Dimanche 3 mai 2015, Mgr Fernando Saburido, archevêque de Olinda et Recife (Brésil), a ouvert officiellement la phase diocésaine de l’enquête en vue de la béatification de son prédécesseur, Mgr Helder Camara (1909–1999). Le 25 février 2015, la Congrégation pour la cause des saints, avait autorisé l’ouverture officielle du procès pour Dom Helder Pessoa Camara (sur la photo), déclaré Serviteur de Dieu, et la date du 3 mai a été choisie avec l’accord des évêques qui forment la région nord-est 2 de la Conférence épiscopale du Brésil.
Né le 7 février 1909, à Fortaleza (capitale de l’Etat du Ceará dans le nord-est du Brésil), Helder Camara est ordonné prêtre le 15 août 1931 à Rio de Janeiro. Il est nommé évêque de Sarde, en 1952, et, en 1955, archevêque auxiliaire de Rio de Janeiro. De 1952 à 1964, il est secrétaire de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB). Mgr Helder Camara est nommé archevêque de Olinda et Recife le 12 mars 1964. A l’âge de 75 ans, en 1984, il remet sa démission au pape Jean-Paul II et prend effectivement sa retraite l’année suivante, à la nomination de son successeur. Mgr Helder Camara est décédé le 27 août 1999, à Recife.
Le 2 mai dernier, Radio Vatican présente celui que l’ « on l’appelait ‘l’évêque des pauvres’, ou encore ‘l’évêque rouge’, voire ‘l’agitateur’ » comme une « grande figure de la théologie de la libération en Amérique latine ».
Qui était Dom Helder Camara ? La très progressiste revue Golias le décrit comme un « jeune prêtre destiné à une grande et belle carrière, et séduit par le démon de la politique. Il rejoint le groupe des Integralistas, une organisation très proche du fascisme, qui fut finalement réduite au néant en 1938 par le Président Getulio Vargas. Par la suite, Dom Camara s’éloigna totalement de ce mouvement et des idéaux intégralistes qui l’animent, en particulier suite à sa lecture d’Humanisme intégral de Jacques Maritain qui l’incita à une rupture complète avec l’intransigeantisme. (…)
« Doté d’un talent bien réel d’organisateur, Mgr Helder Camara prend en 1955 la charge de secrétaire de la conférence des évêques brésiliens. Il dirige également l’Action catholique brésilienne et participe à la création du Conseil Episcopal d’Amérique latine (CELAM). A Rio, il jouissait de la confiance du plus grand nombre, sans compter l’estime du Président Juscelino Kubitschek qui lui aurait proposé de l’assister à son cabinet. Tout au long de cette période, il prêta une attention privilégiée aux questions sociales. (…)
« Au concile Vatican, il se range résolument du côté de la majorité réformatrice et est combattu par l’un des ténors de la minorité conservatrice, Mgr Geraldo de Proença Sigaud, un religieux du Verbe de Dieu, archevêque de Diamantina, proche du cardinal Giuseppe Siri et de Mgr Marcel Lefebvre. En 1964, il devient archevêque de Olinda et Recife. (…)
« Proche des mouvements non-violents, se référant volontiers à deux ‘saints’ non catholiques que furent Gandhi et Martin Luther King, il souhaite mettre en place une pastorale axée sur l’option préférentielle pour les pauvres. Il change le contenu et le style de la formation de ses prêtres dans le sens d’une priorité à l’action sociale, ce qui lui vaut de vives critiques à Rome. En 1977, il participe à la Conférence des évêques d’Amérique latine sur la non-violence. Il devient docteur honoris causa des universités de Louvain (1970), de Chicago (1974), d’Amsterdam (1975) et d’Uppsala (1977). Son engagement lui valait de très nombreuses critiques. Il avait coutume de répondre : ‘Quand je nourris les pauvres, ils disent que je suis un saint. Mais quand je demande pourquoi les pauvres n’ont pas de nourriture, ils me traitent de communiste’. Mgr Helder Camara incarne à lui tout seul l’évolution d’une Eglise d’abord conservatrice vers le témoignage prophétique. »
Le 30 août 1999, quelques jours après sa mort le journal gauchiste Libération, sous la plume de Christian Dutilleux, dresse un panégyrique de « l’évêque rouge » : « Le jeune prêtre se lance très vite à fond dans l’engagement social de l’Eglise. Helder Camara devient un des premiers ‘agitateurs’ (il aimait ce terme) à secouer la léthargie ecclésiale en participant en 1952 à la fondation de la Conférence épiscopale brésilienne (CNBB). Chaque année, celle-ci regroupe les évêques et définit les priorités nationales de l’Eglise. Un acte subversif, alors, au Brésil : face au pouvoir, l’Eglise se dote ainsi d’une structure politique, capable de mener des campagnes. (…)
« Par sa force, la CNBB réduit aussi le pouvoir de la Curie romaine sur les évêques. Dom Helder voit grand. Le jeune prélat est en effet devenu une des chevilles ouvrières de la réforme de toute l’Eglise et du concile Vatican II. (…)
« En Amérique latine, l’Eglise est en pleine ébullition. Son courant progressiste commence à se reconnaître dans la ‘théologie de la libération’. Les évêques ont eu, une fois n’est pas coutume, un temps d’avance. Ils se retrouvent à Medellin, en Colombie, en 1968, et lancent les bases d’un conseil épiscopal latino-américain qui décide de placer l’Eglise au service des pauvres. Tout bascule avec Jean-Paul II. En 1979, ses émissaires tentent de faire capoter une nouvelle conférence latino-américaine qui se déroule, cette fois, à Puebla, au Mexique. Le Vatican considère alors la théologie de la libération comme un succédané pervers du marxisme. Les progressistes arrivent néanmoins à imposer leurs vues, grâce à Dom Helder. (…) Jean-Paul II mise sur la durée. Il profite du départ à la retraite de la ‘génération rebelle’ pour peupler la conférence épiscopale de prélats dociles, souvent issus du courant charismatique. Des adeptes des ‘messes pop’ où l’on danse et chante les ritournelles débiles de l’‘aérobic du Christ’. Les temps ont changé. »
Le 7 avril 2015, Corrispondenza Romana, le site de l’historien italien Roberto de Mattei, posait la question « Qui est vraiment Dom Helder Camara ? ». Et il y répondait, de façon moins hagiographique, par une enquête documentée dont voici les extraits les plus éclairants
On a beaucoup parlé ces derniers jours de Dom Helder Camara, dont le procès en béatification a été récemment approuvé par le Vatican. Pour l’italien moyen la figure de Mgr Helder Pessoa Camara (1909–1999), évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, puis archevêque métropolite de Olinda-Recife, est presque inconnue. Qui était Dom Helder ?
Une propagande à la limite du ridicule
Les seules informations sur Mgr Camara qui filtrent de la presse locale proviennent de fabriques de propagande tellement partiales que je ne crains pas de les définir comme étant à la limite du ridicule.
Je me souviens très bien, par exemple, de la réaction de la presse à l’époque de la disparition de Dom Helder en août 1999. Les médias italiens rivalisèrent en panégyriques, lui conférant des titres grandiloquents comme « Prophète des pauvres », le « Saint des favelas », la « voix du Tiers Monde », « Saint Helder d’Amérique », et ainsi de suite. Ce fut une sorte de canonisation médiatique.
Cette machine de propagande semble s’être réactivée avec l’ouverture du procès en béatification, signé au Vatican le 25 février dernier. Quelques informations à ce sujet ne feront pas de mal. (…)
De la JUD au PC, l’Action catholique brésilienne
En 1947 le père Camara fut nommé Assistant général de l’Action Catholique brésilienne qui, sous son impulsion, se mit à glisser vers la gauche jusqu’à embrasser, dans certains cas, le marxisme léninisme. La migration fut évidente surtout dans la JUD (Juventude Universitaria Catòlica), dont Camara était particulièrement proche. Luiz Alberto Gomez de Souza, ancien secrétaire de la JUD, écrit : « L’action des militants de la JUD (…) aboutissait à un engagement qui s’est progressivement révélé socialiste ».
La révolution communiste de Cuba (en 1959) fut saluée avec enthousiasme par la JUD. D’après Haroldo Lima et Aldo Arantes, dirigeants de la JUD, « la recrudescence des luttes populaires et le triomphe de la révolution cubaine en 1959 ouvrirent la JUD à l’idée d’une révolution brésilienne ».
La dérive vers la gauche fut facilitée par l’implication de la JUD avec l’UNE (União Nacional de Estudiantes), proche du Parti Communiste. « Comme résultat de son militantisme dans le mouvement estudiantin, poursuivent Lima et Arantes, la JUD fut poussée à définir un agenda politique plus large pour les chrétiens d’aujourd’hui. Au congrès de 1960 elle finit par approuver un document (…) dans lequel elle annonçait son adhésion au socialisme démocratique et à l’idée d’une révolution brésilienne ».
Pendant le gouvernement de gauche du président João Goulart (1961–1964), une faction radicale se forma à l’intérieur de la JUD, initialement appelée O Grupão, (le Grand Groupe), qui se transforma ensuite en Ação Popular (AP) qui finit par se définir socialiste en 1962. Au congrès de 1963, l’AP approuva ses propres statuts, dans lesquels « le socialisme était adopté et la socialisation des moyens de productions était proposée ». Les statuts contenaient, entre autre, un éloge de la révolution soviétique et une reconnaissance de l” »importance décisive du marxisme dans la théorie et la pratique révolutionnaire ».
La dérive, toutefois, ne s’arrêta pas là. Au congrès national de 1968, Ação Popular se proclama marxiste-léniniste, changeant son nom en Ação Popular Marxista-Leninista (APML). Et puisque rien ne la séparait plus du Parti communiste, en 1972 elle finit par se dissoudre et s’incorporer au Partido Comunista do Brasil. A travers cette migration, de nombreux militants de l’Action Catholique finirent par participer à la lutte armée pendant les années de plomb brésiliennes.
Contre l’avis de nombreux évêques brésiliens, Mgr Helder Camara fut un des défenseurs les plus enthousiastes et les plus convaincus de la migration à gauche au sein de la JUD.
Contre Paul VI et autres bizarreries
En 1968, au moment où le Pape Paul VI publiait l’encyclique Humanae Vitae, Mgr Helder Camara prit ouvertement position contre le Pontife, qualifiant sa doctrine sur les contraceptifs d’ « erreur destinée à tourmenter les épouses et à troubler la paix de nombreux foyers ».
Dans un poème qui fit vraiment scandale, l’archevêque de Olinda-Recife ironisait aussi sur les femmes « victimes » de la doctrine de l’Eglise, contraintes, selon lui, d’engendrer de « petits monstres » : « (…) tu dois procréer ! Même si ton enfant naît sans entrailles, les jambes rachitiques, la tête énorme, moche à en mourir !».
Helder Camara défendait aussi le divorce, approuvant la position des Eglises orthodoxes qui « n’interdisent pas la possibilité d’un nouveau mariage religieux à ceux qui ont été abandonnés [par leur conjoint] ». Interrogé si cela ne donnerait pas raison aux laïcistes, il répondit : « Qu’importe de crier victoire, puisqu’on a raison ? ».
Le turbulent archevêque réclamait aussi haut et fort l’ordination sacerdotale des femmes. S’adressant à un groupe d’évêques pendant le Concile Vatican II, il leur demandait avec insistance : « Dites-moi, s’il vous plaît, s’il existe des arguments réellement décisifs qui empêchent l’accès des femmes à la prêtrise, ou bien s’agit-il d’un préjugé masculin ? ».
Et qu’importe si le Concile Vatican II a ensuite écarté cette possibilité. De l’avis de Camara, « nous devons dépasser les textes conciliaires, dont l’interprétation nous revient ».
Les excentricités ne s’arrêtaient pas là. Dans une conférence tenue devant les Pères conciliaires en 1965, il déclarait : « Je pense que l’homme créera artificiellement la vie, il parviendra à la résurrection des morts et (…) il obtiendra des résultats miraculeux dans le revitalisation de patients mâles par la greffe de prostates de singes ».
Du côté de l’URSS, de la Chine et de Cuba
Les prises de position concrètes de Dom Helder en faveur du communisme (même si parfois il en critiquait l’athéisme) furent nombreuses et cohérentes. Tristement célèbre est par exemple son intervention du 27 janvier 1969 à New York, au cours de la IVe conférence annuelle du Programme catholique de coopération interaméricaine. Une intervention tellement alignée sur le communisme international qu’elle lui valut l’épithète d’ « Archevêque rouge », appellation qui resta par la suite indissociablement liée à son nom.
Après avoir durement reproché aux USA leur politique anti-soviétique, Dom Helder proposa une diminution drastique des forces armées américaines, alors qu’il appelait l’URSS à garder ses capacités militaires afin de pouvoir faire face à l’ « impérialisme ». Conscient des conséquences de cette stratégie, il s’en défendit à l’avance : « Ne me racontez pas que cette approche mettrait le monde en proie au communisme ! ».
Après l’attaque aux Etats-Unis, Helder Camara fit le panégyrique de la Chine de Mao Tsé-Toung, alors au milieu de la « révolution culturelle » qui provoqua des millions de morts. L’Archevêque rouge demanda formellement l’admission de la Chine communiste à l’ONU, avec comme corollaire l’expulsion de Taïwan. Il termina son intervention avec un appel en faveur du dictateur cubain Fidel Castro, qui à l’époque soutenait les sanglantes guérillas de l’Amérique Latine. Il demanda aussi que Cuba fût réadmise au sein de l’OEA (Organisation des Etats Américains), dont elle avait été expulsée en 1962. (…)
Théologie de la libération
Mgr Helder Camara est aussi resté dans l’histoire pour être un des chantres de la soi-disant « Théologie de la libération », condamnée par le Vatican en 1984. Deux déclarations résument cette théologie.
La première, du compatriote de Dom Helder, Léonardo Boff : « Ce que nous proposons est le marxisme, le matérialisme historique, dans la théologie ».
La seconde, du péruvien Gustavo Gutierrez, père fondateur du même courant : « Ce que nous entendons par théologie de la libération est la participation au processus politique révolutionnaire ». Gutierrez nous explique aussi la signification de cette participation : « Ce n’est que dans le dépassement d’une société divisée en classes, (…) et dans l’élimination de la propriété privée de la richesse créée par le travail humain, que nous serons en condition de jeter les bases d’une société plus juste. C’est pourquoi les efforts pour programmer une société plus juste en Amérique latine s’orientent de plus en plus vers le socialisme ».
Ami des pauvres ou de la liberté ?
Le plus grand mensonge sur Helder Camara a été peut-être celui de le présenter comme un ami des pauvres et un défenseur de la liberté. Le titre de défenseur de la liberté sied très mal à quelqu’un qui a célébré quelques-unes des dictatures les plus sanguinaires qui ont émaillé le XXe siècle, le nazisme d’abord, le communisme ensuite, en toutes ses variantes : soviétique, cubaine, chinoise… Mais celui d’ami des pauvres ne convient vraiment pas à celui qui a soutenu des régimes qui ont provoqué une pauvreté tellement épouvantable qu’ils ont été qualifiés par le cardinal Joseph Ratzinger de « honte de notre temps ».
Une analyse attentive de l’Amérique latine – pays après pays – montre clairement que là où les politiques proposées par Dom Helder ont été mises en pratique, le résultat a été une augmentation considérable de la pauvreté et du mécontentement populaire. Là où des politiques contraires ont été appliquées, le résultat a été une croissance générale de la richesse.
Un exemple vaut pour tous : la réforme agraire, dont Dom Helder Camara fut le promoteur principal et qui s’est au contraire révélée « le pire échec de la politique publique de notre pays », selon les paroles non suspectes de Francisco Graziano Neto, président de l’INCRA (Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrària), c’est-à-dire l’organisme en charge de la mise en œuvre de la réforme agraire.
Indro Montanelli [1] avait raison lorsqu’il disait : « La gauche aime tellement les pauvres que chaque fois qu’elle accède au pouvoir, elle en augmente le nombre ».
Si Helder Camara est béatifié, ses thuriféraires ne parleront plus que de la « Bienheureuse Théologie de la libération » ; s’il est canonisé, il ne sera plus question que de réhabiliter, après toutes les repentances dues, Marx, Mao et Castro.
Sources : fides/radio vatican/apic/golias/liberation/corrispondenzaromana – traduction française benoitetmoi – n°315 du 15/05/15
- Journaliste et essayiste italien (1909–2001), témoin et protagoniste lucide et caustique de presqu’un siècle de la vie intellectuelle de la droite italienne, directeur pendant 40 ans du Corriere della Sera et fondateur de Il Giornale.[↩]