Entretien avec Mgr Fellay – Dans ce climat de confusion, restaurer l’Eglise par la messe – Novembre 2013

Mgr Benard Fellay, Supérieur Général de la FSSPX, à Menzingen
avec M. l’ab­bé Alain Lorans, porte-​parole de la FSSPX

L’arrivée d’un nouveau pape

L’arrivée d’un nou­veau pape peut res­sem­bler à une sorte de remise à zéro des comp­teurs. Surtout avec un pape qui se dis­tingue de ses pré­dé­ces­seurs dans sa manière de faire, de par­ler, d’intervenir avec un contraste très grand. Cela peut faire oublier le pon­ti­fi­cat pré­cé­dent et c’est un peu ce qui s’est pas­sé, en tout cas au niveau de cer­taines lignes conser­va­trices ou res­tau­ra­trices inti­mées par le pape Benoît XVI. C’est sûr que les pre­mières inter­ven­tions du pape ont appor­té beau­coup de flou et même presque une contra­dic­tion, en tout cas une oppo­si­tion par rap­port à ces lignes restauratrices.

Un exemple : les Franciscains de l’Immaculée

Ils suivent dans leur spi­ri­tua­li­té les indi­ca­tions du Père Maximilien Kolbe. Ceci est très inté­res­sant parce que Maximilien Kolbe veut le com­bat pour l’Immaculée, le com­bat par l’Immaculée, la vic­toire de Dieu contre les enne­mis de Dieu – on peut uti­li­ser vrai­ment le terme –, et nom­mé­ment les francs-​maçons. C’est très inté­res­sant de voir cela. Ce com­bat contre le monde, contre l’esprit du monde les a ren­dus proches de nous, presque par nature peut-​on dire, parce que s’inscrire dans un com­bat contre le monde, quelque part cela implique la Croix. Cela implique les prin­cipes éter­nels de l’Eglise : ce qu’on appelle l’esprit chré­tien. Cet esprit chré­tien est magni­fi­que­ment expri­mé dans l’ancienne messe, dans la messe tri­den­tine. Si bien que lorsque Benoît XVI a publié son Motu Proprio qui ouvrait de nou­veau lar­ge­ment la pos­si­bi­li­té de la messe, cette congré­ga­tion a déci­dé en cha­pitre, c’est-à-dire toute la congré­ga­tion, de reve­nir à l’ancienne messe et vrai­ment in glo­bo, – en envi­sa­geant qu’ils auraient beau­coup de pro­blèmes puisqu’ils ont des paroisses, mais néan­moins que ces pro­blèmes n’étaient pas insurmontables.

L’un ou l’autre a aus­si com­men­cé à poser cer­taines ques­tions sur le Concile. Si bien que quelques mécon­tents, une poi­gnée si l’on consi­dère leur nombre, ils sont envi­ron 300 prêtres et frères, une dizaine ont pro­tes­té à Rome en disant : « On veut nous impo­ser l’ancienne messe, on attaque le Concile ». Ceci a pro­vo­qué une réac­tion très forte de la part de Rome, déjà sous le pon­ti­fi­cat de Benoît XVI – il faut pré­ci­ser cela – néan­moins les conclu­sions, les mesures ont été prises sous le pape François. Ces mesures c’est, entre autres, l’interdiction pour tous les membres de célé­brer l’ancienne messe, avec quelques ouver­tures, per­mis­sions, éven­tuel­le­ment, ici ou là… Ceci est direc­te­ment contraire au Motu Proprio qui par­lait d’un droit, que les prêtres avaient le droit de célé­brer l’ancienne messe et donc n’avaient pas besoin de per­mis­sion ni de l’ordinaire, ni même du Saint-​Siège. Donc c’est très fort, là, il y a mani­fes­te­ment un signal.

Une nouvelle approche de l’Eglise

« On ferme la paren­thèse », c’est la parole uti­li­sée par plu­sieurs pro­gres­sistes à l’avènement du pape François. Je pense qu’en tout cas pour ceux qu’on appelle les pro­gres­sistes, c’était une volon­té. C’est-à-dire que le pon­ti­fi­cat de Benoît XVI étant ter­mi­né, on jette aux oubliettes ce pon­ti­fi­cat et ses ini­tia­tives qui essayaient de réta­blir vaille que vaille la situa­tion par quelques cor­rec­tions – peut-​on dire res­tau­ra­tion ? –, en par­tie en tout cas il y avait au moins un désir de sor­tir l’Eglise du désastre dans lequel elle se trouve.

Arrive le nou­veau pape avec diverses posi­tions, atta­quant un peu tout. Tout le monde a com­pris : Benoît XVI est oublié ! On a beau eu dire : « Mais non ! C’est bien le même com­bat, Benoît et François, même com­bat ! » Manifestement, l’attitude n’est pas du tout la même. L’approche, la défi­ni­tion des pro­blèmes qui touchent l’Eglise, n’est pas la même ! Cette idée d’introduire des réformes encore beau­coup plus puis­santes que tout ce qui a été fait jusqu’ici… En tout cas, on n’a pas l’impression que cela ne sera que du cos­mé­tique, ces réformes du pape François !

Alors qu’en sera-​t-​il pour l’Eglise ? C’est très dif­fi­cile à dire.

Un climat de confusion

L’avènement d’un nou­veau pape fait oublier (ce qui l’a pré­cé­dé), comme une sorte de départ à zéro, avec beau­coup de sur­prises, beau­coup de bles­sures même, parce que par ses paroles il a égra­ti­gné un peu tout le monde, pas nous seule­ment, mais tous les conser­va­teurs en géné­ral. Sur des ques­tions de morale, il a eu des prises de posi­tion éton­nantes, par exemple cette ques­tion sur les homo­sexuels : « Qui suis-​je pour juger ? » – Eh bien quoi ! Le pape qui est le sou­ve­rain juge, ici-​bas. Donc s’il y a quelqu’un qui peut juger, qui doit juger et expo­ser au monde la loi de Dieu, c’est bien lui ! Cela ne nous inté­resse pas ce que le pape pense per­son­nel­le­ment, ce que l’on attend de lui c’est qu’il soit la voix du Christ et donc la voix de Dieu, qui nous répète ce que Dieu a dit ! Et Dieu n’a pas dit : « Qui suis-​je pour juger ? » Il a dit vrai­ment autre chose : voyez les condam­na­tions qu’on retrouve chez saint Paul, non seule­ment celles de l’Ancien Testament – on peut pen­ser à Sodome et Gomorrhe – sont très expli­cites. Saint Paul, l’Apocalypse sont très éner­giques envers tout ce monde contre nature. Donc des phrases comme cela, même si elles ont été « récu­pé­rées », laissent l’impression que sur beau­coup de choses tout et le contraire de tout a été dit. Cela crée un cli­mat de confu­sion, les gens sont désta­bi­li­sés : ils attendent néces­sai­re­ment la clar­té sur la morale, encore plus sur la foi, les deux sont liées. La foi et les mœurs sont les deux points que l’Eglise enseigne et où l’infaillibilité peut être enga­gée, et tout à coup on voit un pape qui lance le flou…

Cela va beau­coup plus loin : lors d’une inter­view aux jésuites, le pape attaque ceux qui veulent la clar­té. C’est invrai­sem­blable ! Il n’utilise pas le mot clar­té ; il uti­lise le mot cer­ti­tude, ceux qui veulent la sécu­ri­té doc­tri­nale. Evidemment on la veut ! Avec les paroles de Dieu lui-​même, Notre Seigneur qui dit qu’il n’y a pas un seul iota qui doive être aban­don­né, il vaut mieux être précis !

Un pape moins crédible

Difficile de tirer un juge­ment de ses paroles parce que un peu plus tard, ou presque en même temps, vous trou­vez des paroles sur la foi, sur des points de foi, sur des points de morale, qui sont très claires et qui condamnent le péché, le démon ; des pro­pos qui expliquent très for­te­ment et très clai­re­ment qu’on ne peut pas aller au ciel sans une véri­table contri­tion de ses péchés, qu’on ne peut pas attendre la misé­ri­corde du Bon Dieu si l’on ne regrette pas ses péchés sérieu­se­ment. Tout cela ce sont des rap­pels dont nous sommes heu­reux, des rap­pels bien néces­saires ! Mais mal­heu­reu­se­ment qui ont déjà per­du une grande par­tie de leur force à cause des pro­po­si­tions contraires.

Je crois qu’un des plus grands mal­heurs de ces pro­po­si­tions, c’est qu’elles ont enle­vé la cré­di­bi­li­té, elles ont ôté une grande par­tie de cré­di­bi­li­té au sou­ve­rain pon­tife, si bien que lorsqu’il doit par­ler ou qu’il devra par­ler de choses impor­tantes, ces pro­pos seront mis au même niveau que les autres. On dira : « Il cherche à plaire à tout le monde : un coup à gauche, un coup à droite ». J’espère me trom­per, mais on a bien l’impression que ce sera une des lignes de ce pontificat.

Plus on est éle­vé, en posi­tion d’autorité, plus il faut faire atten­tion à ce qu’on dit, et sur­tout pour la parole du pape. Je pense qu’il parle trop. En consé­quence, sa parole est gal­vau­dée, vul­ga­ri­sée : peut-​être dans le sens le plus pro­fond du terme. Non decet : cela ne convient pas ; ce n’est pas comme cela que le pape doit faire.

On ne sait plus ce qui est opi­nion pri­vée, ensei­gne­ment… Les amal­games se font immé­dia­te­ment. Mais c’est le pape qui parle ! Or le pape n’est pas une per­sonne pri­vée. Bien sûr qu’il peut par­ler en théo­lo­gien pri­vé, mais c’est le pape qui parle quand même ! Et les jour­naux ne vont pas dire « c’est l’opinion pri­vée du pape », mais bien « c’est le pape, c’est l’Eglise qui dit cela, qui pense cela ».

Le pape, un homme d’action

Je ne crois pas que j’oserais me dire déjà capable de faire une syn­thèse. Je vois beau­coup d’éléments dis­pa­rates, je vois un homme d’action – c’est le pri­mat de l’action, il n’y a pas de doute –, ce n’est pas un homme de doc­trine. Un Argentin me disait : « vous Européens, vous aurez beau­coup de dif­fi­cul­tés à cer­ner sa per­son­na­li­té, parce que le pape François n’est pas un homme de doc­trine, c’est un homme d’action, de praxis. C’est un homme extrê­me­ment prag­ma­tique, très proche du ter­rain. » On le voit dans ses ser­mons, il est proche des gens et c’est peut-​être cela qui le rend très popu­laire, parce que ce qu’il dit touche tout le monde. Il égra­tigne aus­si un peu tout le monde, mais il est très proche du ter­rain. Il n’y a pas beau­coup de théo­rie. On le voit bien, c’est l’action, tout simplement.

Cela, c’est ce qu’on voit. Mais quelles vont être les inci­dences, les consé­quences sur la vie de l’Eglise dans son ensemble ? Est-​ce tout sim­ple­ment une voix qui crie dans le désert, qui n’aura aucun effet ou bien au contraire une par­tie de l’Eglise, la par­tie pro­gres­siste, va-​t-​elle en pro­fi­ter ? On sent bien qu’ils aime­raient en profiter.

Ce qui est inté­res­sant, déjà main­te­nant – dans cette ana­lyse de la situa­tion de l’Eglise – c’est de voir que des paroles mal­adroites sont pro­non­cées, cer­tains en tirent des conclu­sions, après cela vient une « récu­pé­ra­tion » (une ten­ta­tive de réta­blis­se­ment de la doc­trine). Une ou deux récu­pé­ra­tions déjà remar­quables, ce sont les inter­ven­tions du Préfet de la Doctrine de la Foi qui réaf­firme, avec beau­coup de clar­té et de fer­me­té, les points ébran­lés par le pape. C’est un peu comme si le Préfet de la Foi devait cen­su­rer ou cor­ri­ger… C’est un peu mal­adroit ! Finalement les pro­gres­sistes, à un cer­tain moment, vont déchan­ter et vont dire que ce n’est pas ce qu’ils atten­daient. En atten­dant, le pape leur donne un espoir, un faux espoir…

Un pape moderniste ?

J’ai uti­li­sé le mot moder­niste, je crois qu’il n’a pas été com­pris par tout le monde. Peut-​être faudrait-​il dire un moder­niste dans l’action. Encore une fois, il n’est pas le moder­niste au sens pur, théo­rique, un homme qui déve­loppe tout un sys­tème cohé­rent, il n’y a pas cette cohé­rence. Il y a des lignes, par exemple la ligne évo­lu­tive mais qui jus­te­ment est liée a l’action. Quand le pape dit qu’il veut un flou dans la doc­trine, quand on intro­duit même le doute, pas seule­ment le flou, mais le doute, allant jusqu’à dire que même les grands guides de la foi, comme Moïse, ont lais­sé la place au doute… Je ne connais qu’un seul doute de Moïse : c’est lorsqu’il a dou­té en frap­pant le rocher ! A cause de cela le Bon Dieu l’a puni et il n’a pas pu entrer dans la Terre Promise. Alors ! Je ne crois pas que ce doute soit en faveur de Moïse, qui pour le reste fut plu­tôt éner­gique dans ses affir­ma­tions… sans aucun doute.

C’est vrai­ment sur­pre­nant cette idée de vou­loir dire qu’il faut mettre le doute par­tout ; c’est très bizarre ! Je ne vais pas dire qu’on pense à Descartes, mais… cela crée une ambiance. Et ce qui est actuel­le­ment dan­ge­reux, c’est qu’on en reste là dans les jour­naux, les médias…

C’est un peu la coque­luche des médias, il est bien vu, on le loue, on le met en exergue, mais ce n’est pas le fond des choses.

Une situation inchangée

C’est une ambiance qui passe à côté de la situa­tion réelle de l’Eglise, mais la situa­tion, elle, n’a pas chan­gé. On est pas­sé d’un pon­ti­fi­cat à l’autre, et la situa­tion de l’Eglise est res­tée la même. Les lignes de fond res­tent les mêmes. Il y a, à la sur­face, des varia­tions : on peut dire que ce sont des varia­tions sur un thème connu ! Les affir­ma­tions de fond, on les a par exemple sur le Concile. Le Concile qui est une relec­ture de l’Evangile à la lumière de la civi­li­sa­tion contem­po­raine ou moderne, – le pape a uti­li­sé les deux termes.

Je pense qu’on devrait com­men­cer par deman­der très sérieu­se­ment une défi­ni­tion de ce que c’est que la civi­li­sa­tion contem­po­raine, moderne. Pour nous et pour le com­mun des mor­tels, c’est le rejet de Dieu tout sim­ple­ment, c’est la mort de Dieu. C’est Nietzsche, c’est l’Ecole de Francfort, c’est une rébel­lion à peu près géné­ra­li­sée contre Dieu. On le voit un peu par­tout. On le voit pour l’Union Européenne qui refuse de recon­naître dans sa Constitution ses racines chré­tiennes. On le voit dans tout ce que pro­pagent les médias, dans la lit­té­ra­ture, la phi­lo­so­phie, l’art : tout tend au nihi­lisme, à l’affirmation de l’homme sans Dieu, et même en rébel­lion contre Dieu.

Alors com­ment peut-​on relire l’Evangile à cette lumière-​là ? Ce n’est pas pos­sible tout sim­ple­ment, c’est un cercle car­ré ! Nous sommes d’accord avec la défi­ni­tion don­née et nous en tirons des consé­quences qui sont radi­ca­le­ment dif­fé­rentes de celles du pape François qui va jusqu’à mon­trer, expo­ser la conti­nua­tion de sa pen­sée en disant : « regar­dez les beaux fruits, les fruits mer­veilleux du Concile : regar­dez la réforme litur­gique ! » Evidemment c’est là pour nous un fris­son dans la colonne ver­té­brale ! La réforme litur­gique qua­li­fiée par son pré­dé­ces­seur direct comme étant la cause de la crise de l’Eglise, on a peine à voir et à com­prendre qu’elle soit tout d’un coup qua­li­fiée comme un des plus beaux fruits du Concile !

C’est cer­tai­ne­ment un fruit du Concile, mais si celui-​ci est un beau fruit, alors qu’est-ce qui est beau et bon ou mau­vais ? On s’y perd !

Pour l’instant, rien n’est fait pour guérir l’Eglise

Pour l’instant, rien n’a été fait pour reprendre la situa­tion de déviance, de déca­dence de l’Eglise, abso­lu­ment rien, aucune mesure qui touche toute l’Eglise. On peut men­tion­ner l’encyclique sur la foi, je ne pense pas qu’on puisse la consi­dé­rer comme étant une mesure effi­cace. Certainement pas. Cela ne touche pas, cela ne gué­rit pas le Corps mys­tique malade, malade à mou­rir, l’Eglise mori­bonde. Qu’est-ce qu’on fait pour la sor­tir de là ? Rien, enfin jusqu’ici rien. Des paroles, des paroles qui passent, qui rentrent dans une oreille, qui sortent par l’autre, peut-​être qu’on dira que je suis trop dur, je ne sais pas, mais effec­ti­ve­ment où sont les mesures prises, annon­cées, pour cor­ri­ger le tir ? Il n’y en a pas. Tout simplement.

L’Eglise a pourtant les promesses de la vie éternelle

Notre Seigneur l’a dit très clai­re­ment : « Les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre elle » (Mt. 16,18). On aime­rait, au nom même de ces paroles, on aime­rait se tour­ner vers Notre Seigneur et lui dire : « Mais qu’est ce que vous faites ? Là, vous lais­sez pas­ser des choses qui semblent aller contre votre parole ! » Autrement dit, nous sommes un peu sur­pris par ce qui se passe. Là je parle de l’histoire de l’Eglise. Ces paroles, j’en suis convain­cu, ont été la source pour la plu­part des théo­lo­giens d’affirmations sur l’impossibilité de voir dans l’Eglise pré­ci­sé­ment ce que nous voyons. Considérant que c’est abso­lu­ment impos­sible, à cause de cette pro­messe de Notre Seigneur. Alors, on ne va pas nier les pro­messes de Notre Seigneur, on va essayer de dire com­ment ces pro­messes qui sont infaillibles, sont encore pos­sibles dans une situa­tion qui nous semble contraire. Il nous semble que cette fois-​ci, les portes de l’enfer ont fait une fameuse entrée dans l’Eglise. Je crois qu’il faut faire très atten­tion, il ne faut pas être uni­voque. Surtout dans de telles phrases, des phrases de pro­phé­tie de Notre Seigneur, il faut main­te­nir le fond. Ce sont des ana­lo­gies très fortes, il y a une réa­li­té qui est affir­mée et qui est indé­niable : les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas. Un point c’est tout. Mais cela ne veut pas dire que l’Eglise ne va pas souf­frir. Alors, jusqu’où peut aller cette souf­france ? Et là, il y a cette marge d’explication, on est obli­gé d’ouvrir un peu plus loin que ce qu’on pensait.

Quand on pense à saint Paul qui parle du Fils de per­di­tion, qui se fera ado­rer comme Dieu, donc ce n’est pas seule­ment un anté­christ mili­taire, ou – on pour­rait dire – civil, c’est une per­sonne reli­gieuse, une per­sonne qui se fait ado­rer, qui réclame des actes de reli­gion. Et l’abomination de la déso­la­tion, est-​ce que c’est lié à cela ? Je pense que oui. Donc cela veut dire qu’il y a, à coté de cette annonce, les pro­messes de l’indéfectibilité de l’Eglise, les annonces d’un temps effroyable pour l’Eglise, où les gens se pose­ront des ques­tions. Justement, cette question-​là : mais alors, cette indé­fec­ti­bi­li­té, ces pro­messes de Notre Seigneur ? La Sainte Vierge… les fameuses paroles de La Salette, qui sont reprises presque mot à mot par Léon XIII, là ce ne sont pas des révé­la­tions, c’est l’Eglise, et l’Eglise même on peut dire dans un acte : Léon XIII rédige un exor­cisme, ce fameux exor­cisme de Léon XIII, mais plus tard, on a rayé la parole la plus solen­nelle de cet exor­cisme, qui annonce que Satan va régner, mettre son trône à Rome. Tout sim­ple­ment. Donc le siège de l’Eglise va se retrou­ver tout à coup siège de l’Antéchrist. Ce sont les paroles mêmes de la Sainte Vierge : « Rome devien­dra le siège de l’Antéchrist ». Ce sont les paroles de La Salette. De même que « Rome per­dra la foi », « l’éclipse de l’Eglise », donc des paroles très fortes et contras­tant avec la pro­messe. Cela ne veut pas dire que la pro­messe est caduque, il est évident qu’elle reste, mais qu’elle n’exclut pas pour l’Eglise un moment de dou­leur telle qu’on pour­ra la consi­dé­rer comme une mort apparente.

Passion du Christ, Passion de l’Eglise

Je crois qu’on y est. Il reste la ques­tion : jusqu’où le Bon Dieu va deman­der à son Corps mys­tique d’accompagner, d’imiter ce que son corps phy­sique a dû endu­rer, ce qui a été jusqu’à la mort. Est-​ce que cela va aller jusque-​là, est-​ce que cela va s’arrêter avant ? On sou­haite tous que cela s’arrête avant. Je pense – ce ne serait pas la pre­mière fois – que le Bon Dieu inter­vien­dra pour réta­blir les choses, au moment où on pen­se­ra : cette fois-​ci, c’est fini. Je crois que ce sera une des preuves de la divi­ni­té de l’Eglise. Au moment où tous les moyens humains sont ache­vés, épui­sés, autre­ment dit, où c’est fini, c’est à ce moment-​là qu’il va agir. Je pense. Et ce sera alors une mani­fes­ta­tion extra­or­di­naire, jus­te­ment, de ce que cette Eglise-​là est la seule qui soit vrai­ment divine.

L’attitude des fidèles

Tout d’abord, ils doivent gar­der la foi. C’est le pre­mier mes­sage, on peut le dire, de saint Paul, c’était aus­si celui des temps de per­sé­cu­tion : res­tez fermes, state, tenez bon, tenez debout, tenez bien fermes dans la foi. Garder la foi, cela ne peut pas être sim­ple­ment théo­rique. Ce que j’appellerais la foi « théo­rique » existe, c’est celle de quelqu’un qui est capable de réci­ter le Credo ; il a appris son caté­chisme, il le connaît, il est capable de le redire et bien sûr cette foi-​là, c’est le com­men­ce­ment, il faut l’avoir sinon on n’a pas la foi. Mais cette foi ne conduit pas encore au ciel, c’est ce qu’il faut bien com­prendre, la foi dont parle l’Ecriture, c’est cette foi qui est – selon le terme tech­nique – infor­mée par la cha­ri­té. C’est de ce rap­port entre foi et cha­ri­té que parle saint Paul aux Corinthiens en disant : « Si j’ai la foi à dépla­cer les mon­tagnes – ce qui n’est pas une petite chose, une foi à dépla­cer les mon­tagnes, on ne la voit pas tous les jours ! – et que je n’ai pas la cha­ri­té, alors je ne suis rien, je ne suis qu’une cym­bale qui sonne, rien du tout, une cloche… » (cf. 1 Cor. 13, 1–2)

Il ne suf­fit pas de faire de grandes décla­ra­tions de foi, il ne suf­fit pas d’attaquer ou de condam­ner les erreurs ; beau­coup pensent avoir rem­pli leur devoir de chré­tien en ayant fait cela, c’est une erreur. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, c’est une par­tie, mais la foi dont parlent saint Paul et l’Ecriture Sainte, c’est la foi infor­mée, c’est-à-dire qui est imbi­bée de cha­ri­té. C’est la cha­ri­té qui donne la forme à la foi. La cha­ri­té, c’est l’amour de Dieu et par consé­quent l’amour du pro­chain. Il s’agit donc d’une foi qui se tourne vers ce pro­chain qui est cer­tai­ne­ment dans l’erreur et qui lui rap­pelle la véri­té mais d’une manière telle que, grâce à ces rap­pels, le chré­tien pour­ra semer la foi, remettre dans la véri­té, ame­ner cette âme vers la véri­té. Ce n’est donc pas un zèle amer, c’est au contraire une foi ren­due cha­leu­reuse par la charité.

Le devoir d’état

Ce que doivent faire les fidèles, c’est leur devoir d’état. Garder la foi, une foi bien imbi­bée de cha­ri­té, pro­fon­dé­ment ancrée dans la cha­ri­té, qui va leur per­mettre d’être sans décou­ra­ge­ment, sans zèle amer, sans ran­cune mais avec cette joie, celle du chré­tien qui consiste à savoir que Dieu nous aime tant qu’Il est prêt à vivre avec nous, à vivre en nous dans la grâce. Cela donne une lumière à tout ce qui se passe, une joie qui fait oublier les pro­blèmes, qui les remet à leur place, pro­blèmes qui peuvent cer­tai­ne­ment être sérieux. Mais que sont-​ils en com­pa­rai­son du ciel qui se gagne pré­ci­sé­ment dans ces épreuves ? Ces épreuves sont pré­pa­rées, dis­po­sées par le Bon Dieu, non pas pour nous faire tom­ber mais pour nous faire gagner. Dieu qui va jusqu’à vivre en nous, comme dit saint Paul : « Je vis, non ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi ! » (Gal. 2, 20) C’est tel­le­ment beau ! Le chré­tien, c’est un taber­nacle de la Sainte Trinité, un temple de Dieu, un temple vivant !

Le rôle de la Fraternité Saint-​Pie X

Son pre­mier sou­ci, c’est vrai­ment ce qui fait vivre l’Eglise, c’est la messe. Le Saint Sacrifice de la messe est vrai­ment l’application concrète, quo­ti­dienne des mérites de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, tout ce qu’Il a gagné, méri­té sur la Croix et qui est vrai­ment l’universalité des grâces pour tous les hommes depuis les pre­miers, Adam et Eve, jusqu’à ceux de la fin du monde. Toutes les grâces ont été méri­tées par Notre Seigneur sur la Croix. La messe, c’est la per­pé­tua­tion, le renou­vel­le­ment, la repré­sen­ta­tion de ce sacri­fice, c’est un sacri­fice iden­tique à celui de la Croix sur l’autel, et qui remet quo­ti­dien­ne­ment à la dis­po­si­tion des chré­tiens, – par exten­sion on pour­rait dire : à la dis­po­si­tion des hommes –, les mérites de Notre Seigneur, sa satis­fac­tion, sa répa­ra­tion pour obte­nir le par­don de tous ces péchés, cette mer de péchés com­mis tous les jours, et aus­si pour obte­nir ces grâces dont nous avons besoin. La messe, c’est vrai­ment la pompe qui dis­tri­bue dans tout le Corps mys­tique, les grâces méri­tées sur la Croix. C’est pour­quoi on peut dire : c’est le cœur qui dis­tri­bue par le sang tout ce dont les cel­lules du corps ont besoin. Ainsi en est-​il de la messe, c’est le cœur. En soi­gnant ce cœur, on soigne toute la vie de l’Eglise.

Restaurer l’Eglise par la messe

Si on veut, et cer­tai­ne­ment on veut une res­tau­ra­tion de l’Eglise, c’est là qu’il faut aller. C’est à la source, et la source, c’est la messe. Pas n’importe quelle litur­gie, une litur­gie, j’ai envie de dire, extrê­me­ment sainte. Sainte à un point inima­gi­nable. D’une sain­te­té extra­or­di­naire, vrai­ment for­gée par l’Esprit Saint à tra­vers les siècles, rédi­gée par des papes saints eux-​mêmes, et donc d’une pro­fon­deur extra­or­di­naire. Il n’y a abso­lu­ment aucune com­pa­rai­son entre la nou­velle messe et cette messe-​là. Ce sont vrai­ment deux mondes, et j’allais dire, les chré­tiens un peu sen­sibles à la grâce s’en rendent compte bien vite. Bien vite. Hélas, aujourd’hui, on constate que beau­coup ne le voient même plus ! Mais pour moi c’est évident que vou­loir la res­tau­ra­tion de l’Eglise doit com­men­cer là. Donc c’est pour cela que je suis pro­fon­dé­ment rede­vable au pape Benoît XVI pour avoir remis la messe. C’était capi­tal, c’est capital.

Former les prêtres

La Fraternité soigne la messe, veut cette messe, et elle soigne aus­si celui qui la dit, et il n’y en a pas trente-​six, c’est le prêtre. Donc c’est vrai­ment le but même de la Fraternité : le sacer­doce, le prêtre, for­mer les prêtres, aider les prêtres, sans aucune limi­ta­tion, non, pas de limi­ta­tion, on n’a pas d’exclusivité pour quelqu’un, non ! C’est le prêtre tel que Notre Seigneur l’a vou­lu. En lui rap­pe­lant, jus­te­ment ces tré­sors qu’aujourd’hui beau­coup ignorent. C’est tragique.

Retrouver l’esprit chrétien

La messe, c’est encore plus impor­tant. La messe, c’est ce qui va don­ner la foi, c’est ce qui va nour­rir la foi. Evidemment, si on célèbre la messe sans la foi, il y a un gros pro­blème. Alors, il ne s’agit pas de faire des anta­go­nismes, il s’agit de bien unir ce qui doit l’être. Mais je pense que déjà avec ces deux élé­ments, on a énor­mé­ment pour la sur­vie de l’Eglise. Disons, on voit bien que l’Eglise a été atta­quée à divers niveaux, mais le plus pro­fond, j’en suis per­sua­dé, c’est la perte de l’esprit chré­tien. On a vou­lu deve­nir comme le monde. On l’a dit tout le temps, c’était le but du Concile que de s’accommoder au monde moderne. Et bien non, ce n’est pas pos­sible ! On vit dans ce monde, donc on en uti­lise beau­coup de choses qui sont de l’ordre des cir­cons­tances his­to­riques concrètes, qui passent. Le fond qui reste, c’est l’attachement au Bon Dieu, c’est le ser­vice du Bon Dieu qui inclut, bien sûr, la foi, la grâce, et cet esprit chré­tien. On veut aller au ciel, on doit aller au ciel, pour cela il faut évi­ter le péché, et il faut faire le bien. Les deux. Tant qu’on n’en revient pas là, l’Eglise conti­nue­ra, disons, à être meur­trie par un virus mor­bide qui est le virus du monde moderne, jus­te­ment de la civi­li­sa­tion moderne.

Le triomphe du Cœur Immaculé de Marie

« A la fin, mon Cœur Immaculé triom­phe­ra », c’est une parole abso­lue qui n’est pas du tout condi­tion­née par ce qui s’est pas­sé avant. Et c’est vrai­ment une parole qui fixe l’espérance, qui l’établit, c’est un rocher. Evidemment, comme il semble bien que ce triomphe est lié à la consé­cra­tion (de la Russie), on demande la consé­cra­tion, c’est tout à fait nor­mal. Jusqu’à quand faudra-​t-​il attendre pour la voir faite comme elle a été deman­dée, ou est-​ce que le Bon Dieu, encore une fois, va se conten­ter de moins ? On ne le sait pas. Ce qu’on sait c’est qu’à la fin il y a ce triomphe. Et donc, cela c’est une cer­ti­tude. On ne va pas par­ler d’une cer­ti­tude de foi, parce que ce n’est pas une ques­tion de foi, c’est une parole don­née par la Sainte Vierge, et puis, on sait bien que cette parole, elle vaut ! C’est tout. Stat !

Source : FSSPX/​MG – DICI n°286 du 06/​12/​13

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.