26 novembre 1963

Cinquième intervention de Mgr Lefebvre au concile sur l’œcuménisme et la liberté religieuse

Vénérables Frères,

Toute l’argumentation de ce cha­pitre V, au sujet de « la liber­té reli­gieuse », repose sur l’affirmation de « la digni­té de la per­sonne humaine ». Il est dit, en effet, page 4, para­graphe 3 : « Aussi, l’homme qui obéit sin­cè­re­ment à sa conscience entend obéir à Dieu lui-​même, bien que, par­fois, confu­sé­ment et à son insu, et cet homme doit être esti­mé digne de respect. »

Pour accep­ter une telle affir­ma­tion, il faut dis­tin­guer comme suit : « Il doit être esti­mé digne de res­pect » : je dis­tingue : Purement et sim­ple­ment : non.

Sous un cer­tain aspect : je dis­tingue encore : Selon son inten­tion d’obéir à Dieu : oui. Selon son erreur : non.

Selon l’erreur, l’homme n’est pas, ne peut pas être digne de respect.

D’où, en effet, la per­sonne tire-​t-​elle sa digni­té ? La per­sonne tire sa digni­té de sa per­fec­tion. Or, la per­fec­tion de la per­sonne humaine consiste en la connais­sance de la véri­té et l’acquisition du Bien. C’est le début de la vie éter­nelle et celle-​ci « est qu’ils te connaissent, toi, seul véri­table Dieu et ton Envoyé, Jésus-​Christ » (Jean, XVII, 3). Par consé­quent, pour autant qu’elle adhère à l’erreur, la per­sonne humaine déchoit de sa dignité.

La digni­té de la per­sonne humaine ne consiste pas en la liber­té, abs­trac­tion faite de la véri­té. En effet, la liber­té est bonne et véri­table pour autant qu’elle est réglée par la véri­té. « La véri­té vous libé­re­ra », dit Notre-​Seigneur, c’està- dire « la véri­té vous don­ne­ra la liber­té ». L’erreur est, de soi, un men­songe objec­tif, sinon sub­jec­tif. Et par Notre- Seigneur, nous connais­sons aus­si celui-​là qui, « lorsqu’il dit ses men­songes, les tire de son propre fonds » (Jean, VIII, 44). Comment alors pou­voir dire d’une per­sonne humaine qu’elle est digne de res­pect quand elle fait mau­vais usage de son intel­li­gence et de sa liber­té, même sans culpa­bi­li­té de sa part ?

La digni­té de la per­sonne pro­vient aus­si de la rec­ti­tude de sa volon­té ordon­née au vrai Bien. Or, l’erreur engendre le péché. « Le ser­pent m’a trom­pée », dit celle qui fut la pre­mière péche­resse. Cette véri­té est on ne peut plus évi­dente pour tout le monde. Il suf­fit de réflé­chir aux consé­quences de cette erreur, sur la sain­te­té du mariage, sain­te­té du plus haut inté­rêt pour le genre humain. Cette erreur dans la reli­gion a conduit peu à peu à la poly­ga­mie, au divorce, à la régu­la­tion des nais­sances, c’est-à-dire à la déchéance de la digni­té humaine, sur­tout chez la femme.

Il est donc cer­tain qu’il y a désac­cord entre la doc­trine catho­lique et les affir­ma­tions de la page 5 : « L’Eglise catho­lique reven­dique, comme un droit de la per­sonne humaine, que per­sonne ne soit empê­ché d’observer et de pro­cla­mer ses devoirs publics et pri­vés envers Dieu et envers les hommes… selon les lumières de sa conscience, même si celle-​ci est dans l’erreur. »

Au contraire, l’ordre uni­ver­sel créé par Dieu, natu­rel ou sur­na­tu­rel, s’oppose essen­tiel­le­ment à cette affir­ma­tion. Dieu, en effet, a fon­dé la famille, la socié­té civile et sur­tout l’Eglise, afin que tous les hommes recon­naissent la véri­té, soient pré­mu­nis contre l’erreur, accom­plissent le bien, soient pré­ser­vés des scan­dales et par­viennent ain­si au bon­heur tem­po­rel et éternel.

En véri­té, il est oppor­tun de se remé­mo­rer les paroles si claires de Pie IX, dans son ency­clique Quanta cura :

« Contrairement à la doc­trine des Saintes Ecritures, de l’Eglise et des Saints Pères, ils n’hésitent pas à pré­tendre que : « La meilleure condi­tion de la socié­té est celle où l’on ne recon­naît pas au pou­voir de répri­mer par des peines légales les vio­la­teurs de la loi catho­lique, sinon dans la mesure où l’exige la tran­quilli­té publique ». (Denz., 1689- 1690.)

En conclu­sion : le cha­pitre sur la « liber­té reli­gieuse » doit être rédi­gé à nou­veau, selon le prin­cipe conforme à la doc­trine catho­lique : « pour la digni­té même de la per­sonne humaine, l’erreur doit être, de soi, répri­mée pour l’empêcher de se répandre, sauf si l’on pré­voit un mal plus grand de sa répres­sion que de sa tolérance ».

J’ai dit.1

† Marcel Lefebvre

  1. Texte non lu publi­que­ment, dépo­sé au Secrétariat géné­ral du concile. []

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.