Entretien du 20 janvier 2014 avec Mgr Bernard Fellay, publié dans « Le Rocher c’est le Christ » n°88

« IL FAUT QUE NOUS AYONS LE SOUCI DES ÂMES »

A l’oc­ca­sion de sa venue à Oensigen le 20 jan­vier 2014, nous avons pu entendre Mgr Fellay sur les ques­tions d’ac­tua­li­té de l’Eglise et de la Fraternité Saint-​Pie X.

Le Rocher : Monseigneur, dans ce com­bat pour les âmes que mène notre Fraternité depuis plus de qua­rante ans, quelle est notre rela­tion avec cette Eglise qui ne semble plus prendre ce com­bat au sérieux, que peut-​on faire avec les progressistes ?

Mgr Fellay : A vrai dire, on ne peut pas faire grand-​chose. Actuellement, ici ou là, il arrive que l’on obtienne par­fois une fois une église pour célé­brer la messe, mais guère plus. Nous ne pour­rons jamais être d’accord avec les véri­tables pro­gres­sistes. Mais il n’y a pas que des moder­nistes. Et s’il y a des choses que l’on peut faire avan­cer, on doit faire ce bien. Il faut essayer, mais avec beau­coup de pru­dence. Notre-​Seigneur n’a pas envoyé ses apôtres dans un champ de blé bien fait, il les a envoyés dans le monde.

Le Rocher : C’est donc le sou­ci des âmes – et pas seule­ment des âmes qui s’adressent à la Fraternité – qui vous pousse à agir ?

Mgr Fellay : Oui, il faut que nous ayons le sou­ci des âmes. Et dans nos rap­ports avec Rome, c’est cette question-​là, c’est la ques­tion du salut des âmes qui nous motive. Notre seul sou­ci est de les faire reve­nir à la Tradition. C’est pour cela que j’ai par­lé « du retour de la tra­di­tion dans l’Eglise ».

Le Rocher : Il y en a qui ont com­pris cette expres­sion de travers.

Mgr Fellay : J’ai par­lé selon le sens com­mun. Il y en a qui disent que l’Eglise ne peut pas être sépa­rée de sa « Tradition » puisque c’est un des fon­de­ments, avec l’Ecriture Sainte, de la Révélation ; dire que l’Eglise est sépa­rée de la Tradition, c’est une héré­sie. Mais ce n’est pas ce que j’ai dit. D’autres disent que la « Tradition », c’est nous ; alors dire qu’il faut prier pour le retour de la Tradition dans l’Eglise, c’est deman­der que les œuvres de la tra­di­tion retournent dans l’Eglise. Ce n’est pas non plus ce que j’ai dit. Mais à cause d’une mau­vaise inter­pré­ta­tion, nous avons des prêtres qui nous ont quittés !

Le Rocher : Ils ont pris votre expres­sion au niveau théo­lo­gique, de manière univoque ?

Mgr Fellay : Un supé­rieur de dis­trict m’a dit que cette for­mu­la­tion allait créer des pro­blèmes. Je lui ai répon­du : cher Monsieur l’abbé, si on conti­nue comme cela, dans peu de temps, on va décla­rer héré­tique la phrase « le soleil se couche », parce que selon les prin­cipes de phy­sique et d’astronomie, le soleil ne se couche pas ! Donc si on dit que « le soleil se couche », c’est une erreur, c’est faux. Alors, faut-​il arrê­ter de dire que le soleil se couche ? Cette expres­sion est de l’ordre du lan­gage com­mun. Restons les pieds sur terre, soyons réa­listes. C’est vrai que si on veut par­ler au niveau théo­lo­gique, de manière stricte, ça n’a pas de sens de deman­der le retour de la Tradition dans l’Eglise, je le concède. Mais ce n’est pas ce que j’ai vou­lu dire. Monseigneur Lefebvre, dans le ser­mon des sacres épis­co­paux de 1988, a décla­ré : « quand la Tradition aura retrou­vé à Rome tous ses droits ». C’est la même chose que de dire « le prin­temps est de retour ». Ce sont des expres­sions du lan­gage commun.

Le Rocher : Dans le fond, la vie est rem­plie d’analogies, elle n’est pas uni­voque, c’est-à-dire qu’on uti­lise des termes de manière diverse.

Mgr Fellay :L’analogie est « in se, diver­sa, secun­dum quid unum » : quand on parle d’analogie, on parle de deux choses en soi dif­fé­rentes, mais qui se res­semblent sur un point. Evidemment, il y a plu­sieurs sens au mot « tra­di­tion ». On peut dire que « la tra­di­tion c’est nous », oui ; mais on parle aus­si de la Tradition selon un mode beau­coup plus ample quand on parle de « la Tradition de l’Eglise ». Et on peut éga­le­ment par­ler de la « Tradition » comme la par­tie non écrite de la Révélation. C’est un terme ana­lo­gique. Si on perd ce sens de l’analogie, on est per­du aujourd’hui, dans cette crise.

Le Rocher : Faisons donc atten­tion à ne pas lais­ser entrer cet esprit chez nous.

Mgr Fellay : C’est déjà ce qu’a fait Benoît XVI avec son « her­mé­neu­tique de la conti­nui­té ». Jusqu’à Benoît XVI, c’était clair : il y avait le pas­sé – la tra­di­tion – et puis Vatican II. Pour tout le monde, il y avait eu une rup­ture et per­sonne ne la contes­tait. Benoît XVI a décla­ré que l’Eglise ne peut pas se pas­ser du pas­sé, elle doit le gar­der, et que le pré­sent est « inté­gré » au pas­sé. Pour Benoît XVI, le concile Vatican II appar­tient à la Tradition. On est alors dans l’équivoque com­plète. Lorsque Vatican II dit le contraire de ce qui a été affir­mé jusqu’alors, il n’y a pas « d’herméneutique de la conti­nui­té ». Mais Benoît XVI y tenait car il vou­lait sau­ver le Concile, récu­pé­rer le Concile en disant une véri­té, c’est ce qui cause la confu­sion : « l’Eglise ne peut pas rompre avec son passé ».

Le Rocher : Comment explique-​t-​il alors cette rupture ?

Mgr Fellay : C’est pour cela que par après – en tout cas deux fois dans son pon­ti­fi­cat, au début et à la fin – il a intro­duit l’idée d’un faux concile, le « concile des médias » ou para-​concile qui se serait sub­sti­tué au vrai concile dans la récep­tion qu’ont eue les fidèles du concile. C’est extrê­me­ment sub­til. Il recon­naît qu’il y a des erreurs, qu’il y a des choses qui ne vont pas, mais il les attri­bue à ce faux concile. Malheureusement ce n’est qu’un arti­fice pour sous­traire les erreurs du concile, pour sau­ver le concile.

Le Rocher : On a l’impression qu’avec le pape François, cet « arti­fice » a été balayé ?

Mgr Fellay : On pour­rait dire que le pape François est le pre­mier défen­seur de toutes ces erreurs de Vatican II. Sa défi­ni­tion du concile par exemple : pour lui, le concile est une relec­ture de l’Evangile à la lumière de la civi­li­sa­tion, de la culture contem­po­raine. Pour lui, la lumière pour com­prendre l’Evangile aujourd’hui, c’est la civi­li­sa­tion moderne. Mais c’est contraire à la foi qui dit que la lumière avec laquelle il faut lire l’évangile, c’est le Bon Dieu. C’est ça la théo­lo­gie. Et François de nous dire que le meilleur fruit du concile, la meilleure illus­tra­tion de l’efficacité du concile, c’est la nou­velle messe. Nous sommes d’accord : la nou­velle messe est bien le fruit du concile. Mais lui dit que c’est bien, et nous disons que c’est mal, voi­là la différence.

Le Rocher : On ne sait vrai­ment pas où l’on va avec ce pape ?

Mgr Fellay : Il faut faire très atten­tion quand on essaye de por­ter des juge­ments sur lui parce qu’il n’entre pas dans nos caté­go­ries. Il est hors norme. Il est un pape de praxis : ce qui compte pour lui, c’est l’action, et il veut avoir les cou­dées franches dans l’action. C’est pour cela que lorsqu’il parle de doc­trine, il s’exprime de manière floue, très floue. Il n’y a plus cette cohé­rence entre la doc­trine et l’action. Il y a de tout dans ses ser­mons. Ce qui compte pour lui, dans l’action, ce sont les hommes. S’il éprouve une sym­pa­thie envers quelqu’un, tout est per­mis. Il a reçu ses amis rab­bins d’Argentine, il a même par­ta­gé un repas « kasher » avec eux à la mai­son Sainte-​Marthe. La pho­to a été mise sur le site du Congrès juif mon­dial : l’ambiance est sym­pa­thique, on dirait une bande de copains. Peu importe ce que les gens vont pen­ser, ce sont ses amis.

Le Rocher : Son élec­tion a‑t-​elle chan­gé l’état de l’Eglise ?

Mgr Fellay : Elle n’y a rien chan­gé. Toutes les pra­tiques que nous dénon­cions conti­nuent. La seule chose qui a chan­gé, c’est que les invi­ta­tions, les sou­tiens dis­crets envers ceux qui vou­laient un peu plus de tra­di­tion, sont ter­mi­nés (cf. les Franciscains de l’Immaculée), et qu’il y a beau­coup plus de confu­sion. Jusqu’ici, le pape François n’a pris aucune mesure pour amé­lio­rer la situa­tion désas­treuse de l’Eglise. Qu’il s’agisse des reli­gieux, des sémi­naires, on constate un arrêt des faci­li­tés faites à l’ancienne litur­gie, tout en lais­sant un sta­tu quo.

Le Rocher : A‑t-​il bien com­pris la situa­tion de l’Eglise, le sou­ci des âmes ?

Mgr Fellay : Il est moderne, mais il a encore tout son caté­chisme d’enfant. Il croit que la jeu­nesse d’aujourd’hui connaît son caté­chisme. ç’aurait pu être peut-​être le cas en Argentine, et encore ! Il applique, il trans­pose à toute l’Eglise ce qui se fait peut-​être encore un peu en Amérique latine.

Le Rocher : Avec ce pape, on ne peut pas attendre d’amélioration ?

Mgr Fellay :Vous connais­sez la défi­ni­tion qu’il donne de lui-​même au jésuite qui l’a inter­viewé : « Qui est le pape François ? » – « Je suis un pécheur, oui, je crois que c’est la réponse la plus pro­fonde que je puis don­ner, et je suis un peu fourbe (l’expression fran­çaise fourbe tra­duit de manière peut-​être un peu trop forte le mot ita­lien « fur­bo » qui signi­fie plu­tôt malin, rusé) et mani­pu­la­teur. »[1] Au niveau de la doc­trine, ce sera encore moins clair qu’avant parce que cer­taines phrases sont claires, et d’autres sont d’un nébu­leux incroyable.

Le Rocher : Les papes Jean XXIII et Jean-​Paul II vont être « cano­ni­sés » le 27 avril. Faut-​il s’étonner d’une pareille déci­sion ? Que pouvons-​nous faire ?

Mgr Fellay :Il ne faut pas s’étonner, ce qu’ils veulent, c’est cano­ni­ser le concile, et il n’y a rien de plus facile pour ce but que de cano­ni­ser les papes qui ont fait le concile. Que pouvons-​nous faire ? – Je dirais qu’on a déjà tout essayé, au point de vue de l’action que nous pou­vions avoir sur Rome, laquelle de toute façon ne nous écoute pas et ne veut rien entendre. Il nous reste à prier, à rap­pe­ler les argu­ments que nous avons déjà publiés. Nous avions envoyé un impor­tant dos­sier pour pro­tes­ter contre la béa­ti­fi­ca­tion de Jean XXIII, et nous avons fait de même pour Jean-​Paul II. Ils ont reçu notre texte, mais celui qui a été char­gé d’en faire un compte-​rendu a écar­té nos argu­ments d’un revers de main en disant que de toute façon nous étions contre le concile… Il n’y a eu aucun effort sérieux pour se don­ner la peine de consi­dé­rer nos argu­ments. C’est d’une légè­re­té invraisemblable.

Le Rocher : Ces études – et les publi­ca­tions qui en ont été faites[2] – sont donc encore bien d’actualité ?

Mgr Fellay : Ressortons tous nos tra­vaux pour mon­trer que de telles cano­ni­sa­tions ne sont pas sérieuses, même s’il y a tou­jours le fameux pro­blème de l’infaillibilité qui serait impli­quée par une cano­ni­sa­tion. Il faut savoir que c’est un point sur lequel on peut encore tra­vailler. Sur les ques­tions de foi, d’infaillibilité des dogmes, il n’y a pas à dis­cu­ter. Par contre sur la ques­tion de l’infaillibilité des cano­ni­sa­tions, comme elles ne sont pas l’objet pri­maire de l’infaillibilité mais plu­tôt secon­daire, il y a encore un domaine de dis­cus­sion possible.

Le Rocher : Les docu­ments qui sont encore dans les archives secrètes n’ont même pas été examinés ?

Mgr Fellay : C’est une totale impru­dence. Or l’élément maté­riel de la cano­ni­sa­tion c’est l’acte pru­den­tiel de l’Eglise. Si on ne suit pas les règles élé­men­taires de la pru­dence et éli­mine cer­tains docu­ments, alors la pos­si­bi­li­té de se trom­per est réelle. Mais de toute façon, ils ont même chan­gé, semble-​t-​il, la notion de sain­te­té. Tout cela nous attriste, mais humai­ne­ment par­lant, on ne voit pas ce qu’on pour­rait faire pour l’empêcher. Ils en arrivent même à se pas­ser des miracles.

Le Rocher : Il y a des gens qui affirment que Mgr Fellay veut à tout prix un accord avec Rome.

Mgr Fellay : Cela n’a pas de sens ! Je n’en ai jamais cher­ché de moi-​même, mais j’ai cru devoir exa­mi­ner la pro­po­si­tion romaine en 2011/2012.Maintenant cela serait de la folie. Où vont-​ils cher­cher de telles idées ? Je main­tiens par contre qu’il faut essayer de faire tout le bien qu’on peut pour sau­ver le maxi­mum d’âmes. Tout ce que l’on peut faire de bien à Rome, pour­ra ensuite redes­cendre sur toute l’Eglise, et faire du bien à des mil­liers d’âmes. Il faut essayer. C’est nor­mal, c’est évident. C’est limi­té pour l’instant, mais c’est dans les mains du Bon Dieu. Faisons notre pos­sible et il y a encore des gens à Rome qui disent que c’est avec et par la Tradition que l’Eglise sera restaurée.

Le Rocher : Y a‑t-​il eu une approche offi­cielle de Rome pour reprendre contact avec vous depuis l’élection du pape François ?

Mgr Fellay :Il y a eu une approche « non offi­cielle » de Rome pour reprendre contact avec nous, mais rien de plus et je n’ai pas sol­li­ci­té d’audience comme j’avais pu le faire après l’élection de Benoît XVI. Pour moi actuel­le­ment les choses sont très simples : on reste comme on est. Certains ont conclu des contacts rap­pro­chés de 2012 que je posais comme prin­cipe suprême la néces­si­té d’une recon­nais­sance cano­nique. La conser­va­tion de la foi et de notre iden­ti­té catho­lique tra­di­tion­nelle est pri­mor­diale et reste notre prin­cipe premier.

Le Rocher : Il y a pour­tant de plus en plus de voix dis­cor­dantes dans l’Eglise ?

Mgr Fellay :Certes, mais comme nous n’avons pas un pape qui met de l’ordre, nous allons vers une situa­tion encore plus confuse. Le grand dan­ger, c’est que cette situa­tion pro­voque chez nous des impa­tiences : que cer­tains en ont assez et concluent que le pape actuel n’est plus pape. Cela a d’ailleurs déjà com­men­cé. Des prêtres qui nous ont quit­tés ont décla­ré, au moment de l’élection du pape François, qu’ils ne recon­nais­saient pas cette élection.

Le Rocher : Ce qui se passe actuel­le­ment, c’est un mélange d’impatience et d’inquiétude ?

Mgr Fellay : Quand il y a de la méfiance, on a ten­dance à prendre toutes les choses de tra­vers, le plus de tra­vers pos­sible. On cari­ca­ture, on ment, et à force de men­tir, des gens finissent par y croire. Il y a en plus une véri­table cam­pagne d’intoxication.

Le Rocher : Vous pré­fé­rez sans doute que l’on s’adresse à vous ?

Mgr Fellay : Je n’ai jamais fait le reproche à per­sonne de m’avoir écrit et de m’avoir deman­dé des pré­ci­sions, des expli­ca­tions. Mais d’accuser et de dia­lec­ti­ser dans le public, c’est grave. On rend le public juge d’une cause. C’est un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire. Ils se disent anti-​libéraux, et ils uti­lisent les prin­cipes de la révolution.

Le Rocher : Quel usage peut-​on faire des textes de Mgr Lefebvre ? Quelle auto­ri­té ont-ils ?

Mgr Fellay : Mgr Lefebvre, c’est notre fon­da­teur, et dans notre socié­té, c’est lui qui donne les prin­cipes, l’esprit. C’est d’une impor­tance capi­tale, il avait la grâce du fon­da­teur. Il a donc une auto­ri­té émi­nente pour notre socié­té. D’autre part, on peut dire qu’aujourd’hui, notre socié­té est un peu dans les mêmes cir­cons­tances que lors de sa fon­da­tion. Les évé­ne­ments autour de nous sont les mêmes, c’est-à-dire cette crise dans l’Eglise, cette mise en doute de la foi et des mœurs, de la dis­ci­pline. Il y a certes des varia­tions : il y a le nou­veau droit canon, il y a eu les réunions inter­re­li­gieuses d’Assise, mais fon­da­men­ta­le­ment, c’est la même crise qui blesse l’Eglise à mort, qui tue les âmes, asphyxie les socié­tés reli­gieuses, les dio­cèses. Le sacer­doce est tou­jours autant en dan­ger. D’ailleurs Rome elle-​même nous consi­dère de manière par­ti­cu­lière en rai­son de ce fon­da­teur. C’est la réa­li­té. Rome ignore par contre tota­le­ment les mou­ve­ments sédévacantistes.

Le Rocher : Ne peut-​on pas dire que puisque Mgr Lefebvre a dit une chose à une occa­sion, il l’a donc affir­mé pour tout le temps ?

Mgr Fellay :On peut voir com­ment il a agi dans une situa­tion sem­blable, mais il ne s’agit pas de faire un « copier-​coller ». Mgr Lefebvre a lui-​même, par exemple, eu des paroles très dures en 1976, à l’occasion de l’« été chaud », qu’il n’a uti­li­sées qu’à ce moment-​là. Ainsi a‑t-​il par­lé de « messe bâtarde », de prêtres « bâtards ». Mais après il n’a plus uti­li­sé ces expres­sions. Est-​ce à dire que la messe est deve­nue moins « bâtarde » par la suite ? – Bien sûr que non, mais il a uti­li­sé ces expres­sions à l’occasion de l’« été chaud » dans toute l’acception du terme, mais plus par la suite.

Le Rocher : On peut se poser la ques­tion : « Qu’est-ce que Mgr Lefebvre aurait fait aujourd’hui ? »

Mgr Fellay :Quand on veut appli­quer à aujourd’hui quelque chose du pas­sé, il ne faut pas oublier que les cir­cons­tances actuelles ne sont pas néces­sai­re­ment et abso­lu­ment iden­tiques à celles qu’a connues notre fon­da­teur. On peut s’inspirer de son esprit, mais on ne peut pas faire abso­lu­ment la même chose. Et de fait, on peut faire dire à Mgr Lefebvre tout ce que l’on veut. On peut même trou­ver dans un de ses ser­mons ce qui pour­rait appa­raître comme une contra­dic­tion. Ainsi dans son fameux ser­mon pour son jubi­lé de 1987 (40 ans d’épiscopat), il raconte dans une pre­mière par­tie sa ren­contre avec le car­di­nal Ratzinger auquel il dit : « Même si vous nous don­nez des évêques, nous ne pou­vons pas tra­vailler avec vous ». Mais dans la suite de son ser­mon, il explique aux fidèles qu’une chose extra­or­di­naire a eu lieu à Rome, qu’on lui a fait une inté­res­sante pro­po­si­tion et il leur demande de prier pour que cela aboutisse.

Le Rocher : On peut donc faire dire à Mgr Lefebvre à peu près tout ce qu’on veut ?

Mgr Fellay :On peut lui faire dire à peu près tout ce qu’on veut car il s’est trou­vé dans des situa­tions dif­fé­rentes où il a dû à chaque fois prendre posi­tion. La seule solu­tion pour s’en sor­tir, c’est de repla­cer les choses dans leur contexte. On ne se rend pas assez compte de l’importance du contexte. C’est un des mal­heurs d’aujourd’hui, on abso­lu­tise tout, chaque phrase est abso­lu­ti­sée, c’est-à-dire sor­tie de son contexte et éri­gée en prin­cipe abso­lu. Mais la réa­li­té n’est pas comme cela. Il y des dif­fé­rences de genres : un ser­mon, une confé­rence, une expli­ca­tion, une illus­tra­tion. On finit par perdre le sens des nuances et l’honnêteté intellectuelle.

Une par­tie des pro­blèmes que nous voyons aujourd’hui, c’est qu’on ne regarde plus si ce qui est dit est de l’ordre de l’opinion ou du dogme. Tout est dog­ma­ti­sé, abso­lu­ti­sé. Or il y a beau­coup de choses que l’on dit qui sont de l’ordre de l’opinion, c’est-à-dire qu’en les disant, il faut accep­ter comme pos­sible la pen­sée contraire. Donnons quelques exemples. Cette fameuse ques­tion de l’Eglise conci­liaire : quelle est la nature de l’Eglise conci­liaire ? – C’est au niveau de l’opinion, et les opi­nions peuvent être dif­fé­rentes, même dans la Fraternité Saint-​Pie X. Mais il ne faut pas en faire un dogme et se condam­ner les uns les autres alors qu’il ne s’agit que d’une opi­nion dif­fé­rente. Il en est de même pour ce qu’on appelle l’« auto­ri­té magis­té­rielle du concile ». C’est une ques­tion ouverte. Rome déclare que c’est du magis­tère ordi­naire, mais ne demande pas, au nom de la foi, de l’accepter comme tel. Mgr Lefebvre était plu­tôt d’avis que c’était de l’ordre d’une pré­di­ca­tion, donc sus­cep­tible d’erreur.

Le Rocher : En conclu­sion, quels conseils donnez-​vous à vos fidèles ?

Mgr Fellay : Au milieu de ces pré­oc­cu­pa­tions, le bien de l’Eglise tout entière doit res­ter cher à tout cœur catho­lique. Les déve­lop­pe­ments de notre Fraternité que nous voyons se réa­li­ser sous nos yeux sont une cause de joie, d’action de grâces, et la preuve dans les faits que la fidé­li­té à la foi et à la dis­ci­pline tra­di­tion­nelles pro­cure tou­jours les fruits bénis de la grâce. Dans un monde tou­jours plus hos­tile à l’accomplissement des com­man­de­ments de Dieu, nous devons avoir le sou­ci véri­table de for­mer des âmes bien trem­pées, qui prennent à cœur leur propre sanc­ti­fi­ca­tion et le salut de toutes les âmes.

Propos recueillis et mis en forme par M. l’abbé Claude Pellouchoud /​Avec nos remer­cie­ments à la Maison géné­ra­lice

Sources : Le Rocher, 6 numé­ros par an contre une offrande libre adres­sée à Prieuré Saint-​Antoine Avenue du Valais 14 CH – 1896 Vouvry . Courriel : – Site Internet : /​/​LPL

Notes

[1] « Je ne sais pas quelle est la défi­ni­tion la plus juste… Je suis un pécheur. C’est la défi­ni­tion la plus juste… Ce n’est pas une manière de par­ler, un genre lit­té­raire. Je suis un pécheur. (…) Si, je peux peut-​être dire que je suis un peu rusé (un po’ fur­bo), que je sais manœu­vrer (muo­ver­si), mais il est vrai que je suis aus­si un peu ingénu… »
[2] Abbé Philippe Toulza, « Jean XXIII bien­heu­reux ? », in Fideliter, mars-​avril 2008. The Remnant, « Exposé des réserves sur la pro­chaine béa­ti­fi­ca­tion de Jean-​Paul II », DICI n°233 (16 avril 2011). Abbé Jean-​Michel Gleize, « Doutes sur une cano­ni­sa­tion », in Le Courrier de Rome, n°341, février 2011, DICI n°283 (18 octobre 2013) ; « Le dilemme que pose la cano­ni­sa­tion de Jean-​Paul II », in Le Courrier de Rome, n°372, DICI n°290 (14 février 2014) ; Abbé de la Rocque, « Jean-​Paul II, doutes sur une béa­ti­fi­ca­tion », Clovis, 2010.

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.