Ce n’est pas un bouleversement, mais une première remise en cause.
Les accents sont très prudents, mais les choses sont dites.
Même à Rome, on commence à discuter de la catholicité du concile Vatican II.
Le concile oecuménique Vatican II , un débat à ouvrir
Brunero Gherardini
éd. Casa Mariana Editrice, Frigento, 2009.
A la fin du mois de janvier, les grandes figures
libérales de l’ère « wojtylienne », du cardinal
Martini à Mgr Sorrentino, ont parrainé la création
d’un nouveau site en Italie : Viva il Concilio !
Une
acclamation pour chanter les merveilles d’un « superdogme
» comme s’il fallait resserrer les rangs pour
conjurer une inéluctable menace : le concile Vatican II,
dont l’aula raisonnait de mille voix il y a bientôt un
demi-siècle, verrait aujourd’hui son aura ternie.
Dans
le même temps, après trois éditions successives dans la
langue de Dante, l’un des plus éminents théologiens
du Latran, Mgr Brunero Gherardini, faisait paraître
l’édition française de son dernier ouvrage : Le concile
oecuménique Vatican II, un débat à ouvrir.
La démarche de Mgr Gherardini
Ni homme de pouvoir ni prélat de cour, ce professeur
toscan, originaire de Prato, a passé des décennies
à former les prêtres à l’ecclésiologie et à l’oecuménisme.
Doyen de la faculté de théologie de l’Université pontificale
du Latran, chanoine de l’archibasilique vaticane,
il est devenu un spécialiste reconnu et consulté
de la réforme luthérienne, de l’ecclésiologie ou de la
mariologie. L’ouvrage que cet héritier de l’École classique
publie à l’âge de quatre-vingt-cinq ans pourrait
être perçu comme une synthèse des centaines de publications
que cet éminent universitaire romain, initié
à la théologie thomiste et aux définitions assez traditionnelles,
fit éditer au cours de sa carrière ecclésiastique.
Tel n’est visiblement pas le but de ses deux cent soixante pages. Elles apparaissent, à l’heure
où s’engagent les discussions doctrinales
entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint-
Pie X, comme une réponse au fameux discours
du 22 décembre 2005 de Benoît XVI
à la Curie. Le pape, dans ce véritable programme
d’ouverture, faisait de « l’herméneutique
de la continuité » le thème
phare de son pontificat. Il s’agissait pour
lui de mettre fin à la crise postconciliaire
et de placer le Concile dans le sillon de la
Tradition.
Mgr Gherardini se dit disposé à suivre
cette démarche. Il laisse d’ailleurs entendre
que c’est celle qu’il a patiemment appliquée
dans ses enseignements, en essayant de raccorder
les textes conciliaires au Magistère
antérieur. Mais, sans la récuser, il montre
qu’elle ne va manifestement pas de soi. Il
fait part des doutes qui se sont accumulés
à l’expérience de cette méthode et, dans la
précision des définitions, il souligne la dissonance
réelle d’un grand nombre de textes,
depuisDignitatis Humanae jusqu’àLumen Gentium par rapport à la Tradition.
Après cinquante ans d’enseignement, il
affirme :
« J’avoue que je n’ai jamais cessé
de me poser le problème de savoir si effectivement
la Tradition de l’Église a été en
tout et pour tout sauvegardée par le dernier
concile et si, par conséquent, l’herméneutique
de la continuité évolutive lui est
vraiment applicable.»
Dès lors, son propos, empreint d’un
grand respect et d’une inégalable déférence
ne tourne pas à l’éloge pompeux et mièvre.
Après quatre ans de pontificat, il pousse
même un cri d’alarme et conclut son livre
par une supplique au Saint Père
: « Il me
semble qu’après un demi-siècle d’un pareil
langage, d’encensement grandiose, de célébrations
intempestives, non sollicitées et
qui produisent l’effet contraire, le moment
est enfin venu de tourner la page.»
Une relecture du Concile
Avant d’aborder méthodiquement les
textes conciliaires qui lui paraissent, de
manière emblématique, particulièrement
problématiques, Mgr Gherardini prend
soin de désamorcer le soi-disant caractère
« définitoire » de Vatican II qui devait
en faire un troisième Testament. Le prélat
rappelle la nécessité de placer le Concile
dans son contexte et de veiller à considérer
les intentions que les papes Jean XXIII et Paul VI lui avaient assignées : un objectif
pastoral qui évacuait tout désir de proclamer
des définitions de foi :
« Lorsqu’un
concile présente lui-même le contenu et
la raison de ses documents sous la catégorie
de la “pastoralité” en s’autoqualifiant
de “pastoral”, il exclut par là même toute
intention de définition. En conséquence,
ce concile ne peut prétendre à la qualité
d’un concile dogmatique, et personne ne
peut la lui conférer. Et ce même si, dans
son contenu, il fait certaines références
aux dogmes du passé et développe un discours
théologique. “Théologique” n’est
pas nécessairement synonyme de “dogmatique”.
»
Désormais, ce ne sont plus les
membres de la Fraternité qui avancent cet argument de la pastoralité, c’est l’un des
plus éminents doyens de faculté romaine.
De même, le professeur d’ecclésiologie
ne veut pas trop opposer Concile et
postconcile. Selon lui, l’un nourrit effectivement
l’autre, par ses manques, par ses brèches,
par ses ambiguïtés, par ce qui serait
contraire au Magistère antérieur :
« Si l’on
a parlé d’esprit conciliaire, ce n’est pas un
hasard. Le concile l’avait diffusé à pleines
mains avec sa confiance dans l’homme et
dans le progrès ; avec son attention à l’expérimentation
sociale, politique et culturelle
[…], avec son invitation à dialoguer et
à collaborer tous azimuts avec un monde à
la mesure de l’homme ; avec son irénisme
ouvert au monde et son bruissement frondeur
; avec un silence imposé à tous les
oiseaux de malheur.»
Dès lors, Mgr Gherardini se lance dans
une étude poussée des célèbres textes relatifs
à la liturgie (Sacrosanctum Concilium),
la liberté religieuse (Dignitatis Humanae),
l’oecuménisme (Unitatis Redintegratio) et à
la définition de l’Église (Lumen Gentium).
Le doyen ne fait pas ici un procès. Il
insiste sur ce qu’il considère comme les
apports essentiels de Vatican II et même
sur ce qu’il estime être les bienfaits de
certaines constitutions comme Lumen
Gentium. Il relève cependant le rôle particulièrement
dévastateur d’experts, aux premiers
rangs desquels il cite Karl Rahner,
qui ont porté ce qu’il appelle les « aspirations
révolutionnaires de Vatican II ».
La conclusion est claire : l’Église ne peut
se satisfaire de la flagrante contradiction
des textes magistériels. Le pape doit
programmer des colloques et ouvrir une
grande étude du Concile afin d’en donner
une lecture conforme à la vraie notion
de Tradition, que lui-même prend bien le
soin de préciser en se référant à la définition
de saint Vincent de Lérins.
Silence sur la résistance existante
L’ouvrage est court, mais les dizaines de
pages historiques et théologiques relatives
au Concile et au postconcile ne parlent
jamais du Coetus Internationalis Patrum
ou de la Fraternité Saint-Pie X. Le nom de
Mgr Lefebvre n’est pas cité une seule fois.
Un esprit soucieux de justice pourrait se
formaliser de telles absences. A quelque
endroit, le lecteur pourrait presque sentir
un désaveu, notamment lorsque l’auteur
fait allusion à l’aspect polémique de certaines
publications du Courrier de Rome,
qui sont notoirement connues pour être
tenues par un éminent membre de l’oeuvre
d’Écône. Néanmoins, cette distance
demeure une posture et le silence cache,
me semble-t-il, les éloges que le théologien,
certain que nous défendons la vérité plutôt
qu’une cause particulière, n’a pas voulu
publiquement conférer. Son appel doit
également toucher ceux qui se seraient
déjà braqués à l’égard d’une fraternité
valeureuse mais officiellement condamnée.
Une habile allusion apparaît d’ailleurs
comme un clin d’oeil pour le lecteur
averti. Dans le chapitre relatif à la liturgie,
l’une des références auxquelles recoure
le théologien est l’ouvrage d’un certain
« D. Bonneterre », publié aux « éditions
Fideliter » en 1980…
Car la démarche de Mgr Gherardini, si
elle ne prend pas de front Vatican II, et
si, par conséquent, elle s’affranchit d’une
certaine manière de celle de la Fraternité
Saint-Pie X, aboutit aux mêmes conclusions
: face à un concile qu’il n’est possible
ni d’annuler, ni de réduire facilement
au rang de conciliabule, il est nécessaire
que Rome se réapproprie son autorité
doctrinale pour préciser, définir, voire
condamner. À ce texte, il faut que l’autorité
de l’Église apporte des notae previae – en l’occurrence posteriorae – qui seront comme des arcs-boutants venant soutenir
le déséquilibre d’une voûte paraissant
clairement s’écrouler dans un sens obvie.
Dans sa supplique, assuré du désamorçage
du caractère dogmatique de Vatican II,
Mgr Gherardini réclame d’ailleurs la franchise
face à la contradiction qui affleure
partout :
« Dans le cas où, tout ou en partie,
cette continuité ne pourra être scientifiquement
prouvée, il serait nécessaire de le
dire avec sérénité et franchise, en réponse à
l’exigence de clarté attendue depuis presque
un demi-siècle. »
Dans sa préface au
livre, Mgr Mario Oliveri, évêque d’Albenga-
Imperia, près de Gênes, corrobore
ces propos :
« […] Si d’une herméneutique
théologique catholique, il ressortait
que tels ou tels passages et affirmations du
concile ne disent pas seulement nove [la
même chose, dite d’une nouvelle façon]
mais aussi nova [des choses différentes] par
rapport à la Tradition pérenne de l’Église,
on ne se trouverait plus devant un développement
homogène du Magistère : on
aurait là un enseignement non irréformable,
et certainement pas infaillible.»
Mgr Marcel Lefebvre
En 1987, Mgr Lefebvre avait déjà, dans
un entretien, réclamé qu’on mette à jour
ces contradictions, voire ces erreurs. On
lui posait alors cette question :
« […] la
seule solution du « cas » Lefebvre que
vous puissiez accepter, semblerait être un
désaveu public de Vatican II par le souverain
pontife. Mais, est-ce que vous voyez
le pape, un dimanche matin, se montrer
place Saint-Pierre et annoncer aux fidèles
qu’après plus de vingt ans, il s’est avéré que
le concile s’est trompé et qu’il faut abolir
au moins deux décrets votés par la majorité
des Pères et approuvés par un pape ? »
Et il répondit :
« Allons donc ! A Rome,
on saurait bien trouver une modalité plus
discrète… Le pape pourrait affirmer avec
autorité que quelques textes de Vatican II
ont besoin d’être mieux interprétés à la
lumière de la Tradition, de sorte qu’il
devient nécessaire de changer quelques
phrases, pour les rendre plus conformes
au Magistère des papes précédents. Il faudrait
qu’on dise clairement que l’erreur ne
peut être que “tolérée”, mais qu’elle ne peut
avoir de “droits” ; et que l’État neutre au
plan religieux ne peut, ni ne doit exister.»
A la fin du mois de janvier, Mgr Babini,
évêque émérite de Grosseto, n’hésitait pas à
rendre un hommage au fondateur d’Écône :
« Mgr Lefebvre sur ses choix idéologiques
avait raison. Ce fût certainement un grand
et sage homme d’Église que j’ai toujours
aimé. Les “lefebvristes” ne sont en rien schismatiques.
Jean-Paul II se vit obligé de les
excommunier, mais il le fit avec les larmes
aux yeux. Mais je le répète, si seulement il y
avait eu dans l’Église catholique aujourd’hui
si progressiste des hommes sérieux et courageux
comme ce grand homme que fut
Mgr Lefebvre… dont la mémoire est en
train d’être réévaluée ! Il suffit de considérer
ceux qui sortent de ses séminaires, prêtres
bien préparés, courageux, alors que des
nôtres souvent vides, ce n’est pas toujours ce
qui sort !»
Perspectives...
La simple ouverture des colloques doctrinaux
et l’acceptation de discuter le
concile ont, semble-t-il, délié des langues
et ragaillardi des avis occultés. La tentation
face à ces paroles aussi éminentes que rares,
qui ébranlent le tabou d’un concile divinisé,
serait aujourd’hui de reposer la croix que
nous a confiée Notre-Seigneur.
Le Christ
lui-même aurait finalement pu interrompre
son chemin vers le Golgotha dès la première
chute. Mais, avant que ces prises de position
soient partagées par les autorités de l’Église,
rappelons-nous qu’elles sont le fruit de l’exigence
de ceux qui nous ont précédés. Que
resterait-il actuellement, si nous nous étions
satisfaits des maigres compromis liturgiques
que constituaient les indults il y a vingt
ans ?
Côme Prévigny, agrégé de l'Université
Extrait de Fideliter n° 194 de mars-avril 2010
« Le principe de la “Tradition vivante” n’a
pas été l’objet de discussions. Pourtant, il est
susceptible d’ouvrir la voie à un gauchissement
du dépôt sacré des vérités contenues
dans la Tradition.
Dans une ambiance comme celle qui
régnait pendant et après Vatican II, quand
seul ce qui était nouveau apparaissait
comme vrai, et quand ce nouveau se présentait
sous les traits de la culture immanentiste
et fondamentalement athée de notre temps,
la doctrine de toujours ne constituait plus
qu’un vaste cimetière.
La Tradition est restée mortellement
blessée et elle agonise aujourd’hui (à moins
qu’elle ne soit déjà morte) à la suite de
positions radicalement inconciliables avec
son passé. Il ne suffit donc pas de la définir
comme vivante, si elle n’a plus rien de
vivant. » (Brunero Gherardini)
Rome et la FSSPX : sanctions, indults, Motu proprio, levée des excommunications, discussions doctrinales...
La Porte Latine a fait la recension de plus de 1 600 textes concernant la crise de l'Eglise et ses conséquences sur les rapports entre Rome et la FSSPX.On peut prendre connaissance de l'ensemble ICI
Carte de France des écoles catholiques de Tradition
La Porte Latine vous propose la carte de France des écoles de Tradition sur laquelle figurent les écoles de garçons, de filles et les écoles mixtes. Sont mentionnées les écoles de la FSSPX et des communautés amiesVoir ICI
Intentions de la Croisade Eucharistique pour 2019
La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X se propose de reconstituer en son sein une Croisade Eucharistique des Enfants, restaurant ainsi ce qui fût autrefois une oeuvre impressionnante tant par sa mobilisation que par son rayonnement spirituel.Tous les renseignements sur la Croisade ICI