A Dieu, Monseigneur !

Un hom­mage à Mgr Tissier de Mallerais tel qu’il s’est lais­sé connaître ici-​bas, avant de rejoindre le Royaume du Christ.

Il était capable d’exhorter des confir­mands au mar­tyre comme si la chose était pour demain. Être oublié des hommes ne lui dis­con­ve­nait pas. Il se nour­ris­sait si peu qu’on crai­gnait presque, par bour­rasque, que cet ascète s’envole, mais décou­vrait à ses confrères qu’ il avait vu un film d’action dans l’avion le trans­por­tant en Patagonie. Il nour­ris­sait une chienne, dans la pro­prié­té des Sœurs, à Saint-​Michel-​en-​Brenne, puis cou­rait jusqu’à un angle du ter­rain afin d’observer com­ment l’animal, ayant mâché cet ali­ment, le dis­tri­buait à ses chiots. Il sui­vait la règle, réci­tant son bré­viaire à heures fixes, se dépla­çant de la cel­lule à l’église la tête incli­née et le buste ten­du, à la façon d’un sémi­na­riste appli­qué. Il se confes­sait au prêtre avec les mots d’un enfant, mais repre­nait le même d’une parole inexacte avec une rigueur qu’aucune consi­dé­ra­tion psy­cho­lo­gique ne frei­nait. Il ne recu­lait pas devant un tra­jet de mille kilo­mètres pour célé­brer la messe anni­ver­saire d’un confrère dans une modeste cha­pelle. Aux repas, tan­tôt il se tenait dans le silence, lais­sant les conver­sa­tions s’écouler, les sour­cils fron­cés ; tan­tôt il ani­mait des échanges légers rou­lant sur ceci ou sur cela, le « ceci » et le « cela » n’ayant en com­mun que l’inattendu. Les traits de son visage expri­maient la rigueur d’un homme qui ne plai­sante pas avec la loi divine et assume sans ména­ge­ment les impé­ra­tifs de sa voca­tion, mais il y avait dans sa gau­che­rie un je-​ne-​sais-​quoi d’insoupçonnée jeu­nesse, dans l’éclat et la pure­té de son regard le signe du sur­na­tu­rel. Il contem­plait la royau­té du Christ le matin, l’après-midi s’extasiait devant la splen­deur de quelques pétales du jar­din. Dans l’intimité de la com­mu­nau­té, il sou­te­nait man­quer de telle ou telle qua­li­té pri­mor­diale, mais n’arrivait pas, avec l’âge, à recon­naître que, non, ce n’étaient pas les Sœurs qui chan­taient faux, mais bel et bien Monseigneur.

Ce dos­sier ne pro­pose point le por­trait d’un ser­vi­teur de Dieu qu’il s’agirait de cano­ni­ser. Nous cher­che­rons à mon­trer Bernard Tissier de Mallerais tel qu’il s’est lais­sé connaître, main­te­nant que nous avons pleu­ré son départ, puisque nous l’avons pleu­ré : pas seule­ment pour ce qu’il incar­nait – d’abord une constance, et aus­si la vieille France, et encore une forme de sur­plomb de l’éternité sur le temps. Mais sim­ple­ment parce que nous l’avons aimé, de même que nous, avec lui, avons aimé Mgr Marcel Lefebvre.

C’est un deuxième décès à dis­tance du pre­mier. Le 25 mars 1991, nous avions per­du notre Père. La Providence a main­te­nu, pen­dant un tiers de siècle, pour l’Église et pour la Tradition, celui qui, comme l’abbé Paul Aulagnier, fut un « ange gar­dien » de Mgr Lefebvre, selon l’expression que ce der­nier avait choi­sie. Mgr Tissier de Mallerais a exer­cé pen­dant ce laps de temps, peut-​être à son corps défen­dant, le rôle que jouent les frères aînés après la dis­pa­ri­tion du père de famille. Il a pro­lon­gé son maître qui, comme tout évêque catho­lique, pro­lon­geait lui-​même Jésus-Christ.

Que le nom du Seigneur soit béni, qui dis­pose, place et déplace ; éphé­mère est l’ici-bas. Qu’il veuille seule­ment unir, autour des cœurs de Jésus et de sa mère, ces chers défunts afin que, s’embrassant en para­dis, ils inter­cèdent auprès de Marie en faveur des âmes qui, laïques, ou bien consa­crées et vêtues de noir, de blanc ou de brun, sou­haitent que triomphe l’Église de toujours.

Source : Fideliter n° 281

Fideliter

Revue bimestrielle du District de France de la Fraternité Saint-Pie X.