20 octobre 1962

Première intervention de Mgr Lefebvre au concile sur le « Message à tous les hommes »

Une session du Concile Vatican II

Tout d’abord, il me semble que le temps accor­dé à l’étude et à l’approbation de ce « mes­sage à tous les hommes » [1] n’est pas assez long ; en effet, ce mes­sage est du plus haut intérêt.

En second lieu et à mon humble avis, il consi­dère sur­tout les biens humains et tem­po­rels et trop peu les biens spi­ri­tuels et éter­nels ; il tient compte sur­tout du bien de la cité ter­restre et trop peu de la Cité céleste vers laquelle nous ten­dons et pour laquelle nous sommes sur terre.

Bien que les hommes attendent de nous, par l’exercice de nos ver­tus chré­tiennes, l’amélioration de leur condi­tion tem­po­relle, com­bien plus cepen­dant ils dési­rent, sur cette terre déjà, les biens spi­ri­tuels et surnaturels.

Il pour­rait être par­lé davan­tage de ces biens-​ci, puisqu’ils sont les vrais biens, essen­tiels et éter­nels, dont nous pou­vons et devons jouir dès cette vie sur terre.

En ces biens se trouvent essen­tiel­le­ment la paix et la béatitude.

† Marcel Lefebvre

Notes de bas de page
  1. Annexe : Message du Concile à tous les hommes – 20 octobre 1962

    À tous les hommes, à toutes les nations, nous vou­lons adres­ser un mes­sage de salut, d’amour et de paix que le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, a appor­té au monde et confié à son Église. C’est pour cela que, réunis à l’appel de Sa Sainteté le Pape Jean XXIII, « una­nimes dans la prière avec Marie, Mère de Jésus », nous, suc­ces­seurs des Apôtres, sommes ici ras­sem­blés, dans l’unité du Corps apos­to­lique, dont le suc­ces­seur de Pierre est la tête.
    Que brille le visage de Jésus Christ ! Dans cette assem­blée, sous la conduite de l’Esprit Saint, nous cher­chons com­ment nous renou­ve­ler nous-​mêmes pour « nous trou­ver de plus en plus fidèles à l’Évangile du Christ ». Nous nous appli­que­rons à pré­sen­ter aux hommes de ce temps la véri­té de Dieu dans son inté­gri­té et dans sa pure­té, de telle sorte qu’elle leur soit intel­li­gible et qu’ils y adhèrent de bon cœur.
    Pasteurs, nous vou­lons répondre aux besoins de tous ceux qui cherchent Dieu, « dans l’espoir de le décou­vrir à tâtons ; et, certes, il n’est pas loin de cha­cun de nous ». C’est pour­quoi, obéis­sant à la volon­té du Christ qui s’est livré à la mort « afin de pré­sen­ter une Église sans tache ni ride, mais sainte et imma­cu­lée », nous nous don­ne­rons tout entiers à cette œuvre de réno­va­tion spi­ri­tuelle pour que l’Église, aus­si bien dans ses chefs que dans ses membres, pré­sente au monde le visage atti­rant du Christ qui brille dans nos cœurs « pour faire res­plen­dir la connais­sance de la gloire de Dieu ».

    Dieu a tant aimé le monde

    Nous croyons que le Père a tant aimé le monde qu’il a don­né son Fils pour le sau­ver, nous libé­rer du péché et de son escla­vage, « nous récon­ci­lier avec son Père, éta­blis­sant la paix par le sang de sa croix », en sorte que nous soyons « fils de Dieu, et de nom et de fait ». Il nous a envoyé de la part du Père son Esprit, afin que nous vivions de sa vie divine dans l’amour pour Dieu et dans l’amour pour nos frères, ne fai­sant tous ensemble qu’un dans le Christ. Mais, bien loin de nous détour­ner de nos tâches ter­restres, notre adhé­sion au Christ, dans la foi, l’espérance et l’amour, nous engage tout entiers au ser­vice de nos frères, à l’exemple de notre Maître ado­rable « qui n’est pas venu pour être ser­vi, mais pour ser­vir ». C’est pour­quoi l’Église n’est pas faite pour domi­ner, mais pour ser­vir. « Il a don­né sa vie pour nous ; nous devons donc à notre tour livrer notre vie pour nos frères. » Nous atten­dons d’ailleurs des tra­vaux du Concile que, don­nant à la lumière de la foi un éclat plus vif, elle pro­cure un renou­veau spi­ri­tuel, et, par réper­cus­sion, un heu­reux élan dont béné­fi­cient les valeurs d’humanité : les décou­vertes de la science, le pro­grès tech­nique et la dif­fu­sion de la culture.

    L’amour du Christ nous presse

    Nous appor­tons avec nous de toutes les par­ties de la terre les détresses maté­rielles et spi­ri­tuelles, les souf­frances et les aspi­ra­tions des peuples qui nous sont confiés. Nous sommes atten­tifs aux pro­blèmes qui les assaillent. Notre sol­li­ci­tude veut s’étendre aux plus humbles, aux plus pauvres, aux plus faibles ; comme le Christ, nous nous sen­tons émus de com­pas­sion à la vue de ces foules qui souffrent de la faim, de la misère, de l’ignorance. Nous nous sen­tons soli­daires de tous ceux qui, faute d’une entraide suf­fi­sante, n’ont pu encore par­ve­nir à un déve­lop­pe­ment vrai­ment humain. Aussi, dans nos tra­vaux, donnerons-​nous une part impor­tante à tous ces pro­blèmes ter­restres qui touchent à la digni­té de l’homme et à une authen­tique com­mu­nau­té des peuples. Car « l’amour du Christ nous presse » : « Si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme son cœur, com­ment l’amour de Dieu serait-​il en lui ? »

    Deux projets majeurs

    Dans son Message radio­pho­nique du 11 sep­tembre 1962, le Souverain Pontife Jean XXIII a insis­té par­ti­cu­liè­re­ment sur deux points. D’abord, le pro­blème de la paix entre les peuples. Qui n’a point en hor­reur la guerre ? Qui n’aspire à la paix de toutes ses forces ? L’Église aus­si, plus que per­sonne, parce qu’elle est la mère de tous. Par la voix des papes, elle ne cesse de pro­cla­mer son amour de la paix, sa volon­té de paix, sa col­la­bo­ra­tion loyale à tout effort sin­cère en faveur de la paix. Elle tra­vaille de toutes ses forces au rap­pro­che­ment entre les peuples, à leur com­pré­hen­sion et à leur estime réci­proque. Notre assem­blée conci­liaire n’est-elle pas elle-​même le témoi­gnage vivant, le signe visible d’une com­mu­nau­té d’amour fra­ter­nel à tra­vers la diver­si­té des races, des nations et des langues ? Nous affir­mons l’unité fra­ter­nelle des hommes par-​dessus les fron­tières et les civi­li­sa­tions. En outre, le Souverain Pontife rap­pelle les exi­gences de la jus­tice sociale. La doc­trine pré­sen­tée dans l’encyclique Mater et Magistra montre à l’évidence que l’Église est, plus que jamais, néces­saire au monde moderne pour dénon­cer les injus­tices et les inéga­li­tés criantes, pour res­tau­rer la vraie hié­rar­chie des valeurs, rendre la vie plus humaine et plus conforme aux prin­cipes de l’Évangile.

    La force de l’Esprit

    Sans doute, nous n’avons ni moyens éco­no­miques ni puis­sance ter­restre, mais nous met­tons notre espoir dans la force de l’Esprit que le Seigneur Jésus a pro­mise à son Église. C’est pour­quoi, hum­ble­ment et ardem­ment, nous fai­sons appel à nos frères au ser­vice de qui nous sommes comme pas­teurs, mais aus­si à tous nos frères qui croient au Christ et à tous les hommes de bonne volon­té « que Dieu veut sau­ver et conduire à la connais­sance de la véri­té » : qu’ils s’unissent à nous pour tra­vailler à bâtir eux- mêmes en ce monde une cité plus juste et plus fra­ter­nelle. Car tel est bien le des­sein de Dieu que, par la cha­ri­té, d’une cer­taine façon, brille sur la terre le royaume de Dieu comme une loin­taine ébauche de son royaume éter­nel. Au milieu d’un monde encore si éloi­gné de la paix qu’il sou­haite, angois­sé devant les menaces que font peser sur lui les pro­grès tech­niques, admi­rables en eux-​mêmes, mais périlleux tant qu’ils sont sans réfé­rence à une loi morale supé­rieure, puisse briller la lumière de la grande espé­rance en Jésus Christ, l’u­nique Sauveur.

    []

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.