Un texte de François Lemoine
Les tentatives de « minimisation » : signe avant-coureur de la « réforme de la réforme » ?
I. Depuis le début de l’année 2000 – 2001, et, plus encore, depuis le début de la deuxième moitié de la présente décennie, concomitamment au commencement du pontificat de Benoît XVI, une nouvelle vision des choses, que l’on qualifiera ici de minimisatrice de la nature et de la gravité de la rupture conciliaire, a commencé à s’exprimer, au sein du catholicisme, à travers un certain nombre de déclarations épiscopales et de publications périodiques.
1. En substance, cette vision des choses, qu’il serait excessif et injuste de qualifier de négationniste, mais qu’il n’est pas caricatural ni disproportionné de qualifier de relativiste et de révisionniste, traduit à peu près le courant de pensée, l’état d’esprit suivant :
Le Concile, le Concile Vatican II, le deuxième Concile du Vatican, n’aurait été, ne serait qu’un élément, dans l’histoire de l’Eglise, qu’une étape, dans la Tradition de l’Eglise, en quelque sorte, un point de suture, non un lieu de rupture, un point de passage de l’avant vers l’après, non un lieu de barrage de l’avant par l’après.
2. Cette vision des choses se veut réconciliatrice, en puissance, voire en acte, des deux principales tendances caractéristiques du catholicisme français :
- la tendance catholique conciliaire (1) modernisatrice prenant appui, pour sa part, sur le Renouveau catholique conciliaire inauguré par le Concile Vatican II, en matière doctrinale, en matière liturgique, en matière pastorale,
- la tendance catholique non conciliaire (2) traditionaliste prenant appui, quant à elle, sur la Tradition catholique non conciliaire (au sens de : antérieure à et différente du Concile Vatican II) réaffermie, réaffirmée par le Concile de Trente, et par l’ensemble des souverains pontifes qui se sont succédés, jusqu’à Pie XII inclus, mais aussi, uniquement par intermittences, par Paul VI et par Jean Paul II, dans quelques textes majeurs que ne prisent guère les catholiques conciliaires.
3. Imaginons un seul instant qu’une possibilité de réconciliation commence à s’amorcer, en se fondant sur une telle vision des choses, prônant « une réforme de la réforme », « une synthèse entre les tendances ».
Une tentative de « maquillage » des échecs les plus patents de vatican II
I I. Je crains fort que si cette perspective prend corps, elle ne le fasse au prix d’un contournement, d’un évitement, d’une véritable amnésie collective, à propos des origines et des conséquences du Concile…
1. Relisons les discours de Jean XXIII, à commencer par celui du 11 octobre 1962, ceux de Paul VI, à commencer par celui du 7 décembre 1965 (3) : ils constituent une première réponse à tous ceux qui nous disent, ou bien que le Concile n’a pas été une rupture, ou bien qu’il n’a été une rupture que sur l’accessoire, la forme, et non sur l’essentiel, le fond, ou bien encore qu’il n’a pas été une rupture voulue, intentionnelle, formalisée, en tant que telle par les pontifes du Concile, mais une rupture subie, accidentelle, réalisée, improprement, par les effets, les excès des années 1960 et 1970…
2. Relisons les constitutions et déclarations conciliaires, à commencer par Gaudium et Spes, Unitatis Redintegratio, Nostra aetate, Dignitatis Humanae Personae : ils constituent une deuxième réponse à à tous ceux qui nous disent qu’il est inexact et infondé de dire qu’au Concile l’Eglise a proclamé toute sa confiance et son estime
- en l’homme et dans le monde modernes,
- dans les confessions chrétiennes non catholiques,
- dans les religions non chrétiennes,
- dans l’aptitude et l’aspiration de l’individu à chercher, puis à trouver, la vérité, si possible, dans le Christ, si nécessaire, sans le Christ, sans renoncer à la moindre parcelle de sa dignité, de sa liberté, de sa sensibilité, de sa subjectivité, considérées comme légitimes a priori, et ce quelle que soit l’orientation et la signification de l’option qu’exercent sa conscience et sa personne, en matière de religion.
3. Relisons la première lettre encyclique de Paul VI, véritable discours – programme, Ecclesiam Suam, celle dans laquelle il affirme, au détour d’une phrase, que désormais, il n’y a plus d’hérésies, ses audiences pontificales, ses discours hebdomadaires, relisons tous ces textes, qui montrent la très grande cohérence doctrinale, mais aussi la très grande inconséquence pastorale, de celui qui a été, bien plus que Jean XXII, à la fois le pape du Concile et le premier pape de l’après-Concile.
4. Au contact de ses messages, à travers ses paroles, qui ne voit que « l’intuition prophétique » s’est transformée en casse – tête chinois, puis en chemin de Croix, pour quelqu’un qui a fait montre d’un aveuglement et d’un entêtement gravissimes ?
5. Les théologiens, les ecclésiastiques qui, (pour quelques uns, dès le début des années 1930, pour la plupart, après 1945, et plus encore après 1950), ont voulu le Concile, ont eu l’ambition de garder le bébé en changeant l’eau du bain ; qui ne voit aujourd’hui qu’ils ont jeté le bébé avec l’eau du bain ?
6.1. Qu’ont-ils imposé aux ministres et aux fidèles, à partir de la mise en forme puis en œuvre du Concile ? Une vision de la mission de l’Eglise à front renversé : désormais,
- ce ne serait plus à l’Eglise d’exhorter les pécheurs à se convertir,
- ce serait à l’Eglise d’exhorter les catholiques à converger vers les pécheurs, à reconnaître les richesses présentes en eux, à les considérer comme ils sont et à leur dire combien ils ont raison de l’être, à approfondir, à renouveler leur foi, en dialoguant autrement avec eux, non plus dans et par la prière chrétienne, dans et par la vie chrétienne, mais en convergeant, pour toujours plus d’unité dans la charité, au spirituel, pour toujours plus de justice et de progrès, au temporel, si possible, dans le Christ, si nécessaire, sans le Christ, en bon accord et en direction des hommes et des femmes de ce temps, et de leurs aspirations immanentes les plus légitimes, à commencer par l’aspiration universelle au bien être terrestre (4).
6.2. Des catholiques attardés, complexés, inhibés, par leur appartenance à une Eglise catholique empoussiérée, ayant pris un train de retard, sur le plan intellectuel comme sur le plan existentiel, dans l’ordre de la Foi comme dans celui des moeurs, par rapport à un environnement civilisationnel, jugé non plus hostile au christianisme, mais implicitement, indirectement, anonymement animé et inspiré par un ensemble de valeurs, certes purement humaines, mais quasiment chrétiennes : voilà comment bien des experts, bien des pères du Concile ont jugé la maison de Dieu et le peuple de Dieu, un peu en amont, un peu plus au moment, et beaucoup plus en aval du Concile.
Le Concile a bien été une rupture
I I I. Au demeurant, c’est bien parce que le Concile a été une rupture, que tous les rappels à l’ordre doctrinaux effectués, reconnaissons le, par le Pape Paul VI, entre 1965 et 1968, ont été perçus à l’époque, par la majorité des catholiques conciliaires, comme parfaitement « contracycliques », comme tout à fait contradictoires avec le dispositif conciliaire, avec la plate-forme conciliaire.
1. On citera ici Mysterium Fidei, Sacerdotalis Coelibatus, la Profession de Foi de Pierre, Humanae Vitae, textes dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont étrangers, extérieurs, à la tournure mentale adogmatique – oecuménique qui est celle des qautre textes du Concile les plus représentatifs et significatifs de l’esprit du Concile.
2. Par ailleurs, si le Concile n’a pas été une rupture, il faudra que l’on m’explique pourquoi Jean-Paul II, dans la quasi totalité de ses textes, se réfère autant au Magistère de Jean XXIII et de Paul VI, aux constitutions et déclarations conciliaires, et si peu aux encycliques antérieures à 1959.
La rupture n’en serait pas une, mais tout indique que, dans l’esprit de Jean – Paul II, le Magistère antérieur au Concile est devenu quasiment sans valeur, le renouveau conciliaire étant à la fois pleinement refondateur sur le plan doctrinal et pleinement réformateur sur le plan pastoral, incarnation et instauration d’une nouvelle Pentecôte.
3. Certes, la preuve incontestable de la nature et de la gravité de la rupture conciliaire réside dans l’imposition au clergé et aux laics de la nouvelle messe, dont on ne dira jamais assez qu’elle témoigne d’une double utopie, en rupture complète avec la Tradition, dans ce domaine si essentiel :
a. rupture dans les modalités du rite, qu’il s’agissent des modalités gestuelles et verbales, ou des modalités linguistiques et symboliques ;
b. rupture dans la finalité du rite, puisqu’il ne s’agit plus, avant tout, de renouveler, d’une manière non sanglante, le sacrifice de Notre Seigneur Jésus Christ, mais, avant tout, de communier ensemble autour, d’une liturgie de la parole et d’une liturgie du pain et du vin, auxquelles les célébrants donnent le plus souvent une orientation et une signification purement immanentes.
4. Mais le plus grave n’est pas là, le plus grave réside dans le changement de portance conceptuelle et doctrinale qui a présidé à l’ensemble de la rupture conciliaire : en substance, l’on est alors passé :
- d’un catholicisme n’hésitant pas, et insistant même, « pour dire son fait » au monde moderne, à exhorter les pécheurs à se convertir à Jésus – Christ,
- à un catholicisme consciencieusement et scrupuleusement reconnaissant face à la créativité, la générosité, la spontanéité de l’homme moderne, en ce qui concerne son aptitude et son aspiration à créer des valeurs d’inspiration humaniste dans le monde moderne, à travers les Droits de l’Homme.
5. Que n’a t on dit sur les Droits de l’Homme ! Il ne s’agit pas ici d’en contester le bien – fondé théorique (5), il suffit de préciser ou de rappeler que les Droits de l’Homme, dans leur conception moderne, se sont construits, d’abord contre, ensuite sans la présence et l’action de Dieu dans la cité, dans la sphère publique des sociétés.
6. Au demeurant, après voulu incorporer, aux Droits de l’Homme sans le Christ, une clause de réorientation, en direction de l’agir et de l’être de l’homme dans le Christ, Jean- Paul II, à partir du début de la deuxième partie de son pontificat, a enfin montré qu’il avait compris que les Droits de l’Homme, au grand désespoir, impuissant, silencieux, de quelques libéraux classiques, sont engagés le long d’une pente qui est celle de la juridicisation de l’assouvissement des désirs les plus égoistes, et non de l’accomplissement des devoirs les plus élévateurs de la conscience et de la personne humaines.
7. Or, pour s’être faite promotrice et protectrice des Droits de l’Homme, l’Eglise catholique, depuis la rupture conciliaire, s’est exposée au risque de n’être pas comprise, ni approuvée, voire d’être prise en flagrant délit de contradiction ou d’équivoque, à chaque fois qu’elle hausse le ton, localement, ponctuellement, sur telle ou telle question, englobante ou sectorielle, question qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « de société ».
8. a . Là est le plus grave, depuis la rupture conciliaire : l’Eglise catholique est aujourd’hui piégée, parce que le vaccin qu’elle a voulu s’injecter s’est transformé en venin : avec quel effet, avec quel impact concret, un souverain pontife condamnerait – il, aujourd’hui, ex cathedra, telle ou telle manifestation d’anarchie, d’anomie, de libertarisme, dans quelque domaine que ce soit, à partir du moment où les individus qui s’y livrent ont parfaitement conscience du fait qu’à leurs yeux, qu’aux yeux de leurs complices, de leurs victimes, et de l’Etat, il en ont le droit, ils y ont le droit ?
8. b. Qui ne voit qu’à partir du moment où l’Eglise s’est ralliée à la conception moderne des Droits de l’Homme, elle s’est aussi ralliée à un ordre juridique qui s’est bâti contre, puis sans, la moindre exigence de loi naturelle, contre, puis sans, la moindre référence à la loi naturelle ? Et qui ne voit que c’est justement ce qu’ont voulu les experts et les pères du Concile (cf Gaudium et Spes), sans en mesurer toutes les conséquences ?
Il y a bien eu « interruption » et non « continuation » !
I V. Le plus extraordinaire, dans cette affaire, tient en ceci : quand un évêque déclare aujourd’hui en public qu’il n’y pas eu une interruption, mais une continuation, dans la liturgie, le magistère, la pastorale de l’Eglise catholique, au moment du Concile, il n’est même pas conscient du fait que cela le fait entrer en contradiction fondamentale :
- avec les propos, sur cette question, de ses prédécesseurs, au moins de ceux des années 1960 et 1970 (A),
- avec les propos qu’il lui arrive de tenir lui-même, mais en privé (B)..
- avec les propos de Benoît XVI, qui reconnaît, lui, à tout le moins, une réforme.
A. L’herméneutique de la continuité, des évêques d’aujourd’hui (6), est en contradiction avec les propos, sur cette question, de leurs prédécesseurs (7), au moins de ceux des années 1960 et 1970.
En effet, on a tendance à l’oublier, mais, dans un premier temps, les évêques ont clamé leur fierté et leur joie d’être les artisans et les partisans de la rupture conciliaire ; il ne leur serait pas venu à l’esprit de contester la réalité de l’ampleur et de la portée de la rupture, à laquelle ils adhéraient de tout leur cœur, non d’un cœur resté lucide sur les hommes et sur le monde, mais d’un cœur devenu aveugle, face au péché des hommes et du monde.
1. Au demeurant, cet aveuglement, coupable en lui-même, quand on a charge d’âmes, aurait très bien pu s’estomper, au contact de la crise de la transmission qui s’est manifestée dans toute sa splendeur, à partir de 1968, et dont on ne dira jamais assez qu’elle concerne l’Ecole et l’Eglise.
2. Mais l’aveuglement, l” »errare humanum est, » des années 1960, s’est converti en entêtement, en « perseverare diabolicum » des années 1970, quand il s’est agi d’appliquer, c’est-à-dire d’imposer, la « réforme » de la liturgie, de mettre en place les sessions de recyclage intellectuel des prêtres, aux couleurs du freudo-marxisme, et d’inciter vivement les fidèles à militer en politique, pour bâtir un monde de bonheur, de justice et de progrès.
3. Il y a toute une histoire intérieure du catholicisme contemporain, et en particulier, du catholicisme français, à rappeler ici : en particulier, à qui fera-t-on croire que des évêques qui, quelques années plus tôt, disaient encore leur messe en latin, et qui quelques années plus tard, laissaient les militants entonner l’Internationale, aux réunions de la JOC, n’ont pas été les victimes, mais consentantes, en l’occurrence, d’une rupture sans précédent, d’une rupture dont on cherche en vain le moindre comparable, le moindre équivalent, dans l’histoire de l’Eglise ?
4. Ces évêques, pour la plupart, ne connaissaient pas grand-chose, sur la réalité du communisme, telle qu’elle s’imposait alors, d’une manière criminelle et dramatique, à des centaines de millions d’êtres humains, mais personne ne les empêchait de bien s’informer. Auraient ils contesté l’assertion, si on leur avait dit alors qu’ils avaient bien raison de confondre ainsi pastorale tournée vers le peuple et pastorale tournée vers la gauche, à la suite de leurs prédécesseurs d’avant le Concile ?
5. Bien sûr que oui ! Ils auraient répondu qu’ils avaient bien raison de le faire, mais qu’ils avaient d’autant plus raison de le faire, qu’ils le faisaient, non à la suite de leurs prédécesseurs d’avant le Concile, mais à la suite du Concile lui même, qui leur avait enfin ouvert les yeux sur le sens de leur mission de promotion, non de la cause de Dieu en l’Homme, mais de la cause de l’Homme dans le monde !
6. Or, quelle a été la portance conceptuelle et doctrinale qui a constitué pour eux une inépuisable instance de légitimation de leur conversion à un esprit qu’ils croyaient être l’esprit du monde, et à un esprit du monde qu’ils croyaient être inspiré par Dieu, puisque l’homme et le monde moderne, apparemment, s’en inspiraient, sinon la constitution pastorale Gaudium et Spes, constitution relative à l’homme et au monde moderne ?
B. L’herméneutique de la continuité, des évêques d’aujourd’hui, est en contradiction avec les constats, les propos, qu’ils expriment et formulent, eux-mêmes, mais en privé. En effet, on a également tendance à l’oublier, mais les évêques, mêmes formés et contraints, par une certaine langue de buis typiquement conciliaire, qui fait penser irrésistiblement à un ethnocentrisme microcosmique, complètement déconnecté de la mollesse des hommes et de la dureté du monde de ce temps, sont aussi des êtres humains, qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une conscience pour réfléchir. Ils n’ont que trop conscience, espérons-le pour eux, de ceci :
1. Décidément, quarante ans après la clôture du Concile, « cela ne marche toujours pas », dans une situation intra – ecclésiale de diminution du nombre des prêtres et d’accélération du vieillissement du clergé, notamment diocésain.
2. Les communautés familiales et paroissiales ne sont plus capables, ni surtout désireuses ou soucieuses, de susciter en leur sein des vocations religieuses, des vocations au sacerdoce, les bons prêtres, les saints prêtres dont nous avons besoin.
3. Après avoir eux mêmes marginalisé, ridiculisé, ringardisé, stigmatisé, au sein même de l’Eglise catholique, les catholiques traditionalistes, eux mêmes, qui ont la charge des catholiques modernisateurs, sont à leur tour marginalisés, ridiculisés, ringardisés, stigmatisés, par « l’Eglise cathodique », par les médias audio – visuels. C’est surtout le cas quand ils prennent, presque contraints et forcés, presque malgré eux, des positions publiques qui vont à l’encontre de la pente actuelle, placée sous le signe de la permissivité généralisée.
4. Ils sont désormais devenus les gestionnaires du déclin, du fait qu’ils sont les interprètes d’une partition qui est pour eux contre nature, puisqu’elle consiste à leur faire dire à tout non catholique » comme vous avez raison, puisque le Christ est présent en vous, quoi que vous pensiez, disiez ou fassiez, et que vous êtes d’ores et déjà pardonné et racheté. » A ce jeu là, ils jouent un rôle, il faut bien le dire, extraordinairement démobilisateur, pour les évêques, mais aussi pour les parents, et surtout pour les prêtres qui leur sont confiés.
5. Ils sont désormais confrontés à un environnement confessionnel concurrentiel, les charismatiques, les évangéliques, les musulmans, les bouddhistes leur prenant, littéralement, des parts de marché, parts de marché qu’ils sont bien obligés de leur laisser, en bons serviteurs et prisonniers d’une vision selon laquelle les éléments de vérité sont présents dans toutes les religions, les éléments de légitimité sont présents dans toutes les formes de sensibilité, de subjectivité, de sapientialité, de spiritualité.
6. Or, quelle a été la portance conceptuelle et doctrinale qui a constitué pour eux une inépuisable instance de légitimation de leur conversion à un ecclésiologie consensualiste, qu’ils ont considérée comme enfin charitable et fraternelle, comme enfin altruiste et généreuse, comme enfin bienveillante et bienfaisante, et qui s’est avérée animée par l’angélisme, inspirée par l’irénisme, sinon le triptyque Unitatis Redintegratio, Nostra Aetate, Dignitatis Humane Personae, véritable magna carta d’une institution qui s’écoute et se regarde en train de renoncer à sa spécificité, à sa supériorité ?
Quelques questions aux « minimisateurs » de la rupture conciliaire
V. Au terme de cette lettre ouverte, je ne puis m’empêcher de poser, aux minimisateurs de l’ampleur et de la portée de la rupture conciliaire, les questions suivantes.
1. Quelle connaissance, historique et théorique, exacte et intime, ont-ils vraiment de la supercherie, du tour de passe-passe, qui a consisté à faire passer le Concile pour un ressourcement ecclésial, désormais « communautaire », « évangélique », et non plus « autoritaire et disciplinaire », pour une « authentique restauration » de la « véritable Tradition », au contact « du christianisme des origines » qui a été exhumé par les experts du Concile ?
2. Quelle connaissance ont-ils du fait que, dans les affaires humaines, seules les ruptures clairement assumables peuvent être clairement assumées, et que la rupture conciliaire est en passe de devenir une rupture suicidaire, pour une grande partie de l’Eglise, une source tarie à laquelle on se croit obligé de continuer à puiser ?
3. Qui ne voit que les artisans, les partisans de la rupture conciliaire, qui, dans un premier temps, étaient ravis, voire surpris, d’avoir enfin trouvé le logiciel idéal, l’ont implanté à un ordinateur dont ils ont vidé le disque dur, et dont l’écran risque de continuer à s’éteindre lentement, s’il n’est pas remédié rapidement à une évolution de la situation susceptible de se révéler fatale, mortelle, pour l’institution ecclésiale ?
En l’espèce comme en d’autres, le diagnostic, aussi douloureux soit-il, sera toujours moins douloureux que le traitement, qui n’aura rien d’homéopathique, si l’on veut vraiment se donner la peine de prendre l’antidote au venin évoqué ci-dessus :
- la franchise,
- le dévouement,
- la pureté, dans la Foi comme dans les mœurs, dans le rapport à Dieu, à l’Eglise, au monde, à soi – même et aux autres…
Ni manichéisme, ni angélisme…
VI. Il ne s’agit pas de dire que tout était parfait avant, ni que tout est mauvais depuis :
1. En amont de la convocation puis de l’ouverture du Concile, cela faisait déjà quelques décennies qu’il y avait un éloignement de plus en plus grand entre le magistère pontifical et la pastorale épiscopale ; quels évêques faisaient lire, dans les paroisses, les encycliques de Pie XI, les encycliques et les radio-messages de Pie XII ?
A . La qualité de réception, sur le terrain, de quelques encycliques de Pie XI, ne doit pas faire illusion, car c’est, au plus tard, au début ou au milieu de son pontificat, qu’a commencé à se produire un décrochage intellectuel entre le sommet et la « base de la hiérarchie de l’Eglise. Par exemple, Divini Redemptoris a longtemps et souvent été considérée comme l’encyclique qui avait condamné le communisme, alors que Pie XI l’avait déjà fait dans plusieurs documents de même nature, avant l’année 1937.
B . De même, la dernière partie du pontificat de Pie XII (1955 – 1958) a été synonyme d’une fin de règne difficile, les mérites et le prestige du souverain pontife n’étaient nullement en cause, d’autant plus qu’il a continué à prendre des initiatives doctrinales ou pastorales jusqu’à la fin de sa vie, mais le moins que l’on puisse dire est que « son corps de bataille » adhérait de moins en moins à « son corps de doctrine ». Pour autant, les fondamentaux étaient maintenus, dans toute leur rigueur et dans toute leur vigueur, et ils étaient bien plus équilibrés qu’on ne l’a dit par la suite. On citera ainsi l’équilibre existant entre Divino Afflante Spiritu et Humani Generis, équilibre dont auraient bien fait de s’inspirer davantage les rédacteurs de Dei Verbum…
2. Quant à l’après Concile, il ne peut ni ne doit être considéré comme intégralement préjudiciable au catholicisme contemporain, il est même miraculeux que les murs tiennent encore debout, compte tenu de l’ébranlement subi par les fondations.
A . Sous l’angle de la réaffirmation du dépôt de la foi catholique, on citera ici la Profession de foi de Pierre, sous Paul VI, le Catéchisme de l’Eglise catholique (8), sous Jean Paul II, le Compendium du Catéchisme, sous Benoît XVI.
B . Sous l’angle de la réaffirmation de la morale chrétienne, on citera ici la lettre encyclique Humanae Vitae, sous Paul VI, et la lettre encyclique Evangelium Vitae, sous Jean-Paul II.
Mais voilà :
- d’une part, ces incursions du Renouveau conciliaire au cœur de la Tradition catholique sont ponctuelles,
- d’autre part, elles cohabitent, à l’intérieur du magistère romain, avec des centaines de pages, consacrées aux valeurs et aux vertus du dialogue inter-religieux, facteur de paix entre tous les croyants et tous les humains, notamment sous la plume de Jean – Paul II,
- enfin, elles sont consciencieusement et scrupuleusement passées sous silence par les évêques, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas précisément des adeptes, des apôtres du déploiement de l’étendard, en matière de foi et de mœurs.
« L’union paradoxale des contraires », « l’intuition prophétique », quarante ans après, se manifestent pour ce qu’elles sont, une contradiction fondamentale, une intuition utopique, et il est assez révélateur du religieusement correct que des catholiques modernisateurs se permettent de le dire en privé, mais ne supportent pas que des catholiques traditionalistes le disent en public.
En réalité, il suffirait que quelques évêques courageux prennent à témoins leurs fidèles, et leurs disent : excusez – nous, pardonnez – nous, car nous avons été trompés, par nos prédécesseurs, par leurs /nos théologiens, nous nous sommes trompés, en adhérant à leurs chimères, et nous vous avons trompés, par l’intermédiaire des prêtres que Dieu et l’Eglise nous ont confiés, mais nous sommes, à présent, déterminés à y remédier de toutes nos forces, avec la Grâce de Dieu, contre le péché du monde et pour le salut des hommes…
François Lemoine, ce 11 avril 2007
POST SCRIPTUM 1 : PRECISIONS RENVOYANT AUX NUMEROS FIGURANT DANS LE TEXTE
(1) et (2) : la tendance catholique conciliaire (1) modernisatrice et la tendance catholique non conciliaire (2) traditionaliste. Les catholiques conciliaires modernisateurs sont des adeptes, sans en avoir toujours conscience, de l’évolutionnisme intellectuel, mis en avant par certains auteurs et penseurs libéraux (Friedrich Hayek). Ils ne connaissent pas toujours le mot, mais pratiquent souvent la chose, ce qui explique, en particulier, le caractère indélimité, indéterminé, d’une certaine forme d’historicisme et d’oecuménisme qu’ils appliquent à toutes les religions, sans distinguer entre religion révélée et religions erronées. Les catholiques traditionalistes, à mon sens, sont non conciliaires, et non anti-conciliaires : ainsi, les catholiques traditionalistes n’ont jamais été opposés, par principe, à la réunion du deuxième Concile du Vatican, ni même, à ma connaissance, à la totalité des paragraphes constitutifs de l’édifice conciliaire. Ce qui pose problème, entre autres choses, c’est le refus des catholiques conciliaires modernisateurs de reconnaître :
- le décalage entre les objectifs officiels et les objectifs officieux du Concile,
- le décalage entre les résultats officiels et les résultats effectifs de la mise en œuvre du Concile
- la nécessité de faire remonter l’analyse de l’évolution et de la réalité de la situation, des effets aux causes, des conséquences aux origines, des pratiques à leurs principes.
(3) : Lire sur ce point : Concile œcuménique Vatican II, Discours et Messages de Jean XXIII et de Paul VI, collection Documents conciliaires n ° 6, aux Editions du Centurion.
On y trouvera « le péché conjoncturel » du deuxième Concile du Vatican : l’optimisme.
(4) : C’est une chose de dire qu’un musulman peut être sauvé, par des moyens que Dieu seul connaît, bien qu’il soit musulman, c’en est une toute autre de dire qu’il peut être sauvé, par des moyens que les hommes connaissent : sa participation à l’édification de la paix dans le monde, parce qu’il est musulman ; en substance, le Concile marque le passage de l’une à l’autre, dans Nostra Aetate et dans Dignitatis Humanae Personae.
(5) : Il ne s’agit pas ici de faire le procès des Droits de l’Homme : il s’agit de constater que la dynamique qui leur est propre n’est pas une dynamique d’ordonnancement, par la loi naturelle, mais d’affranchissement, vis-à-vis de celle-ci .
Toute tentative de « christianisation » des Droits de l’Homme repose plus ou moins sur l’idée selon laquelle ceux-ci ont apporté au monde moderne un sens de la dignité et de la liberté de la personne « qui ne peut pas ne pas être », implicitement, indirectement, d’inspiration chrétienne. Cela revient à réduire le christianisme à un personnalisme : or, le christianisme est situé au carrefour, au croisement, du sens de la loi et du sens de la personne. Sacrifier l’une de ses deux dimensions sur l’autel de l’autre revient à sombrer, ou bien dans l’intégrisme fondamentaliste, ou bien dans le progressisme universaliste.
(6) : Il ne s’agit pas ici de tirer à vue sur des individus, ni sur l’institution qu’ils représentent ou dont ils sont responsables, mais sur des comportements qualifiables d’errements et de manquements, approfondis et renouvelés, qui ont fini par « faire système ». Les personnes elles mêmes, aussi coupables soient elles, sont les premières victimes, mais des victimes consentantes, d’un enfermement dans l’équivoque, qui amène à les blâmer mais aussi à les plaindre, car il n’est jamais confortable d’être assis entre deux chaises…
(7) : Que l’on ne se méprenne pas sur le sens du propos : il ne s’agit pas ici de réduire le catholicisme à l’anti-communisme, il s’agit ici de préciser, de rappeler qu’il y a eu un combat, parmi d’autres, mais plus que d’autres, à mener, pendant un siècle, par les hommes d’Eglise, compte tenu de l’ampleur du danger, de la portée du péril, et que ce combat n’a pas été mené, bien au contraire, par ces mêmes hommes, entre 1960 et 1990 ; aujourd’hui, l’ennemi principal est devenu l’hédonisme. Le combattent – ils ? Le combattent ils avec la dernière énergie, avec la plus grande fermeté ; il est permis d’en douter, mais il n’est pas permis, en revanche, de douter de la nécessité de combattre cet ennemi : le service de l’homme passe par sa véritable libération animée, inspirée par Dieu, et non par sa fallacieuse libération, orientée par l’esprit du monde, matérialiste. Or, l’impression de douter de cette nécessité est précisément l’impression que donnent souvent les hommes d’Eglise ; voilà ce qui arrive, quand on juge les hommes et le monde, la vie des hommes et l’esprit du monde, meilleurs qu’ils ne le sont…
(8) : Le Catéchisme de l’Eglise catholique est, certes, une tentative de conciliation, entre une forme classique et un fond moderne, adossée au corpus conciliaire. Mais il est aussi une explicitation de la spécificité de la foi catholique et des mœurs chrétiennes :
- type d’entreprise qu’ont bien voulu les commissions qui ont préparé, rédigé, les schémas doctrinaux pré-conciliaires, ceux qui ont connu et subi le triste sort que l’on connaît,
- type d’exercice dont n’ont voulu, en leur temps, ni les experts ni les pères du Concile. Au surplus, sans ce Catéchisme, qui est mieux et plus qu’un simple « Catéchisme du Concile du Vatican », il n’y aurait eu pas la lettre encyclique Veritatis Splendor de Jean Paul II, dont la connaissance et la compréhension sont indispensables à celles de la morale chrétienne, et il n’y aurait pas eu non plus le Compendium du Catéchisme de Benoît XVI. Quel gâchis, mais non quel hasard, que les évêques, dans leur ensemble, en parlent si peu ; il est vrai que ces textes ne sont guère conformes avec « l’élan », « le souffle » du Concile, tel que l’entendent, précisément, les évêques, en France, dans leur majorité.
POST SCRIPTUM 2 quelques propos, sur d’autres catholiques, non conciliaires, sur d’autres conciliaires, non catholiques…
Les catholiques traditionalistes ne sont pas les seuls à pouvoir être qualifiés de catholiques non conciliaires, pour les raisons évoquées au début de ce texte.
Les catholiques charismatiques peuvent eux aussi être qualifiés de catholiques non conciliaires, dans la mesure où leurs représentants, leurs responsables, se gardent bien, le plus souvent, de se positionner, publiquement, par rapport à tel ou tel élément du Concile.
Il existe par ailleurs un courant de pensée, régulièrement médiatisé, qui peut à bon droit être qualifié de conciliaire non catholique : ce courant de pensée prend appui sur une extrêmisation, affichée et assumée, de l’esprit et de la lettre des déclarations conciliaires, et revendique bel et bien le Concile, en tant que rupture radicale, post catholique néo chrétienne ; ce courant de pensée est incarné, entre autres, par Hans KUNG.
Qu’est ce que cela montre ? Qu’est ce que cela prouve ? Tout d’abord, que le Concile a fonctionné comme une grenade à fragmentation, qui aurait été lancée puis aurait explosée, au sein même du corps mystique du Christ ; c’est quand même embarrassant, préoccupant, un Concile dont la mise en forme et la mise en œuvre n’aboutissent pas à une fédération des énergies, mais, au contraire, à leur éclatement Ensuite, que la notion de sensibilité subjective s’est substituée à la notion d’intelligence objective de la Foi, en tant que criterium de celle-ci.
Or, qui ne voit que ce sont les déclarations conciliaires les plus emblématiques et symptômatiques de l’esprit du Concile qui ont ouvert la voie à cette substitution ? Enfin, que le passage de quelques auteurs à coloration conciliaire, de quelques penseurs à tonalité conciliaire, au-delà des limites de la communion avec l’Eglise catholique, avec le Siège apostolique, pose bien le problème de la validité de telle ou telle vision du Concile.
Si l’interprétation modernisatrice de la rupture conciliaire est erronée, pourquoi a‑t-elle pignon sur rue, à la tête de la plupart des diocèses, et, si elle est bien fondée, pourquoi applique t on le « jusqu’ici, mas pas plus loin », avec ceux qui se contentent d’aller jusqu’au bout de la logique humanitariste – universaliste qui sous tend cette rupture et cette vision ?
Si l’interprétation traditionaliste de la rupture conciliaire est erronée, pourquoi Mgr Ratzinguer a‑t-il écrit ce qu’il a écrit dans Entretiens sur la Foi, en 1985, dans Dominus Iesus, en 2000, et, si elle est bien fondée, pourquoi s’interdit t on de dénoncer les origines conciliaires de ce que l’on déplore, dans le cadre des conséquences post-conciliaires ?
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’herméneutique de la minimisation, la vision centriste des choses, celle selon laquelle il n’y aurait pas interruption, mais continuation, à travers le Concile, ne repose sur aucune visée théorique, et ne débouche sur aucune portée pratique. Dans le meilleur des cas, on réconciliera les catholiques Français sur un diagnostic partagé, sur un constat portant sur la rupture conciliaire, (en tant que fait historique, voulu, puis subi, par les acteurs), sinon sur des conclusions partagées, quant aux remèdes à la situation, non sur un contournement, un évitement de la question, au moyen d’une herméneutique de la continuation, absolument sans fondement, vision lénifiante à laquelle même Benoît XVI se garde bien de souscrire, puisqu’il parle, lui, de réforme, ultérieure, mais, selon lui, non attribuable, au Concile.