Introduction
1. Le Synode des Évêques réuni autour du Pape adresse ses pensées à toutes les familles du monde, avec leurs joies, leurs peines et leurs espérances. En particulier, il ressent le devoir de remercier le Seigneur pour la généreuse fidélité avec laquelle tant de familles chrétiennes répondent à leur vocation et à leur mission. Elles le font avec joie et avec foi même lorsque le chemin familial les place face à des obstacles, des incompréhensions et des souffrances. L’Église tout entière et ce Synode apprécient, remercient et encouragent ces familles. Durant la veillée de prière célébrée place Saint-Pierre, le 4 octobre 2014, en préparation du Synode sur la famille, le Pape François a évoqué de manière simple et concrète l’aspect central de l’expérience familiale dans la vie de tous, en s’exprimant ainsi : « Le soir descend désormais sur notre assemblée. C’est l’heure où l’on rentre volontiers chez soi pour se retrouver à la même table, entouré par la présence des liens d’affection, du bien accompli et reçu, des rencontres qui réchauffent le cœur et le font croître, comme un bon vin qui anticipe au cours de l’existence de l’homme la fête sans crépuscule. C’est aussi l’heure la plus douloureuse pour celui qui se retrouve en tête à tête avec sa propre solitude, dans le crépuscule amer de rêves et de projets brisés : combien de personnes traînent-elles leurs journées sur la voie sans issue de la résignation, de l’abandon, voire de la rancœur ; dans combien de maisons est venu à manquer le vin de la joie et donc la saveur – la sagesse même – de la vie […] Ce soir, nous nous faisons la voix des uns et des autres à travers notre prière, une prière pour tous ».
2. Foyer de joies et d’épreuves, d’affections profondes et de relations parfois blessées, la famille est vraiment une « école d’humanité » (cf. Gaudium et Spes, 52), dont le besoin se fait fortement ressentir. En dépit des nombreux signaux de crise de l’institution familiale dans les divers contextes du « village global », le désir de famille reste vif, spécialement chez les jeunes, et motive l’Église, experte en humanité et fidèle à sa mission, à annoncer sans relâche et avec une profonde conviction l’« Évangile de la famille » qui lui fut confié par la révélation de l’amour de Dieu en Jésus-Christ et continuellement enseigné par les Pères, par les Maîtres de la spiritualité et par le Magistère de l’Église. La famille revêt pour l’Église une importance toute particulière et, au moment où tous les croyants sont invités à sortir d’eux-mêmes, il est nécessaire que la famille se redécouvre comme sujet indispensable pour l’évangélisation. Notre pensée va au témoignage missionnaire de tant de familles.
3. L’Évêque de Rome a appelé le Synode des Évêques à réfléchir sur la réalité de la famille, décisive et précieuse, lors de son Assemblée Générale Extraordinaire d’octobre 2014, pour approfondir ensuite la réflexion lors de l’Assemblée Générale Ordinaire qui se tiendra en octobre 2015, ainsi que pendant l’année qui sépare les deux événements synodaux. « Le fait de convenire in unum autour de l’Évêque de Rome est déjà un événement de grâce, dans lequel la collégialité épiscopale se manifeste sur un chemin de discernement spirituel et pastoral » : c’est ainsi que le Pape François a décrit l’expérience synodale, en indiquant ses tâches, en se plaçant dans la double écoute des signes de Dieu et de l’histoire des hommes, ainsi que dans la double et unique fidélité qui s’ensuit.
4. À la lumière de ce même discours, nous avons recueilli les résultats de nos réflexions et de nos dialogues en trois parties : l’écoute, pour considérer la réalité de la famille aujourd’hui, dans la complexité de ses lumières et de ses ombres ; le regard fixé sur le Christ, pour repenser avec une fraicheur et un enthousiasme nouveaux à ce que la révélation, transmise dans la foi de l’Église, nous dit sur la beauté, sur le rôle et sur la dignité de la famille ; la confrontation à la lumière du Seigneur Jésus pour discerner les voies permettant de rénover l’Église et la société dans leur engagement pour la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme.
Première partie – L’écoute : le contexte et les défis concernant la famille
Le contexte socioculturel
5. Fidèles à l’enseignement du Christ, nous regardons la réalité de la famille aujourd’hui dans toute sa complexité, avec ses lumières et ses ombres. Nous pensons aux parents, aux grands-parents, aux frères et sœurs, aux parents proches et éloignés, ainsi qu’au lien entre deux familles que tisse tout mariage. Le changement anthropologique et culturel influence aujourd’hui tous les aspects de la vie et requiert une approche analytique et diversifiée. Il faut avant tout souligner les aspects positifs : la plus grande liberté d’expression et la plus grande reconnaissance des droits de la femme et des enfants, au moins dans certaines régions du monde. Mais, d’un autre côté, il faut également considérer le danger croissant que représente un individualisme exaspéré qui dénature les liens familiaux et qui finit par considérer chaque membre de la famille comme une île, en faisant prévaloir, dans certains cas, l’idée d’un sujet qui se construit selon ses propres désirs élevés au rang d’absolu. Il faut ajouter à cela une crise de la foi qui a touché de nombreux catholiques et qui est souvent à l’origine des crises du mariage et de la famille.
6. Une des plus grandes pauvretés de la culture actuelle est la solitude, fruit de l’absence de Dieu dans la vie des personnes et de la fragilité des relations. Il existe aussi une sensation générale d’impuissance vis-à-vis de la situation socio-économique qui finit souvent pas écraser les familles. Il en est ainsi à cause de la pauvreté et de la précarité de l’emploi qui ne cessent d’augmenter et qui sont parfois vécues comme un véritable cauchemar, ou bien à cause d’une lourde fiscalité qui n’encourage certes pas les jeunes à se marier. Souvent les familles se sentent abandonnées à cause du désintéressement et de la faible attention que leur accordent les institutions. Les conséquences négatives du point de vue de l’organisation sociale sont évidentes : de la crise démographique aux problèmes éducatifs, de la difficultés d’accueillir la vie naissante à l’impression de fardeau que représente la présence des personnes âgées, jusqu’au malaise affectif diffus qui aboutit parfois à la violence. L’État a la responsabilité de créer les conditions législatives et d’emploi pour garantir l’avenir des jeunes et les aider à réaliser leur projet de fonder une famille.
7. Il existe des contextes culturels et religieux qui présentent des défis particuliers. Dans certaines sociétés, la pratique de la polygamie demeure en vigueur, tout comme la coutume du « mariage par étapes » dans quelques contextes traditionnels. D’autres voient perdurer la pratique des mariages arrangés. Dans les pays où la présence de l’Église catholique est minoritaire, les mariages mixtes et de disparité de culte sont nombreux, avec toutes les difficultés qu’ils comportent par rapport à la configuration juridique, au baptême, à l’éducation des enfants et au respect réciproque du point de vue de la diversité de la foi. Ces mariages peuvent présenter le risque du relativisme ou de l’indifférence, mais ils peuvent aussi fournir une occasion de favoriser l’esprit œcuménique et le dialogue interreligieux dans une coexistence harmonieuse des communautés qui vivent en un même lieu. Dans de nombreux contextes, et pas seulement occidentaux, on voit se diffuser à large échelle la pratique de la cohabitation précédant le mariage ou même du concubinage qui ne visent pas à prendre une forme de lien institutionnel. À cela s’ajoute une législation civile qui compromet le mariage et la famille. En raison de la sécularisation, dans de nombreuses parties du monde, la référence à Dieu a fortement diminué et la foi n’est plus socialement partagée.
8. De nombreux enfants naissent en dehors du mariage, en particulier dans certains pays, et nombreux sont ceux qui grandissent ensuite avec un seul parent ou dans un contexte familial élargi ou reconstitué. Le nombre de divorces augmente et le cas de choix uniquement déterminés par des facteurs d’ordre économique n’est pas rare. Les parents se disputent souvent les enfants, ceux-ci devenant alors les vraies victimes des déchirements familiaux. Les pères sont souvent absents, non seulement pour des raisons d’ordre économique, là où, en revanche, le besoin de les voir assumer plus clairement leur responsabilité envers les enfants et la famille se fait sentir. La dignité de la femme a encore besoin d’être défendue et promue. De fait, aujourd’hui, dans de nombreux contextes, le fait d’être une femme entraine des discriminations et le don même de la maternité est souvent pénalisé plutôt que présenté comme une valeur. Il ne faut pas non plus oublier les phénomènes croissants de violence dont les femmes sont victimes, parfois, hélas, au sein même des familles, ni la grave mutilation génitale de la femme, largement diffuse dans certaines cultures. L’exploitation sexuelle de l’enfance constitue, par ailleurs, une des réalités les plus scandaleuses et les plus perverses de la société actuelle. Les sociétés traversées par la violence à cause de la guerre, du terrorisme ou de la présence de la criminalité organisée connaissent, elles aussi, des situations familiales détériorées, surtout dans les grandes métropoles et dans leurs banlieues où s’accroît le phénomène dit des enfants des rues. En outre, les migrations représentent un autre signe des temps, qu’il faut affronter et comprendre, avec tout leur poids de conséquences sur la vie familiale.
L’importance de la vie affective
9. Face au cadre social ainsi tracé, nous rencontrons dans bien des parties du monde, chez les individus, un plus grand besoin de prendre soin de leur personne, de se connaître intérieurement, de mieux vivre en harmonie avec leurs émotions et leurs sentiments, de chercher des relations affectives de qualité ; cette juste aspiration peut ouvrir au désir de s’engager dans la construction de relations de don et de réciprocité créatives, solidaires et responsables, comme le sont les relations familiales. Le danger individualiste et le risque de vivre de façon égoïste sont importants. Le défi consiste, pour l’Église, à aider les couples à mûrir dans la dimension émotionnelle et dans le développement affectif, grâce à la promotion du dialogue, de la vertu et de la confiance dans l’amour miséricordieux de Dieu. Le plein engagement exigé dans le mariage chrétien peut constituer un fort antidote à la tentation d’un individualisme égoïste.
10. Dans le monde actuel, les tendances culturelles qui semblent imposer une affectivité sans limites, dont on veut explorer tous les versants, même les plus complexes, ne manquent pas. De fait, la question de la fragilité affective est d’une grande actualité : une affectivité narcissique, instable et changeante qui n’aide pas toujours les sujets à atteindre une plus grande maturité. Une certaine diffusion de la pornographie et de la commercialisation du corps est préoccupante, favorisée aussi par un usage incorrect d’internet, et il faut dénoncer la situation des personnes qui sont obligées de s’adonner à la prostitution. Dans ce contexte, les couples sont parfois incertains, hésitants et peinent à trouver les moyens de mûrir. Beaucoup sont ceux qui tendent à rester aux stades primaires de la vie émotionnelle et sexuelle. La crise du couple déstabilise la famille et peut provoquer, à travers les séparations et les divorces, de sérieuses conséquences sur les adultes, sur les enfants et sur la société, en affaiblissant l’individu et les liens sociaux. Le déclin démographique, dû à une mentalité antinataliste et encouragé par les politiques mondiales en matière de santé reproductive, entraine non seulement une situation où le renouvellement des générations n’est plus assuré, mais risque de conduire à terme à un appauvrissement économique et à une perte d’espérance en l’avenir. Le développement des biotechnologies a eu lui aussi un fort impact sur la natalité.
Le défi pour la pastorale
11. Dans ce contexte, l’Église ressent la nécessité de dire une parole de vérité et d’espérance. Il faut partir de la conviction que l’homme vient de Dieu et qu’en conséquence une réflexion capable de proposer à nouveau les grandes questions sur la signification de l’être humain peut trouver un terrain fertile dans les attentes les plus profondes de l’humanité. Les grandes valeurs du mariage et de la famille chrétienne correspondent à la recherche qui traverse l’existence humaine, même à une époque marquée par l’individualisme et par l’hédonisme. Il faut accueillir les personnes, avec leur existence concrète, savoir soutenir leur recherche, encourager leur désir de Dieu et leur volonté de faire pleinement partie de l’Église, même chez ceux qui ont connu un échec ou qui se trouvent dans les situations les plus disparates. Le message chrétien comporte toujours la réalité et la dynamique de la miséricorde et de la vérité, qui convergent dans le Christ.
IIème Partie – Le regard sur le christ : l’Évangile de la famille
Le regard sur Jésus et la pédagogie divine dans l’histoire du salut
12. Afin de « contrôler notre allure sur le terrain des défis contemporains, la condition décisive est de garder le regard fixé sur Jésus Christ, de s’arrêter dans la contemplation et dans l’adoration de sa face […]. En effet, chaque fois que nous revenons à la source de l’expérience chrétienne, de nouvelles routes et des possibilités impensables s’ouvrent » (Pape François, Discours du 4 octobre 2014). Jésus a regardé avec amour et tendresse les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, en accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, tout en annonçant les exigences du Royaume de Dieu.
13. Étant donné que l’ordre de la création est déterminé par l’orientation vers le Christ, il faut distinguer sans les séparer les différents degrés à travers lesquels Dieu communique à l’humanité la grâce de l’alliance. En raison de la pédagogie divine, selon laquelle l’ordre de la création évolue dans celui de la rédemption à travers des étapes successives, il faut comprendre la nouveauté du sacrement nuptial chrétien dans la continuité avec le mariage naturel des origines. Nous comprenons ici la façon d’agir salvifique de Dieu, aussi bien dans la création que dans la vie chrétienne. Dans la création : puisque tout a été fait par le Christ et en vue de Lui (cf. Col 1, 16), les chrétiens « découvrent avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées ; ils doivent en même temps être attentifs à la transformation profonde qui s’opère parmi les nations » (Ad Gentes, 11). Dans la vie chrétienne : étant donné que par le Baptême, le croyant est inséré dans l’Église par le biais de cette Église domestique qu’est sa famille, il entreprend ce « processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu » (Familiaris Consortio, 9), grâce à une conversion permanente à l’amour qui sauve du péché et donne la vie en plénitude.
14. Se référant au dessein initial sur le couple humain, Jésus lui-même réaffirme l’union indissoluble entre l’homme et la femme, tout en disant qu’ « en raison de votre dureté de cœur, Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi » (Mt 19, 8). L’indissolubilité du mariage (« Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer », Mt 19, 6), ne doit pas avant tout être compris comme un « joug » imposé aux hommes, mais bien plutôt comme un « don » fait aux personnes unies par le mariage. De la sorte, Jésus montre que la condescendance divine accompagne toujours le chemin de l’homme, par sa grâce elle guérit et transforme le cœur endurci en l’orientant vers son origine, à travers le chemin de la croix. Les Évangiles font clairement ressortir l’exemple de Jésus qui est paradigmatique pour l’Église. En effet, Jésus a pris place dans une famille, il a commencé à accomplir ses premiers signes au cours d’une fête nuptiale à Cana, il a annoncé le message concernant la signification du mariage comme plénitude de la révélation qui permet de retrouver le projet originel de Dieu (cf. Mt 19, 3). Mais, en même temps, il a mis en pratique la doctrine enseignée, manifestant ainsi le véritable sens de la miséricorde. Ceci apparaît clairement dans les rencontres avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1–30) et avec la femme adultère (cf. Jn 8, 1–11) où Jésus, par une attitude d’amour envers la personne pécheresse, conduit au repentir et à la conversion (« va, désormais ne pèche plus »), condition du pardon.
La famille dans le dessein salvifique de Dieu
15. Les paroles de vie éternelle que Jésus a laissées à ses disciples comprenaient l’enseignement sur le mariage et la famille. Cet enseignement de Jésus nous permet de distinguer trois étapes fondamentales du projet de Dieu sur le mariage et la famille. Au début, il y a la famille des origines, quand Dieu créateur institua le mariage primordial entre Adam et Ève, comme fondement solide de la famille. Non seulement Dieu a créé l’être humain, homme et femme (cf. Gn 1, 27), mais il les a bénis pour qu’ils soient féconds et se multiplient (cf. Gn 1, 28). C’est pourquoi, « l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24). Cette union a été endommagée par le péché et est devenue la forme historique du mariage au sein du peuple de Dieu, pour lequel Moïse concéda la possibilité de rédiger un acte de divorce (cf. Dt 24, 1sq). Cette forme prévalait encore à l’époque de Jésus. Avec son avènement et la réconciliation du monde déchu grâce à la rédemption qu’il a accomplie, l’ère inaugurée par Moïse s’acheva.
16. Jésus, qui a réconcilié toutes choses en lui, a ramené le mariage et la famille à leur forme originelle (cf. Mc 10, 1–12). La famille et le mariage ont été rachetés par le Christ (cf. Ep 5, 21–32), restaurés à l’image de la Très Sainte Trinité, mystère d’où jaillit tout amour véritable. L’alliance sponsale, inaugurée dans la création et révélée dans l’histoire du salut, reçoit la pleine révélation de sa signification dans le Christ et dans son Église. Du Christ, à travers l’Église, le mariage et la famille reçoivent la grâce nécessaire pour témoigner de l’amour de Dieu et vivre la vie de communion. L’Évangile de la famille traverse l’histoire du monde depuis la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26–27) jusqu’à l’accomplissement du mystère de l’Alliance dans le Christ à la fin des siècles avec les noces de l’Agneau (cf. Ap 19, 9 ; Jean-Paul II, Catéchèses sur l’amour humain).
La famille dans les documents de l’Église
17. « Au cours des siècles, l’Église n’a pas manqué d’offrir son enseignement constant sur le mariage et la famille. Une des expressions les plus élevées de ce Magistère a été proposée par le Concile Œcuménique Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, qui consacre un chapitre entier à la promotion de la dignité du mariage et de la famille (cf. Gaudium et Spes 47–52). Il a qualifié le mariage de communauté de vie et d’amour (cf. Gaudium et Spes 48), en plaçant l’amour au centre de la famille et en montrant, en même temps, la vérité de cet amour face aux différentes formes de réductionnisme présentes dans la culture contemporaine. Le « véritable amour conjugal » (Gaudium et Spes 49) implique le don réciproque de soi, inclut et intègre la dimension sexuelle et l’affectivité, en correspondant au dessein divin (cf. Gaudium et Spes48–49). De plus, Gaudium et Spes 48 souligne l’enracinement des époux dans le Christ : le Christ Seigneur « vient à la rencontre des époux chrétiens dans le sacrement du mariage » et demeure avec eux. Dans l’incarnation, il assume l’amour humain, le purifie, le conduit à sa plénitude et donne aux époux, avec son Esprit, la capacité de le vivre en imprégnant toute leur vie de foi, d’espérance et de charité. De la sorte, les époux sont comme consacrés et, par une grâce spécifique, ils édifient le Corps du Christ et constituent une Église domestique (cf. Lumen Gentium, 11). Aussi l’Église, pour comprendre pleinement son mystère, regarde-t-elle la famille humaine qui le manifeste d’une façon authentique » (Instrumentum Laboris, 4).
18. « Dans le sillage du Concile Vatican II, le Magistère pontifical a approfondi la doctrine sur le mariage et sur la famille. Paul VI, en particulier, par l’Encyclique Humanae Vitae, a mis en lumière le lien intime entre l’amour conjugal et l’engendrement de la vie. Saint Jean-Paul II a consacré à la famille une attention particulière à travers ses catéchèses sur l’amour humain, sa Lettre aux familles (Gratissimam Sane) et surtout dans l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio. Dans ces documents, ce Pape a qualifié la famille de « voie de l’Église » ; il a offert une vision d’ensemble sur la vocation à l’amour de l’homme et de la femme ; il a proposé les lignes fondamentales d’une pastorale de la famille et de la présence de la famille dans la société. En particulier, s’agissant de la charité conjugale (cf. Familiaris Consortio, 13), il décrit la façon dont les époux, dans leur amour mutuel, reçoivent le don de l’Esprit du Christ et vivent leur appel à la sainteté » (Instrumentum Laboris, 5).
19. « Benoît XVI, dans l’Encyclique Deus Caritas Est, a repris le thème de la vérité de l’amour entre homme et femme, qui ne s’éclaire pleinement qu’à la lumière de l’amour du Christ crucifié (cf. Deus Caritas Est, 2). Il y réaffirme que : « Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement : la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain » (Deus Caritas Est, 11). Par ailleurs, dans son Encyclique Caritas in Veritate, il met en évidence l’importance de l’amour comme principe de vie dans la société (cf. Caritas in Veritate, 44), lieu où s’apprend l’expérience du bien commun » (Instrumentum Laboris, 6).
20. « Le Pape François, abordant le lien entre la famille et la foi, écrit dans l’Encyclique Lumen Fidei : « La rencontre avec le Christ – le fait de se laisser saisir et guider par son amour – élargit l’horizon de l’existence et lui donne une espérance solide qui ne déçoit pas. La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, la vocation à l’amour, et assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, plus forte que notre fragilité » (Lumen Fidei, 53) » (Instrumentum Laboris, 7).
L’indissolubilité du mariage et la joie de vivre ensemble
21. Le don réciproque constitutif du mariage sacramentel est enraciné dans la grâce du baptême qui établit l’alliance fondamentale de chaque personne avec le Christ dans l’Église. Dans l’accueil réciproque et avec la grâce du Christ, les futurs époux se promettent un don total, une fidélité et une ouverture à la vie, ils reconnaissent comme éléments constitutifs du mariage les dons que Dieu leur offre, en prenant au sérieux leur engagement réciproque, en son nom et devant l’Église. Or, dans la foi, il est possible d’assumer les biens du mariage comme des engagements plus faciles à tenir grâce à l’aide de la grâce du sacrement. Dieu consacre l’amour des époux et confirme son indissolubilité, en leur offrant son aide pour vivre la fidélité, l’intégration réciproque et l’ouverture à la vie. Par conséquent, le regard de l’Église se tourne vers les époux comme vers le cœur de la famille entière qui tourne à son tour son regard vers Jésus.
22. Dans cette même perspective, faisant nôtre l’enseignement de l’Apôtre, selon qui toute la création a été pensée dans le Christ et en vue de lui (cf. Col 1, 16), le Concile Vatican II a voulu exprimer son appréciation du mariage naturel et des éléments valables présents dans les autres religions (cf. Nostra Aetate, 2) et dans les cultures, malgré les limites et les insuffisances (cf. Redemptoris Missio, 55). La présence des semina Verbi dans les cultures (cf. Ad Gentes, 11) pourrait aussi être appliquée, par certains aspects, à la réalité du mariage et de la famille de nombreuses cultures et de personnes non chrétiennes. Il existe, par ailleurs, des éléments valides aussi dans certaines formes se situant hors du mariage chrétien – mais toujours fondé sur la relation stable et vraie entre un homme et une femme -, que nous considérons, quoi qu’il en soit, comme étant orientées vers lui. Le regard tourné vers la sagesse humaine des peuples et des cultures, l’Église reconnaît aussi cette famille comme la cellule de base nécessaire et féconde à la coexistence humaine.
Vérité et beauté de la famille et miséricorde envers les familles blessées et fragiles
23. C’est avec une joie intime et une profonde consolation que l’Église regarde les familles qui demeurent fidèles aux enseignements de l’Évangile, en les remerciant et en les encourageant pour le témoignage qu’elles offrent. En effet, elles rendent crédible la beauté du mariage indissoluble et fidèle pour toujours. C’est dans la famille, « que l’on pourrait appeler Église domestique » (Lumen Gentium, 11), que mûrit la première expérience ecclésiale de la communion entre les personnes, où se reflète, par grâce, le mystère de la Sainte Trinité. « C’est ici que l’on apprend l’endurance et la joie du travail, l’amour fraternel, le pardon généreux, même réitéré, et surtout le culte divin par la prière et l’offrande de sa vie » (Catéchisme de l’Église Catholique, 1657). La Sainte Famille de Nazareth en est l’admirable modèle ; c’est à son école que « nous comprenons pourquoi nous devons avoir une discipline spirituelle, si nous voulons suivre la doctrine de l’Évangile et devenir des disciples du Christ » (Paul VI, Discours à Nazareth, 5 janvier 1964). L’Évangile de la famille nourrit également ces germes qui attendent encore de mûrir et doit prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ont besoin de ne pas être négligés.
24. L’Église, en tant que maîtresse sûre et mère prévenante, tout en reconnaissant que, pour les baptisés, il n’existe pas d’autre lien nuptial que le lien sacramentel et que toute rupture de ce dernier va à l’encontre de la volonté de Dieu, est également consciente de la fragilité de nombreux de ses fils qui peinent sur le chemin de la foi. « Par conséquent, sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour. […] Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés. La consolation et l’aiguillon de l’amour salvifique de Dieu, qui œuvre mystérieusement en toute personne, au-delà de ses défauts et de ses chutes, doivent rejoindre chacun » (Evangelii Gaudium, 44).
25. Dans l’optique d’une approche pastorale envers les personnes qui ont contracté un mariage civil, qui sont divorcées et remariées, ou qui vivent simplement en concubinage, il revient à l’Église de leur révéler la divine pédagogie de la grâce dans leurs vie et de leur aider à parvenir à la plénitude du plan de Dieu sur eux. En suivant le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme (cf. Jn 1, 9 ; Gaudium et Spes, 22), l’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien, pour prendre soin l’un de l’autre avec amour et être au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent.
26. L’Église regarde avec appréhension la méfiance de tant de jeunes vis-à-vis de l’engagement conjugal et souffre de la précipitation avec laquelle beaucoup de fidèles décident de mettre fin au lieu assumé, pour en instaurer un autre. Ces fidèles, qui font partie de l’Église ont besoin d’une attention pastorale miséricordieuse et encourageante, en distinguant attentivement les situations. Les jeunes baptisés doivent être encouragés à ne pas hésiter devant la richesse que le sacrement du mariage procure à leurs projets d’amour, forts du soutien qu’ils reçoivent de la grâce du Christ et de la possibilité de participer pleinement à la vie de l’Église.
27. En ce sens, une dimension nouvelle de la pastorale familiale contemporaine consiste à accorder une grande attention à la réalité des mariages civils entre homme et femme et, en tenant bien compte des différences, des concubinages. Quand l’union atteint une stabilité consistante à travers un lien public, elle est caractérisée par une affection profonde, confère des responsabilités à l’égard des enfants, donne la capacité de surmonter les épreuves et peut être considérée comme une occasion à accompagner dans le développement menant au sacrement du mariage. Très souvent, en revanche, le concubinage s’établit non pas en vue d’un futur mariage, mais sans aucune intention d’établir un rapport institutionnel.
28. Conformément au regard miséricordieux de Jésus, l’Église doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, en leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière du phare d’un port ou d’un flambeau placé au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu leur chemin ou qui se trouvent au beau milieu de la tempête. Conscients que la miséricorde la plus grande consiste à dire la vérité avec amour, nous allons au-delà de la compassion. L’amour miséricordieux, tout comme il attire et unit, transforme et élève. Il invite à la conversion. C’est également ainsi que nous comprenons l’attitude du Seigneur, qui ne condamne pas la femme adultère, mais lui demande de ne plus pécher (cf. Jn 8, 1–11).
IIIème Partie – La discussion : perspectives pastorales
Annoncer l’Évangile de la famille aujourd’hui, dans les différents contextes
29. Le dialogue synodal s’est attardé sur plusieurs questions pastorales plus urgentes devant trouver des solutions concrètes dans les Églises locales, dans la communion « cum Petro et sub Petro ». L’annonce de l’Évangile de la famille constitue une urgence pour la nouvelle évangélisation. L’Église est appelée à le mettre en pratique, avec une tendresse de mère et une clarté de maîtresse ( cf.Ep 4, 15), dans la fidélité à la kénose miséricordieuse du Christ. La vérité s’incarne dans la fragilité humaine non pour la condamner, mais pour la sauver (cf. Jn 3,16–17).
30. Évangéliser est une responsabilité de l’ensemble du peuple de Dieu, chacun selon son ministère et son charisme. Sans le témoignage joyeux des époux et des familles, Églises domestiques, l’annonce, même si elle est correcte, risque d’être incomprise ou de se noyer dans la mer des mots qui caractérise notre société (cf. Novo Millennio Ineunte, 50). Les Pères synodaux ont souligné à plusieurs reprises que les familles catholiques sont appelées, en vertu de la grâce du sacrement nuptial, à être elles-mêmes des sujets actifs de la pastorale familiale.
31. Il sera décisif de mettre en relief la primauté de la grâce et donc les possibilités que donne l’Esprit dans le sacrement. Il s’agit de faire en sorte que les personnes puissent expérimenter que l’Évangile de la famille est une joie qui « remplit le cœur et la vie tout entière », car dans le Christ nous sommes « libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement » (Evangelii Gaudium, 1). À la lumière de la parabole du semeur (cf. Mt 13, 3–9), notre devoir est de coopérer pour les semailles : le reste, c’est l’œuvre de Dieu. Il ne faut pas oublier non plus que l’Église qui prêche sur la famille est un signe de contradiction.
32. C’est pourquoi une conversion missionnaire est demandée à toute l’Église : il est nécessaire de ne pas s’en tenir à une annonce purement théorique et détachée des problèmes réels des gens. Il ne faut jamais oublié que la crise de la foi a comporté une crise du mariage et de la famille et, en conséquence, la transmission de cette même foi des parents aux enfants s’est souvent interrompue. Face à une foi forte, l’imposition de certaines perspectives culturelles qui affaiblissent la famille et le mariage est sans incidence.
33. La conversion est aussi celle du langage afin que celui-ci apparaisse comme étant effectivement significatif. L’annonce doit faire connaître par l’expérience que l’Évangile de la famille est une réponse aux attentes les plus profondes de la personne humaine : à sa dignité et à sa pleine réalisation dans la réciprocité, dans la communion et dans la fécondité. Il ne s’agit pas seulement de présenter des normes, mais de proposer des valeurs, en répondant ainsi au besoin que l’on constate aujourd’hui, même dans les pays les plus sécularisés.
34. La Parole de Dieu est source de vie et de spiritualité pour la famille. Toute la pastorale familiale devra se laisser modeler intérieurement et former les membres de l’Église domestique grâce à la lecture orante et ecclésiale de l’Écriture Sainte. La Parole de Dieu n’est pas seulement une bonne nouvelle pour la vie privée des personnes, mais c’est aussi un critère de jugement et une lumière pour le discernement des différents défis auxquels sont confrontés les époux et les familles.
35. En même temps, de nombreux Pères synodaux ont insisté sur une approche plus positive des richesses des diverses expériences religieuses, sans pour autant passer sous silence les difficultés. Dans ces diverses réalités religieuses et dans la grande diversité culturelle qui caractérise les nations, il est opportun d’apprécier d’abord les possibilités positives et, à la lumière de celles-ci, d’évaluer les limites et les carences.
36. Le mariage chrétien est une vocation qui s’accueille par une préparation adéquate au long d’un itinéraire de foi, avec un discernement mûr, et qui ne doit pas seulement être considéré comme une tradition culturelle ou une exigence sociale ou juridique. Par conséquent, il faut organiser des parcours capables d’accompagner la personne et le couple de façon à ce qu’à la communication des contenus de la foi s’unisse l’expérience de vie offerte par la communauté ecclésiale tout entière.
37. La nécessité d’un renouveau radical de la pratique pastorale à la lumière de l’Évangile de la famille, en dépassant les optiques individualistes qui la caractérisent encore, a été rappelée à maintes reprises. C’est pourquoi, l’insistance a souvent été mise sur le renouveau de la formation des prêtres, des diacres et des autres agents pastoraux, notamment avec une plus grande implication des familles elles-mêmes.
38. De même, les Pères ont souligné la nécessité d’une évangélisation qui dénonce avec franchise les conditionnements culturels, sociaux et économiques, comme la place excessive donnée à la logique du marché, qui empêchent une vie familiale authentique, entrainant des discriminations, la pauvreté, des exclusions et la violence. Voilà pourquoi il faut développer un dialogue et une coopération avec les structures sociales ; les laïcs qui s’engagent, en tant que chrétiens, dans les domaines culturel et sociopolitique, doivent être encouragés et soutenus.
Guider les futurs époux sur le chemin de la préparation au mariage
39. La situation sociale complexe et les défis auxquels la famille est appelée à faire face exigent de toute la communauté chrétienne davantage d’efforts pour s’engager dans la préparation au mariage des futurs époux. Il faut rappeler l’importance des vertus. Parmi elles, la chasteté apparaît comme une condition précieuse pour la croissance authentique de l’amour interpersonnel. En ce qui concerne cette nécessité, les Pères synodaux ont souligné d’un commun accord l’exigence d’une plus grande implication de l’ensemble de la communauté, en privilégiant le témoignage des familles elles-mêmes, et d’un enracinement de la préparation au mariage dans l’itinéraire de l’initiation chrétienne, en soulignant le lien du mariage avec le baptême et les autres sacrements. De même, la nécessité de programmes spécifiques a été mise en évidence pour la préparation proche du mariage, afin qu’ils constituent une véritable expérience de participation à la vie ecclésiale et approfondissent les différents aspects de la vie familiale.
Accompagner les premières années de la vie conjugale
40. Les premières années de mariage sont une période vitale et délicate durant laquelle les couples acquièrent davantage conscience des défis et de la signification du mariage. D’où l’exigence d’un accompagnement pastoral qui se poursuive après la célébration du sacrement (cf. Familiaris Consortio, IIIème partie). Dans cette pastorale, la présence de couples mariés ayant une certaine expérience apparaît d’une grande importance. La paroisse est considérée comme le lieu où des couples expérimentés peuvent se mettre à la disposition des couples plus jeunes, avec l’éventuel concours d’associations, de mouvements ecclésiaux et de communautés nouvelles. Il faut encourager les époux à s’ouvrir à une attitude fondamentale d’accueil du grand don que représentent les enfants. Il faut souligner l’importance de la spiritualité familiale, de la prière et de la participation à l’Eucharistie dominicale, en encourageant les couples à se réunir régulièrement pour favoriser la croissance de la vie spirituelle et la solidarité au niveau des exigences concrètes de la vie. Liturgies, pratiques dévotionnelles et Eucharisties célébrées pour les familles, surtout pour l’anniversaire du mariage ont été mentionnées comme étant vitales pour favoriser l’évangélisation à travers la famille.
La pastorale des personnes qui sont mariés civilement ou vivent en concubinage
41. Tout en continuant à annoncer et à promouvoir le mariage chrétien, le Synode encourage aussi le discernement pastoral des situations de beaucoup de gens qui ne vivent plus dans cette situation. Il est important d’entrer en dialogue pastoral avec ces personnes afin de mettre en évidence les éléments de leur vie qui peuvent conduire à une plus grande ouverture à l’Évangile du mariage dans sa plénitude. Les pasteurs doivent discerner les éléments qui peuvent favoriser l’évangélisation et la croissance humaine et spirituelle. Aujourd’hui, dotée d’une sensibilité nouvelle, la pastorale s’efforce de saisir les éléments positifs présents dans les mariages civils et, compte-tenu des différences, dans les concubinages. Tout en affirmant clairement le message chrétien, nous devons aussi indiquer, dans notre proposition ecclésiale, des éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à cet idéal.
42. On a remarqué que, dans de nombreux pays, un « nombre croissant de couples vivent ensemble ad experimentum, sans aucun mariage ni canonique, ni civil » (Instrumentum Laboris, 81). Dans certains pays, ceci advient spécialement dans le mariage traditionnel, concerté entre les familles et souvent célébrées en diverses étapes. Dans d’autres pays, en revanche, le nombre de ceux qui, après avoir vécu longtemps ensemble, demandent la célébration du mariage à l’Église, connaît une augmentation constante. Le simple concubinage est souvent choisi à cause de la mentalité générale contraire aux institutions et aux engagements définitifs, mais aussi parce que les personnes attendent d’avoir une certaine sécurité économique (emploi et salaire fixe). Dans d’autres pays, enfin, les unions de fait sont très nombreuses, non seulement à cause du rejet des valeurs de la famille et du mariage, mais surtout parce que se marier est perçu comme un luxe, en raison des conditions sociales, de sorte que la misère matérielle pousse à vivre des unions de fait.
43. Toutes ces situations doivent être affrontées d’une manière constructive, en cherchant à les transformer en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile. Il s’agit de les accueillir et de les accompagner avec patience et délicatesse. À cette fin, le témoignage séduisant d’authentiques familles chrétiennes, comme sujets de l’évangélisation de la famille, est important.
Prendre soin des familles blessées (séparés, divorcés non remariés, divorcés remariés, familles monoparentales)
44. Quand les époux connaissent des problèmes dans leurs relations, ils doivent pouvoir compter sur l’aide et sur l’accompagnement de l’Église. La pastorale de la charité et la miséricorde tend à faire en sorte que les personnes se retrouvent et que les relations soient restaurées. L’expérience montre qu’avec une aide appropriée et par l’action réconciliatrice de la grâce, bon nombre de crises conjugales sont surmontées d’une manière satisfaisante. Savoir pardonner et se sentir pardonné constitue une expérience fondamentale dans la vie familiale. Le pardon entre les époux permet de faire l’expérience d’un amour qui est pour toujours et ne passe jamais (cf. 1 Co 13, 8). Cependant, il apparaît parfois difficile, pour celui qui a reçu le pardon de Dieu d’avoir la force d’offrir un pardon authentique qui régénère la personne.
45. Au cours du Synode, la nécessité de choix pastoraux courageux a été clairement ressenti. Confirmant avec force la fidélité à l’Évangile de la famille et reconnaissant que la séparation et le divorce sont toujours des blessures qui provoquent des souffrances pour les époux qui les vivent comme pour les enfants, les Pères synodaux ont ressenti l’urgence d’itinéraires pastoraux nouveaux, qui partent de la situation effective des fragilités familiales, en sachant que souvent elles sont davantage « subies » dans la souffrance que choisies en pleine liberté. Il s’agit de situations différentes selon les facteurs personnels, culturels et socioéconomiques. Un regard différencié est nécessaire, comme le suggérait déjà saint Jean-Paul II (cf. Familiaris Consortio, 84).
46. Chaque famille doit tout d’abord être écoutée avec respect et avec amour, en nous faisant compagnons de route comme le Christ le fit avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs. Pour ces situations, ces paroles du Pape François revêtent une valeur toute particulière : « L’Église devra initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet « art de l’accompagnement », pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5). Nous devons donner à notre chemin le rythme salutaire de la proximité, avec un regard respectueux et plein de compassion mais qui en même temps guérit, libère et encourage à mûrir dans la vie chrétienne » (Evangelii Gaudium, 169).
47. Un discernement particulier est indispensable pour accompagner, sur le plan pastoral, les personnes séparées, divorcées ou abandonnées. La souffrance de ceux qui ont subi injustement la séparation, le divorce ou l’abandon doit être accueillie et mise en valeur, de même que la souffrance de ceux qui ont été contraints de rompre la vie en commun à cause des mauvais traitements de leur conjoint. Le pardon pour l’injustice subie n’est pas facile, mais c’est un chemin que la grâce rend possible. D’où la nécessité d’une pastorale de la réconciliation et de la médiation, notamment à travers des centres d’écoute spécialisés qu’il faut organiser dans les diocèses. De même, il faut toujours souligner qu’il est indispensable de prendre en charge, d’une manière loyale et constructive, les conséquences de la séparation ou du divorce sur les enfants qui sont, dans tous les cas, les victimes innocentes de cette situation. Ils ne peuvent pas être un « objet » qu’on se dispute et il convient de chercher les formes les meilleures leur permettant de surmonter le traumatisme de la scission familiale et de grandir de la manière la plus sereine possible. En tout cas, l’Église devra toujours mettre en relief l’injustice qui dérive souvent d’une situation de divorce. Une attention spéciale doit être accordée à l’accompagnement des familles monoparentales, en particulier il faut aider les femmes qui doivent porter seules la responsabilité de la maison et de l’éducation des enfants.
48. Un grand nombre de Pères a souligné la nécessité de rendre plus accessibles et souples, et si possible entièrement gratuites, les procédures en vue de la reconnaissance des cas de nullité. Parmi les propositions, ont été indiqués : l’abolition de la nécessité de la double sentence conforme ; l’ouverture d’une voie administrative sous la responsabilité de l’évêque diocésain ; le recours à un procès simplifié en cas de nullité notoire. Certains Pères se disent toutefois contraires à ces propositions, car elles ne garantiraient pas un jugement fiable. Il faut réaffirmer que, dans tous ces cas, il s’agit de vérifier la vérité sur la validité du lien. Selon d’autres propositions, il faudrait aussi considérer la possibilité de mettre en relief, en fonction de la validité du sacrement du mariage, le rôle de la foi des deux personnes qui avaient demandé le mariage, en tenant compte du fait qu’entre baptisés tous les mariages valides sont sacrement.
49. Au sujet des procès matrimoniaux, l’allègement de la procédure, requis par beaucoup, en plus de la préparation d’un personnel suffisant – clercs et laïcs – s’y consacrant prioritairement, exige de souligner la responsabilité de l’évêque diocésain qui, dans son diocèse, pourrait charger des experts dûment préparés pour conseiller gratuitement les parties sur la validité de leur mariage. Cette fonction pourrait être exercée par un bureau ou par des personnes qualifiées (cf. Dignitas Connubii, art. 113, 1).
50. Les personnes divorcées mais non remariées, qui sont souvent des témoins de la fidélité conjugale, doivent être encouragées à trouver dans l’Eucharistie la nourriture qui les soutienne dans leur état. La communauté locale et les Pasteurs doivent accompagner ces personnes avec sollicitude, surtout quand il y a des enfants ou qu’elles se trouvent dans de graves conditions de pauvreté.
51. Les situations des divorcés remariés exigent aussi un discernement attentif et d’être accompagnés avec beaucoup de respect, en évitant tout langage et toute attitude qui fassent peser sur eux un sentiment de discrimination ; il faut encourager leur participation à la vie de la communauté. Prendre soin d’eux ne signifie pas pour la communauté chrétienne un affaiblissement de sa foi et de son témoignage sur l’indissolubilité du mariage, c’est plutôt précisément en cela que s’exprime sa charité.
52. La réflexion a porté sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. Plusieurs Pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’Eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble. D’autres se sont exprimés en faveur d’un accueil non généralisé au banquet eucharistique, dans certaines situations particulières et à conditions bien précises, surtout quand il s’agit de cas irréversibles et liés à des obligations morales envers les enfants qui viendraient à subir des souffrances injustes. L’accès éventuel aux sacrements devrait être précédé d’un cheminement pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain. La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que « L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » par divers « facteurs psychiques ou sociaux » (Catéchisme de l’Église Catholique, 1735).
53. Certains Pères ont soutenu que les personnes divorcées et remariées ou vivant en concubinage peuvent recourir de manière fructueuse à la communion spirituelle. D’autres Pères se sont demandés pourquoi, alors, elles ne pouvaient accéder à la communion sacramentelle. Un approfondissement de cette thématique est donc requis afin de permettre de faire ressortir la spécificité de ces deux formes et leur lien avec la théologie du mariage.
54. Les problématiques relatives aux mariages mixtes sont souvent revenues dans les interventions des Pères synodaux. La diversité de la discipline relative au mariage dans les Églises orthodoxes pose, dans certains contextes, des problèmes sur lesquels il est nécessaire de réfléchir au niveau œcuménique. De même, pour les mariages interreligieux, la contribution du dialogue avec les religions sera importante.
L’attention pastorale envers les personnes ayant une orientation homosexuelle
55. Dans certaines familles, des personnes ont une orientation homosexuelle. À cet égard, nous nous sommes interrogés sur l’attention pastorale à adopter face à ces situations, en nous référant à l’enseignement de l’Église : « Il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Néanmoins, les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillis avec respect et délicatesse. « À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, 4).
56. Il est totalement inacceptable que les Pasteurs de l’Église subissent des pressions en ce domaine et que les organismes internationaux subordonnent leurs aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le « mariage » entre des personnes du même sexe.
La transmission de la vie et le défi de la dénatalité
57. Il n’est pas difficile de constater la diffusion d’une mentalité qui réduit l’engendrement de la vie à une variable du projet individuel ou de couple. Les facteurs d’ordre économique exercent un poids parfois déterminant qui contribue à la forte baisse de la natalité. Cela affaiblit le tissu social, compromet le rapport entre les générations et rend plus incertain le regard sur l’avenir. L’ouverture à la vie est une exigence intrinsèque de l’amour conjugal. À cette lumière, l’Église soutient les familles qui accueillent, éduquent et entourent de leur affection les enfants en situation de handicap.
58. Dans ce domaine aussi, il faut partir de l’écoute des personnes et donner raison de la beauté et de la vérité d’une ouverture inconditionnelle à la vie comme ce dont l’amour humain a besoin pour être vécu en plénitude. C’est sur cette base que peut reposer un enseignement approprié quant aux méthodes naturelles de procréation responsable. Il s’agit d’aider à vivre d’une manière harmonieuse et consciente la communion entre les époux, sous toutes ses dimensions, y compris la responsabilité d’engendrer. Il faut redécouvrir le message de l’Encyclique Humanae Vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances. L’adoption d’enfants, orphelins et abandonnés, accueillis comme ses propres enfants, est une forme spécifique d’apostolat familial (cf. Apostolicam Actuositatem, 11), plusieurs fois rappelée et encouragée par le magistère (cf. Familiaris Consortio, 41 ; Evangelium Vitae, 93). Le choix de l’adoption et de se voir confier un enfant exprime une fécondité particulière de l’expérience conjugale, et non seulement quand celle-ci est marquée par la stérilité. Ce choix est un signe éloquent de l’amour familial, une occasion de témoigner de sa foi et de rendre leur dignité filiale à ceux qui en ont été privés.
59. Il faut aider à vivre l’affectivité, notamment dans le lien conjugal, comme un chemin de maturation, dans l’accueil toujours plus profond de l’autre et dans un don toujours plus entier. En ce sens, il faut réaffirmer la nécessité d’offrir des itinéraires de formation qui nourrissent la vie conjugale, de même que l’importance d’un laïcat pouvant offrir un accompagnement fait de témoignages vivants. L’exemple d’un amour fidèle et profond, fait de tendresse et de respect, capable de grandir dans le temps et qui, par son ouverture concrète à l’engendrement de la vie, fait l’expérience d’un mystère qui nous transcende, peut constituer une aide importante.
Le défi de l’éducation et le rôle de la famille dans l’évangélisation
60. Un des défis fondamentaux auquel doivent faire face les familles d’aujourd’hui est à coup sûr celui de l’éducation, rendue plus exigeante et complexe en raison de la situation culturelle actuelle et de la grande influence des médias. Les exigences et les attentes des familles capables d’être, dans la vie quotidienne, des lieux de croissance et de transmission concrète et essentielle des vertus qui donnent forment à l’existence, doivent être tenues en grande considération. Cela signifie que les parents puissent librement choisir le type d’éducation à donner à leurs enfants selon leurs convictions.
61. L’Église joue un rôle précieux de soutien aux familles, en partant de l’initiation chrétienne, à travers des communautés accueillantes. Il lui est demandé, aujourd’hui plus qu’hier, dans les situations complexes comme dans les situations ordinaires, de soutenir les parents dans leurs efforts éducatifs, en accompagnant les enfants, les adolescents et les jeunes dans leur croissance, grâce à des parcours personnalisés, capables d’introduire au sens plénier de la vie et de susciter des choix et des responsabilités vécus à la lumière de l’Évangile. Marie, dans sa tendresse, sa miséricorde et sa sensibilité maternelles peut nourrir la faim d’humanité et de vie, c’est pourquoi elle est invoquée par les familles et par le peuple chrétien. La pastorale et une dévotion mariale sont un point de départ opportun pour annoncer l’Évangile de la famille.
Conclusion
62. Les réflexions proposées, fruit du travail synodal qui s’est déroulé dans une grande liberté et avec un mode d’écoute réciproque, entendent poser des questions et indiquer des perspectives qui devront mûrir et être précisées par la réflexion des Églises locales durant l’année qui nous sépare de l’Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques prévue en octobre 2015 ; elle sera consacrée à la vocation et à la mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain. Il ne s’agit pas de décisions prises, ni de perspectives faciles. Cependant, le cheminement collégial des évêques et la participation de l’ensemble du peuple de Dieu sous l’action de l’Esprit Saint, en ayant pour modèle celui de la Sainte Famille, pourront nous guider pour trouver des voies de vérité et de miséricorde pour tous. Tel est le souhait que dès le début de nos travaux, le Pape François nous a exprimé, en nous invitant au courage de la foi et à l’accueil humble et honnête de la vérité dans la charité.
Sources : Vatican, le 18 octobre 2014