Synode : Mgr Vincenzo Paglia : « Un aggiornamento est nécessaire »

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Président du Conseil pon­ti­fi­cal pour la famille, Mgr Vincenzo Paglia estime que le docu­ment final du synode per­met des ouver­tures sur la ques­tion des divor­cés rema­riés, mais qu’il faut encore réunir les condi­tions pour déve­lop­per au mieux un néces­saire « aggior­na­men­to pas­to­ral ». En exclu­si­vi­té fran­çaise pour La Vie, Mgr Paglia affirme éga­le­ment que le pro­ces­sus d’in­té­gra­tion des divor­cés rema­riés dans l’Eglise, s’il peut aller jus­qu’à la « pleine incor­po­ra­tion au Christ » à tra­vers les sacre­ments, passe d’a­bord par la vie concrète dans la communauté.

Le synode s’est ache­vé : bien que les pères syno­daux aient trou­vé des points de conver­gence sur cer­tains thèmes (ren­for­cer la pré­pa­ra­tion au mariage et l’ac­com­pa­gne­ment des familles, amé­lio­rer aus­si la for­ma­tion des prêtres sur ces sujets…), beau­coup de ques­tions res­tent en sus­pens sur les pro­blé­ma­tiques les plus épi­neuses. Peut-​on dès lors vrai­ment s’au­to­ri­ser à par­ler d’un succès ?

Le synode a été un grand suc­cès. Il n’était pas du tout cer­tain que le texte final obtien­drait une appro­ba­tion aus­si large. Tous ses articles ont été approu­vés à une majo­ri­té qua­li­fiée, c’est-à-dire par plus des deux tiers des votants. Au mois d’octobre de l’an der­nier, les choses s’étaient pas­sées autre­ment. Nous avons eu trois semaines de tra­vail intense, les débats ont été francs et par­fois vifs. Tous les par­ti­ci­pants sont inter­ve­nus, il y a eu 1 500 pro­po­si­tions de modi­fi­ca­tion du texte : en fin de compte, on est par­ve­nu à un consen­sus ecclé­sial qui est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant dans une Eglise assez sou­vent ten­tée par la divi­sion et dans un monde de plus en plus fré­quem­ment conflictuel.

Le pape a annon­cé jeu­di la créa­tion d’un nou­veau dicas­tère « laïcs, famille et vie » qui doit se sub­sti­tuer au Conseil pon­ti­fi­cal pour les Laïcs, au Conseil pon­ti­fi­cal pour la Famille et auquel sera rat­ta­ché l’Académie pon­ti­fi­cale pour la Vie : quel est le sens de cette annonce, qui était certes au pro­gramme de la réforme mais qui inter­vient juste avant la fin de ce deuxième synode ?

Bien évi­dem­ment l’annonce, au terme de ce synode, de la créa­tion d’un nou­veau dicas­tère pour les laïcs, la famille et la vie n’est pas le fruit du hasard. Le pape a vou­lu mon­trer la « nou­velle » atten­tion que l’Eglise accorde à la famille. Il ne faut pas oublier que le Conseil pon­ti­fi­cal pour la famille avait été créé par saint Jean-​Paul II au terme du synode de 1980 lui aus­si consa­cré à la famille. Après la ren­contre syno­dale qui vient d’avoir lieu, le pape François demande un enga­ge­ment pas­to­ral renou­ve­lé pour la famille, mais dans une pers­pec­tive plus vaste que le pré­cé­dent. Le pape veut ame­ner l’Eglise à répondre aux grands défis anthro­po­lo­giques que vit le monde contemporain.

Plusieurs pères syno­daux ont récla­mé pen­dant l’as­sem­blée ordi­naire qui s’a­chève la créa­tion d’une com­mis­sion de théo­lo­giens pour appro­fon­dir les ques­tions les plus épi­neuses qui n’ont pas trou­vé de consen­sus comme celle de la dis­ci­pline sacra­men­telle pour les divor­cés rema­riés. Le nou­veau dicas­tère pourrait-​il jus­te­ment avoir voca­tion à pour­suivre la réflexion ini­tiée pen­dant le synode ? Plus lar­ge­ment, que peut-​on attendre, selon vous, de ce nou­veau dicastère ?

La pro­po­si­tion dont vous par­lez n’a pas été prise en consi­dé­ra­tion par l’assemblée syno­dale. Cependant, au cours du débat syno­dal, on a pu consta­ter l’écart évident entre les « signes des temps » dans le domaine de l’anthropologie et les situa­tions com­plexes aux­quelles est confron­tée la réflexion théo­lo­gique rela­tive au mariage et à la famille. Ce n’est pas tout. Certains évêques, en rai­son des grandes dif­fi­cul­tés que pré­sente l’actuelle dis­ci­pline concer­nant le mariage et la famille, ont res­sen­ti le besoin de mieux ali­gner la doc­trine et la morale, le droit et la dis­ci­pline dans ce domaine. C’est une grave erreur de sépa­rer la doc­trine de la pas­to­rale. Au contraire, il est néces­saire de réflé­chir davan­tage aux cri­tères en fonc­tion des­quels elles s’éclairent mutuel­le­ment, dans le temps et dans l’histoire de l’Eglise. C’est pour cette rai­son que j’envisage d’organiser dès que pos­sible un nou­veau cycle de réflexions, avec des spé­cia­listes des dif­fé­rentes dis­ci­plines issus des dif­fé­rentes par­ties du monde et de diverses écoles de pen­sée, afin de lan­cer une réflexion struc­tu­rée à pro­pos de ce que le synode a mis en lumière.

Vous même, vous avez tra­vaillé au cours de l’an­née avec un groupe de théo­lo­giens, de juristes et d’experts en pas­to­rale pour réflé­chir à la pos­si­bi­li­té d’un che­min péni­ten­tiel. Quelles étaient vos pistes ? Ce tra­vail est-​il achevé ?

C’est vrai, le Conseil pon­ti­fi­cal pour la famille a éla­bo­ré et publié un ouvrage qui réunit les tra­vaux de trois sémi­naires d’étude – dans l’esprit de ce que je viens de dire dans ma réponse pré­cé­dente – concer­nant trois grands thèmes : la foi et le sacre­ment du mariage, la res­pon­sa­bi­li­té dans la trans­mis­sion de la vie, la pas­to­rale des divorcés-​remariés. Ce livre a été publié comme une pré­pa­ra­tion au Synode et il a obte­nu un écho signi­fi­ca­tif. D’assez nom­breux évêques se sont ins­pi­rés des réflexions qu’il contient pour pré­pa­rer leurs inter­ven­tions. La voie est tra­cée, quelques résul­tats ont déjà été consta­tés, il faut continuer.

Certains disent que la ques­tion des sacre­ments devrait être consi­dé­rée comme une ques­tion de dis­ci­pline et non de doc­trine. Quelle dif­fé­rence cela fait-​il ? Partagez-​vous leur analyse ?

Beaucoup de théo­lo­giens, appar­te­nant à diverses écoles de pen­sée, se sont expri­més, jus­te­ment pen­dant le synode, dans la pers­pec­tive que vous indi­quez. Et avec de bonnes rai­sons. Pour ma part, je crois qu’il ne manque pas d’exemples dans les­quels la dis­ci­pline de l’Eglise inter­vient pour appli­quer la doc­trine dans sa tota­li­té, sans la tra­hir. Le vieux sys­tème éta­blis­sait dog­ma­ti­que­ment l’essence abs­traite du sacre­ment, sa célé­bra­tion et sa mise en œuvre étant une dis­ci­pline ecclé­sias­tique, jus­te­ment. Mais c’est pré­ci­sé­ment cette sépa­ra­tion qu’il faut dépas­ser. La thèse selon laquelle, dans les sacre­ments, il s’agit uni­que­ment de dis­ci­pline, ce qui laisse entendre que l’Eglise peut la modi­fier à volon­té, est jus­te­ment celle qui incite aujourd’hui, par réac­tion, à dur­cir dog­ma­ti­que­ment tous les aspects de la pra­tique pas­to­rale actuel­le­ment en vigueur, au point de dire que l’Eglise ne peut pas éla­bo­rer une pra­tique meilleure. La pra­tique sacra­men­telle se conforme cer­tai­ne­ment à la véri­té chré­tienne : mais, pré­ci­sé­ment pour cette rai­son, l’Eglise doit répondre à l’exigence d’une pra­tique pas­to­rale plus trans­pa­rente par rap­port à tous les aspects de cette véri­té. Nous pen­sons seule­ment aux chan­ge­ments de la pra­tique péni­ten­tielle, dans laquelle la doc­trine et la dis­ci­pline, d’ailleurs, ont tou­jours été éla­bo­rées en étroits rap­ports l’une avec l’autre.

Vous avez décla­ré lors d’un col­loque à Orléans, que dans la vie de l’Eglise, il y avait tou­jours eu – et il y aurait encore – des pas en avant qui ont conduit à des chan­ge­ments dans la pra­tique pas­to­rale, ain­si que des déve­lop­pe­ments de la doc­trine. Qu’entendez-​vous par déve­lop­pe­ments de la doc­trine ? Quels pourraient-​ils être dans le domaine de l’ac­cès aux sacre­ments pour les per­sonnes divor­cées et remariées ?

Je le répète, y com­pris à la lumière de ce que je viens de dire. Et je sou­ligne – pour évi­ter tout mal­en­ten­du – qu’il n’est pas pos­sible de sépa­rer la doc­trine et la pas­to­rale. Elles ne coïn­cident pas, mais elles sont insé­pa­rables. Elles vont de pair, cha­cune selon sa logique. Dans l’histoire de l’Eglise, on assiste à une évo­lu­tion tant de la doc­trine que de la pas­to­rale. La « tra­di­tion » est pré­ci­sé­ment ce che­mi­ne­ment de l’Eglise sur les voies de l’histoire. Il est évident qu’il s’agit d’un déve­lop­pe­ment « orga­nique », on pour­rait dire homo­gène, du patri­moine de l’Eglise en vue du Salut. C’est ce que nous connais­sons tous sous le nom de « déve­lop­pe­ment du dogme » et d”« aggior­na­men­to (mise à jour) pas­to­ral » : ce sont des notions désor­mais tenues pour acquises. En ce qui concerne l’attitude à avoir envers les divor­cés rema­riés, le consen­sus atteint montre de façon exem­plaire que le texte syno­dal pré­sente une doc­trine par­ta­gée qui per­met pour­tant des ouver­tures. Il faut encore réflé­chir sur la vie et le témoi­gnage de foi, notam­ment en réunis­sant les condi­tions pour déve­lop­per au mieux le néces­saire aggiornamento.

Faut-​il, selon vous, évo­luer dans notre concep­tion de l’eu­cha­ris­tie dans le sens évo­qué par François de « géné­reux remède »? Etes vous favo­rable à ce que l’eu­cha­ris­tie fasse par­tie du pro­ces­sus de gué­ri­son, être en quelque sorte un « remède » ? En quoi cette vision peut-​elle s’im­po­ser face à ceux qui estiment que le chan­ge­ment de vie est en quelque sorte la « condi­tion » pour pou­voir rece­voir le sacrement ?

Le texte syno­dal parle d’un pro­ces­sus d’intégration dans la vie de l’Eglise – qui est le Corps du Christ – qui concerne aus­si les divor­cés rema­riés. L’intégration est une réa­li­té dyna­mique, qui néces­site aus­si de dis­cer­ner l’énorme diver­si­té des situa­tions. Le vrai nœud du pro­blème est ce pro­ces­sus de crois­sance conti­nuelle dans la com­mu­nion avec le Christ, à tra­vers la par­ti­ci­pa­tion à la vie de l’Eglise. Je vou­drais dire que le pre­mier « corps du Christ » dont ces per­sonnes doivent se nour­rir (mais cela vaut pour cha­cun d’entre nous) est pré­ci­sé­ment la vie concrète de la com­mu­nau­té. « En faire des proches », c’est-à-dire ne pas les lais­ser s’éloigner, les écou­ter, res­ter avec eux, prier avec eux, les impli­quer dans le ser­vice aux plus pauvres et dans l’écoute de la Bible : voi­là la manière de faire pro­gres­ser leur « incor­po­ra­tion dans l’Eglise ». Ce che­mi­ne­ment pro­gres­sif d’intégration condui­ra sans aucun doute à la pleine incor­po­ra­tion au Christ. Penser que l’indication d’une norme ou l’application d’une loi puisse rem­pla­cer ce che­mi­ne­ment col­lec­tif et résoudre le « drame » de ces per­sonnes et ravi­ver l’espérance d’une « gué­ri­son » est selon moi l’expression d’un pha­ri­sia­nisme. Ce n’est pas l’énonciation des règles qui gué­rit mais la par­ti­ci­pa­tion de la communauté.

Comment arti­cu­ler la doc­trine de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage sur laquelle per­sonne ne veut reve­nir et la mis­sion fon­da­men­tale pour l’Eglise de gui­der les gens vers le salut, de sau­ver les gens ?

Selon moi, l’indissolubilité du mariage est l’une des paroles les plus claires de Jésus, c’est pour­quoi l’on ne doit pas tou­cher à ce pilier. Mais on ne doit pas non plus tou­cher à un autre pilier de l’Evangile, à savoir l’annonce qu’il n’existe aucune situa­tion humaine que le salut de Dieu ne puisse atteindre. L’Eglise n’a pas de pou­voir sur le salut, elle est seule­ment ministre des tré­sors de la grâce qui nous sauvent. L’Eglise ne se rési­gne­ra jamais à perdre quelqu’un. Et pour les chré­tiens il n’y a pas de salut sans l’Eucharistie. Le che­min à trou­ver se situe entre ces deux bords incon­tour­nables : l’indissolubilité d’une part et le carac­tère indis­pen­sable de l’eucharistie de l’autre. Le texte syno­dal ouvre un sentier.

Parmi les pistes évo­quées, on pro­pose un dis­cer­ne­ment au cas par cas sur la base de cri­tères éta­blis par les confé­rences épis­co­pales, l’ac­com­pa­gne­ment se fai­sant sous la res­pon­sa­bi­li­té des évêques dio­cé­sains ou de prêtres spé­cia­li­sés. Quels pour­raient être ces cri­tères ? Et com­ment arti­cu­ler sou­plesse pas­to­rale des Eglises locales face à tel ou tel pro­blème et main­tien de l’u­ni­té ? Jusqu’où selon vous peut aller l’au­to­ri­té doc­tri­nale des confé­rences épiscopales ?

Je le répète : il est indis­pen­sable de choi­sir avant tout de prendre en charge ces per­sonnes, comme le bon Samaritain s’est occu­pé de l’homme lais­sé à demi-​mort. Il s’est arrê­té, lui a pro­di­gué les pre­miers soins, l’a char­gé sur sa mon­ture et l’a conduit à l’hôtellerie (la com­mu­nau­té) pour qu’il vive avec ses frères et ses sœurs, et l’a confié à l’hôtelier (le texte syno­dal parle de l’évêque, du prêtre, du confes­seur), a payé de sa poche et a aver­ti qu’il revien­drait. C’est une parole à appli­quer à la lettre. C’est dans ce sens que le Synode doit continuer.

Quelles suites voyez-​vous à ce synode ? Est-​il vrai­ment fini ?

Nous avons sim­ple­ment tra­cé la voie et le vrai tra­vail doit com­men­cer main­te­nant. L’assemblée syno­dale a essen­tiel­le­ment défi­ni un point focal où doivent conver­ger toutes les ques­tions, même celles qui donnent lieu aux débats les plus vifs : le thème de la mis­sion. Le texte syno­dal trace un nou­veau para­digme du rap­port entre l’Eglise et la famille : l’une a besoin de l’autre, et ensemble elles sont appe­lées à vivre un nou­vel élan mis­sion­naire. En résu­mé, elles sont toutes les deux « en sor­tie ». Cela per­met de dépas­ser le fos­sé actuel qui sépare si sou­vent la famille de la com­mu­nau­té parois­siale, l’une étant « peu ecclé­siale » et l’autre « trop clé­ri­cale ». Désormais, nous sommes appe­lés à construire une nou­velle alliance pour une annonce renou­ve­lée de l’Evangile. C’est l’expérience de l’Eglise des débuts : une « église domes­tique » qui fer­men­tait les villes. N’est-ce pas aus­si cela l’indication par laquelle Jésus nous invite à reve­nir au « mys­tère ini­tial », lorsque Dieu confia la res­pon­sa­bi­li­té de l’en­gen­dre­ment et la sau­ve­garde de la créa­tion à l’alliance de l’homme et de la femme ?

Les pères syno­daux semblent attendre du pape qu’il pro­duise une Exhortation apos­to­lique : Qu’attendent-​ils de ce document ?

Bien sûr il fau­drait deman­der au pape ce qu’il entend faire dans un futur proche. Pour l’instant, de toute évi­dence, François a vou­lu rendre public le texte final du synode pour faire par­ti­ci­per en quelque sorte le peuple de Dieu à un che­mi­ne­ment syno­dal qui le concerne. Avec ce texte, la « récep­tion » du synode a déjà com­men­cé. Pendant la messe de clô­ture, le pape a dit que l’on ne pou­vait plus conce­voir la famille comme nous la conce­vions autrefois.

Interview et tra­duc­tion Charles de Pechpeyrou

Sources : La Vie/​LPL