La question de l’insertion de la liturgie issue du Concile dans des églises bâties avant ledit Concile permet d’en appréhender les fondements, les implications et les résultats.
La réforme liturgique a été l’un des éléments les plus importants des évolutions consécutives au concile Vatican II, voire le plus significatif. Une citation de Paul VI, le 13 janvier 1965, parmi bien d’autres possibles, le rappelle opportunément : « La nouvelle pédagogie religieuse que veut instaurer la présente rénovation liturgique s’insère, pour prendre presque la place de moteur central, dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l’Église de Dieu, et rendu plus facile et plus impérieux par le progrès de la culture humaine ».
Il est donc bon de se retourner sur cette réforme liturgique, pour en mieux appréhender les fondements, les implications et les résultats. Nous proposons de le faire ici par le biais du « bâtiment église ». La question de l’insertion de la liturgie issue du Concile dans des églises bâties avant ledit Concile est en effet particulièrement topique pour l’évaluation du changement opéré par la réforme.
Nous avons recouru pour cela aux réflexions et remarques des meilleurs spécialistes liturgiques écrivant à la suite de Vatican II. Elles nous permettront de repérer les problèmes qui se sont posés à mesure que les nouvelles formes liturgiques commençaient d’être célébrées, et de saisir en retour ce que donne à penser la réforme liturgique postconciliaire. Ces textes ayant été publiés durant les deux décennies (1965–1985) de mise en place de la réforme liturgique, on ne s’étonnera pas qu’ils soient rédigés au présent ou au futur plutôt qu’au passé.
Rapport contenant-contenu
Les auteurs soulignent d’abord qu’une église, comme tout autre bâtiment d’ailleurs, reflète par son architecture les conceptions de ceux qui l’ont édifiée. Construite pour une certaine liturgie, un certain cérémonial, une certaine théologie, elle en exprime forcément les valeurs. Elle crée par son agencement un climat particulier, favorable au déploiement de la forme d’expression religieuse qui a présidé à sa conception. En conséquence, « s’intéresser à la liturgie sans s’inquiéter de l’aménagement des lieux où elle se déroule serait un non-sens. Car il existe une affinité profonde entre l’espace aménagé selon l’art, et la liturgie qui s’y déploie » (E. Vauthier, « L’aménagement des églises », Esprit et Vie – L’Ami du clergé 27, 5 juillet 1984, p. 393).
Or, un bâtiment est par nature un objet stable, qui traverse le temps. « Un édifice ne se modifie pas à la manière d’un rite » (Guy Oury, « L’aménagement des églises – Un aspect du renouveau liturgique », L’Ami du clergé 6, 10 février 1966, p. 89). Il transporte donc l’enveloppe qu’une période de la vie de l’Église avait mise en place pour s’y mouvoir à son aise, dans une époque où, peut-être, la vie de l’Église a profondément changé, ce qui peut provoquer une distorsion entre le contenant et le contenu. A la suite de Vatican II, précisément, du fait d’une rapide et radicale évolution rituelle (et théologique), une liturgie passablement nouvelle devait se déployer dans des espaces architecturaux réalisés selon d’autres canons et pour d’autres usages. Car « la plupart de nos lieux de culte ont été conçus et construits il y a parfois plusieurs siècles, pour des besoins différents des nôtres » (« Simple dialogue à propos de l’espace liturgique », Communautés et Liturgies 6, novembre-décembre 1978, p. 545). Les édifices anciens se sont donc révélés donc plus ou moins inadaptés à la mise en place des nouvelles normes de la célébration chrétienne.
Dans cette optique, « une double question se pose : comment utiliser les lieux de culte tels qu’ils nous ont été laissés et comment en concevoir de nouveaux plus adaptés à notre mode de vie urbaine et à la situation de l’Église aujourd’hui » (« Simple dialogue à propos de l’espace liturgique », Communautés et Liturgies 6, novembre-décembre 1978, p. 546).
Le monument donne une certaine idée de Dieu
La question, dès le départ, est celle-ci : « Comment obtenir que la liturgie d’aujourd’hui se déroule au mieux dans un cadre prévu pour la liturgie d’autres époques ? » (« Le congrès d’art sacré d’Avignon », Notes de pastorale liturgique 137, décembre 1978, p. 63). Car, comme le notait le père Congar à propos de Saint-Pierre-de-Rome (mais sa remarque s’applique d’une façon équivalente aux autres églises), « toute une ecclésiologie est déjà inscrite dans la disposition des lieux » (Yves Congar, Vatican II. Le concile au jour le jour, première session, Cerf-Plon, 1963, p. 23).
Le père Quellec explique de façon très claire ce qui est en jeu : « La configuration extérieure d’un édifice, la distribution et l’organisation de ses espaces internes, le style des objets qui y sont répartis, forment déjà une image plus ou moins nette du Dieu qu’on y rencontre. (…) Notre façon d’occuper l’espace de nos églises, de disposer le mobilier, d’aménager le sanctuaire, comme aussi le choix d’une croix, d’une icône ou d’un autel, implique que nous nous référons, que nous le voulions consciemment ou non, à des images diversifiées de Dieu. On a fréquemment souligné que l’image du Christ de l’eucharistie est assez différente selon que l’autel ressemble à une simple table ou tient davantage du tombeau monumental. (…) Il faut noter que, dans la plupart des cas, on n’a pas eu l’occasion de poser des choix révélateurs d’une spiritualité : on a reçu l’église, presque en l’état, de ceux qui l’ont conçue et organisée. Il faut noter aussi que, tout aussi fréquemment, il existe une sorte de hiatus entre la sensibilité et les idées religieuses des contemporains et celles qui ont présidé à la construction d’un édifice » (Jean-Yves Quellec, « Le Dieu de nos églises », Communautés et Liturgies 4, septembre 1981, p. 275 et 278).
Par exemple, « les autels-retables du XVIIe siècle, conçus, comme le demandait le concile de Trente, pour l’adoration, représentent une certaine vision de la foi. Nous avons maintenant une autre idée de la présence réelle » (Philippe Boitel, « Une église peut-elle être un musée ? », Informations catholiques internationales 402, 15 février 1972, p. 5). « Depuis l’époque de la Contre-Réforme, la sainte réserve a été souvent liée à l’autel majeur avec lequel elle apparaissait comme le centre vital de l’édifice. Mais la rénovation actuelle de la célébration liturgique, en restaurant la valeur propre de chaque moment de la célébration, a remis en valeur les autres modes de présence du Seigneur » (« Vêtements, objets, espaces liturgiques », Notes de pastorale liturgique 105, août 1973, p. 26).
Deux modèles d’église issus de deux théologies différentes
« A la première conception de l’Église, celle d’avant Vatican II, correspond, à titre d’exemple, une architecture d’église dans laquelle le sanctuaire est démesurément énorme, bien séparé du peuple, dominant l’ensemble des fidèles, corps insignifiant (dans le vrai sens du terme) avec une tête hydrocéphale. A la théologie de Vatican II correspond au contraire une architecture dans laquelle sanctuaire et nef s’intègrent de plain-pied dans un ensemble harmonieux » (Lucien Deiss, Les ministères et les services dans la célébration liturgique, éditions du Levain, 1981, p. 8)
Or, l’architecture sacrée « doit présenter une image de l’Église qui soit pleinement cohérente avec celle que s’efforce de donner, pour sa part, la liturgie » (Roger Béraudy, « Introduction » in Espace sacré et architecture moderne, Cerf, 1971, p. 7) C’est pourquoi, « il n’est pas jusqu’à l’aménagement des lieux de culte qui n’ait subi les effets du renouveau » (Charles Wackeinheim, Entre la routine et la magie, la messe, Centurion, 1982, p. 23).
La réforme liturgique implique ainsi une modification des édifices
L’unique solution envisageable consiste, en redéfinissant l’agencement des volumes et des
objets, à aménager l’espace architectural. Mais cette reconversion est difficile, du fait de l’inertie caractéristique du bâtiment. « Célébrer dans un édifice ancien pose des problèmes techniques, des problèmes de protection et des problèmes qui tiennent à l’évolution de la liturgie : depuis
Vatican II, la prédication, les célébrations eucharistiques par exemple, ne requièrent pas tout à fait les mêmes mouvements qu’auparavant » (« Le congrès d’art sacré d’Avignon », Notes de pastorale liturgique 137, décembre 1978, p. 64).
« Puisque la réforme liturgique a entraîné des modifications dans la disposition de l’espace, on doit bien voir que ces changements ne vont pas sans problème, surtout lorsqu’ils interviennent dans des édifices conçus selon une autre logique. Par exemple, on occupe aujourd’hui des points de cet espace où il n’avait pas été prévu que des paroles soient prononcées. Alors, on fait violence au lieu. L’architecture violentée n’entre plus en résonance avec l’assemblée. Elle ne le peut – elle ne peut répondre – que si l’on se maintient à la juste place » (Paul Roland, « Libre propos sur l’espace liturgique », Communautés et Liturgies 4, septembre 1981, p. 296).
Toutefois, cette modification entraîne de réelles difficultés
« Le problème de la reconversion des églises traditionnelles, on s’en est suffisamment rendu compte, n’est pas simple ni facile à résoudre. La forme de nos anciennes églises ne se prête pas d’emblée aux aménagements souhaités par le concile » (Jean Huvelle, « Réforme liturgique et aménagement des églises », Revue diocésaine de Tournai, 1965, p. 236). Par exemple, « une fois l’autel définitif installé [face au peuple], il faudra envisager la suppression, le déplacement ou tout autre parti pour l’ancien autel. Une telle opération ne peut pas se faire sans l’avis d’un architecte compétent. L’architecture d’une église a souvent été conçue en fonction de l’autel au fond du chœur. Changer l’autel ne modifie pas seulement le mobilier, mais transforme les lignes architecturales » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nouvelle célébration liturgique et ses implications, Publications de Saint-André-Biblica, 1965, p. 57).
« Les églises se prêtent difficilement à des usages différents de ceux pour lesquels elles ont été conçues : dans la plupart d’entre elles, l’ensemble est conçu pour des assemblées “en longueur”. Depuis quelque temps, le plan des églises change : elles sont conçues pour des assemblées “en largeur”, où l’on se voit, où l’on peut s’entendre, communiquer. Parfois on peut aménager une église ancienne dans cette perspective : c’est toujours difficile » (« Bâtir une célébration », Célébrer 151, avril 1981, p. 14). « Il est bien certain que nos belles églises allongées et remplies d’une forêt de piliers favorisent plus la prière solitaire que le rassemblement d’un peuple ; les églises nouvelles nous empêchent au contraire de nous isoler » (Henri Denis, L’esprit de la réforme liturgique, Société nouvelle des imprimeries de la Loire Républicaine, 1965, p. 27).
Il n’est cependant pas possible de laisser les choses en l’état
Comme la qualité de la célébration selon les nouvelles normes liturgiques dépend d’un environnement architectural approprié, il n’est pas possible de laisser les choses en l’état. Le père Gélineau note en effet « la difficulté trop évidente qu’on rencontre en voulant inscrire la liturgie d’après Vatican II dans des espaces et des volumes conçus pour une liturgie d’un type très différent » (Joseph Gélineau, Demain la liturgie, Cerf, 1976, p. 29).
Les liturgistes ne déclarent pas forfait : « Soulignons encore que les prêtres sont invités à poursuivre l’aménagement des églises en fonction des exigences de la liturgie. Il leur est en particulier recommandé de mettre le Saint-Sacrement dans une chapelle distincte du vaisseau principal de l’église, et de donner une nouvelle place aux trésors d’art sacré s’il faut les retirer de leur emplacement actuel » (« L’instruction sur le culte eucharistique montre que la mise en œuvre de la réforme est fermement poursuivie », Informations catholiques internationales 290, 15 juin 1967, p. 8).
Il faut donc envisager la modification de la disposition des églises, autant que cela est nécessaire et possible, pour les adapter à la liturgie nouvelle. On notera que, dès le départ, certaines dispositions sont plus favorables que d’autres. « Une église de type semi-circulaire, où tous se voient les uns les autres, se sentent en relation, permet certainement une meilleure mise en œuvre de la réforme post-conciliaire qu’une nef allongée, construite selon d’autres canons esthétiques et religieux » (Jean-Claude Crivelli, Des assemblées qui célèbrent : une pratique des signes du salut, Commission suisse de liturgie, 1980, p. 11).
Les aménagements nécessaires
Mais puisque souvent tel n’est pas le cas, il faut songer à « la transformation de l’aménagement intérieur des églises à travers le monde, en vue du renouveau de la célébration de l’eucharistie » (Pierre Jounel, « Le missel de Paul VI », La Maison Dieu 103, 3e trim. 1970, p. 32). Il faut donc installer l’autel face au peuple[1], prévoir l’ambon, resituer la réserve eucharistique, redistribuer les sièges. « Cet esprit nous pousse plus loin encore : le choix de bancs plutôt que de chaises (afin d’éviter les mouvements de retournements et le bruit qu’ils entraînent), la suppression des agenouilloirs (le fidèle restant debout ou assis pendant l’action liturgique) » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nouvelle célébration liturgique et ses implications, Publications de Saint-André-Biblica, 1965, p. 21).
Bref, on doit reconsidérer l’aménagement général de la domus ecclesiæ. « Cette prescription sévère à l’égard des autels mineurs [à savoir leur suppression] vaut a fortiori pour les multiples objets de dévotion qui parsèment si souvent encore les murs et les colonnes de nos églises : chemin de croix, statues, confessionnaux indiscrets, etc. S’ils ont leur place dans des chapelles séparées de l’espace principal de l’église, ils dispersent l’assemblée lorsque celle-ci, dans l’eucharistie, est appelée à donner un signe d’unité » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nouvelle célébration liturgique et ses implications, Publications de Saint-André-Biblica, 1965, p. 21).
« Les églises, en effet, même classées, ne sont qu’accessoirement des musées. Elles remplissent d’abord une fonction cultuelle précise. Il est donc normal que leur aménagement, leur mobilier, répondent aux besoins de la liturgie, et plus particulièrement de la liturgie du moment. Or celle-ci implique de nouvelles façons de se rassembler ; elle exige un mobilier réellement mobile ; elle conduit à l’abandon de l’usage de certains objets liturgiques ; en regroupant des paroisses, elle laisse des églises inutilisées. Tout cela a des conséquences pratiques importantes et il faut bien reconnaître que les églises anciennes ne se prêtent pas toujours aux aménagements souhaitables » (Philippe Boitel, « Une église peut-elle être un musée ? », Informations catholiques internationales 402, 15 février 1972, p. 4). « La réforme requiert des créations nouvelles : l’aménagement des églises, avec l’autel tourné vers les fidèles, le lieu où est célébrée la parole de Dieu, le siège du célébrant, la chapelle du Saint-Sacrement, une nouvelle conception du confessionnal » (« Interview du cardinal Knox », La Documentation catholique 1674, 20 avril 1975, p. 368).
Ces transformations expriment la nouvelle ecclésiologie conciliaire
« En modifiant le rite, la réforme comportera également une nouvelle conception de la structure de nos églises ? Oui, et sous différents aspects. Tout d’abord, en insistant sur le sens communautaire de la messe en tant qu’assemblée du peuple de Dieu, la réforme impose que tout le monde soit en mesure de suivre le rite se déroulant à l’autel. D’un côté, donc, elle tend à éliminer tous les écrans (colonnes, piliers…) empêchant une vue claire de l’autel, ce qui est rendu possible aujourd’hui par l’évolution des techniques architecturales. D’autre part, elle replace l’autel au centre non pas géométrique, mais idéal et le préfère décidément et justement tourné vers le peuple. De plus, en mettant en valeur le service de l’assemblée, la réforme rend nécessaire la recherche d’emplacements convenables pour le célébrant, ses ministres, les lecteurs, l’ambon, etc. Elle réduit, pour les mêmes raisons, les autels mineurs, dommageables pour l’unité de l’assemblée et elle simplifie par là même les ornements qui finissaient par écraser l’autel » (cardinal Giacomo Lercaro, « Nouvelle étape de la réforme liturgique : le pourquoi du comment », Informations catholiques internationales 235, 1er mars 1965, p. 26).
Cette nécessité d’un réaménagement architectural ne peut surprendre, car si le contenant influe sur le contenu, à son tour le contenu doit réagir sur le contenant. « L’Église post-conciliaire connaît une profonde mutation et il est normal que l’église-bâtiment en subisse les effets » (Philippe Boitel, « Quelles églises pour demain ? », Informations catholiques internationales 388, 15 juillet 1971, p. 22). Effectivement, « la réforme liturgique impose à beaucoup un nouvel aménagement des lieux de culte » (« Dimanche et mission pastorale dans un monde paganisé », Notes de pastorale liturgique 57, août 1965, p. 10).
« Que [la rénovation de la liturgie] ait des incidences sur les lieux de culte et que ceux-ci se trouvent partiellement inadaptés du fait de l’évolution subie par la liturgie, nul ne saurait s’en étonner. Dans la mesure où les actions sacrées se sont modifiées, dans la mesure où l’accent a été mis sur une participation plus totale du peuple fidèle, les édifices construits en d’autres temps et dans une optique différente devront eux aussi être aménagés pour répondre à leur nouvelle destination » (Guy Oury, « L’aménagement des églises – Un aspect du renouveau liturgique », L’Ami du clergé 6, 10 février 1966, p. 89).
C’est toute la nouvelle vision ecclésiologique qui s’exprime naturellement dans cette structuration autre de l’espace sacré. « Il est bien évident que la réforme liturgique ne peut se limiter à quelques changements dans la teneur des textes lus par les ministres, ou dans les gestes des célébrants. (…) Elle transforme la relation entre le célébrant et les fidèles. Elle répartit de façon nouvelle pour nous, quoique profondément traditionnelle, les fonctions respectives du célébrant, des ministres, de la schola, du peuple. Il s’ensuit qu’elle appelle une disposition des lieux de la célébration assez différente de ce qu’elle était jusqu’ici » (Commission épiscopale de liturgie, « Le renouveau liturgique et la disposition des églises », Notes de pastorale liturgique 58, octobre 1965, p. 41, ou La liturgie, Documents conciliaires V, Centurion, 1966, p. 201).
D’où le nouvel aménagement des lieux
Car « la construction et l’aménagement des églises peuvent aujourd’hui se faire à la lumière d’une conception beaucoup plus complète et élaborée de l’espace liturgique » (Frédéric Debuyst, « Quelques réflexions au sujet de la construction d’espaces liturgiques », Communautés et Liturgies 4, septembre 1981, p. 285).
Le père Roguet, bon juge, avait discerné très tôt l’inévitable avènement de cette incarnation sensible du renouveau. « Certaines réformes, qui semblaient ne concerner que des agencements de textes et de rites, vont modifier insensiblement certains accessoires de nos églises et même certaines de leurs structures architecturales » (A.M. Roguet, « Le signe du vin », Notes de pastorale liturgique 66, février 1967, p. 43). C’est ce que tous pouvaient comprendre un peu plus tard. « La réforme liturgique vise de toutes ses forces la participation pleine et active de tout le peuple. Pour que cela soit possible, il faut une architecture adaptée. (…) Le renouveau liturgique et la façon dont l’Église se situe dans le monde appellent un nouveau type d’architecture » (F. Agnus, « Architecture et renouveau liturgique », Notes de pastorale liturgique 76, octobre 1968, p. 46).
Les nouvelles églises à construire doivent être mobiles et provisoires
« Le caractère monumental et définitif de ce que nous construisons se prête mal à la mobilité présente, sensible dans l’Église même : les problèmes, souvent insolubles, posés par l’adaptation des églises anciennes aux besoins actuels, ne serait-ce qu’aux formes nouvelles de la célébration liturgique, risquent fort de se poser, d’ici cinq ou dix ans, pour les églises que nous venons de construire (…) Dans les conditions actuelles, il semblerait normal de concevoir ce lieu de réunion, à l’image des activités de la communauté, comme un lieu plurifonctionnel, utilisable à d’autres fins que les seules cérémonies liturgiques. Ainsi, une domus ecclesiæ, qui pourrait être prise sur un ou deux étages d’un grand immeuble, et compterait, outre quelques petites salles (l’une pouvant être aménagée en oratoire pour la prière privée et la visite au Saint-Sacrement) et les bureaux des permanents, une grande salle aménageable pour divers usages (conférences, réunions, fêtes, réceptions, liturgie, etc.) au moyen d’un mobilier qui soit vraiment mobile » (Pierre Antoine, « L’église est-elle un lieu sacré ? », Études, mars 1967, p. 442–444).
Car « il est clair qu’il faut aujourd’hui abandonner le concept plus ou moins païen et triomphaliste du temple où prédominent les éléments de monumentalité et d’espace sacré, pour retrouver le concept chrétien de l’assemblée, où prédominent les valeurs d’humilité, d’intériorité et les relations personnalisantes. Les églises redeviendraient alors des maisons-églises plutôt que des sanctuaires du Très-Haut » (Dieudonné Dufrasne, « Contribution à une spiritualité du samedi saint », Paroisse et Liturgie 2, mars-avril 1972, p. 115).
« Il faut faire entendre une mise en garde. Aujourd’hui la liturgie est dans le creuset : ce que seront les formes du culte dans l’avenir, nous ne pouvons le dire. Pour cette raison on ne peut pas prévoir des églises en fonction de la seule conception actuelle de la liturgie, sans courir le risque de les voir périmées à l’heure de leur achèvement. Comme le mouvement liturgique avance, il en résulte de nouvelles idées sur le culte (…). En dernière analyse, les édifices religieux doivent être des édifices modernes pour l’homme moderne » (J. G. Davies, « La tendance de l’architecture moderne et l’appréciation des édifices religieux », in Espace sacré et architecture moderne, Cerf, 1971, p. 94, 95 et 99). « Ce qui suppose qu’un édifice cultuel soit, par vocation, inachevé : moins perfectible qu’évolutif, disponible, au moins dans une certaine mesure. (…) Ne faut-il pas se préparer à des évolutions, à des reconversions imprévisibles à l’intérieur même de la durée de vie probable de nos constructions ? » (Denis Aubert, « De l’église à tout faire à la maison d’église – Expériences à
Taizé » in Espace sacré et architecture moderne, Cerf, 1971, p. 110 et 112).
L’église est appelée à se transformer de façon permanente
En effet, « si la Constitution [sur la liturgie] est observée dans sa lettre et dans son esprit, la liturgie ne risque plus de se fixer, de s’immobiliser. Comme un arbre qui a de fortes racines et dont la sève est nourrissante, elle portera sur des branches qui vivent et s’étendent, des fleurs nouvelles et des fruits nouveaux » (Mgr H. Jenny, « Introduction » in La liturgie, Centurion, 1966, p. 41).
C’est en ce sens que le cardinal Lercaro, alors président du Consilium de liturgie, orientait les recherches dans son message au symposium des artistes tenu le 28 février 1968 à Cologne. « Sans aucun doute, y disait-il, une chose est bien claire : les structures architecturales des églises doivent se modifier aussi rapidement que se modifient aujourd’hui les conditions de vie et les maisons des hommes. Nous devons avoir bien présent à l’esprit, même lorsque nous construisons un lieu de culte, le caractère extrêmement transitoire de ces structures matérielles dont toute la fonction est une fonction de service par rapport à la vie des hommes. De la sorte, nous éviterons que les générations à venir se trouvent conditionnées par des églises que nous considérons aujourd’hui comme des églises d’avant-garde, mais qui pour elles risqueraient de n’être plus que des édifices vieillis. Nous éprouvons aujourd’hui, pour notre part, ce conditionnement : nous ressentons avec quelles difficultés les merveilleuses églises du passé s’adaptent à notre sensibilité religieuse, avec quelle force d’inertie elles s’opposent aux indispensables réformes de l’action liturgique. (…) N’ayons donc pas la prétention de construire des églises pour les siècles à venir, mais contentons-nous de faire des églises modestes et fonctionnelles, qui conviennent à nos besoins et devant lesquelles nos fils se sentent libres d’en repenser de nouvelles, de les abandonner ou de les modifier comme leur temps et leur sensibilité religieuse le leur suggéreront » (Giacomo Lercaro, « Message au symposium des artistes tenu à Cologne le 28 février 1968 », La Maison Dieu 97, 1er trim. 1969, p. 16–17, ou in Espace sacré et architecture moderne, Cerf, 1971, p. 25–26). Cette réflexion de son président correspondait parfaitement aux visées du Consilium de liturgie et de son secrétaire, Mgr Bugnini, comme en témoignent les deux textes de sa revue officielle, sur lesquels nous conclurons. « Le travail de la réforme liturgique n’est pas terminé et, selon l’esprit du concile, ne doit pas avoir de terme. La liturgie, comme aussi l’Église en tant qu’on la regarde sous son aspect humain, est inévitablement assujettie à une continuelle réforme, naissant de la vie ecclésiale, afin que l’Église soit vraiment adaptée au temps actuel, à la culture d’aujourd’hui et au moment historique » (Anschaire J. Chupungco, « Costituzione conciliare sulla sacra liturgia. 15e anniversario », Notitiæ 149, décembre 1978, p. 580). « La réforme liturgique continuera sans limite de temps, d’espace, d’initiative et de personne, de modalité et de rite, afin que la liturgie demeure vivante pour les hommes de tous les temps et de toutes les générations » (« Rinnovamento nell’ordine », Notitiæ 61, février 1971, p. 52).
Source : Lettre à nos frères prêtres n°101. Image : Godong.
- « On n’adoptera l’autel face au peuple définitif et les conséquences qu’il entraîne qu’après une catéchèse qui pourrait être centrée soit sur le sens de l’assemblée, soit sur celui de la présence de Dieu dans la communauté. On pourrait expliquer aux fidèles que l’assemblée chrétienne n’est pas seulement une assemblée d’hommes tournée vers son Dieu, car Dieu s’est incarné en elle et c’est à l’intérieur d’elle-même qu’elle a à le découvrir » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nouvelle célébration liturgique et ses implications, Publications de Saint-André-Biblica, 1965, p. 16).[↩]