L’église de la nouvelle liturgie

L'église Zur Heiligsten Dreifaktigkeit par Fritz Wotruba

La ques­tion de l’insertion de la litur­gie issue du Concile dans des églises bâties avant ledit Concile per­met d’en appré­hen­der les fon­de­ments, les impli­ca­tions et les résultats.

La réforme litur­gique a été l’un des élé­ments les plus impor­tants des évo­lu­tions consé­cu­tives au concile Vatican II, voire le plus signi­fi­ca­tif. Une cita­tion de Paul VI, le 13 jan­vier 1965, par­mi bien d’autres pos­sibles, le rap­pelle oppor­tu­né­ment : « La nou­velle péda­go­gie reli­gieuse que veut ins­tau­rer la pré­sente réno­va­tion litur­gique s’insère, pour prendre presque la place de moteur cen­tral, dans le grand mou­ve­ment ins­crit dans les prin­cipes consti­tu­tion­nels de l’Église de Dieu, et ren­du plus
facile et plus impé­rieux par le pro­grès de la culture humaine ».

Il est donc bon de se retour­ner sur cette réforme litur­gique, pour en mieux appré­hen­der les fon­de­ments, les impli­ca­tions et les résul­tats. Nous pro­po­sons de le faire ici par le biais du « bâti­ment église ». La ques­tion de l’insertion de la litur­gie issue du Concile dans des églises bâties avant ledit Concile est en effet par­ti­cu­liè­re­ment topique pour l’évaluation du chan­ge­ment opé­ré par la réforme.

Nous avons recou­ru pour cela aux réflexions et remarques des meilleurs spé­cia­listes litur­giques écri­vant à la suite de Vatican II. Elles nous per­met­tront de repé­rer les pro­blèmes qui se sont posés à mesure que les nou­velles formes litur­giques com­men­çaient d’être célé­brées, et de sai­sir en retour ce que donne à pen­ser la réforme litur­gique post­con­ci­liaire. Ces textes ayant été publiés durant les deux décen­nies (1965–1985) de mise en place de la réforme litur­gique, on ne s’étonnera pas qu’ils soient rédi­gés au pré­sent ou au futur plu­tôt qu’au passé.

Rapport contenant-​contenu

Les auteurs sou­lignent d’abord qu’une église, comme tout autre bâti­ment d’ailleurs, reflète par son archi­tec­ture les concep­tions de ceux qui l’ont édi­fiée. Construite pour une cer­taine litur­gie, un cer­tain céré­mo­nial, une cer­taine théo­lo­gie, elle en exprime for­cé­ment les valeurs. Elle crée par son agen­ce­ment un cli­mat par­ti­cu­lier, favo­rable au déploie­ment de la forme d’expression reli­gieuse qui a pré­si­dé à sa concep­tion. En consé­quence, « s’intéresser à la litur­gie sans s’inquiéter de l’aménagement des lieux où elle se déroule serait un non-​sens. Car il existe une affi­ni­té pro­fonde entre l’espace amé­na­gé selon l’art, et la litur­gie qui s’y déploie » (E. Vauthier, « L’aménagement des églises », Esprit et Vie – L’Ami du cler­gé 27, 5 juillet 1984, p. 393).

Or, un bâti­ment est par nature un objet stable, qui tra­verse le temps. « Un édi­fice ne se modi­fie pas à la manière d’un rite » (Guy Oury, « L’aménagement des églises – Un aspect du renou­veau litur­gique », L’Ami du cler­gé 6, 10 février 1966, p. 89). Il trans­porte donc l’enveloppe qu’une période de la vie de l’Église avait mise en place pour s’y mou­voir à son aise, dans une époque où, peut-​être, la vie de l’Église a pro­fon­dé­ment chan­gé, ce qui peut pro­vo­quer une dis­tor­sion entre le conte­nant et le conte­nu. A la suite de Vatican II, pré­ci­sé­ment, du fait d’une rapide et radi­cale évo­lu­tion rituelle (et théo­lo­gique), une litur­gie pas­sa­ble­ment nou­velle devait se déployer dans des espaces archi­tec­tu­raux réa­li­sés selon d’autres canons et pour d’autres usages. Car « la plu­part de nos lieux de culte ont été conçus et construits il y a par­fois plu­sieurs siècles, pour des besoins dif­fé­rents des nôtres » (« Simple dia­logue à pro­pos de l’espace litur­gique », Communautés et Liturgies 6, novembre-​décembre 1978, p. 545). Les édi­fices anciens se sont donc révé­lés donc plus ou moins inadap­tés à la mise en place des nou­velles normes de la célé­bra­tion chrétienne.

Dans cette optique, « une double ques­tion se pose : com­ment uti­li­ser les lieux de culte tels qu’ils nous ont été lais­sés et com­ment en conce­voir de nou­veaux plus adap­tés à notre mode de vie urbaine et à la situa­tion de l’Église aujourd’hui » (« Simple dia­logue à pro­pos de l’espace litur­gique », Communautés et Liturgies 6, novembre-​décembre 1978, p. 546).

Le monument donne une certaine idée de Dieu

La ques­tion, dès le départ, est celle-​ci : « Comment obte­nir que la litur­gie d’aujourd’hui se déroule au mieux dans un cadre pré­vu pour la litur­gie d’autres époques ? » (« Le congrès d’art sacré d’Avignon », Notes de pas­to­rale litur­gique 137, décembre 1978, p. 63). Car, comme le notait le père Congar à pro­pos de Saint-​Pierre-​de-​Rome (mais sa remarque s’applique d’une façon équi­va­lente aux autres églises), « toute une ecclé­sio­lo­gie est déjà ins­crite dans la dis­po­si­tion des lieux » (Yves Congar, Vatican II. Le concile au jour le jour, pre­mière ses­sion, Cerf-​Plon, 1963, p. 23).

Le père Quellec explique de façon très claire ce qui est en jeu : « La confi­gu­ra­tion exté­rieure d’un édi­fice, la dis­tri­bu­tion et l’organisation de ses espaces internes, le style des objets qui y sont répar­tis, forment déjà une image plus ou moins nette du Dieu qu’on y ren­contre. (…) Notre façon d’occuper l’espace de nos églises, de dis­po­ser le mobi­lier, d’aménager le sanc­tuaire, comme aus­si le choix d’une croix, d’une icône ou d’un autel, implique que nous nous réfé­rons, que nous le vou­lions consciem­ment ou non, à des images diver­si­fiées de Dieu. On a fré­quem­ment sou­li­gné que l’image du Christ de l’eucharistie est assez dif­fé­rente selon que l’autel res­semble à une simple table ou tient davan­tage du tom­beau monu­men­tal. (…) Il faut noter que, dans la plu­part des cas, on n’a pas eu l’occasion de poser des choix révé­la­teurs d’une spi­ri­tua­li­té : on a reçu l’église, presque en l’état, de ceux qui l’ont conçue et orga­ni­sée. Il faut noter aus­si que, tout aus­si fré­quem­ment, il existe une sorte de hia­tus entre la sen­si­bi­li­té et les idées reli­gieuses des contem­po­rains et celles qui ont pré­si­dé à la construc­tion d’un édi­fice » (Jean-​Yves Quellec, « Le Dieu de nos églises », Communautés et Liturgies 4, sep­tembre 1981, p. 275 et 278).

Par exemple, « les autels-​retables du XVIIe siècle, conçus, comme le deman­dait le concile de Trente, pour l’adoration, repré­sentent une cer­taine vision de la foi. Nous avons main­te­nant une autre idée de la pré­sence réelle » (Philippe Boitel, « Une église peut-​elle être un musée ? », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 402, 15 février 1972, p. 5). « Depuis l’époque de la Contre-​Réforme, la sainte réserve a été sou­vent liée à l’autel majeur avec lequel elle appa­rais­sait comme le centre vital de l’édifice. Mais la réno­va­tion actuelle de la célé­bra­tion litur­gique, en res­tau­rant la valeur propre de chaque moment de la célé­bra­tion, a remis en valeur les autres modes de pré­sence du Seigneur » (« Vêtements, objets, espaces litur­giques », Notes de pas­to­rale litur­gique 105, août 1973, p. 26).

Deux modèles d’église issus de deux théologies différentes

« A la pre­mière concep­tion de l’Église, celle d’avant Vatican II, cor­res­pond, à titre d’exemple, une archi­tec­ture d’église dans laquelle le sanc­tuaire est déme­su­ré­ment énorme, bien sépa­ré du peuple, domi­nant l’ensemble des fidèles, corps insi­gni­fiant (dans le vrai sens du terme) avec une tête hydro­cé­phale. A la théo­lo­gie de Vatican II cor­res­pond au contraire une archi­tec­ture dans laquelle sanc­tuaire et nef s’intègrent de plain-​pied dans un ensemble har­mo­nieux » (Lucien Deiss, Les minis­tères et les ser­vices dans la célé­bra­tion litur­gique, édi­tions du Levain, 1981, p. 8)

Or, l’architecture sacrée « doit pré­sen­ter une image de l’Église qui soit plei­ne­ment cohé­rente avec celle que s’efforce de don­ner, pour sa part, la litur­gie » (Roger Béraudy, « Introduction » in Espace sacré et archi­tec­ture moderne, Cerf, 1971, p. 7) C’est pour­quoi, « il n’est pas jusqu’à l’aménagement des lieux de culte qui n’ait subi les effets du renou­veau » (Charles Wackeinheim, Entre la rou­tine et la magie, la messe, Centurion, 1982, p. 23).

La réforme liturgique implique ainsi une modification des édifices

L’unique solu­tion envi­sa­geable consiste, en redé­fi­nis­sant l’agencement des volumes et des
objets, à amé­na­ger l’espace archi­tec­tu­ral. Mais cette recon­ver­sion est dif­fi­cile, du fait de l’inertie carac­té­ris­tique du bâti­ment. « Célébrer dans un édi­fice ancien pose des pro­blèmes tech­niques, des pro­blèmes de pro­tec­tion et des pro­blèmes qui tiennent à l’évolution de la litur­gie : depuis
Vatican II, la pré­di­ca­tion, les célé­bra­tions eucha­ris­tiques par exemple, ne requièrent pas tout à fait les mêmes mou­ve­ments qu’auparavant » (« Le congrès d’art sacré d’Avignon », Notes de pas­to­rale litur­gique 137, décembre 1978, p. 64).

« Puisque la réforme litur­gique a entraî­né des modi­fi­ca­tions dans la dis­po­si­tion de l’espace, on doit bien voir que ces chan­ge­ments ne vont pas sans pro­blème, sur­tout lorsqu’ils inter­viennent dans des édi­fices conçus selon une autre logique. Par exemple, on occupe aujourd’hui des points de cet espace où il n’avait pas été pré­vu que des paroles soient pro­non­cées. Alors, on fait vio­lence au lieu. L’architecture vio­len­tée n’entre plus en réso­nance avec l’assemblée. Elle ne le peut – elle ne peut répondre – que si l’on se main­tient à la juste place » (Paul Roland, « Libre pro­pos sur l’espace litur­gique », Communautés et Liturgies 4, sep­tembre 1981, p. 296).

Toutefois, cette modification entraîne de réelles difficultés

« Le pro­blème de la recon­ver­sion des églises tra­di­tion­nelles, on s’en est suf­fi­sam­ment ren­du compte, n’est pas simple ni facile à résoudre. La forme de nos anciennes églises ne se prête pas d’emblée aux amé­na­ge­ments sou­hai­tés par le concile » (Jean Huvelle, « Réforme litur­gique et amé­na­ge­ment des églises », Revue dio­cé­saine de Tournai, 1965, p. 236). Par exemple, « une fois l’autel défi­ni­tif ins­tal­lé [face au peuple], il fau­dra envi­sa­ger la sup­pres­sion, le dépla­ce­ment ou tout autre par­ti pour l’ancien autel. Une telle opé­ra­tion ne peut pas se faire sans l’avis d’un archi­tecte com­pé­tent. L’architecture d’une église a sou­vent été conçue en fonc­tion de l’autel au fond du chœur. Changer l’autel ne modi­fie pas seule­ment le mobi­lier, mais trans­forme les lignes archi­tec­tu­rales » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nou­velle célé­bra­tion litur­gique et ses impli­ca­tions, Publications de Saint-​André-​Biblica, 1965, p. 57).

« Les églises se prêtent dif­fi­ci­le­ment à des usages dif­fé­rents de ceux pour les­quels elles ont été conçues : dans la plu­part d’entre elles, l’ensemble est conçu pour des assem­blées “en lon­gueur”. Depuis quelque temps, le plan des églises change : elles sont conçues pour des assem­blées “en lar­geur”, où l’on se voit, où l’on peut s’entendre, com­mu­ni­quer. Parfois on peut amé­na­ger une église ancienne dans cette pers­pec­tive : c’est tou­jours dif­fi­cile » (« Bâtir une célé­bra­tion », Célébrer 151, avril 1981, p. 14). « Il est bien cer­tain que nos belles églises allon­gées et rem­plies d’une forêt de piliers favo­risent plus la prière soli­taire que le ras­sem­ble­ment d’un peuple ; les églises nou­velles nous empêchent au contraire de nous iso­ler » (Henri Denis, L’esprit de la réforme litur­gique, Société nou­velle des impri­me­ries de la Loire Républicaine, 1965, p. 27).

Il n’est cependant pas possible de laisser les choses en l’état

Comme la qua­li­té de la célé­bra­tion selon les nou­velles normes litur­giques dépend d’un envi­ron­ne­ment archi­tec­tu­ral appro­prié, il n’est pas pos­sible de lais­ser les choses en l’état. Le père Gélineau note en effet « la dif­fi­cul­té trop évi­dente qu’on ren­contre en vou­lant ins­crire la litur­gie d’après Vatican II dans des espaces et des volumes conçus pour une litur­gie d’un type très dif­fé­rent » (Joseph Gélineau, Demain la litur­gie, Cerf, 1976, p. 29).

Les litur­gistes ne déclarent pas for­fait : « Soulignons encore que les prêtres sont invi­tés à pour­suivre l’aménagement des églises en fonc­tion des exi­gences de la litur­gie. Il leur est en par­ti­cu­lier recom­man­dé de mettre le Saint-​Sacrement dans une cha­pelle dis­tincte du vais­seau prin­ci­pal de l’église, et de don­ner une nou­velle place aux tré­sors d’art sacré s’il faut les reti­rer de leur empla­ce­ment actuel » (« L’instruction sur le culte eucha­ris­tique montre que la mise en œuvre de la réforme est fer­me­ment pour­sui­vie », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 290, 15 juin 1967, p. 8).

Il faut donc envi­sa­ger la modi­fi­ca­tion de la dis­po­si­tion des églises, autant que cela est néces­saire et pos­sible, pour les adap­ter à la litur­gie nou­velle. On note­ra que, dès le départ, cer­taines dis­po­si­tions sont plus favo­rables que d’autres. « Une église de type semi-​circulaire, où tous se voient les uns les autres, se sentent en rela­tion, per­met cer­tai­ne­ment une meilleure mise en œuvre de la réforme post-​conciliaire qu’une nef allon­gée, construite selon d’autres canons esthé­tiques et reli­gieux » (Jean-​Claude Crivelli, Des assem­blées qui célèbrent : une pra­tique des signes du salut, Commission suisse de litur­gie, 1980, p. 11).

Les aménagements nécessaires

Mais puisque sou­vent tel n’est pas le cas, il faut son­ger à « la trans­for­ma­tion de l’aménagement inté­rieur des églises à tra­vers le monde, en vue du renou­veau de la célé­bra­tion de l’eucharistie » (Pierre Jounel, « Le mis­sel de Paul VI », La Maison Dieu 103, 3e trim. 1970, p. 32). Il faut donc ins­tal­ler l’autel face au peuple[1], pré­voir l’ambon, resi­tuer la réserve eucha­ris­tique, redis­tri­buer les sièges. « Cet esprit nous pousse plus loin encore : le choix de bancs plu­tôt que de chaises (afin d’éviter les mou­ve­ments de retour­ne­ments et le bruit qu’ils entraînent), la sup­pres­sion des age­nouilloirs (le fidèle res­tant debout ou assis pen­dant l’action litur­gique) » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nou­velle célé­bra­tion litur­gique et ses impli­ca­tions, Publications de Saint-​André-​Biblica, 1965, p. 21).

Bref, on doit recon­si­dé­rer l’aménagement géné­ral de la domus eccle­siæ. « Cette pres­crip­tion sévère à l’égard des autels mineurs [à savoir leur sup­pres­sion] vaut a for­tio­ri pour les mul­tiples objets de dévo­tion qui par­sèment si sou­vent encore les murs et les colonnes de nos églises : che­min de croix, sta­tues, confes­sion­naux indis­crets, etc. S’ils ont leur place dans des cha­pelles sépa­rées de l’espace prin­ci­pal de l’église, ils dis­persent l’assemblée lorsque celle-​ci, dans l’eucharistie, est appe­lée à don­ner un signe d’unité » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nou­velle célé­bra­tion litur­gique et ses impli­ca­tions, Publications de Saint-​André-​Biblica, 1965, p. 21).

« Les églises, en effet, même clas­sées, ne sont qu’accessoirement des musées. Elles rem­plissent d’abord une fonc­tion cultuelle pré­cise. Il est donc nor­mal que leur amé­na­ge­ment, leur mobi­lier, répondent aux besoins de la litur­gie, et plus par­ti­cu­liè­re­ment de la litur­gie du moment. Or celle-​ci implique de nou­velles façons de se ras­sem­bler ; elle exige un mobi­lier réel­le­ment mobile ; elle conduit à l’abandon de l’usage de cer­tains objets litur­giques ; en regrou­pant des paroisses, elle laisse des églises inuti­li­sées. Tout cela a des consé­quences pra­tiques impor­tantes et il faut bien recon­naître que les églises anciennes ne se prêtent pas tou­jours aux amé­na­ge­ments sou­hai­tables » (Philippe Boitel, « Une église peut-​elle être un musée ? », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 402, 15 février 1972, p. 4). « La réforme requiert des créa­tions nou­velles : l’aménagement des églises, avec l’autel tour­né vers les fidèles, le lieu où est célé­brée la parole de Dieu, le siège du célé­brant, la cha­pelle du Saint-​Sacrement, une nou­velle concep­tion du confes­sion­nal » (« Interview du car­di­nal Knox », La Documentation catho­lique 1674, 20 avril 1975, p. 368).

Ces transformations expriment la nouvelle ecclésiologie conciliaire

« En modi­fiant le rite, la réforme com­por­te­ra éga­le­ment une nou­velle concep­tion de la struc­ture de nos églises ? Oui, et sous dif­fé­rents aspects. Tout d’abord, en insis­tant sur le sens com­mu­nau­taire de la messe en tant qu’assemblée du peuple de Dieu, la réforme impose que tout le monde soit en mesure de suivre le rite se dérou­lant à l’autel. D’un côté, donc, elle tend à éli­mi­ner tous les écrans (colonnes, piliers…) empê­chant une vue claire de l’autel, ce qui est ren­du pos­sible aujourd’hui par l’évolution des tech­niques archi­tec­tu­rales. D’autre part, elle replace l’autel au centre non pas géo­mé­trique, mais idéal et le pré­fère déci­dé­ment et jus­te­ment tour­né vers le peuple. De plus, en met­tant en valeur le ser­vice de l’assemblée, la réforme rend néces­saire la recherche d’emplacements conve­nables pour le célé­brant, ses ministres, les lec­teurs, l’ambon, etc. Elle réduit, pour les mêmes rai­sons, les autels mineurs, dom­ma­geables pour l’unité de l’assemblée et elle sim­pli­fie par là même les orne­ments qui finis­saient par écra­ser l’autel » (car­di­nal Giacomo Lercaro, « Nouvelle étape de la réforme litur­gique : le pour­quoi du com­ment », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 235, 1er mars 1965, p. 26).

Cette néces­si­té d’un réamé­na­ge­ment archi­tec­tu­ral ne peut sur­prendre, car si le conte­nant influe sur le conte­nu, à son tour le conte­nu doit réagir sur le conte­nant. « L’Église post-​conciliaire connaît une pro­fonde muta­tion et il est nor­mal que l’église-bâtiment en subisse les effets » (Philippe Boitel, « Quelles églises pour demain ? », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 388, 15 juillet 1971, p. 22). Effectivement, « la réforme litur­gique impose à beau­coup un nou­vel amé­na­ge­ment des lieux de culte » (« Dimanche et mis­sion pas­to­rale dans un monde paga­ni­sé », Notes de pas­to­rale litur­gique 57, août 1965, p. 10).

« Que [la réno­va­tion de la litur­gie] ait des inci­dences sur les lieux de culte et que ceux-​ci se trouvent par­tiel­le­ment inadap­tés du fait de l’évolution subie par la litur­gie, nul ne sau­rait s’en éton­ner. Dans la mesure où les actions sacrées se sont modi­fiées, dans la mesure où l’accent a été mis sur une par­ti­ci­pa­tion plus totale du peuple fidèle, les édi­fices construits en d’autres temps et dans une optique dif­fé­rente devront eux aus­si être amé­na­gés pour répondre à leur nou­velle des­ti­na­tion » (Guy Oury, « L’aménagement des églises – Un aspect du renou­veau litur­gique », L’Ami du cler­gé 6, 10 février 1966, p. 89).

C’est toute la nou­velle vision ecclé­sio­lo­gique qui s’exprime natu­rel­le­ment dans cette struc­tu­ra­tion autre de l’espace sacré. « Il est bien évident que la réforme litur­gique ne peut se limi­ter à quelques chan­ge­ments dans la teneur des textes lus par les ministres, ou dans les gestes des célé­brants. (…) Elle trans­forme la rela­tion entre le célé­brant et les fidèles. Elle répar­tit de façon nou­velle pour nous, quoique pro­fon­dé­ment tra­di­tion­nelle, les fonc­tions res­pec­tives du célé­brant, des ministres, de la scho­la, du peuple. Il s’ensuit qu’elle appelle une dis­po­si­tion des lieux de la célé­bra­tion assez dif­fé­rente de ce qu’elle était jusqu’ici » (Commission épis­co­pale de litur­gie, « Le renou­veau litur­gique et la dis­po­si­tion des églises », Notes de pas­to­rale litur­gique 58, octobre 1965, p. 41, ou La litur­gie, Documents conci­liaires V, Centurion, 1966, p. 201).

D’où le nouvel aménagement des lieux

Car « la construc­tion et l’aménagement des églises peuvent aujourd’hui se faire à la lumière d’une concep­tion beau­coup plus com­plète et éla­bo­rée de l’espace litur­gique » (Frédéric Debuyst, « Quelques réflexions au sujet de la construc­tion d’espaces litur­giques », Communautés et Liturgies 4, sep­tembre 1981, p. 285).

Le père Roguet, bon juge, avait dis­cer­né très tôt l’inévitable avè­ne­ment de cette incar­na­tion sen­sible du renou­veau. « Certaines réformes, qui sem­blaient ne concer­ner que des agen­ce­ments de textes et de rites, vont modi­fier insen­si­ble­ment cer­tains acces­soires de nos églises et même cer­taines de leurs struc­tures archi­tec­tu­rales » (A.M. Roguet, « Le signe du vin », Notes de pas­to­rale litur­gique 66, février 1967, p. 43). C’est ce que tous pou­vaient com­prendre un peu plus tard. « La réforme litur­gique vise de toutes ses forces la par­ti­ci­pa­tion pleine et active de tout le peuple. Pour que cela soit pos­sible, il faut une archi­tec­ture adap­tée. (…) Le renou­veau litur­gique et la façon dont l’Église se situe dans le monde appellent un nou­veau type d’architecture » (F. Agnus, « Architecture et renou­veau litur­gique », Notes de pas­to­rale litur­gique 76, octobre 1968, p. 46).

Les nouvelles églises à construire doivent être mobiles et provisoires

« Le carac­tère monu­men­tal et défi­ni­tif de ce que nous construi­sons se prête mal à la mobi­li­té pré­sente, sen­sible dans l’Église même : les pro­blèmes, sou­vent inso­lubles, posés par l’adaptation des églises anciennes aux besoins actuels, ne serait-​ce qu’aux formes nou­velles de la célé­bra­tion litur­gique, risquent fort de se poser, d’ici cinq ou dix ans, pour les églises que nous venons de construire (…) Dans les condi­tions actuelles, il sem­ble­rait nor­mal de conce­voir ce lieu de réunion, à l’image des acti­vi­tés de la com­mu­nau­té, comme un lieu plu­ri­fonc­tion­nel, uti­li­sable à d’autres fins que les seules céré­mo­nies litur­giques. Ainsi, une domus eccle­siæ, qui pour­rait être prise sur un ou deux étages d’un grand immeuble, et comp­te­rait, outre quelques petites salles (l’une pou­vant être amé­na­gée en ora­toire pour la prière pri­vée et la visite au Saint-​Sacrement) et les bureaux des per­ma­nents, une grande salle amé­na­geable pour divers usages (confé­rences, réunions, fêtes, récep­tions, litur­gie, etc.) au moyen d’un mobi­lier qui soit vrai­ment mobile » (Pierre Antoine, « L’église est-​elle un lieu sacré ? », Études, mars 1967, p. 442–444).

Car « il est clair qu’il faut aujourd’hui aban­don­ner le concept plus ou moins païen et triom­pha­liste du temple où pré­do­minent les élé­ments de monu­men­ta­li­té et d’espace sacré, pour retrou­ver le concept chré­tien de l’assemblée, où pré­do­minent les valeurs d’humilité, d’intériorité et les rela­tions per­son­na­li­santes. Les églises rede­vien­draient alors des maisons-​églises plu­tôt que des sanc­tuaires du Très-​Haut » (Dieudonné Dufrasne, « Contribution à une spi­ri­tua­li­té du same­di saint », Paroisse et Liturgie 2, mars-​avril 1972, p. 115).

« Il faut faire entendre une mise en garde. Aujourd’hui la litur­gie est dans le creu­set : ce que seront les formes du culte dans l’avenir, nous ne pou­vons le dire. Pour cette rai­son on ne peut pas pré­voir des églises en fonc­tion de la seule concep­tion actuelle de la litur­gie, sans cou­rir le risque de les voir péri­mées à l’heure de leur achè­ve­ment. Comme le mou­ve­ment litur­gique avance, il en résulte de nou­velles idées sur le culte (…). En der­nière ana­lyse, les édi­fices reli­gieux doivent être des édi­fices modernes pour l’homme moderne » (J. G. Davies, « La ten­dance de l’architecture moderne et l’appréciation des édi­fices reli­gieux », in Espace sacré et archi­tec­ture moderne, Cerf, 1971, p. 94, 95 et 99). « Ce qui sup­pose qu’un édi­fice cultuel soit, par voca­tion, inache­vé : moins per­fec­tible qu’évolutif, dis­po­nible, au moins dans une cer­taine mesure. (…) Ne faut-​il pas se pré­pa­rer à des évo­lu­tions, à des recon­ver­sions impré­vi­sibles à l’intérieur même de la durée de vie pro­bable de nos construc­tions ? » (Denis Aubert, « De l’église à tout faire à la mai­son d’église – Expériences à
Taizé » in Espace sacré et archi­tec­ture moderne, Cerf, 1971, p. 110 et 112).

L’église est appelée à se transformer de façon permanente

En effet, « si la Constitution [sur la litur­gie] est obser­vée dans sa lettre et dans son esprit, la litur­gie ne risque plus de se fixer, de s’immobiliser. Comme un arbre qui a de fortes racines et dont la sève est nour­ris­sante, elle por­te­ra sur des branches qui vivent et s’étendent, des fleurs nou­velles et des fruits nou­veaux » (Mgr H. Jenny, « Introduction » in La litur­gie, Centurion, 1966, p. 41).

C’est en ce sens que le car­di­nal Lercaro, alors pré­sident du Consilium de litur­gie, orien­tait les recherches dans son mes­sage au sym­po­sium des artistes tenu le 28 février 1968 à Cologne. « Sans aucun doute, y disait-​il, une chose est bien claire : les struc­tures archi­tec­tu­rales des églises doivent se modi­fier aus­si rapi­de­ment que se modi­fient aujourd’hui les condi­tions de vie et les mai­sons des hommes. Nous devons avoir bien pré­sent à l’esprit, même lorsque nous construi­sons un lieu de culte, le carac­tère extrê­me­ment tran­si­toire de ces struc­tures maté­rielles dont toute la fonc­tion est une fonc­tion de ser­vice par rap­port à la vie des hommes. De la sorte, nous évi­te­rons que les géné­ra­tions à venir se trouvent condi­tion­nées par des églises que nous consi­dé­rons aujourd’hui comme des églises d’avant-garde, mais qui pour elles ris­que­raient de n’être plus que des édi­fices vieillis. Nous éprou­vons aujourd’hui, pour notre part, ce condi­tion­ne­ment : nous res­sen­tons avec quelles dif­fi­cul­tés les mer­veilleuses églises du pas­sé s’adaptent à notre sen­si­bi­li­té reli­gieuse, avec quelle force d’inertie elles s’opposent aux indis­pen­sables réformes de l’action litur­gique. (…) N’ayons donc pas la pré­ten­tion de construire des églises pour les siècles à venir, mais contentons-​nous de faire des églises modestes et fonc­tion­nelles, qui conviennent à nos besoins et devant les­quelles nos fils se sentent libres d’en repen­ser de nou­velles, de les aban­don­ner ou de les modi­fier comme leur temps et leur sen­si­bi­li­té reli­gieuse le leur sug­gé­re­ront » (Giacomo Lercaro, « Message au sym­po­sium des artistes tenu à Cologne le 28 février 1968 », La Maison Dieu 97, 1er trim. 1969, p. 16–17, ou in Espace sacré et archi­tec­ture moderne, Cerf, 1971, p. 25–26). Cette réflexion de son pré­sident cor­res­pon­dait par­fai­te­ment aux visées du Consilium de litur­gie et de son secré­taire, Mgr Bugnini, comme en témoignent les deux textes de sa revue offi­cielle, sur les­quels nous conclu­rons. « Le tra­vail de la réforme litur­gique n’est pas ter­mi­né et, selon l’esprit du concile, ne doit pas avoir de terme. La litur­gie, comme aus­si l’Église en tant qu’on la regarde sous son aspect humain, est inévi­ta­ble­ment assu­jet­tie à une conti­nuelle réforme, nais­sant de la vie ecclé­siale, afin que l’Église soit vrai­ment adap­tée au temps actuel, à la culture d’aujourd’hui et au moment his­to­rique » (Anschaire J. Chupungco, « Costituzione conci­liare sul­la sacra litur­gia. 15e anni­ver­sa­rio », Notitiæ 149, décembre 1978, p. 580). « La réforme litur­gique conti­nue­ra sans limite de temps, d’espace, d’initiative et de per­sonne, de moda­li­té et de rite, afin que la litur­gie demeure vivante pour les hommes de tous les temps et de toutes les géné­ra­tions » (« Rinnovamento nell’or­dine », Notitiæ 61, février 1971, p. 52).

Source : Lettre à nos frères prêtres n°101. Image : Godong.

Notes de bas de page
  1. « On n’adoptera l’autel face au peuple défi­ni­tif et les consé­quences qu’il entraîne qu’après une caté­chèse qui pour­rait être cen­trée soit sur le sens de l’assemblée, soit sur celui de la pré­sence de Dieu dans la com­mu­nau­té. On pour­rait expli­quer aux fidèles que l’assemblée chré­tienne n’est pas seule­ment une assem­blée d’hommes tour­née vers son Dieu, car Dieu s’est incar­né en elle et c’est à l’intérieur d’elle-même qu’elle a à le décou­vrir » (Thierry Maertens et Robert Gantoy, La nou­velle célé­bra­tion litur­gique et ses impli­ca­tions, Publications de Saint-​André-​Biblica, 1965, p. 16).[]