De la validité du sacre

Le rite d’or­di­na­tion des évêques, pro­mul­gué après Vatican II, est-​il valide ? La ques­tion semble étrange. Elle serait angois­sante si la réponse s’a­vé­rait néga­tive. Or, désor­mais, une rumeur se pro­page sur inter­net : ce rite est « abso­lu­ment nul et entiè­re­ment vain », et un com­plot nous l’a caché ! L’occasion de reve­nir serei­ne­ment sur cette inté­res­sante ques­tion de théo­lo­gie sacramentaire .

Depuis quelques mois, se déve­loppe (prin­ci­pa­le­ment sur inter­net) une cam­pagne ten­dant à affir­mer que le nou­veau rite de consé­cra­tion épis­co­pale, pro­mul­gué par Paul VI en 1968, est en soi, dans sa for­mule ori­gi­nelle, abso­lu­ment nul et inva­lide. Il en décou­le­rait que les évêques de rite latin, consa­crés dans leur immense majo­ri­té après 1968, ne seraient en réa­li­té pas évêques, en sorte que les prêtres qu’ils ordon­ne­raient ne seraient pas non plus prêtres.

On voit faci­le­ment les consé­quences rava­geuses d’une telle affir­ma­tion. Cette thèse n’est pas nou­velle, mais a repris de l’am­pleur sous l’im­pul­sion d’un fan­to­ma­tique « Comité inter­na­tio­nal Rore sanc­ti­fi­ca » qui a déjà publié sur inter­net quatre volumes sur cette question.

Lorsqu’on par­court cette lit­té­ra­ture, on est frap­pé par deux points saillants :
- une pré­sen­ta­tion étran­ge­ment mathé­ma­tique pour une ques­tion théo­lo­gique, avec force dia­grammes, dia­po­ra­mas, arbo­res­cences, en sorte qu’on pour­rait par­ler de « théo­lo­gie des mots flé­chés » ;
- une ava­lanche, un empi­le­ment de textes divers, une sorte de flot tumul­tueux dont on ne sai­sit pas très bien la signi­fi­ca­tion. Il faut savoir que, der­rière ce pré­ten­du « Comité inter­na­tio­nal », se cachent sur­tout deux Français, n’ayant aucune for­ma­tion en théo­lo­gie.

Le pre­mier, spé­cia­liste de sta­tis­tiques et de démo­gra­phie, com­mu­nique à tous ses expo­sés son tour ordi­naire d’es­prit, et l’u­ni­vo­ci­té du rai­son­ne­ment mathématique.

Le deuxième, ancien repré­sen­tant en pro­duits ali­men­taires, est affli­gé d’une mala­die psy­cho­lo­gique que l’on peut qua­li­fier de « Logorrhée Hautement Répétitive ». Il faut qu’il pro­duise du texte à jet conti­nu et, comme ses capa­ci­tés lit­té­raires sont limi­tées, il emprunte de toutes parts.

Ce per­son­nage, après avoir dif­fu­sé diverses aigres feuilles, a trou­vé son salut dans l’a­no­ny­mat d’in­ter­net. Il anime un site sous le cou­vert d’un prêtre en rup­ture de ban.

Une campagne contre la Fraternité

Il faut savoir aus­si que cette cam­pagne est réa­li­sée par des enne­mis farouches de la Fraternité Saint-​Pie X, dans le but pre­mier de lui nuire. Tous les jours, les sites inter­net de cette mou­vance qua­li­fient, par exemple, Mgr Fellay, Supérieur géné­ral, de « mani­pu­la­teur, illu­sion­niste, traître, mys­ti­fi­ca­teur, sacri­lège, impos­teur, faux pro­phète, machia­vé­lique, cynique, ral­lié, sub­ver­sif, infil­tré moderniste. »

A prio­ri, une telle cam­pagne ne méri­te­rait que le silence. Toutefois, cette ques­tion reste inté­res­sante. Aussi, comme le fai­sait saint Thomas même pour des objec­tions insanes, il n’a pas paru indigne à divers auteurs d’ap­pro­fon­dir le sujet.

Dans le numé­ro 54 du Sel de la terre, le père Pierre-​Marie a fait paraître une étude sur la ques­tion. Dans le numé­ro 56, il a répon­du à diverses objec­tions. Dans le numé­ro 6 de la revue Objections, le frère Ansgar Santogrossi a publié une dis­ser­ta­tion sur ce sujet. Enfin, l’ab­bé Alvaro Calderon a rédi­gé une note pour le numé­ro 58 du Sel de la terre.

Mais avant tout, il convient de pré­ci­ser la notion de vali­di­té. Pour un sacre­ment, la vali­di­té découle d’une matière suf­fi­sante, d’une forme conve­nable, d’un ministre adé­quat et de l’in­ten­tion de faire ce que fait l’Église par ce rite.

Ainsi, un athée qui verse de l’eau du robi­net sur un enfant en disant (en fran­çais) « Je te bap­tise au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit », en ayant l’in­ten­tion de faire « ce que vou­draient les parents catho­liques de ce gosse », par exemple, bap­tise vali­de­ment. L’enfant reçoit vrai­ment la grâce.

Définition de la validité

De la même façon, un prêtre en état de péché mor­tel, ou apos­tat, marié, excom­mu­nié, célèbre vali­de­ment la messe s’il emploie la matière (le pain et le vin), la for­mule, et s’il a l’in­ten­tion de célé­brer une messe comme le fait l’Église.

En revanche, sont inva­lides : un bap­tême célé­bré avec du coca-​cola (défaut de matière) ou en uti­li­sant la for­mule « Je te bap­tise au nom de l’Église » (défaut de forme) ou au cours d’un jeu entre des enfants (défaut d’in­ten­tion) ; une messe célé­brée par un diacre (défaut de ministre).

On voit par là que la vali­di­té se dis­tingue du carac­tère licite, conve­nable, per­mis, fruc­tueux, ortho­doxe, digne, de l’ac­tion posée. Il n’y a aucun doute qu’une ordi­na­tion épis­co­pale dans l’une des Églises dites « ortho­doxes » est illé­gi­time, schis­ma­tique, sou­vent héré­tique, et tout ce qu’on vou­dra. Mais il est aus­si hors de doute qu’une telle ordi­na­tion est valide.

De la même façon, ce qui nous inté­resse ici n’est pas de savoir si le nou­veau rite de consé­cra­tion épis­co­pale est satis­fai­sant, conforme à la tra­di­tion, oppor­tun, digne, ou si nous allons l’u­ti­li­ser (la réponse est non). Nous cher­chons juste à déter­mi­ner si le carac­tère épis­co­pal est confé­ré à l’ordinand.

Analyse historique

Le père Pierre-​Marie pro­pose une savante étude de 70 pages, riche de 125 notes, et com­po­sée à l’ins­tar d’un article de la Somme théo­lo­gique de saint Thomas : d’a­bord sept objec­tions pré­ten­dant prou­ver l’in­va­li­di­té du nou­veau rite ; puis la réso­lu­tion scien­ti­fique de la ques­tion ; enfin la réponse aux objections.

Le cour de la démons­tra­tion consiste d’a­bord en la des­crip­tion des condi­tions d’é­la­bo­ra­tion (entre 1965 et 1968) du nou­veau rite de consé­cra­tion épis­co­pale. Cette des­crip­tion est fon­dée sur des sources publiées, ain­si que sur des docu­ments d’ar­chives, spé­cia­le­ment du Deutsches Liturgisches Institut de Trèves, où sont conser­vées les archives de l’ab­bé Kleinheyer, secré­taire du groupe d’ex­perts qui a éla­bo­ré le nou­veau rite.

Après cette mise en pers­pec­tive his­to­rique, le père Pierre-​Marie démontre que la for­mule essen­tielle du nou­veau rite (la « forme » du sacre­ment) n’est que la reprise d’une for­mule uti­li­sée pour le sacre dans les Églises (catho­liques) copte et syrienne.

Le père Pierre-​Marie résume ain­si sa conclu­sion centrale :

La com­pa­rai­son entre ces diverses prières nous paraît suf­fi­sam­ment élo­quente par elle-​même : le nou­veau rite contient la sub­stance des deux rites coptes et syriens. On ne peut mettre en doute sa vali­di­té sans rayer de l’his­toire de l’Église ces deux Églises qui ont four­ni de grands saints et doc­teurs : saint Athanase et saint Cyrille d’Alexandrie (patriarches d’Alexandrie), saint Jean Chrysostome et saint Jérôme (ordon­nés prêtres à Antioche), etc. Faudra-​t-​il dire que ces per­son­nages n’é­taient que de pieux laïcs ?

La démons­tra­tion est solide et, à notre avis, abso­lu­ment défi­ni­tive : elle exclut tout doute sur la vali­di­té intrin­sèque du rite (dans l’é­di­tion latine) pro­mul­gué en 1968.

Analyse théologique

Toutefois, une ins­tance a été faite par un prêtre sédé­va­can­tiste ayant quit­té la Fraternité Saint-​Pie X il y a un quart de siècle (d’une façon mora­le­ment contes­table) : l’ab­bé Anthony Cekada. Ce prêtre affirme que la nou­velle for­mule, même si elle a été uti­li­sée dans des rites catho­liques, n’ex­prime pas ce qui est requis pour la vali­di­té. Selon une sen­tence de Pie XII, « une for­mule sacra­men­telle doit signi­fier de manière uni­voque les effets du sacre­ment ».

« Univoque » signi­fie ici « com­pré­hen­sible dans un sens unique et clair ». C’est pour éclai­cir ce point que le frère Santogrossi a rédi­gé sa note dans Objections.

Pie XII exi­ge­rait, selon ce prêtre sédé­va­can­tiste, que la for­mule d’or­di­na­tion exprime, de façon abso­lu­ment claire et indu­bi­table, com­pré­hen­sible de façon immé­diate en dehors de tout autre contexte, ce qui consti­tue l’es­sen­tiel de l’ordre confé­ré. Or, une telle exi­gence amè­ne­rait à consi­dé­rer que le rite tra­di­tion­nel de l’or­di­na­tion sacer­do­tale dans le rite latin n’est pas valide.

En effet, la for­mule sacra­men­telle y dit seulement :

Donnez à ce ser­vi­teur qui est le vôtre, Père tout-​puissant, la digni­té du presbytérat.

Une telle for­mule, selon les prin­cipes posés par le prêtre sédé­va­can­tiste (en défor­mant la pen­sée de Pie XII), souf­fri­rait de deux défauts. D’une part, la carac­té­ris­tique du prêtre, du sacer­dos, le pou­voir d’of­frir le sacri­fice eucha­ris­tique « tant pour les vivants que pour les défunts », n’y est nul­le­ment mentionnée.

D’autre part, le mot « pres­by­ter » signi­fie seule­ment « ancien », selon l’é­ty­mo­lo­gie. Au cha­pitre 5 de la pre­mière épître de saint Pierre, les fonc­tions attri­buées aux « pres­by­te­ri » sont des fonc­tions de gou­ver­ne­ment : « pais­sez », « veillez », « deve­nez les modèles », sans allu­sion à des fonc­tions de sacrificateur.

Cette for­mule tra­di­tion­nelle de l’or­di­na­tion des prêtres n’ex­pri­mant pas, de façon com­pré­hen­sible en dehors de tout autre contexte, ce qui consti­tue l’es­sen­tiel du sacer­doce, devrait être consi­dé­rée, d’a­près les prin­cipes du prêtre sédé­va­can­tiste, comme « abso­lu­ment nulle et entiè­re­ment vaine » : ce qui est ridi­cule, évidemment.

Plénitude de sens par le contexte

En réa­li­té, les mots de la for­mule sacra­men­telle doivent être réfé­rés à un triple champ de signi­fi­ca­tion. Car il est faux de vou­loir qu’un texte exprime un sens de façon com­pré­hen­sible en dehors de tout autre contexte. Et ce n’est cer­tai­ne­ment pas ce que demande Pie XII en son texte.

Il ne s’a­git pas ici, pre­miè­re­ment et essen­tiel­le­ment, d’un contexte his­to­rique. Nous ne fai­sons pas de l’his­to­ri­cisme. Il s’a­git bien du contexte même de la for­mule, de son inser­tion dans un ensemble signi­fiant. Il s’a­git de com­prendre ce que dit vrai­ment la formule.

L’expression « Je vais te dévo­rer tout cru », par exemple, n’a pas le même sens dans la bouche d’un père qui joue avec son enfant, et dans la bouche de l’an­thro­po­phage qui a cap­tu­ré un mis­sion­naire. Les mêmes mots ont ici des sens dif­fé­rents, et c’est le contexte qui leur donne ce sens.

La for­mule sacra­men­telle doit d’a­bord, pour prendre son sens, être réfé­rée à la réa­li­té. Lorsque je dis : « Je bois un verre », per­sonne n’i­ma­gine que j’in­gur­gite le récipient.

Dans la réa­li­té, le conte­nant est pris pour le conte­nu. La for­mule sacra­men­telle doit ensuite être réfé­rée à l’u­sage des mots dans le voca­bu­laire chré­tien. Un « canon », par exemple, dans le voca­bu­laire chré­tien, ne signi­fie pas une arme de guerre, mais une simple règle juridique.

La for­mule sacra­men­telle doit enfin être réfé­rée à la tota­li­té du rite qui l’ac­com­pagne, rite qui pré­cise et com­plète ce qu’une courte for­mule ne peut exprimer.

Un doute sur la consécration de la messe ?

La for­mule tra­di­tion­nelle de consé­cra­tion du pain, par exemple, dit : « Ceci est mon corps. » Cette for­mule n’ex­prime pas l’as­pect sacri­fi­ciel, qui est pour­tant essentiel.

Dira-​t-​on que la messe tra­di­tion­nelle est inva­lide, ou que la messe nou­velle, qui dit : « Ceci est mon corps livré pour vous », est plus sacri­fi­cielle ? Évidemment non !

Ce sont les for­mules sacri­fi­cielles de l’en­semble du rite qui donnent la plé­ni­tude de sens.

Appliquons ces prin­cipes à la for­mule de 1968 :

Et main­te­nant, [Seigneur], répan­dez sur celui que vous avez choi­si cette force qui vient de vous, l’Esprit qui fait les chefs [Spiritum prin­ci­pa­lem], que vous avez don­né à votre Fils, Jésus-​Christ, qu’il a don­né lui-​même aux saints Apôtres, qui éta­blirent l’Église en chaque lieu, comme votre sanc­tuaire, à la gloire inces­sante et à la louange de votre Nom.

Le cour de cette for­mule est le don fait à l’or­di­nand du « Spiritus prin­ci­pa­lis ». Le don de l’Esprit fait par­tie de tous les sacre­ments, notam­ment des divers degrés de l’ordre. C’est donc le carac­tère « prin­ci­pal » de ce don de l’Esprit sur lequel il faut s’arrêter.

L’Esprit qui fait les chefs

Concernant la réfé­rence à la réa­li­té, le frère Santogrossi note que ce qui est prin­ci­pal a rap­port avec la pri­mau­té, donc avec la source, l’o­ri­gine et le prin­cipe de direc­tion. Cela désigne bien l’é­vêque, qui est, par pou­voir propre, le pre­mier dans la digni­té, la source des sacre­ments, l’o­ri­gine de l’en­sei­gne­ment de la foi et le prin­cipe de direc­tion des âmes.

Concernant l’u­sage des mots dans le voca­bu­laire chré­tien, le frère note que le mot latin « prin­ci­pa­lis » est la tra­duc­tion du mot grec « hege­mo­ni­kon ». Ce mot est uti­li­sé dans de nom­breuses prières consé­cra­toires orien­tales, et com­porte un lien sys­té­ma­tique avec la notion d’au­to­ri­té, dont la source, comme le disent tous les Pères de l’Église, est l’é­vêque, « prince », « pre­mier » et « chef » dans l’Église. Les dic­tion­naires de grec et de latin patris­tiques asso­cient ain­si hege­mo­ni­kon et prin­ci­pa­lis à la charge épiscopale.

De plus, la pre­mière chose que le concile de Trente enseigne sur les évêques est qu’ils sont les membres prin­ci­paux de la hié­rar­chie. L’introït de la messe des pon­tifes (des évêques) dit d’ailleurs que Dieu « prin­ci­pem fecit eum », « a fait de lui un prince ».

Une formule sans ambiguïté

Enfin, le reste du rite de 1968 apporte de nom­breuses pré­ci­sions sur la nature et les pou­voirs de l’é­pis­co­pat : ces autres par­ties contri­buent à don­ner à la for­mule essen­tielle sa plé­ni­tude de sens, de même que l’of­fer­toire contri­bue à don­ner sa plé­ni­tude de sens à la for­mule « Ceci est mon corps ». Et même lorsque ces rites non essen­tiels sont omis (v.g. lors d’une messe célé­brée clan­des­ti­ne­ment), ils consti­tuent l’arrière-​plan de signification.

En réfé­rence, tant à la réa­li­té, à la tra­di­tion du voca­bu­laire chré­tien qu’au contexte de l’en­semble du rite, cette demande d’une effu­sion du Spiritus prin­ci­pa­lis sur l’or­di­nand, Esprit de Jésus-​Christ qu’il a lui-​même trans­mis aux Apôtres pour éta­blir l’Église en tous les lieux, est par­fai­te­ment signi­fi­ca­tive de la grâce épiscopale.

A ce titre-​là, et même en dehors du fait que cette forme est uti­li­sée dans des Églises catho­liques, la for­mule sacra­men­telle du nou­veau rite d’or­di­na­tion épis­co­pale de 1968 (selon sa for­mu­la­tion latine) est sans aucun doute pos­sible valide.

Variété des formules traditionnelles

Cela étant, notre rapide enquête a mis en lumière un point qui ne manque pas d’in­tri­guer : la grande varié­té des rites d’or­di­na­tion et leur manque rela­tif de pré­ci­sion. Pour la plu­part des autres sacre­ments, la matière et la forme sont pré­cises : l’eau pour le bap­tême, l’huile pour la confir­ma­tion, l’a­veu des péchés pour la confes­sion ; « Je te bap­tise », « Je vous marque du signe de la croix et vous confirme du chrême du salut », « Je vous absous de vos péchés ».

Pour l’ordre, au contraire, la matière, c’est-​à-​dire l’im­po­si­tion des mains, est géné­rale, puis­qu’elle est uti­li­sée dans tous les sacre­ments et dans beau­coup de sacra­men­taux ; la forme reste rela­ti­ve­ment vague, dans la mesure où elle se can­tonne à des géné­ra­li­tés assez « poé­tiques » (« la rosée de l’onc­tion céleste », « l’Esprit qui fait les chefs »), au lieu de décrire de façon pré­cise la réa­li­té de l’épiscopat.

La liberté de l’Église

Sur ce point, l’ab­bé Calderon, dans Le Sel de la terre, apporte un éclai­rage inté­res­sant. Il note d’a­bord que cette varié­té des for­mules mani­feste que Notre-​Seigneur n’a pas, pour l’ordre, déter­mi­né de manière spé­ci­fique les paroles à uti­li­ser, mais qu’il a indi­qué seule­ment le sens géné­ral du sacre­ment, lais­sant à son Église la liber­té de choi­sir les formes.

Concernant le flou (rela­tif) des for­mules uti­li­sées dans les divers rites, l’ab­bé Calderon cite un article de la Somme théo­lo­gique qui per­met de mieux le com­prendre. Le Docteur angé­lique remarque que, dans les autres sacre­ments, le ministre agit comme un pur ins­tru­ment de la puis­sance divine. Il doit donc déter­mi­ner avec pré­ci­sion l’ef­fet qu’il pro­duit, non en son nom propre, mais au nom de la Trinité.

En revanche, pour la trans­mis­sion de l’ordre, il pos­sède déjà en lui-​même le pou­voir qu’il va trans­mettre. Il n’a­git plus comme un pur ins­tru­ment de Dieu, mais plu­tôt comme une cause seconde, à l’i­mage d’un père qui trans­met la vie à son enfant parce que d’a­bord il pos­sède lui-​même cette vie.

Un père qui transmet la vie

Pour cette rai­son, l’ef­fi­ca­ci­té du sacre­ment ne réside pas dans le seul signe sacra­men­tel, mais d’a­bord et sur­tout dans le ministre lui-​même qui le dis­pense. « L’efficacité de l’ordre réside en pre­mier lieu dans celui qui admi­nistre le sacre­ment », dit expli­ci­te­ment saint Thomas. La matière et la forme, pourrait-​on dire, sont plu­tôt là pour déli­mi­ter et pré­ci­ser quelle par­ti­ci­pa­tion de pou­voir est conférée.

De là vient que l’im­po­si­tion des mains est une matière suf­fi­sante pour l’ordre, parce que ce sont des mains d’é­vêque ; qu’une for­mule même un peu vague suf­fit, parce que c’est une bouche d’é­vêque, une volon­té d’é­vêque qui exprime sa déter­mi­na­tion de trans­mettre le pou­voir qu’il pos­sède en plé­ni­tude, d’en­gen­drer de son propre sacer­doce plé­nier un prêtre ou un évêque.

Un rite certainement valide en soi

Le nou­veau rite d’or­di­na­tion épis­co­pale de 1968 est donc cer­tai­ne­ment valide, pour trois rai­sons coor­don­nées : cette for­mule est uti­li­sée depuis de longs siècles dans des Églises catho­liques ; cette for­mule, en elle-​même et par la confir­ma­tion de sens que lui donne son contexte, exprime de manière uni­voque les effets du sacre­ment ; enfin, le simple fait qu’un évêque uti­lise cette for­mule (par­fai­te­ment suf­fi­sante en soi), même si elle est un peu vague, suf­fit pour expri­mer sa volon­té effi­cace de trans­mettre le pou­voir sacré qu’il pos­sède en propre.

La cam­pagne déve­lop­pée par des per­sonnes dont l’in­com­pé­tence s’a­joute aux inten­tions malignes ne mérite donc aucun crédit.

Bien enten­du, comme le disent les trois auteurs pré­ci­tés, cette démons­tra­tion de la vali­di­té, en soi, de la for­mule latine du nou­veau rite de consé­cra­tion épis­co­pale pro­mul­gué en 1968 ne signi­fie en rien que nous approu­vons cette inno­va­tion de la réforme litur­gique. Elle ne signi­fie évi­dem­ment pas non plus que les mul­tiples tra­duc­tions du rite (que d’ailleurs nous ne connais­sons pas) sont for­cé­ment valables et valides : il fau­drait voir dans chaque cas.

Des doutes sur certaines ordinations

Elle signi­fie encore moins que nous esti­mons que toutes les consé­cra­tions épis­co­pales réa­li­sées depuis 1968 sont valides : car les for­mules employées peuvent dans des cas pré­cis créer un doute réel.

Mgr Lefebvre cite cette antienne dite par le cler­gé et reprise par la foule à l’oc­ca­sion d’un sacre en 1982 :

« .sois apôtre comme Gandhi, sois apôtre comme Luther,sois apôtre comme Luther King, sois apôtre comme Helder Camara, sois apôtre comme Romero. », et il conclut avec rai­son : « C’est effrayant ! Est-​ce que cet évêque est vrai­ment consa­cré ? On peut quand même en douter. »

Mais il y a une dis­tance immense entre dire :

Dans tel cas pré­cis, où les rubriques litur­giques ont été bafouées, il existe un doute fon­dé sur la vali­di­té du rite,

et dire :

Dans tous les cas, le rite est intrin­sè­que­ment invalide.

La crise de l’Église est déjà com­plexe et dif­fi­cile, il est donc irres­pon­sable et cri­mi­nel d’y ajou­ter des dif­fi­cul­tés irré­mé­diables, sur la base de rai­son­ne­ments aus­si faux que ceux pro­pa­gés par les défen­seurs de l’invalidité.

Mais il faut dire que leurs affir­ma­tions ne visent qu’à confor­ter leur thèse, tout aus­si erro­née, du sédévacantisme.

Abbé Grégoire Celier

Extrait de Fideliter n° 177 de mai-​juin 2007