Le prochain synode sur la famille se prépare discrètement…

Après les réac­tions très vives que la pre­mière réunion du synode sur la famille (5–19 octobre 2014) avait sus­ci­tées, les pré­pa­ra­tifs de la pro­chaine assem­blée des évêques (4–25 octobre 2015) se font dans la dis­cré­tion, comme si après la tem­pête le calme était reve­nu et que tout rede­ve­nait nor­mal. Faut-​il s’en réjouir benoî­te­ment ou s’en inquié­ter sérieu­se­ment ? Dans un entre­tien accor­dé au Figaro Magazine le 18 décembre 2014, le car­di­nal Raymond Leo Burke, un des prin­ci­paux oppo­sants aux pro­po­si­tions scan­da­leuses du car­di­nal Walter Kasper sur la com­mu­nion des divor­cés rema­riés, avouait : « Je suis très pré­oc­cu­pé, et j’ap­pelle les catho­liques, les laïcs, prêtres et évêques, à s’im­pli­quer, d’i­ci à la pro­chaine assem­blée syno­dale, afin de mettre en lumière la véri­té sur le mariage. »

Un document de travail très orienté

Le 9 décembre, le secré­ta­riat géné­ral du synode des évêques publiait les linea­men­ta (le docu­ment de tra­vail) de l’assemblée syno­dale d’octobre 2015. Outre le rap­port final du synode d’octobre 2014, le secré­ta­riat pro­pose 46 ques­tions pour répondre aux défis de la pas­to­rale fami­liale, pour être « aux côtés des familles en situa­tions extrêmes ». Les épis­co­pats devront répondre au ques­tion­naire « en évi­tant que leurs réponses puissent être four­nies selon des sché­mas et des pers­pec­tives rela­tives à une pas­to­rale appli­quant pure­ment la doc­trine » (sic). Reprenant les thèmes qui ont agi­té l’assemblée des évêques, le docu­ment romain demande, comme si de rien n’était, com­ment la com­mu­nau­té chré­tienne « aide à dis­cer­ner les élé­ments posi­tifs et néga­tifs de la vie des per­sonnes unies civi­le­ment », ou encore, face aux divorces, « com­ment rendre plus acces­sibles et plus souples, éven­tuel­le­ment gra­tuites, les pro­cé­dures pour la recon­nais­sance des cas de nullité ».

Le ques­tion­naire romain assure même qu’un « appro­fon­dis­se­ment ulté­rieur » est néces­saire en matière de « pas­to­rale sacra­men­telle des divor­cés rema­riés » et demande quelles avan­cées sont pos­sibles à la lumière de la « deuxième chance » (sic) pro­po­sée dans cer­tains cas dans l’Eglise ortho­doxe. Ce docu­ment pose éga­le­ment la ques­tion de l’attention pas­to­rale à l’égard des homo­sexuels : « En évi­tant toute dis­cri­mi­na­tion injuste, de quelle façon peut-​on prendre soin des per­sonnes dans ces situa­tions à la lumière de l’Evangile ? » Les réponses à ce ques­tion­naire devront par­ve­nir à Rome d’ici le 15 avril 2015.

Dès lors, on com­prend l’inquiétude du car­di­nal Burke expri­mée lors de l’entretien déjà cité : « Dans une époque pleine de confu­sion, comme on le voit avec la théo­rie du genre, nous avons besoin de l’enseignement de l’Eglise sur le mariage. Or, nous sommes au contraire pous­sés dans une direc­tion visant à admettre à la com­mu­nion des per­sonnes divor­cées et rema­riées. Sans comp­ter cette obses­sion d’alléger les pro­cé­dures d’annulation du lien du mariage. Tout cela va conduire de fac­to à une sorte de ‘divorce catho­lique’, et à l’affaiblissement de l’indissolubilité du mariage dont le prin­cipe est pour­tant réaf­fir­mé. Cependant l’Eglise doit défendre le mariage et non l’affaiblir. L’indissolubilité du mariage n’est pas une péni­tence ni une souf­france. C’est une grande beau­té pour ceux qui le vivent, c’est une source de joie. »

Le pape François est inter­ve­nu deux fois, dans le sens des linea­men­ta et du ques­tion­naire qui les accom­pagne, le 23 jan­vier en s’adressant aux membres du Tribunal apos­to­lique, et le 24 jan­vier lors du congrès orga­ni­sé par l’Université Grégorienne à l’occasion du dixième anni­ver­saire de l’Instruction Dignitas Connubii (la digni­té du mariage). Aux pre­miers, il a décla­ré que l’Eglise ne peut igno­rer la souf­france des nom­breux foyers qui se désa­grègent en lais­sant der­rière eux les décombres des rela­tions affec­tives, des pro­jets et des attentes com­munes. Appelé à véri­fier s’il existe un vice de forme dans le consen­te­ment matri­mo­nial, le juge doit tenir compte du contexte dans lequel ce consen­te­ment s’est for­mé. Le pape appelle ain­si de ses vœux une conver­sion pas­to­rale des struc­tures ecclé­sias­tiques pour venir en aide à ceux qui s’adressent à l’Eglise afin de faire la lumière sur leur situa­tion conjugale.

Au cours du congrès à la Grégorienne, François a sou­hai­té un assou­plis­se­ment des pro­cé­dures, insis­tant sur le fait que les sen­tences devraient être abré­gées pour ne pas sou­mettre les couples à une attente pénible et exté­nuante. Et pour évi­ter les for­ma­lismes com­pli­qués et inutiles, à ses yeux, il n’exclut pas que de nou­velles normes puissent être édic­tées à l’avenir. Dans ses deux récentes inter­ven­tions tout laisse à pen­ser que l’on s’achemine pro­gres­si­ve­ment vers un ali­gne­ment (pré­sen­té pudi­que­ment comme une « har­mo­ni­sa­tion ») des pres­crip­tions du droit canon sur les situa­tions concrètes de la socié­té contemporaine.

La forte critique du cardinal Velasio de Paolis

Le motif de cet ali­gne­ment serait la « misé­ri­corde pas­to­rale » oppo­sée à l’intransigeance doc­tri­nale et à la rigi­di­té juri­dique. A cette oppo­si­tion arti­fi­ciel­le­ment entre­te­nue, le car­di­nal Velasio de Paolis, pré­sident émé­rite de la Préfecture pour les affaires éco­no­miques du Saint-​Siège, a répon­du lors d’une confé­rence don­née à la Faculté de droit cano­nique de l’Université San Damaso à Madrid (Espagne), le 26 novembre 2014, au cours de laquelle il a cri­ti­qué de façon magis­trale la pro­po­si­tion 52 du rap­port final du synode d’octobre 2014. En voi­ci un extrait signi­fi­ca­tif : « La ques­tion de l’accès des divor­cés rema­riés aux sacre­ments, en par­ti­cu­lier celui de l’eucharistie, a fait l’objet de réflexions pen­dant le synode extra­or­di­naire des évêques qui a eu lieu au mois d’octobre der­nier. C’est à cette ques­tion que fait réfé­rence la pro­po­si­tion n°52 de la Relatio finale, qui dit ceci : ‘La réflexion a por­té sur la pos­si­bi­li­té, pour les divor­cés rema­riés, d’accéder aux sacre­ments de la péni­tence et de l’eucharistie. Plusieurs pères syno­daux ont insis­té pour main­te­nir la dis­ci­pline actuelle, en ver­tu du rap­port consti­tu­tif entre la par­ti­ci­pa­tion à l’eucharistie et la com­mu­nion avec l’Eglise et son ensei­gne­ment sur le mariage indis­so­luble. D’autres se sont expri­més en faveur d’un accueil non géné­ra­li­sé au ban­quet eucha­ris­tique, dans cer­taines situa­tions par­ti­cu­lières et à des condi­tions bien pré­cises, sur­tout quand il s’agit de cas irré­ver­sibles et liés à des obli­ga­tions morales envers les enfants qui vien­draient à subir des souf­frances injustes. L’accès éven­tuel aux sacre­ments devrait être pré­cé­dé d’un che­mi­ne­ment péni­ten­tiel sous la res­pon­sa­bi­li­té de l’évêque dio­cé­sain. La ques­tion doit encore être appro­fon­die, en ayant bien pré­sente la dis­tinc­tion entre la situa­tion objec­tive de péché et les cir­cons­tances atté­nuantes, étant don­né que ‘l’imputabilité et la res­pon­sa­bi­li­té d’une action peuvent être dimi­nuées voire sup­pri­mées’ par divers ‘fac­teurs psy­chiques ou sociaux’ (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1735’. (…)

Et le haut pré­lat de deman­der : la ques­tion de la com­mu­nion des divor­cés rema­riés relève-​t-​elle de la dis­ci­pline, de la doc­trine ou du magistère ?

« On constate que la rédac­tion du texte de la pro­po­si­tion fait naître des équi­voques. Il y est ques­tion de la ‘dis­ci­pline actuelle’ et d’une pos­sible modi­fi­ca­tion de celle-​ci, mais cela sus­cite un doute, qui rend néces­saire un appro­fon­dis­se­ment. En réa­li­té, la régle­men­ta­tion en vigueur n’est pas seule­ment une ‘dis­ci­pline actuelle’, comme s’il s’agissait d’une norme sim­ple­ment ecclé­sias­tique et non pas de normes divines, sanc­tion­nées par le magis­tère, avec des moti­va­tions doc­tri­nales et magis­té­rielles qui concernent les fon­de­ments mêmes de la vie chré­tienne, de la morale conju­gale, du sens et du res­pect de l’eucharistie et de la vali­di­té du sacre­ment de péni­tence. Nous nous trou­vons face à une dis­ci­pline qui est fon­dée sur le droit divin. On ne sou­ligne pas suf­fi­sam­ment le fait que les docu­ments de l’Eglise, dans ce domaine, n’imposent pas d’obligations pro­ve­nant de l’autorité, mais qu’ils affirment que l’autorité ecclé­sias­tique ne peut pas agir autre­ment, parce que cette ‘dis­ci­pline’ ne peut pas être modi­fiée dans ses élé­ments essen­tiels. L’Eglise ne peut pas agir autre­ment. Elle ne peut modi­fier ni la loi natu­relle ni le res­pect de la nature de l’eucharistie, parce que ce qui est en ques­tion, c’est la volon­té divine.

« Dans la mesure où elle pré­voit la pos­si­bi­li­té de per­mettre aux divor­cés rema­riés d’accéder à la com­mu­nion eucha­ris­tique, la pro­po­si­tion consti­tue, de fait, un chan­ge­ment doc­tri­nal. Et cela contrai­re­ment au fait que ses par­ti­sans affirment qu’ils ne veulent pas modi­fier la doc­trine. D’autre part, la doc­trine, de par sa nature même, n’est pas modi­fiable si elle est l’objet du magis­tère authen­tique de l’Eglise. Avant de par­ler et de dis­cu­ter d’une éven­tuelle modi­fi­ca­tion de la dis­ci­pline qui est actuel­le­ment en vigueur, il est néces­saire de réflé­chir à la nature de cette dis­ci­pline. Lorsque l’on étu­die cette ques­tion il fau­drait, en pre­mier lieu, réflé­chir à cette doc­trine et à son degré de fer­me­té ; il est néces­saire de bien étu­dier ce qui peut être modi­fié et ce qui ne peut pas l’être. Le doute a été insi­nué dans la pro­po­si­tion elle-​même lorsqu’elle demande un appro­fon­dis­se­ment, qui doit être doc­tri­nal et préa­lable à toute décision.

« Nous pou­vons éga­le­ment nous deman­der s’il est de la com­pé­tence d’un synode des évêques de trai­ter une ques­tion telle que celle-​ci : la valeur de la doc­trine et de la dis­ci­pline actuel­le­ment en vigueur dans l’Eglise, qui se sont for­mées au cours des siècles et qui sont sanc­tion­nées par des inter­ven­tions du magis­tère suprême de l’Eglise. Par ailleurs, qui est com­pé­tent pour modi­fier le magis­tère d’autres papes ? Cela consti­tue­rait un pré­cé­dent dan­ge­reux. D’autre part, les nou­veau­tés qui seraient intro­duites au cas où le texte de la pro­po­si­tion serait approu­vé seraient d’une gra­vi­té inouïe :

a) la pos­si­bi­li­té d’admettre à la com­mu­nion eucha­ris­tique, avec l’approbation expli­cite de l’Eglise, une per­sonne qui est en état de péché mor­tel, avec risque de sacri­lège et de pro­fa­na­tion de l’eucharistie ;

b) en agis­sant de cette façon, on met en dis­cus­sion le prin­cipe géné­ral de la néces­si­té d’être en état de grâce sanc­ti­fiante pour pou­voir accé­der à la com­mu­nion eucha­ris­tique, en par­ti­cu­lier main­te­nant qu’a été intro­duite ou qu’est en cours d’introduction dans l’Eglise une géné­ra­li­sa­tion de l’accès à l’eucharistie sans qu’il y ait eu au préa­lable une confes­sion sacra­men­telle, même lorsque l’on a conscience d’être en état de péché grave, avec toutes les consé­quences néfastes que com­porte cette pratique ;

c) admettre à la com­mu­nion eucha­ris­tique un fidèle qui coha­bite more uxo­rio (mari­ta­le­ment) signi­fie­rait que l’on met éga­le­ment en dis­cus­sion la morale sexuelle, fon­dée en par­ti­cu­lier sur le sixième commandement ;

d) de plus, en agis­sant de cette manière, on don­ne­rait de l’importance au concu­bi­nage ou à d’autres liens, ce qui, de fait, affai­bli­rait le prin­cipe de l’indissolubilité du mariage. »

Les motivations très concrètes de l’épiscopat allemand

Un autre éclai­rage, moins doc­tri­nal et beau­coup plus concret, est four­ni par l’universitaire amé­ri­cain George Weigel dans un article paru ce mois-​ci dans la revue First Things. Quand on sait que le car­di­nal Walter Kasper est sou­te­nu par l’ensemble des évêques alle­mands, de l’aveu même du car­di­nal Reinhard Marx, pré­sident de leur confé­rence épis­co­pale, on peut se deman­der ce qui pousse ces évêques – et sur­tout eux – à mili­ter en faveur de la com­mu­nion des divor­cés rema­riés. Voici la réponse qu’a obte­nue Weigel : « Dix mois avant le Synode, j’ai deman­dé à un bon connais­seur du catho­li­cisme alle­mand la rai­son de l’insistance de la hié­rar­chie catho­lique alle­mande sur la révi­sion du pro­blème de la Sainte Communion à ceux qui vivent de secondes noces civiles, alors que dans le monde, la majo­ri­té de l’Eglise consi­dère qu’il a été suf­fi­sam­ment débat­tu lors du synode de 1980 sur la famille, et qu’il sem­blait avoir été réglé avec la réaf­fir­ma­tion de l’enseignement et de la pra­tique tra­di­tion­nels de l’Eglise dans l’exhortation apos­to­lique de 1981 de Jean-​Paul II Familiaris Consortio (La Communauté de la Famille) et en 1983 par le code de droit cano­nique. J’ai reçu une réponse d’un seul mot : ‘L’argent’.

« L’Eglise alle­mande est finan­cée par la Kirchensteuer, la ‘taxe de l’Eglise’ (ou impôt ecclé­sias­tique) levée par la République fédé­rale sur tous les citoyens qui n’ont pas opté pour la sor­tie de l’Eglise. Les fonds concer­nés sont consi­dé­rables ; en 2011, la Kirchensteuer a four­ni à l’Eglise catho­lique en Allemagne 6,3 mil­liards de dol­lars. Récemment, tou­te­fois, de plus en plus de catho­liques alle­mands ont opté pour la sor­tie. Dans une ten­ta­tive mal­adroite d’arrêter la sai­gnée, les évêques alle­mands ont émis en 2012 un décret affir­mant que celui qui ne paie pas la taxe ‘sort de l’Eglise’ et que de tels apos­tats de fac­to sont exclus de sa vie sacra­men­telle, sauf en dan­ger de mort. Le décret a été lar­ge­ment raillé et des cano­nistes alle­mands l’ont décla­ré nul, car pour ‘sor­tir de l’Eglise’ il faut plus que la signa­ture d’une décla­ra­tion asser­men­tée. Et en tout cas, le paie­ment de la Kirchensteuer n’a ces­sé de baisser.

« De nom­breux évêques alle­mands semblent en avoir conclu que ce sché­ma de déser­tion du paie­ment de la taxe de l’Eglise s’explique par la per­cep­tion de l’Eglise catho­lique comme la repré­sen­tante minable, mes­quine et cruelle de pro­po­si­tions, comme l’indissolubilité du mariage, qu’aucun Européen du 21e siècle qui se res­pecte ne peut accep­ter. Le fait que les gens aient arrê­té de payer la Kirchensteuer parce qu’ils ne croient plus que Jésus est le Seigneur et que l’Eglise catho­lique est son Corps, sem­ble­rait l’explication la plus directe. Mais adop­ter cette inter­pré­ta­tion oblige à admettre que l’effondrement de la foi et de la pra­tique catho­liques en Allemagne est en rap­port avec l’échec colos­sal de la théo­lo­gie et de la caté­chèse alle­mandes à trans­mettre effi­ca­ce­ment l’Evangile dans les dif­fi­ciles condi­tions de la moder­ni­té tar­dive et de la post-​modernité. Mais – pour emprun­ter l’image à une autre bataille – ça c’est un pont trop loin (allu­sion au film Un pont trop loin rela­tant l’opération Market Garden – sep­tembre 1944 – où, devant une défaite écra­sante, le géné­ral anglais Browning recon­naît : « Nous avons essayé d’aller un pont trop loin »).

Sources : Apic/​IMedia/​Figaro Magazine/​espressonline/​benoitetmoi – du 30/​01/​15