Synode : l’Eglise catholique devient-​elle protestante ?, par J‑M Guenois

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Alors que s’a­chève le synode sur la famille, Aline Lizotte (1) estime que l’on risque d’al­ler en pra­tique, non vers un « divorce à la catho­lique » mais vers une sorte de concep­tion pro­tes­tante de la liber­té de conscience.

LE FIGARO. – Même s’il n’a pas pris posi­tion pour évi­ter un vote néga­tif d’une par­tie des évêques, le synode a sug­gé­ré au pape, et cela a été voté, que la ques­tion de la com­mu­nion des divor­cés rema­riés ne soit plus réglée par un oui ou par un non, mais à tra­vers un « dis­cer­ne­ment » au cas par cas, selon des cri­tères pré­éta­blis par l’Eglise : est-​ce une évo­lu­tion notable de la théo­lo­gie morale catholique ?

Aline LIZOTTE. – Les numé­ros 84, 85 et 86 de la rela­tion syno­dale sont pour le moins confus sinon ambi­gus. On n’y parle pas direc­te­ment d’in­ter­dic­tion ou de per­mis­sion de com­mu­nier, mais de trou­ver les divers modes d’in­té­gra­tion en vue d’une meilleure par­ti­ci­pa­tion à la vie com­mu­nau­taire chré­tienne. Parmi ces dif­fé­rents modes d’in­té­gra­tion, il y aurait la per­mis­sion de deve­nir par­rains, de faire la caté­chèse, de lire les textes à la messe, bref, de par­ti­ci­per aux actes qui pré­parent à la vie sacramentelle.

Mais il y a aus­si la pos­si­bi­li­té de com­mu­nier. Jean Paul II n’é­tait pas allé aus­si loin. Tout en refu­sant fer­me­ment la pos­si­bi­li­té de par­ti­ci­per à la com­mu­nion, il avait, lui aus­si, bien affir­mé que les divor­cés fai­saient par­tie de la com­mu­nau­té chré­tienne – ils n’é­taient pas excom­mu­niés – et qu’ils devaient s’u­nir à la prière de l’Eglise, par­ti­ci­per au sacri­fice eucha­ris­tique et prendre part aux œuvres de cha­ri­té sociales.

Aujourd’hui le numé­ro 84 du docu­ment final va plus loin, puis­qu’il parle de « dépas­ser » les « exclu­sions » dans le domaine litur­gique, édu­ca­tif, pas­to­ral et … « ins­ti­tu­tion­nel ». Ce mot est vague mais il est très impor­tant car il peut tout dési­gner dans l’Eglise. Qu’est ce qui empê­che­rait en effet un divor­cé rema­rié de deve­nir diacre…

Quant au numé­ro 85, il exa­gère une dis­tinc­tion capi­tale pour­tant clai­re­ment éta­blie par Jean-​Paul II et qui appar­tient depuis tou­jours à la théo­lo­gie morale : cette dis­tinc­tion, expri­mée dans Veritatis Splendor (nos 54–64) et dans la somme théo­lo­gique de saint Tomas d’Aquin Ia-​IIae, q.18, a.3, per­met de faire une dif­fé­rence entre ce qui est « objec­tif » dans un choix moral et ce qui dépend des « cir­cons­tances ». Mais, le docu­ment final donne, aux cir­cons­tances, une impor­tance déme­su­rée qu’elle n’a pas dans l’é­qui­libre clas­sique de la théo­lo­gie morale.

On intro­duit donc un déséquilibre ?

On veut don­ner plus de place, désor­mais, aux cir­cons­tances. Or la dis­tinc­tion clas­sique montre qu’il y a des actes moraux qui sont objec­ti­ve­ment graves, même si, effec­ti­ve­ment, cer­taines cir­cons­tances, propres à la per­sonne, per­mettent d’en dimi­nuer la res­pon­sa­bi­li­té, voire de l’an­nu­ler. Il y a donc une dif­fé­rence entre la réa­li­té objec­tive d’un acte et ce que l’on appelle « l’im­pu­ta­bi­li­té » de l’acte, sa charge morale, si je puis dire, qui repose, ou non, sur les épaules de celui qui a com­mis cet acte. C’est ce qu’en­seigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique (no 1735). Jean-​Paul II a d’ailleurs appli­qué cette dis­tinc­tion au dis­cer­ne­ment pas­to­ral des pas­teurs et des confes­seurs lors de la direc­tion spi­ri­tuelle des consciences.

Et cette dis­tinc­tion – appli­quée à l’é­chec d’un mariage et le divorce – éclaire la culpa­bi­li­té dans la conscience morale. Car une chose est une sépa­ra­tion qui abou­tit à un divorce dont l’au­teur a tout fait pour pla­quer son conjoint en l’a­ban­don­nant à sa soli­tude avec la charge de ses enfants ; une autre chose est l’é­tat du conjoint « ain­si répu­dié » qui a tout ten­té pour conser­ver son enga­ge­ment matri­mo­nial et qui se trouve accu­lé à un état de vie, dif­fi­cile ou qua­si impos­sible. Un état dont il ne porte pas la res­pon­sa­bi­li­té. C’est une vic­time. Surgit alors cette ques­tion cru­ciale : cette per­sonne – homme ou femme – en se rema­riant commet-​elle un péché « d’a­dul­tère » qui, en tant que péché, l’en­trai­ne­rait à s’é­loi­gner de la com­mu­nion ? Et peut-​on la juger de la même manière que son conjoint qui l’a pla­quée et qui s’est remarié ?

Que répond sur ce point le Synode ?

Sur ce point la rela­tion syno­dale est loin d’être claire…Elle est même ambigüe !

Pourquoi ?

Nous sommes, en effet, face à deux actes objec­ti­ve­ment dif­fé­rents : Une chose est de ne pas se juger cou­pable, au for interne, c’est-​à-​dire dans sa conscience, de l’é­chec de son mariage et même d’al­ler jus­qu’à la conclu­sion intime que ce mariage était inva­lide. Autre chose est de s’ap­puyer sur cette seule conscience – même assis­té par un conseiller spi­ri­tuel, voire d’un évêque – pour prendre la déci­sion de se rema­rier. En se disant, en somme, je ne suis pas cou­pable – en conscience – de l’é­chec de mon mariage, j’ai même la convic­tion intime que mon pre­mier mariage est inva­lide ; en me rema­riant, je ne com­mets donc pas un adul­tère ain­si je peux communier.

Or, et c’est là le fond du pro­blème, la condi­tion de com­mettre, ou de ne pas com­mettre un adul­tère, ne dépend pas uni­que­ment des condi­tions inté­rieures du juge­ment de conscience mais elle dépend de la vali­di­té, ou de la non vali­di­té du pre­mier mariage.

Ce qui ne relève pas uni­que­ment du for interne de l’un des conjoints, ou, autre­ment dit de sa seule conscience pro­fonde, mais du for externe, c’est-​à-​dire des cri­tères objec­tifs de la loi ! Donc, déter­mi­ner de la vali­di­té ou non, d’un consen­te­ment – fon­da­teur du mariage – n’est pas une ques­tion de conscience qui n’ap­par­tien­drait qu’à un seul des deux conjoints. Ce sont les deux per­sonnes qui sont engagées.

Il ne s’a­git pas sim­ple­ment de se dire : « je sens, j’ai tou­jours pen­sé, que mon mariage n’é­tait pas valide»… Certes, la conscience peut-​être loyale, mais elle peut-​être aus­si objec­ti­ve­ment erro­née. En ce sens, il est inexact de dire comme le pro­clame Mgr Cupich, l’ar­che­vêque de Chicago, que la conscience est tou­jours inviolable.

Je parle donc d’am­bi­guï­té parce que les cri­tères don­nés au n°85 du docu­ment final du synode sont jus­te­ment pré­vus pour aider la per­sonne, son confes­seur et même son évêque à juger de la droi­ture et de l’hon­nê­te­té de sa conscience. Mais, je regrette, ces cri­tères ne sont pas suf­fi­sants pour conclure avec cer­ti­tude de la vali­di­té ou de la non vali­di­té du pre­mier mariage.

Quels risques voyez-vous ?

Agir dans ce sens va conduire à mettre en place une sorte de sys­tème de « consul­ting spi­ri­tuel », de coa­ching interne qui aide­ront les consciences à ne plus se sen­tir cou­pables d’un rema­riage. Fortes de leur sub­jec­ti­vi­té elles esti­me­ront avoir le droit à un rema­riage en bonne et due forme. Ce n’est pas par hasard que Jean-​Paul II, pour énon­cer l’in­ter­dic­tion de la com­mu­nion pour les divor­cés rema­riés, avait bien pris soin d’é­ta­blir cette dis­tinc­tion qui démon­trait que « l’exa­men de conscience » dont parle aujourd’­hui le docu­ment final n’est pas suf­fi­sant pour éva­luer la situa­tion objec­tive et la situa­tion du conjoint lésé.

Cette ouver­ture, dou­blée de la faci­li­ta­tion des pro­cé­dures d’an­nu­la­tion cano­nique du lien du mariage déci­dée par le pape François en sep­tembre der­nier, ne contribue-​t-​elle pas à créer, dans l’o­pi­nion, l’i­dée que l’Eglise vient d’in­ven­ter le « divorce catholique » ? 

Pour l’Église catho­lique le pro­blème auquel elle doit faire face n’est pas celui des divor­cés rema­riés mais celui de la cré­di­bi­li­té de son mariage. En quoi sa doc­trine du mariage a‑t-​elle encore une influence sur la vie des gens et même sur ses propres fidèles… Mais d’où vient le pro­blème ? Vient-​il du chan­ge­ment socié­tal, assez impres­sion­nant ou vient-​il des insuf­fi­sances d’une pas­to­rale inadé­quate ? On pen­sait la doc­trine acquise, on s’a­per­çut que ce ne l’é­tait pas. Dans cette pers­pec­tive, il faut bien com­prendre que le pro­blème des divorces rema­riés appa­raît comme un cas type, sur lequel on réflé­chit comme sur un cas le plus dif­fi­cile à résoudre. On a espé­ré le résoudre uni­que­ment par la voie pas­to­rale… sans chan­ger les affir­ma­tions doc­tri­nales. Mais cela touche à la qua­dra­ture du cercle car la pas­to­rale découle de la doc­trine ! Elle est, en pru­dence, son appli­ca­tion. Changer une pas­to­rale sans chan­ger de doc­trine dans les points essen­tiels de cette doc­trine, c’est un pro­blème impos­sible à résoudre. La doc­trine de l’Église catho­lique est en effet claire et ferme : un mariage vali­de­ment célé­bré (ratum) et consom­mé (consu­ma­tum) est indis­so­luble. J’ajoute que la faci­li­té que donnent les légis­la­tions civiles, divorce à l’a­miable, pacs, admis­sion du concu­bi­nage, rend l’en­ga­ge­ment abso­lu et pour toute la vie moins ten­tant. Les dif­fi­cul­tés conju­gales s’a­mon­ce­lant on recourt donc à une légis­la­tion civile pour rompre un mariage et même en contrac­ter un second ou un troi­sième. Mais, en doc­trine, ces mariages, sont pour l’Église, « nuls » au sens juri­dique et aucun ne rompt la vali­di­té du pre­mier mariage si ce der­nier est décla­ré valide.

Si l’ou­ver­ture qu’a­morce ce synode sur le juge­ment de conscience, jointe à la faci­li­té des pro­cé­dures qui sera mis en vigueur par le Motu Proprio Mitis Iudex Dominus Iesus e Mitis et Misericors Iesus du 8 sep­tembre 2015, pour l’ob­ten­tion d’un décret de nul­li­té on risque d’al­ler en pra­tique, non vers un « divorce à la catho­lique » mais vers une sorte de concep­tion pro­tes­tante de la liber­té de conscience.

Car la conscience, comme je viens de l’ex­pli­quer ne peut pas seule­ment se fon­der sur le seul res­sen­ti qu’elle per­çoit, ou non, de la gra­vi­té de ses actes, mais sur des cri­tères objec­tifs de la loi morale.

L’Eglise, sur ce point, manque-​t-​elle de « cœur » comme l’a dit le Pape ? N’est-​elle pas trop dure en ne par­lant que de « loi » ? Sur quoi l’Eglise se fonde-​t-​elle, au juste, pour affir­mer qu’un pre­mier mariage, s’il est valide, donc libre­ment consen­ti et pour la vie, est par nature indis­so­luble ? Et pour­quoi ne peut-​elle pas évo­luer sur l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage ? 

L’Église peut évo­luer sur des ques­tions qui découle de son droit propre. Ainsi elle évo­lue sur beau­coup de ques­tions : réformes litur­giques, réforme de la péni­tence pen­dant le carême, réforme sur les fêtes de pré­ceptes, reforme sur l’é­tat clé­ri­cal, reforme sur l’exer­cice de l’au­to­ri­té dans l’Église (col­lé­gia­li­té), reforme de pro­cé­dures sur les demandes de décret de nul­li­té du mariage, réforme sur les vœux de reli­gion. Depuis Vatican II, on a vu s’a­battre une somme de réformes qui ont façon­né de façon directe notre com­por­te­ment exté­rieur vis-​à-​vis de Dieu et notre agir com­mu­nau­taire envers nos frères. Les réformes ont d’ailleurs été tel­le­ment impor­tantes qu’il a fal­lu réécrire et pro­mul­gué un nou­veau Droit Canon (1983).

Mais il y a des domaines qui ne sont pas du droit de l’Église. D’abord parce qu’au­cun Pape n’a fon­dé et ne fonde l’Église. C’est tou­jours Jésus-​Christ qui bâtit son Eglise. Ensuite parce que le Christ a lais­sé à l’Église des moyens de par­ti­ci­per à sa vie, à sa prière, à son mys­tère de salut, moyens qui sont liés à sa volon­té : ce sont les sacre­ments et leur sub­stance sur les­quels l’Église n’a aucun pou­voir. Il faut tou­jours de l’eau pour bap­ti­ser ; il faut tou­jours du pain et du vin pour une consé­cra­tion eucha­ris­tique ; il faut tou­jours une accu­sa­tion orale des péchés – on ne peut faire cela par cor­res­pon­dance ou par inter­net – pour rece­voir le sacre­ment de la Réconciliation. Enfin il faut tou­jours que l’homme quitte son père et sa mère et s’at­tache à sa femme, pour qu’un consen­te­ment matri­mo­nial ait valeur de sacre­ment. Cette sub­stance sacra­men­telle n’ap­par­tient pas à l’Église.

Ainsi, le mariage que Dieu a ins­ti­tué est hété­ro­sexuel, mono­game, indis­so­luble et ouvert à la vie. Ces pro­prié­tés du mariage l’Église ne les invente pas, elle les reçoit du Christ lui-​même. Si elle peut chan­ger la dis­ci­pline, par exemple, l’âge de la pre­mière com­mu­nion, le ministre du bap­tême, les condi­tions de l’onc­tion des malades etc ; elle ne peut chan­ger la sub­stance du sacre­ment. Or, l’in­dis­so­lu­bi­li­té fait par­tie essen­tiel­le­ment du sacre­ment du mariage.. Et sur cette ques­tion l’Église n’a aucun pou­voir d’en changer.

Mais les per­sonnes, ces couples qui ont vécu un échec, l’Eglise peut-​elle igno­rer leur souf­france ? Ce fut une demande constante pen­dant ces vingt jours de synode ?

Pour l’Église catho­lique, ce pro­blème des divor­cés rema­riés est un pro­blème épi­neux. Il y a là une struc­ture de péché, c’est-​à-​dire, une situa­tion qui porte à user du mariage comme si on était marié alors qu’on ne l’est pas, puisque le pre­mier mariage est tou­jours valide. Cependant, dans l’Église, ces per­sonnes ne sont pas exclues de la com­mu­nau­té chré­tienne. Elles sont comme tous les chré­tiens, conviés à la par­ti­ci­pa­tion à l’Eucharistie du dimanche. Cependant, elles ne peuvent pas com­mu­nier. Convoquées à un sacri­fice de com­mu­nion, elles ne peuvent pas y par­ti­ci­per plei­ne­ment. Poser la ques­tion sur les divor­cés rema­riés c’est donc réflé­chir sur le cas type par excellence.

C’est dur à dire mais sur le plan cano­nique et phi­lo­so­phique ces per­sonnes se sont mises volon­tai­re­ment et peut-​être incons­ciem­ment dans une situa­tion impos­sible. Elles usent d’un droit qu’elles n’ont pas, car elles sont liées – par leur parole don­née sacra­men­tel­le­ment – à une autre per­sonne. Non seule­ment, elles ne res­pectent plus la parole don­née devant Dieu mais elles usurpent le droit de l’autre, de la femme aban­don­née du mari humi­lié. Certes elles se jus­ti­fient en invo­quant l’é­chec du pre­mier mariage et la réus­site du second. Pourquoi leur refuserait-​on donc le droit de « refaire leur vie » ? Pourquoi même, si l’on dit qu’elles ne sont pas exclues de la com­mu­nau­té chré­tienne, leur refuserait-​on le droit à la com­mu­nion ? Cette com­mu­nion n’est-​elle pas le signe de l’ap­par­te­nance à la com­mu­nau­té ? Toute la com­mu­nau­té est invi­tée, à la Messe, au fes­tin des Noces de l’Agneau ? Pourquoi pas eux ? Souvent, ils vivent hon­nê­te­ment, en toute fidé­li­té et dévoue­ment au nou­vel époux ou épouse, ayant de nou­veaux enfants, ayant une nou­velle famille ? Pourquoi ce dur­cis­se­ment de la pas­to­rale qui se veut avant tout fidèle à une doc­trine juste, mais qui semble sur­tout man­quer de misé­ri­corde ? Voilà le dilemme que l’on pose entre le doc­to­ral et le pas­to­ral ! Mais la ques­tion est de savoir si ce dilemme est réel­le­ment un dilemme doc­to­ral vis-​à-​vis d’une pas­to­rale inadé­quate ? Ou une mau­vaise façon de poser le problème…

Et permettez-​moi d’a­jou­ter que le fait d’a­voir intro­duit le juge­ment de conscience dans la mêlée, n’a rien éclair­ci, au contraire, cela pose encore plus de pro­blèmes. Quels sont les chré­tiens, les catho­liques, qui savent vrai­ment ce qu’est un juge­ment de conscience, qui sont capables du dis­cours moral qu’il demande ou qui en ont même le cou­rage ? Quels sont les pas­teurs suf­fi­sam­ment aptes à aider le chré­tien à poser ce juge­ment de conscience ? Car un juge­ment de conscience ne part pas de son état sub­jec­tif, de son psy­chisme, de son désir, mais il doit tou­jours par­tir de la loi ? Un épouse délais­sée peut avoir conscience que dans l’é­chec de son mariage, elle n’y est pour rien – c’est un cas rare – mais lors­qu’elle exa­mine une déci­sion à prendre sur un rema­riage la conscience doit poser objec­ti­ve­ment la ques­tion : en conscience, je ne suis pas cou­pable de l’é­chec de mon pre­mier mariage, mais si ce pre­mier mariage est valide, l’é­chec me donne-​t-​il le droit moral de me rema­rier civilement ?

En atten­dant, affirme le pape François, l’Église a comme le devoir de cher­cher une voie nou­velle pour venir en aide aux dif­fi­cul­tés concrètes des divor­cés remariés…

L’Église a tou­jours le devoir de venir en aide à tous ses enfants et l’o­bli­ga­tion de ne pas alour­dir le joug que peut consti­tuer l’o­béis­sance aux devoirs du chré­tien. « Mon joug et doux et mon far­deau léger » Mt XI,30, dit le Seigneur. La mis­sion de l’Église n’est pas de le rendre impos­sible à por­ter. Ce joug est doux et ce far­deau léger parce que le Seigneur donne la grâce de le por­ter. Mais quelles sont les vraies dif­fi­cul­tés des divor­cés rema­riés ? Celles de ne pas com­mu­nier ? On nous parle d’eux comme des gens heu­reux ayant réus­si un second mariage alors que le pre­mier a échoué. Mais ce mariage échoué, cette femme aban­don­née, cet homme mépri­sée, ces enfants bal­lo­tées, celui ou celle que l’on charge de tous les torts, de toutes les mal­veillances, on n’ar­rive pas à l’ou­blier. Même s’il y a eu divorce et qu’il était rai­son­nable de deman­der le divorce, la nou­velle femme, le nou­vel homme qui habite un nou­veau lit, n’y trouve pas en réa­li­té un véri­table lieu conju­gal car le pas­sé est tou­jours pré­sent, chez un être humain il ne peut s’ef­fa­cer. Cette plainte revient très sou­vent : je l’aime tou­jours, même si je trouve un bon­heur sexuel avec l’autre. Et il faut affron­ter la révolte et la honte des enfants. Que l’on divorce, oui si c’est néces­saire, cela vaut mieux que les conti­nuels affron­te­ments, les vio­lences ver­bales, les men­songes répé­tés. Mais que le conjoint qui part se rema­rie, cela créé une sourde révolte qui est un tabou dans notre socié­té. Plus ils sont adultes, plus les enfants sont révol­tés. Ils seront main­te­nant des enfants de divor­cés. Et cela ne s’a­vale pas facilement !

La voie nou­velle n’est donc pas la com­mu­nion eucha­ris­tique. Elle risque fort d’am­pli­fier la souf­france comme, si en plus d’a­voir trom­pé sa femme ou son mari, on en venait à trom­per aus­si Dieu. C’est ter­rible à dire mais cha­cun sait, au fond de lui, s’il y croit un tant soi peu qu’on ne trompe pas Dieu. Pour suivre et conseiller de nom­breuses situa­tions de ce genre dans le cadre de l’Institut Karol Wojtyla je peux vous affir­mer, non sur la base d’une théo­rie, mais sur celle de l’ex­pé­rience et de témoi­gnages dou­lou­reux que ce sen­ti­ment inté­rieur, ce sen­sus fidei, qui demeure tapi dans la conscience pro­fonde de ces époux bri­sés est plus fort que toute conces­sion juri­dique si jamais l’au­to­ri­sa­tion de la com­mu­nion deve­nait une conces­sion juridique.

C’est pour­tant la voie que François semble bien vou­loir ouvrir… 

Oui, il faut une pas­to­rale nou­velle pour les divor­cés rema­riés, comme il en faut une pour les concu­bins qui demandent le mariage, comme il en faut une pour ceux qui sont civi­le­ment mariés et qui « veulent se mettre en règle ». Il faut une pas­to­rale qui fasse com­prendre que le mariage sacra­men­tel n’est pas une per­mis­sion de « cou­cher ensemble » sans faire de péché. Mais que le sacre­ment de mariage donne, aux époux, une par­ti­ci­pa­tion par­ti­cu­lière à entrer dans le mys­tère d’al­liance pro­po­sé par Dieu à toute l’hu­ma­ni­té. Mystère dont le Christ est le garant en deve­nant l’Epoux de l’Église. La véri­té du sacre­ment de mariage doit être pro­po­sée à toute per­sonne qui passe d’une situa­tion irré­gu­lière à une situa­tion de grâce.

Pour les divor­cés rema­riés, c’est plus déli­cat. Le sacre­ment de mariage, le pre­mier, le seul valide est encore vivant, il n’est pas mort. Les grâces de ce sacre­ment existent tou­jours. Comment les rendre effi­caces pour accep­ter, de part et d’autre, entre l’é­poux bles­sé et lésé et l’é­poux unit « inva­li­de­ment » à un autre conjoint, une vraie récon­ci­lia­tion dans le Christ, récon­ci­lia­tion tou­jours pos­sible par un vrai par­don, par une nou­velle fidé­li­té au jus cor­po­ris, du conjoint aban­don­né. Le jus cor­po­ris, c’est dans le droit romain, le ‘droit du corps” que chaque conjoint a sur le corps de l’autre. Arriver à mettre cela en acte serait une vraie pas­to­rale du mariage ! On ne peut man­quer de s’é­ton­ner que les Pères syno­daux n’y aient pas songé.

Ils ont plu­tôt mis en avant la conscience intime pour jus­ti­fier cette prise de dis­tance de la loi morale objec­tive, cela peut se com­prendre aus­si. La morale de l’Eglise n’était-​elle pas trop sur « l’ob­jec­tif » et pas assez sur le « sub­jec­tif » qui est tout de même le sanc­tuaire pro­fond de la personne ?

La conscience intime n’est jamais une prise de dis­tance vis-​à-​vis de la loi morale objec­tive. La conscience intime pose deux actes dit saint Thomas d’Aquin : elle juge ou elle reproche. Elle juge de la bon­té morale d’un acte par­ti­cu­lier, per­son­nel et sin­gu­lier… à la lumière de la loi morale qui est là pour l’é­clai­rer. Et elle doit juger à par­tir du droit. Par exemple : j’ai froid, je suis sans abri, il y a en face de moi, une mai­son désaf­fec­tée. Est-​ce que je com­mets un vol si je la squatte pour l’ha­bi­ter le temps de me trou­ver un autre loge­ment ? Non, car le droit à l’u­sage des biens maté­riels dit l’Eglise est prio­ri­taire sur le droit de pro­prié­té et tout pro­prié­taire doit assis­tance à une per­sonne en dan­ger. Autre exemple : je suis seule, sans amour, je veux un père pour mes enfants, j’ai été aban­don­née par mon pre­mier mari ? Est-​ce que j’ai le droit de me rema­rier civi­le­ment et de vivre matri­mo­nia­le­ment avec cet homme que j’aime ? Si le Pasteur à qui la ques­tion est posée, répond, « oui, car vous n’êtes pas cou­pable dans l’é­chec de votre pre­mier mariage » cela signi­fie que ce pas­teur ne tient aucun compte de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage. Cette loi de l’in­dis­so­lu­bi­li­té n’au­rait de force que dans une sorte d’i­déal. Elle ne vau­drait que pour les « heu­reux », les « purs ». Chaque per­sonne qui aurait des dif­fi­cul­tés avec la loi morale, aurait donc le droit de faire tom­ber la loi. Personne n’est obli­gé de faire ce qui est objec­ti­ve­ment mal pour qu’il en res­sorte un bien sub­jec­tif. Cela peut sem­bler très dur… mais le res­pect de la volon­té de Dieu, de ses exi­gences amène à plus de bon­heur que d’en construire un autre en édul­co­rant ses propres lois sous pré­texte de miséricorde.

Mais l’Église n’a-​t-​elle pas à un vrai pro­blème avec sa morale – sui­vie par très peu – ce synode lui offre la pos­si­bi­li­té de chan­ger cette culture morale fami­liale pour mieux s’a­dap­ter. N’est-​il pas temps de le faire ?

J’ai été ame­né un jour à conseiller une reli­gieuse. Je lui demande ‘com­bien y avait-​il d’en­fants chez-​vous”? Elle me répond avec un léger sou­rire pres­sen­tant le sur­saut que me cau­se­rait sa réponse : ‘nous étions vingt-​deux”! Devant ma sur­prise, elle me dit, ‘oui mon père qui était ministre avait trois femmes et nous, les enfants, nous savions très bien qui était notre mère. Notre père, lui, s’oc­cu­pait de nous tous. Tous les matins, avant de par­tir au tra­vail, il nous réunis­sait, nous fai­sait le caté­chisme et après l’a­voir embras­sé nous par­tions cha­cun dans notre école ou à notre tra­vail”. C’est un vrai modèle de famille patriar­cale qui sem­blait fonc­tion­ner pas trop mal… Mais je n’ai jamais vu ce modèle en Occident. Ce que je vois de plus en plus, c’est un homme ou une femme qui me dit : ‘j’ai cinq ou même dix frères et sœurs, mais, si nous avons tous la même mère, nous n’a­vons pas tous le même père. Et l’homme avec qui vit ma mère aujourd’­hui, n’est pas mon père…” C’est une famille recom­po­sée. Jamais je n’ai trou­vé de bon­heur sur le visage de celui ou de celle qui me parle de cette famille nou­veau genre…

Est-​ce là la nou­velle culture fami­liale ? J’ai ren­con­tré une toute jeune fille qui disait à sa petite amie, ‘moi j’ai de la chance, à Noël, j’ai deux papas qui me donnent plein de cadeaux”. Cela a duré jus­qu’au jour où, la petite amie, a invi­té la jeune fille, à un week-​end dans sa famille, une famille où il n’y avait qu’un papa qui ne don­nait pas sou­vent des cadeaux mais qui aimait sa femme et ses enfants. Et la jeune fille com­blée de cadeaux est sor­tie son­geuse de ce week-​end. ‘Tu as bien de la chance, toi”, dit-​elle à son amie !

Entretien recueilli par Jean-​Marie Guenois pour le FigaroVox du 26 octobre 2015.

(1) Aline Lizotte est une écri­vain, ensei­gnante, phi­lo­sophe et théo­lo­gienne, née en 1935 au Québec (Canada). Elle obtient un doc­to­rat cano­nique et d’État en phi­lo­so­phie en 1969 à l’Université Laval à Québec où elle suit les cours du phi­lo­sophe et théo­lo­gien Charles De Koninck et de Jacques de Monléon qui dirige sa thèse inti­tu­lée La défi­ni­tion du fait social dans les théo­ries socio­lo­giques contem­po­raines. La même année, pro­fes­seur de phi­lo­so­phie au grand sémi­naire de Montréal, elle fonde à Paris avec Marcel Clément la Faculté libre de Philosophie Comparée et y enseigne deux décen­nies. Elle est titu­laire de la chaire de logique et enseigne la méta­phy­sique et la phi­lo­so­phie de la nature. Philippe Barbarin, futur Primat des Gaules, est son élève. En 1991, elle fonde l’Association pour la for­ma­tion chré­tienne de la per­sonne (AFCP) qui orga­nise des ses­sions inti­tu­lées « Amour, Sexualité et Vie chré­tienne » où la sexua­li­té est abor­dée sur un plan à la fois psy­cho­lo­gique, phy­sio­lo­gique et théo­lo­gique. Partant du prin­cipe que « On ne peut for­mer une per­sonne équi­li­brée si elle n’a pas une vision claire et posi­tive de la sexua­li­té », Aline Lizotte pro­pose éga­le­ment des ses­sions spé­ci­fiques pour les for­ma­teurs à la vie consa­crée. En 2000, Aline Lizotte s’ins­talle près de l’Abbaye Saint-​Pierre de Solesmes et obtient en 2004 la natio­na­li­té fran­çaise. En sep­tembre 2012, elle prend la direc­tion de l’Institut Karol Wojtyla, un ins­ti­tut de for­ma­tion conti­nue habi­li­té à déli­vrer une for­ma­tion uni­ver­si­taire en vue d’un cer­ti­fi­cat d’ac­com­pa­gne­ment des personnes.