie divine issue, sor­tie de son Cœur sacré dans la Passion. Et c’est pour­quoi il y a un lien pro­fond entre la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, le sacer­doce et les sacrements.

Tout vient de la même ori­gine, de la même source. Il est le Prêtre, Il est la Victime, Il est la source de la vie divine qui nous est communiquée.

Alors, com­bien il était nor­mal, qu’en ce jour qui pré­cède la mort de Notre Seigneur Jésus-​Christ, sa sainte Passion, soit réa­li­sée cette consé­cra­tion des saintes Huiles, qui est une matière pri­vi­lé­giée, choi­sie par Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même.

Nous l’avons enten­du dans l’évangile tout à l’heure, Notre Seigneur a choi­si l’huile, l’Huile sainte pour le sacre­ment des malades, pour le sacre­ment des infirmes. Et Il a vou­lu qu’elle soit aus­si employée dans le sacre­ment du bap­tême, dans le sacre­ment de la confir­ma­tion, dans le sacre­ment de l’ordre.

Et c’est pour­quoi, l’Église a choi­si ce jour pour la consé­cra­tion des saintes Huiles. Et cela doit être pour nous, mes chers amis, vous sur­tout qui êtes prêtre, l’occasion de vous rap­pe­ler l’importance des sacre­ments. Ce n’est pas nous qui avons choi­si le sacer­doce, c’est Notre Seigneur qui nous a choi­sis. C’est Lui qui a vou­lu que nous soyons ses ins­tru­ments. pour le salut des âmes, pour com­mu­ni­quer la vie éter­nelle aux âmes. Et Il nous a confié ces sacre­ments. En défi­ni­tive. Il s’est mis Lui-​même dans nos mains, d’une cer­taine manière. En véri­té, Il l’a fait dans le Saint Sacrifice de la messe et dans le sacre­ment de l’Eucharistie ; mais Il l’a fait aus­si dans tous les sacre­ments, car que sont ces sacre­ments, sinon les canaux de sa propre vie.

Alors nous devons constam­ment nous rap­pe­ler et la néces­si­té des sacre­ments et la gran­deur et la sain­te­té des sacre­ments. Comme il est bon pour nous de nous rap­pe­ler cette néces­si­té de véné­rer les sacre­ments que nous don­nons et d’être à la dis­po­si­tion des fidèles pour leur don­ner la vie divine par ces sacre­ments qui ont été faits pour leur don­ner la bien­heu­reuse éternité.

Mais comme le dit jus­te­ment le caté­chisme du concile de Trente, si judi­cieux en toutes ces matières pour les prêtres, pour les pas­teurs, les sacre­ments sont des signes, signes des choses sacrées. Ce ne sont pas seule­ment des sym­boles, comme on vou­drait nous le faire croire aujourd’hui. Ce sont des signes des choses sacrées, qui pro­duisent les choses qu’ils signifient.

Cette signi­fi­ca­tion est évi­dem­ment bien mys­té­rieuse et c’est pour­quoi, sui­vant la cou­tume du lan­gage grec, les Pères de l’Église ont sou­vent appe­lé les sacre­ments, les mys­tères : mys­te­rium. Parce que, en effet, que des élé­ments maté­riels, que des signes, des paroles, com­mu­niquent la vie divine, c’est un grand mys­tère. Qu’il y ait un lien, un lien pro­fond entre ces paroles, ces matières, ces élé­ments sen­sibles et la vie divine, cela nous montre les des­seins de la Providence à qui tout appar­tient, par qui tout a été créé. Et dont la toute-​puissance peut lier à ces gestes, à ces paroles, aux inten­tions des ministres, la dis­pen­sa­tion des grâces divines.

Et il nous est bon de nous rap­pe­ler que ces sacre­ments sont vrai­ment néces­saires pour le salut des âmes. D’où l’importance de gar­der à ces sacre­ments, la fidé­li­té que nous leur devons. Et en cette époque, où nous consta­tons mal­heu­reu­se­ment que cette fidé­li­té n’est plus gar­dée par les prêtres et par beau­coup de prêtres. On a tel­le­ment modi­fié ces sacre­ments que l’on en est venu à croire que ce sont sim­ple­ment des signes et des sym­boles, mais qui ne pro­duisent plus véri­ta­ble­ment cet effet mer­veilleux qu’est la grâce sanctifiante.

Alors pour nous qui gar­dons pro­fon­dé­ment dans nos cœurs, dans nos âmes cette foi dans la ver­tu des sacre­ments, nous devons aus­si les gar­der dans leur tradition.

Parce que ce ne sont pas nous qui fai­sons le sacre­ment, bien plus hélas, un prêtre qui serait infi­dèle, un prêtre qui serait un pécheur et en état de péché, par le seul fait qu’il accom­plit jus­te­ment et légi­ti­me­ment, les paroles, la matière, les actes et qu’il a l’intention de faire ce que fait l’Église, il pro­duit le sacre­ment, la grâce sacra­men­telle est don­née. C’est ce qu’a vou­lu Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il n’a pas vou­lu que la sain­te­té du sacre­ment dépende de la sain­te­té du prêtre, afin que les fidèles soient assu­rés de rece­voir la grâce sanc­ti­fiante, dont ils ont besoin. Car c’est pour le salut de leurs âmes que Notre Seigneur a fait ces sacre­ments. Et c’est pour­quoi Il les a faits dans des matières simples, si cou­rantes, si habi­tuelles. De telle sorte que les fidèles puissent faci­le­ment rece­voir ces sacrements.

Or, nous consta­tons éga­le­ment aujourd’hui que beau­coup de fidèles sont pri­vés des sacre­ments par la négli­gence du cler­gé, par la négli­gence des prêtres. Au lieu d’accomplir leur devoir, au lieu de com­prendre qu’ils doivent être à la dis­po­si­tion des fidèles pour leur don­ner les sacre­ments, com­bien de prêtres main­te­nant, sont absents, se refusent à don­ner les sacre­ments qui sont deman­dés, lais­sant ain­si les âmes dans l’abandon et peut-​être dans la voie de la per­di­tion. C’est une époque ter­rible qui peut-​être ne s’est jamais pré­sen­tée dans cette acui­té autrefois.

Et le caté­chisme du concile de Trente insiste aus­si sur la néces­si­té de cer­tains sacre­ments, plus grande que les autres, par exemple, la néces­si­té du baptême.

« Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de la parole de vie, il ne peut pas accé­der, dit Notre Seigneur, à la vie éter­nelle » . Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut pas avoir la vie éternelle.

Sans doute, l’Église nous enseigne que le bap­tême peut être le bap­tême de l’eau, le bap­tême de désir et le bap­tême du sang, mais le bap­tême de désir n’est autre que le désir du bap­tême de l’eau. Et com­ment auront-​ils ce désir s’ils ne le connaissent pas. Pour les caté­chu­mènes sans doute, c’est le cas : ils connaissent le bap­tême et ils le dési­rent. Mais com­bien d’âmes ont ce désir impli­cite du bap­tême réel ? Combien d’âmes sont capables de faire un acte de cha­ri­té envers Dieu com­pre­nant le désir impli­cite du bap­tême ? C’est là un grand mys­tère. Et trop faci­le­ment aujourd’hui, on se pas­se­rait des sacre­ments en pen­sant que toutes les âmes se sauvent en dehors des sacre­ments, sans les sacre­ments. Or cela n’est pas pos­sible. Dieu l’a vou­lu. Dieu a vou­lu que sa vie soit dis­pen­sée par les sacrements.

Sacrement du bap­tême, sacre­ment de la péni­tence pour ceux qui sont tom­bés dans le péché mor­tel, qui se seraient sépa­rés de Dieu, s’ils veulent recou­vrer la vie, s’ils veulent avoir la vie éter­nelle, ils doivent se pré­sen­ter au sacre­ment de péni­tence dans les dis­po­si­tions requises et rece­voir la sainte Absolution pour que leurs péchés soient effa­cés et qu’ils renaissent à la vie dans le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et troi­sième sacre­ment néces­saire, dit aus­si le caté­chisme du concile de Trente, troi­sième sacre­ment néces­saire : le sacer­doce, l’ordre. Non point cette fois pour la vie éter­nelle du prêtre, du sujet lui-​même, mais pour la vie de l’Église.

L’Église ne peut pas exis­ter sans sacer­doce. Alors voyez, mes chers amis, ce qu’est l’Église aujourd’hui ; la situa­tion dans laquelle se trouve le sacer­doce aujourd’hui. Qu’en est-​il ? Combien y a‑t-​il encore de prêtres, com­bien y a‑t-​il encore de prêtres qui dis­pensent les sacre­ments vali­de­ment et par consé­quent com­mu­niquent la vie de Dieu aux âmes ? Certes, Dieu le sait. Mais nous sommes bien obli­gé de consta­ter que depuis le concile, le nombre des prêtres a consi­dé­ra­ble­ment dimi­nué et que par­mi ceux qui sont for­més aujourd’hui dans ces sémi­naires qui n’enseignent plus la véri­table doc­trine au sujet des sacre­ments, risquent de ne pas avoir l’intention de faire ce que fait l’Église ; ou de se sou­cier bien peu de la forme et de la matière, en pen­sant que cela n’a pas grande impor­tance. Autant de dilemmes cruels pour nous, pour les fidèles, pour l’Église tout entière. Quelle dou­lou­reuse situation.

Dieu a fait ces sacre­ments pour don­ner sa vie : In finem dilexit eos : Il nous a aimés jusqu’à la fin, jusqu’au bout et Il a vou­lu que ce soit par ces canaux que passe sa vie, cette vie qui sera la béa­ti­tude éternelle.

Et voi­là que les prêtres eux-​mêmes, que le cler­gé lui-​même devient un obs­tacle à la dis­pen­sa­tion de ses grâces, à la dis­pen­sa­tion de la vie éter­nelle. Quelle dou­leur ! Que d’âmes aban­don­nées ! D’où la néces­si­té de conti­nuer ces sémi­naires, d’où pour vous, mes chers amis sémi­na­ristes, vous vous pré­pa­rez à être de vrais prêtres. À être des prêtres qui auront la soif de don­ner les vrais sacre­ments, de don­ner des sacre­ments valides aux âmes qui réclament la vie éter­nelle, qui ont soif de la vie éternelle.

C’est ce que font déjà vos aînés ; ils tra­versent les pays ; ils se font mis­sion­naires par­tout, pour aller por­ter aux âmes, ces grâces dont les âmes ont besoin. C’est un exemple magnifique.

Demandons aujourd’hui à Dieu, que ces prêtres demeurent tou­jours dans la fidé­li­té à l’Église de tou­jours ; qu’ils demeurent aus­si dans le désir de se sanc­ti­fier ; qu’ils ne se laissent pas entraî­ner par un cer­tain acti­visme qui dimi­nue­rait la valeur de leur vie inté­rieure, de leur vie spi­ri­tuelle ; qu’ils ne se perdent pas pour sau­ver les autres. Mais qu’ils se sauvent en sau­vant les autres.

Et une consi­dé­ra­tion très belle que fait éga­le­ment le caté­chisme du concile de Trente, au sujet des sacre­ments : c’est que le sacre­ment a trois liens, repré­sente trois choses.

Une chose pas­sée, une chose pré­sente et une chose future. Une chose pas­sée, c’est la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il y a un lien pro­fond entre cette céré­mo­nie que nous accom­plis­sons main­te­nant et la Passion de Notre Seigneur – et le Vendredi Saint. Il y a éga­le­ment un élé­ment pré­sent, qui est la dis­pen­sa­tion de la grâce par le signe sensible.

Et il y a un lien éga­le­ment avec l’avenir, parce que tous ces signes se réfèrent à la vie éter­nelle, à la béa­ti­tude éter­nelle. Ils sont faits pour cela. C’est leur essence même de conduire à la béa­ti­tude éter­nelle. Quelle chose magni­fique. Quelle réa­li­té sublime. Ce lien entre la Passion de Notre Seigneur, la réa­li­sa­tion du sacre­ment dans le moment pré­sent et le lien avec la béa­ti­tude éternelle.

C’est vrai­ment de Dieu, le retour à Dieu, à tra­vers les sacre­ments. Que cela soit pour nous un encou­ra­ge­ment à pré­pa­rer les âmes à bien rece­voir les sacre­ments. Nous disons par­fois cet adage : Sacramenta prop­ter homines : Les sacre­ments pour les hommes. Et ceux qui emploient quel­que­fois cette for­mule seraient ten­tés de don­ner les sacre­ments sans une cer­taine révi­sion, sans une cer­taine étude des dis­po­si­tions dans les­quelles les âmes reçoivent ces sacrements.

Mais nous devons ajouter :

Sacramenta prop­ter homines bene dis­po­si­tos.

À quoi bon don­ner les sacre­ments si les âmes ne sont pas bien dis­po­sées. C’est Notre Seigneur Lui-​même qui le dit : Ne jetez pas vos perles aux pour­ceaux. Nous ne devons pas don­ner les choses saintes aux chiens, comme le dit Notre Seigneur Lui-même.

Les âmes qui ne sont pas dis­po­sées à rece­voir les sacre­ments, qui ne peuvent pas rece­voir la grâce parce qu’elles ont un obs­tacle, public, offi­ciel, connu, nous ne pou­vons pas leur don­ner les sacre­ments. Nous devons les pré­pa­rer. D’où l’importance de la pré­pa­ra­tion pour les sacre­ments. L’importance du caté­chisme pour les enfants, l’importance de l’enseignement de la foi pour que les fidèles se pré­parent dans la contri­tion, dans l’humilité, dans la cha­ri­té à rece­voir les sacre­ments avec une plé­ni­tude efficace.

Voilà, mes chers amis, quelques consi­dé­ra­tions au sujet de cette messe chris­male qui nous fait pen­ser aux moyens que le Bon Dieu a choi­sis, par­ti­cu­liè­re­ment ces saintes Huiles que nous allons consa­crer dans quelques ins­tants et dont, vous prêtres, vous aurez l’occasion de vous ser­vir tout au cours de l’année. Servez-​vous de ces choses bénites et consa­crées avec toute la dévo­tion, avec tout le res­pect dû aux choses saintes.

Apprenez aux fidèles à res­pec­ter toutes ces choses bénites, ces choses consa­crées afin qu’ils élèvent leur âme vers Dieu et les sanctifient.

Demandons à la Vierge Marie qui sans doute n’était pas pré­sente à la sainte Cène, mais qui fut pré­sente à la Passion et donc pré­sente à ce qui est la source des sacre­ments, elle qui a béné­fi­cié de la vie divine par un pri­vi­lège tout spé­cial, elle est exempte du péché ori­gi­nel, la grâce a inon­dé son âme, elle a été rem­plie de l’Esprit Saint par Jésus Lui-​même, par un pri­vi­lège extraordinaire.

Alors que la Mère de Jésus nous aide à dis­pen­ser l’Esprit Saint, à dis­pen­ser les grâces par les sacre­ments, de telle manière que les âmes soient sanc­ti­fiées comme l’a été l’âme de la très Sainte Vierge Marie.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.