Le mercredi 17 avril 2024, lors des funérailles de Mgr Vitus Huonder à Écône, S.E. Mgr Bernard Fellay prêche en alternant les langues allemande et française.
Voici rassemblées les parties en français du sermon.
Cette retranscription du sermon des funérailles inclut quelques passages qui n’ont été prononcés qu’en allemand, dans le but de donner toute la pensée développée par Mgr Fellay.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Excellences,
Chers confrères dans l’épiscopat,
Cher Monsieur le Supérieur général,
Chers confrères dans le sacerdoce,
Cher Sœurs,
Chers fidèles,
Nous voici réunis auprès de la dépouille mortelle de son Excellence Mgr Vitus Huonder, pour lui présenter nos derniers hommages, pour le conduire à sa dernière demeure.
Nous voulons aussi l’accompagner de nos prières car, par l’Eglise, nous savons qu’après la mort, il y a le jugement, post mortem stat judicium. Nous savons aussi que, pour les personnes constituées en autorité, le jugement est plus sérieux, en raison de la plus grande responsabilité. L’évêque répond d’une manière plus sévère que les fidèles, c’est l’Écriture Sainte qui nous le dit. L’évêque répond pour toutes les âmes de son diocèse.
Le Seigneur est juste, et le temps de la miséricorde est sur cette terre. Après, on se trouve devant le juste Juge. Et l’Eglise, tout en se confiant à cette miséricorde du bon Dieu qui est mort pour nous sauver, sait combien il est important d’accompagner les morts par la prière, implorant du bon Dieu le repos éternel – requiem æternam dona ei Domine – donnez-leur, donnez-lui ce repos, ce repos éternel, et que la lumière, – lux perpetua – cette lumière perpétuelle l’illumine.
Le chemin vers la Fraternité
De Monseigneur, qui était chez nous ces dernières années, nous retenons son affabilité, sa sérénité. Il l’a rayonnée, cette bonté. C’était un évêque bienveillant. On ne voyait pas en lui d’esprit de critique, d’esprit revanchard. Il n’y avait rien de tout ça. Il voulait être quelqu’un qui construisait des ponts. En fait, Pontifex, c’est ça. C’est celui qui fait des ponts.
Et à la fin de sa vie, il y a cette demande, cette volonté, la dernière volonté, comme on dit : « Je veux être enterré à Écône ». C’est une décision qui, certes, nous réjouit, mais qui en choque plus d’un. Mais il me semble qu’aujourd’hui, il est important que nous essayions de comprendre sa décision. Pour cela il nous faut regarder un petit peu l’histoire, et aussi un peu l’histoire de la Fraternité. Je pense que je ne fais pas un mystère si je dis que notre Fraternité Saint-Pie X est perçue comme un signe de contradiction. Cette expression, je l’ai même utilisée en l’exposant au Saint-Père : c’est une réalité, et une réalité qui contient un mystère.
Nous avons eu des discussions avec Rome. Et à un certain moment – déjà sous le pape François, au début – Rome demande à quelques évêques d’entrer en contact avec nous pour des discussions. Ils sont quatre. Il y a un évêque auxiliaire, un évêque, un archevêque et un cardinal. Mais nous les rencontrons chacun séparément. Chacun vient dans nos maisons, la plupart dans nos séminaires. Et là, dans un contact plus proche, peut-être plus humain, ils apprennent à nous connaître peut-être mieux que simplement par des échanges théologiques.
Et c’est à la suite de ces échanges que Mgr Huonder nous connaît mieux, découvre, peut-être, ce qui est caché sous le signe de contradiction. Au point que, lorsqu’il va se retirer du diocèse, il demande à pouvoir séjourner chez nous. Il en parle à Rome, il en parle au pape François qui, sur le moment, ne pose pas d’objection, ne dit pas grand-chose. Mieux, de la bouche de Mgr Huonder lui-même, nous savons qu’un jour le pape a dit à un prêtre : « Ce qu’il fait là, c’est bien ». Et il reçoit une approbation explicite d’Ecclesia Dei.
En fait, en nous voyant, il est évident pour lui que nous ne sommes pas schismatiques. Lors de ma première audience avec le pape François, il me disait : « Vous êtes catholiques, je ne vous condamne pas ». On voit par là qu’il y a – on peut dire – divers niveaux de compréhension des choses.
Les trésors de la Tradition
Et à l’école de Wangs, pendant quatre ans, Mgr Huonder va étudier, examiner, approfondir les écrits de Mgr Lefebvre, ce que dit la Fraternité. Il la voit vivre, il voit ce que nous faisons. Il découvre sans aucun doute le pourquoi du signe de contradiction. Nous touchons là un mystère. Et c’est un mystère qui dépasse – on peut dire – la Fraternité. Déjà le pape Benoît XVI disait : « Vous représentez beaucoup plus que ce que vous êtes ».
C’est un grand mystère, d’abord, de voir que ce n’est pas nous qui cherchons à être un signe de contradiction, mais que c’est bien une réalité, une disposition de la divine Providence. De même que c’est une disposition de la divine Providence d’avoir comme concentré dans cette société un ensemble de trésors, qui sont le trésor de l’Eglise, et qui, en partie, ont été mis de côté, oubliés, négligés. C’est comme si le bon Dieu avait voulu concentrer ses trésors dans cette petite société. C’est un grand mystère de notre temps. Nous ne sommes pas seuls, mais c’est assez impressionnant de voir comment ces biens – qui encore une fois sont les biens de l’Eglise, ce ne sont pas les nôtres – sont résumés dans ce terme de Tradition. Saint Pie X déjà disait : « L’Eglise est Tradition ». L’Eglise ne peut pas se séparer de sa Tradition. Ce n’est pas possible. C’est son être. Tradere, quand on dit Tradition, on dit qu’on a reçu… c’est Dieu qui a déposé, qui a confié à l’Eglise ces trésors. L’Eglise en vit. C’est sa vie. Elle ne peut pas s’en séparer, ce serait la mort. Lorsqu’on dit que l’Eglise est une société, on est obligé de dire qu’elle est essentiellement surnaturelle. Ce ne sera jamais par des moyens humains que l’Eglise pourra vivre. Ce qui fait vivre l’Eglise, ce sont les moyens qui sont proprement divins, qui viennent de Dieu. C’est la vie de Dieu, c’est la vie de la grâce, qui nous est donnée par la foi, par les sacrements.
Et tous ces trésors, Mgr Huonder les voit, il en jouit, il les partage avec nous. Car il les a trouvés chez nous. Il a retrouvé la religion de son enfance. Se séparer d’avec l’Église, il n’en est pas question, non ! Nous sommes d’Église. Mgr Huonder est heureux. Il porte avec nous ce signe de contradiction. Naturellement, tous ne se réjouissent pas de le voir chez nous. Peu importe, il porte ce signe avec nous.
Souffrir pour l’Église
Et c’est à ce moment-là qu’il dit : Je veux être enterré ici, près de l’évêque qui a tant souffert pour l’Eglise ». On pourrait dire : « Mais vous quittez votre diocèse ! ». Il ne faut pas considérer cela de manière trop humaine. Essayons de nous représenter Monseigneur devant sa mort, devant son départ imminent. Il le sait : bientôt il va comparaître devant le Sauveur, devant le Seigneur Dieu. Il va devoir rendre compte de sa vie. Ces derniers jours sont donc incroyablement importants. Ils sont déterminants pour toute l’éternité. C’est sérieux ! On ne prend pas de telles décisions à la légère : je veux être enterré là-bas. On lui demande : dans le diocèse ? Non : là-bas ! c’est sa décision. Elle nous a surpris. Bien sûr, c’est avec joie que nous voulons la réaliser, mais cette volonté, nous voulons aussi la comprendre. Que veut-il vraiment exprimer par là ? Je le répète : le dernier acte de notre vie, ici sur terre, détermine notre éternité. Si l’on en est suffisamment conscient, alors on veut que cet acte soit le plus grand, le meilleur, le plus parfait. Qui serait assez fou, à ce moment-là, pour poser un acte contraire, opposé au bon Dieu ? Ce moment-là, c’est le moment de poser l’acte le plus saint, l’acte qui rend le plus d’amour possible, qui glorifie le bon Dieu davantage et nous assure le salut.
Le Christ a voulu mourir hors de Jérusalem
Il y a quelque chose de très mystérieux que j’aimerais associer à cette pensée. Il faut le prendre d’une manière tout à fait mystique, pas trop littérale. Notre-Seigneur a voulu mourir en dehors des murs de Jérusalem. Et ici on a comme une reproduction : Mgr Huonder meurt, ou est enterré, en dehors, on peut dire, des murs du diocèse. Comme je le dis, il ne faut pas le prendre littéralement parce que, dans cette mort de Notre-Seigneur, qui oserait jamais dire que Notre-Seigneur à ce moment-là, quitte Jérusalem ? Non, Il ne quitte pas Jérusalem ; mais Il est le centre, et le centre du monde. Il attire tout à Lui. Il ne limite pas le salut à Jérusalem. Cette mort en dehors des murs, elle est comme l’expression de l’Eglise catholique, universelle. Jésus meurt pour tous. Tout d’abord pour les Juifs, comme le dit l’Ecriture Sainte, comme dit saint Paul si souvent : d’abord les Juifs, ensuite les Gentils. Ce n’est pas un rejet.
Le salut vient de la Croix
Ce serait donc complètement erroné de prendre cet acte de Mgr Huonder comme un rejet. Ce n’est pas ça du tout. Mais c’est un mystère ! Et ce mystère, je ne sais pas s’il l’a découvert ou s’il en a trouvé une affinité, quelque chose qu’il savait déjà, parce que c’est tellement catholique… c’est la réalité de la Croix. Le salut vient de la Croix.
Si le bon Dieu permet que nous soyons un signe de contradiction, ce n’est pas pour la contradiction. C’est parce que Notre-Seigneur lui-même, selon la prophétie de Siméon, est ce signe de contradiction. Lui qui apporte aux hommes de bonne volonté la paix, devient un signe de contradiction. Et quiconque veut vivre avec Notre-Seigneur – c’est une parole de l’Evangile – quiconque veut vivre pieusement pour Notre-Seigneur souffrira la persécution. Si l’on veut vivre avec Notre-Seigneur, quelque part on aura à en souffrir. C’est comme ça ! Cette invitation à embrasser la croix, nous la voyons à de nombreuses reprises dans l’Évangile : « Si quelqu’un veut devenir mon disciple, qu’il prenne sa croix ». Qu’il la prenne tous les jours. S’il ne la prend pas, il n’est pas digne d’être au nombre de mes disciples, il n’est pas digne de moi. La Sainte Écriture dit également : Il nous a donné un exemple, pour que nous le suivions, que nous marchions sur ses traces. Voilà ce que veut dire embrasser la croix. C’est un mystère.
C’est comme ça depuis le début, et c’est pour cela que l’Eglise sur terre, depuis le début, s’appelle l’Eglise militante. L’Eglise aura toujours à souffrir de la haine. « Le monde vous hait ». Et Notre-Seigneur a présenté ça comme quelque chose d’absolument normal. « Il m’a haï le premier, le disciple n’est pas au-dessus du Maître ». Et cette croix, cette souffrance, c’est ce que Dieu a choisi pour satisfaire, pour réparer le péché, pour nous sauver.
Et, encore une fois, je pense que Mgr Huonder a dû voir cette réalité mystérieuse chez nous ; cette grâce qui repose en nous, c’est cette union au plus profond de l’Eglise, parce que toute la vie de l’Eglise sort de la Croix. Tout le salut de l’Eglise, toute grâce qui vivifie l’Eglise, viennent de la Croix. Mgr Lefebvre a eu cette grâce de saisir cette réalité et de nous la transmettre, et je pense que c’est ce que Mgr Huonder a vu chez nous. Ça ne se dit pas sur les toits. Ce qu’on voit de la Fraternité, c’est le latin, c’est l’ancien rite. En fait ces choses-là sont essentielles comme est essentiel le vase qui contient l’eau : il faut un vase pour tenir l’eau. Cet esprit, l’esprit chrétien, a besoin d’un vase. Et on le voit, l’expérience de l’Eglise, ces 2 000 ans de l’Eglise nous montrent que ces rites anciens, vénérés, polis par le Saint-Esprit, contiennent cet esprit chrétien. Et cet acte « Je veux être enterré ici, près de l’évêque qui a tant souffert », c’est comme pour dire : je veux embrasser cette Croix. Ce n’est pas pour la Fraternité. C’est beaucoup plus profond, beaucoup plus profond. C’est l’esprit de Notre-Seigneur.
Nous voulons la résurrection, nous la voulons tous, nous voulons que notre cher Monseigneur repose en paix. Et je crois vraiment qu’il a posé pour cela un signe, un signe pour tous.
Ce signe qu’il pose devant l’Histoire, qui interpelle, eh bien vraiment, supplions qu’il nous aide tous à mieux comprendre et à embrasser vraiment cet esprit de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui se livre totalement, absolument à son Père sur la Croix, pour la plus grande gloire du Père, pour le salut des hommes.
Ainsi soit-il.