La Fraternité n’est pas une armée dressée contre Rome, mais une armée formée pour l’Église

« Je ne sais où en sera la situa­tion au moment de la publi­ca­tion de ce Seignadou, mais je pense qu’il n’est pas inutile de réflé­chir ensemble sur les évé­ne­ments actuels. Je ne parle pas de cette mas­ca­rade « répu­bli­caine » qui nous assomme, mais de nos rela­tions avec Rome. Quelqu’un m’a fait suivre récem­ment un texte agré­men­té de cette inter­pel­la­tion : « Quand donc reviendrons-​nous aux fon­da­men­taux de la Fraternité ? Quand donc aurons-​nous l’humilité de res­pec­ter l’héritage de son fon­da­teur ? » Je crois connaître un peu la Fraternité – dont je suis membre depuis 35 années – et avoir donc le droit de rap­pe­ler à tous que nos « fon­da­men­taux » sont gra­vés en lettres d’or dans nos sta­tuts : « Le but de la Fraternité est le sacer­doce et tout ce qui s’y rap­porte et rien que ce qui le concerne, c’est-à-dire tel que Notre Seigneur Jésus-​Christ l’a vou­lu lorsqu’il a dit : Faites ceci en mémoire de moi. » Tel est l’héritage de notre fon­da­teur, tels sont nos « fon­da­men­taux » ; nous n’en avons pas d’autres, et ne vou­lons pas en avoir d’autres. La Fraternité n’est pas une armée dres­sée contre Rome, mais une armée for­mée pour l’Église.

Ensuite, il est fait allu­sion au refus de Mgr Lefebvre de pour­suivre sur la voie d’un accord en 1988. Et l’on me cite Mgr Lefebvre : « Avec le pro­to­cole du 5 mai [1988] nous aurions été bien­tôt morts. Nous n’aurions pas duré un an… »… tout ceci, bien sûr, pour nous mettre en garde et nous invi­ter à refu­ser toute offre romaine, ce que nous devrions faire « sous peine de mort ».

Un autre écho me par­vient encore : « Il se passe à Rome des choses graves, très graves… mais je ne peux pas vous en dire davan­tage ! » Me voi­ci donc bien avancé !

Alors, essayons de rai­son gar­der. Pour ce faire, il sera bon de nous remé­mo­rer un peu les évè­ne­ments de 1988. Après avoir signé un pro­to­cole d’accord le 5 mai (qui n’était pas encore un accord mais était quand même un texte très impar­fait et même dan­ge­reux, qui n’a pas lais­sé dor­mir en paix Mgr Lefebvre), Monseigneur a écrit le matin du 6 mai une lettre au car­di­nal Ratzinger, non pas pour reve­nir sur sa signa­ture (« Hier, c’est avec une réelle satis­fac­tion que j’ai appo­sé ma signa­ture au pro­to­cole éla­bo­ré les jours pré­cé­dents Mais, vous avez vous-​même consta­té une pro­fonde décep­tion à la lec­ture de la lettre que vous m’avez remise m’apportant la réponse du Saint-​Père au sujet de la consé­cra­tion épis­co­pale »)mais pour deman­der ins­tam­ment que cette consé­cra­tion puisse avoir lieu le 30 juin, afin d’être cer­tain d’avoir un évêque pour conti­nuer son œuvre. Cette lettre du 6 mai traite entiè­re­ment et uni­que­ment de ce seul point :« Si la réponse était néga­tive, je me ver­rais, en conscience, obli­gé de pro­cé­der à la consé­cra­tion, m’appuyant sur l’agrément don­né par le Saint-​Siège dans le pro­to­cole pour la consé­cra­tion d’un évêque membre de la Fraternité. » Ce n’est donc pas sur une ques­tion doc­tri­nale, ni sur celle du sta­tut offert à la Fraternité, mais sur la date de la consé­cra­tion de l’évêque accor­dé, que le pro­ces­sus s’est arrê­té. Et il est à noter que la rup­ture des rela­tions a été déci­dée alors, non par Mgr Lefebvre, mais par le car­di­nal Ratzinger qui a refu­sé cette consé­cra­tion épis­co­pale du 30 juin.

Si, effec­ti­ve­ment, Mgr Lefebvre avait accep­té que le pro­to­cole du 5 mai ne soit pas sui­vi de cette consé­cra­tion épis­co­pale, alors oui « avec le pro­to­cole du 5 mai nous aurions été bien­tôt morts. Nous n’aurions pas duré un an… », car sans évêque, nous aurions été livrés aux bons (ou mau­vais) vou­loirs de Rome et des évêques.

Depuis notre jubi­lé de l’an 2000, Rome a pris l’initiative de nou­velles rela­tions. Aujourd’hui, le même car­di­nal deve­nu Pape nous a dit que la Messe tri­den­tine n’a jamais été abro­gée (7 juillet 2007 : « Il est donc per­mis de célé­brer le Sacrifice de la Messe sui­vant l’édition type du Missel romain pro­mul­guée par le Bhrx Jean XXIII en 1962 et jamais abro­gée ») ; il a réha­bi­li­té nos quatre évêques (21 jan­vier 2009) ; il a accep­té que nous menions des dis­cus­sions doc­tri­nales pen­dant deux années… toutes choses que Mgr Lefebvre n’exigeait pas en 1988. Il n’est pas exa­gé­ré de dire que Mgr Fellay a obte­nu plus que ce que deman­dait Mgr Lefebvre, sans en avoir pour­tant le pres­tige ni l’autorité morale. Alors, devrons-​nous être encore plus exi­geant que Mgr Lefebvre et que Mgr Fellay ?

Quoi qu’il en soit de l’état de Rome, de tout ce qui demeure encore d’inquiétant à Rome, le simple bon sens et l’honnêteté devraient nous conduire à consi­dé­rer la situa­tion actuelle avec un œil dif­fé­rent de celui de 1988 ! Pour reprendre la for­mule d’un de nos évêques, il ne faut pas faire du « quatre-​vingt-​huitisme » ! Nous ne sommes plus ni en 1975 avec Paul VI, ni en 1988 avec Jean-​Paul II mais en 2012 avec Benoit XVI. Que l’on me dise tant que l’on vou­dra que l’état de l’Eglise est encore très pré­oc­cu­pant, que notre Pape a une théo­lo­gie par­fois étrange, etc… nous l’avons assez dit, me semble-​t-​il ; mais qu’on ne me dise pas que l’état des choses est le même qu’en 1988, voire pire. Cela est contraire à la réa­li­té et à la véri­té, et ce ne peut être que l’effet d’un refus plus ou moins secret de toute récon­ci­lia­tion avec Rome, peut-​être même d’un manque de foi en la sain­te­té de l’Eglise, com­po­sée de pauvres pécheurs mais tou­jours gou­ver­née par son chef Jésus-​Christ et sanc­ti­fiée par le Saint-​Esprit. La Fraternité Saint-​Pie X n’est pas l’Eglise et elle ne peut « res­pec­ter l’héritage de son fon­da­teur » qu’en conser­vant son esprit, son amour de l’Eglise et son désir de la ser­vir en fils aimant, dans la fidé­li­té à ses béné­dic­tions fondatrice.

Je ne sais pas si tous réa­lisent le poids de cette déci­sion qui n’appartient qu’à Mgr Fellay, déci­sion que lui ont confiée à nou­veau nos supé­rieurs réunis à Albano en octobre der­nier, déci­sion mûrie avec ses assis­tants : qu’est-ce que l’Eglise attend de la Fraternité en 2012 ? Comment la Fraternité doit-​elle répondre aux « besoins » de l’Eglise aujourd’hui ?

Cela requiert une ver­tu de pru­dence hau­te­ment sur­na­tu­relle, à un degré auquel aucun d’entre nous n’a la grâce de par­ve­nir, car cela ne relève pas de nos com­pé­tences ni de notre res­pon­sa­bi­li­té. Seul Mgr Fellay et ses assis­tants, ayant par défi­ni­tion la tota­li­té des cartes en main, peuvent juger au plus juste de la situa­tion actuelle. La ques­tion que cha­cun doit plu­tôt se poser est celle de notre bien­veillance envers l’autorité et sur­tout de notre confiance en elle. Voici douze années que Mgr Fellay argu­mente avec Rome, avec des hauts et des bas, pour abou­tir fina­le­ment aux résul­tats cités ci-​dessus, et même à ce résul­tat éton­nant, que nul peut-​être n’a rele­vé : ces dis­cus­sions doc­tri­nales qui n’ont pas fait de bruit sur la place publique et qui nous ont per­mis de dire à Rome ce que nous pen­sions… au point de les faire se ter­mi­ner en « queue de poisson » !

Et pour­tant, que n’a‑t-on pas enten­du au sujet du silence des supé­rieurs autour de ces dis­cus­sions et des docu­ments échan­gés ces der­niers mois et leur grande dis­cré­tion par res­pect pour Rome et le Saint Père, inter­pré­tés comme une forme de dis­si­mu­la­tion, voire un début de com­pro­mis­sion. Comment peut-​on dou­ter de la droi­ture de nos supé­rieurs de manière aus­si gra­tuite et arbitraire ?

Nul ne sait encore la conclu­sion que Benoît XVI vou­dra don­ner à ces douze années de lent tra­vail, de recherche d’une meilleure com­pré­hen­sion, de prières et de rosaires accu­mu­lés. L’heure est donc à la prière, comme nous y a invi­té Mgr Fellay, et à la confiance en l’Église. La Vierge Immaculée que nous allons hono­rer par­ti­cu­liè­re­ment durant ce mois de mai, sau­ra nous obte­nir toutes les grâces néces­saires si nous ne vou­lons rien d’autre que la vic­toire de son Fils et de l’Église. »

Abbé Michel Simoulin, FSSPX

Source : Editorial du Seignadou de mai 2012