Chers fidèles,
Il est bien sûr tout à fait normal qu’à l’avènement d’un nouveau pape, vous vous posiez la question : « Alors, qu’est-ce qui va se passer ? ». Et cette question, emplie d’espérance, se fonde avant tout sur la promesse de Notre Seigneur : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église ». Cela nous le savons tous, nous le croyons tous. Reste l’application concrète.
Je n’ai pas besoin, je pense, de vous dire que les choses ne vont pas bien dans l’Église, que c’est même une tragédie, une catastrophe incommensurable. J’irai plus loin : il me semble que les théologiens du début du XXme siècle nous auraient considérés comme des hérétiques s’ils avaient entendu ce que nous disons et qui n’est pas une théorie personnelle, mais la simple description de la situation présente. Je veux dire par là que les théologiens considéraient naguère comme impossible, inconcevable ce qui se passe dans les faits aujourd’hui. Souvenez-vous des paroles de saint Pie X dans sa première encyclique, décrivant la situation de son époque, il dit qu’« on peut avec raison se poser la question de savoir si le Fils de perdition n’est pas déjà arrivé ». Qu’est-ce qu’il dirait aujourd’hui ?
Nous percevons, d’un côté, une crise terrible dans l’Église et, de l’autre côté, nous croyons à la promesse de Notre Seigneur. Nous savons que le plus fort, c’est Notre Seigneur, c’est le Bon Dieu. Alors, nous mettons en marche nos méninges et nous essayons de réfléchir : comment cela pourrait-il se passer ? Comment Notre Seigneur pourrait-il rétablir la situation ? Et il y a une solution toute simple : un nouveau pape. Un bon pape ; et voilà, tout va être rétabli ! D’où cette attente secrète et même inconsciente : voilà, c’est lui !
Il y a un nouveau pape, donc c’est lui ! C’est lui qui doit rétablir les choses, puisque les choses vont mal, puisque Notre Seigneur a promis qu’on ne pouvait pas aller trop loin et qu’il fallait une reprise en main. Donc c’est lui ! D’ailleurs quantité d’indices nous soutiennent dans cette perspective. Par exemple, le Vendredi Saint, juste avant le décès de Jean Paul II, le cardinal Ratzinger a fait une description de l’Église très réaliste. Il a dit que le bateau était en train de couler. Ce qui est bien sûr dramatique quand on pense à la promesse de Notre Seigneur que le bateau ne coulera pas, – et l’on entend le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi nous dire que le bateau coule ! Il a eu plusieurs expressions de ce genre-là. Il a également critiqué la nouvelle messe, plusieurs fois ces dernières années. Il a même écrit un livre à ce sujet. Cela semble bien aller dans le bon sens.
Le candidat des conservateurs au conclave
Et puis, on peut le dire, ce n’est pas une supputation, Benoît XVI a été élu en opposition au progressisme. Nous avons quelques renseignements sur la façon dont s’est déroulé le conclave. Vous savez tous que les cardinaux prêtent le serment de garder secret tout ce qui va se passer au conclave. Aussi ne me demandez pas comment cela se fait qu’on sait, mais on sait qu’il y a une cinquantaine de cardinaux qui ont donné leurs voix au cardinal Ratzinger, que le cardinal Martini en avait une vingtaine, que le cardinal Bergoglio de Buenos Aires en avait aussi une vingtaine. Le cardinal Sodano en a eu quatre tout le temps du conclave. Bien sûr, le cardinal Martini n’est pas un conservateur. C’était manifestement, au premier tour de scrutin, le chef de fil le des progressistes. Avec lui, il y a un groupe d’au moins trois cardinaux qui constituent le fer de lance du progressisme pendant le conclave : vous avez le cardinal d’Ecosse, le cardinal McCormack et le cardinal Danneels.
Et de l’autre côté, vous avez aussi un groupe d’à‑peu-près quatre ou cinq cardinaux. Là celui qui, semble-t-il, a le plus travaillé à l’élection du cardinal Ratzinger c’est le cardinal Lopez Trujillo, colombien, avec le cardinal Castrillon, lui aussi colombien, et le cardinal Herranz espagnol. On dit aussi que le cardinal Medina a oeuvré en faveur de cette élection.
Très rapidement, en voyant le peu de voix qu’il avait, le cardinal Martini s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas jouer tout seul, et il a donc fait reporter ses voix sur le cardinal de Buenos Aires, c’est ainsi qu’au deuxième tour, le cardinal Ratzinger a un peu plus de cinquante voix, et qu’un certain nombre de voix se portent sur le cardinal Bergoglio. Ce sont les deux noms qui viennent en tête.
À ce moment-là, le cardinal de Buenos-Aires prend peur, – le mot est peut-être un peu fort. Il se rend compte qu’il peut être élu, et qu’il n’est pas prêt pour une telle charge. Il se désiste. Si bien qu’au troisième tour, comme il n’y a plus qu’un candidat, à très peu de voix près, on dit à trois voix près, le cardinal Ratzinger est presque élu. Immédiatement, le soir même, on fait un quatrième tour, et cette fois-ci il est élu avec plus de cent voix. C’était un désastre pour les progressistes qui se mettaient la tête entre les mains. Tout cela nous donne de l’espérance. Cela va donc du bon côté, puisque les progressistes ont été battus. Et si l’on fait le tour des cardinaux, certainement le cardinal Ratzinger compte parmi l’un des meilleurs de ceux qui étaient là.
Alors, tout va bien ? Ce n’est pas facile de parler du futur ! Dieu seul annonce l’avenir. Pour nous, un regard sur le futur est quelque chose de toujours bien délicat. On peut essayer d’envisager ce qui est probable, tout en sachant que lorsqu’on parle d’hommes, on parle de liberté, de contingences. Et si je vous dis : « cela va se passer comme ça », en même temps je suis obligé d’introduire la possibilité que cela ne se passe pas du tout comme cela. C’est une certaine probabilité, on ne peut pas aller plus loin.
Sur quoi fonder cette probabilité, ce regard sur l’avenir du pontificat ? En s’appuyant sur notre connaissance du passé ! Nous connaissons assez bien le cardinal Ratzinger et nous pensons que du cardinal Ratzinger au pape Benoît XVI il n’y a pas beaucoup de différence de personnalité, ni de traits de caractère. Donc, ce que nous pouvions penser du cardinal Ratzinger nous pouvons aussi le penser de Benoît XVI. C’est vrai qu’il a des grâces d’état, c’est vrai qu’il bénéficie d’une assistance particulière du Saint Esprit en tant que vicaire du Christ, chef de l’Église, néanmoins sa manière de réagir aux problèmes, sa façon de les traiter sera, au moins au plan humain, à peu près du même genre que lorsqu’il était cardinal.
Une formation non thomiste
Alors, que voyons-nous dans l’homme qui est maintenant Benoît XVI ? Que voyons-nous dans sa formation ? Commençons par le théologien. C’est un professeur d’université, et dans sa biographie, lui-même va nous dire qu’il n’est pas thomiste. Et même qu’il n’aime pas saint Thomas, au moins dans la manière dont on l’enseignait au séminaire. Il faut donc en conclure qu’il n’est pas un philosophe, ni un théologien doté de cette armature intellectuelle que procure le thomisme.
Si on pense que Léon XIII disait que chaque article de la Somme théologique de saint Thomas est un miracle, et qu’il affirmait qu’une seule année au contact de saint Thomas donnait plus que plusieurs années d’études sur les Pères de l’Église… Si on pense que saint Pie X dans son encyclique Pascendi fait retirer tous les titres de docteur, dans l’Église, à ceux qui n’ont pas eu une formation philosophique scolastique… vous vous rendez bien compte : tous les docteurs en théologie, en droit canon qui n’ont pas fait de philosophie scolastique se voient retirer leur titre de docteur, dans l’encyclique Pascendi ! Imaginez cela aujourd’hui, il n’y aurait plus beaucoup de docteurs dans l’Église ! Ainsi donc le professeur Ratzinger n’est pas thomiste. On verra plus loin dans ses écrits, et même dans sa manière de faire, qu’il y a quelque chose d’hégélien, très fortement hégélien : un élément évolutionniste, un regard nouveau sur la vérité.
La théologie et la philosophie pérennes, classiques, voient dans la vérité quelque chose qui se situe tout à fait au-dessus du temps. En effet, la vérité est liée à l’être, et l’être est au-dessus du temps. Ce qui est est, c’est tout ! Dieu a donné comme définition de lui-même : « Je suis celui qui suis », en référence immédiate à l’être ; et l’on sait bien que Dieu est immuable. Il y a donc quelque chose d’immuable, d’inchangé dans tout ce qui regarde l’essence des choses. Le premier homme, Adam, était tout aussi homme que nous. Et, ce qui au temps d’Adam était bon ou mauvais, reste aujourd’hui bon ou mauvais. Ce qui à son époque était vertu, est aujourd’hui vertu. Ce qui à son époque était péché, défaut, reste aujourd’hui péché, défaut. La neige était blanche comme elle l’est aujourd’hui, le ciel par beau temps était bleu comme il l’est aujourd’hui. Dès que l’on regarde l’essence des choses, on se situe hors du temps.
Une perspective comme celle du professeur, du théologien, du cardinal Ratzinger est une perspective nouvelle. C’est un regard nouveau qui admet un mouvement, une évolution de la vérité. Je donnerai quelques exemples pour illustrer mon propos.
Lors de la rencontre en 1987 entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger, notre fondateur insiste sur la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il insiste et montre cette lutte autour de ce qu’on appelle depuis le concile, la liberté religieuse.
Mgr Lefebvre : C’est en opposition à Quanta Cura de Pie IX.
Cardinal Ratzinger : Mais, Excellence, nous ne sommes plus au temps de Quanta Cura.
Mgr Lefebvre : Alors, j’attends demain, parce que demain nous ne serons plus au temps de Vatican II !
D’ailleurs, entre parenthèses, un cardinal m’a dit un jour que Gaudium et Spes était dépassé…
Un autre exemple de cette idée selon laquelle la vérité évolue. Il se trouve dans l’explication que la Congrégation pour la doctrine de la foi a donné au moment où on essayait de justifier Rosmini. Vous savez que le pape Jean Paul II voulait béatifier Rosmini, ou au moins ouvrir le chemin de la béatification de Rosmini. Déjà Paul VI avait établi une commission pour étudier son procès de béatification. Le problème de Rosmini c’est qu’il était condamné par l’Église. Ainsi, vous avez une première commission sous Paul VI qui dit : Non ce n’est pas possible, il a été condamné ! Mais Jean Paul II qui voudrait bien voir ce procès de béatification commencer, crée une nouvelle commission… mais qui dit comme la première. Alors, on va empêcher qu’elle donne un jugement définitif ; cela va rester dans les tiroirs. Et on va essayer de s’en sortir autrement. On va faire faire un décret par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui tentera d’expliquer quelque chose d’un peu difficile à accepter. On nous dit ainsi que la condamnation de Rosmini, si on la regarde avec les yeux du thomisme en vigueur au moment où il a été condamné par l’Église, alors cette condamnation vaut tout à fait. Mais aujourd’hui c’est autrement, si on regarde les thèses de Rosmini, avec les yeux de Rosmini, sa doctrine est admissible. C’est une approche de la vérité totalement subjective ! Rosmini a parlé, son œuvre a été comprise. L’Église l’a comprise et a dit que ce qui était compréhensible était condamnable. Mais, un peu plus tard, on nous dit que ce n’est pas comme cela qu’il fallait le comprendre, il fallait rentrer dans la tête de Rosmini pour comprendre sa vision des choses.
C’est la fin de la vérité. Notez-le bien, c’est la fin de la vérité objective ; et c’est très, très grave. Cela vous montre qui est le cardinal Ratzinger, au moins au niveau de sa formation théologique. Je dis qu’elle est hégélienne à cause d’un autre aspect. À côté de l’élément évolutionniste, vous avez la fameuse trilogie thèse-antithèse-synthèse. C’est très frappant lorsqu’on considère, cette fois-ci, non plus les vérités spéculatives, – ces vérités sur lesquelles on réfléchit mais qui n’ont pas une application directement pratique –, mais bien lorsqu’on considère une mise en pratique selon le cardinal Ratzinger. Cette perspective dynamique thèse-antithèse-synthèse veut expliquer les évènements de l’histoire par une rencontre conflictuelle qui se termine par un nouvel état, supposé meilleur que les précédents, mais qui est le fruit de cette rencontre, de ce conflit entre la thèse et l’antithèse. En voici une application tout à fait concrète par le préfet de la Congrégation de la foi.
La première fois que le cardinal Ratzinger visite le séminaire de la Fraternité Saint-Pierre à Wigratzbad, il leur dit ceci : « Il faut que vous gardiez l’ancienne messe pour faire contrepoids à la nouvelle messe ». Vous voyez l’antithèse. Il faut conserver une sorte d’équilibre. Actuellement, on vire à gauche, donc il faut mettre plus de poids sur la droite. Il faut un contrepoids. « Et après, dit-il, on va faire une nouvelle Nouvelle Messe ». Donc quand ce contrepoids aura neutralisé la tendance progressiste, car cela se neutralise plus ou moins, alors on va faire une nouvelle Nouvelle Messe. Plusieurs fois, le cardinal Ratzinger, se livrera à cette application pratique dans une perspective dialectique, hégélienne.
Expert au concile Vatican II aux côtés des progressistes
Notre première impression sur le professeur Ratzinger est renforcée par l’observation de son attitude et de ses relations lors du concile et de l’après-concile. Au concile, il entre comme expert, c’est-à-dire comme théologien du cardinal de Munich. Il y arrive comme le plus jeune expert du concile. Son compagnon de jeunesse, l’abbé Medina, est aujourd’hui cardinal. Ils sont tous les deux de 1927. C’étaient les participants les plus jeunes au concile, non pas évêques mais théologiens experts aidant un des pères du concile.
Ses amis au concile sont Karl Rahner, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar. Ce sont de grands noms du concile, je ne veux pas dire qu’ils ont fait de grandes choses, mais qu’ils ont causé de grands bouleversements. Ils ont eu une influence très impressionnante sur le concile. De Rahner, on disait pendant le concile : « Rahner locutus est, causa finita est », il a parlé, l’affaire est réglée. Toutefois, assez rapidement après le concile, Ratzinger qui n’est pas encore cardinal va se distancer de Rahner et se rapprocher d’Henri de Lubac et Hans Urs von Balthasar. Avec eux, il va fonder le mouvement Communio, qui est une réunion de théologiens, avec une publication intitulée elle aussi Communio. C’est encore progressiste, mais cela ne va pas aussi loin que Rahner. D’ailleurs le progressisme du concile, avec les années, passe de plus en plus aujourd’hui pour du conservatisme, alors que ces théologiens n’ont en rien changé. Urs von Balthasar, une année avant sa mort, en 1987, reçoit le prix Paul-VI. À cette occasion, il déclare : « S’il y a un enfer, personne ne s’y trouve, car la seule chose qu’il y a en enfer c’est le péché, pas les pécheurs ». Et il a manqué de peu le chapeau de cardinal, il est mort juste avant… En revanche, Henri de Lubac, son ami, a été créé cardinal. De Lubac est célèbre pour avoir été condamné en 1950 à cause de son livre Le surnaturel, où il nie précisément le surnaturel. Il y établit un rapport entre la nature et la grâce tel que la nature a droit à la grâce. Ce n’est donc plus quelque chose de gratuit. Il a soi-disant corrigé un peu sa thèse, on peut vraiment en discuter.
Et, c’est cette ligne théologique du concile qui est celle de celui qui deviendra bientôt le cardinal Ratzinger. D’ailleurs, en 1985, quand il se lamentera sur l’état des choses dans l’Église, il ne l’attribuera pas au concile. Selon lui, ce n’est pas l’esprit du concile qui a produit ces mauvais fruits, c’est un mauvais esprit du concile, une mauvaise interprétation qui a produit ces mauvais fruits.
De Munich à Rome
Il y a un événement très intéressant et qui va être, je pense, déterminant sur un relatif changement d’attitude de la part du cardinal Ratzinger. C’est sa nomination à l’évêché de Munich. Jusqu’à ce jour il est professeur, à ce moment-là il rentre, si on peut dire, dans la lice du concret. Il doit gouverner un diocèse. Et, dans le concret, les idées abstraites prennent une autre dimension. Tout à coup on se rend compte que certaines théories qu’on pouvait très facilement tenir dans l’abstrait, dès lors qu’on essaie de les appliquer concrètement, ça ne marche plus ! En particulier, sur les questions d’obéissance et d’exercice du pouvoir dans l’Église, on voit très bien que si ces intellectuels cherchaient à les mettre en pratique, ils ne seraient pas obéis. Il est remarquable de constater que même les progressistes, lorsqu’ils ont à gouverner, aiment être obéis… Ils n’aiment guère à ce moment-là la contradiction. Cela les fait revenir, au moins dans leur gouvernement, à des méthodes assez traditionnelles.
À Munich, Ratzinger va même être obligé d’interdire à l’un de ses amis d’occuper une chaire à la Faculté de théologie catholique de l’Université. Cela va lui valoir l’opposition sévère de ses anciens amis. Je pense que cela lui a servi de leçon. C’est un premier retour, un changement d’attitude jusqu’à un certain point… qui donnera de lui une certaine image de conservateur, image certaine sur quelques points.
Lorsqu’il arrive à Rome, en 1982, il est dans cette attitude changée qui est en réalité un mélange assez difficile à décrire, et encore plus difficile à concevoir. D’un côté, on voit un homme qui a la foi. Comme croyant, il décrit la foi de ses parents lorsqu’il était enfant : comme elle était belle cette foi ! On voit qu’il l’a toujours, qu’il aime la foi catholique. C’est le croyant, mais lorsqu’on regarde le théologien, c’est autre chose. Il aime beaucoup certaines idées modernes. Ainsi il explique dans sa biographie que lorsqu’il a présenté sa 2me thèse de doctorat, elle a été refusée pour cause de modernisme. Mais il s’est rendu compte que cette thèse avait deux parties, l’une était barrée de rouge dans tous les sens, tandis que l’autre qui était plus historique, se tenait à peu près. Il a représenté cette partie-là. C’est ainsi qu’il a obtenu son 2me doctorat en théologie.
L’année d’après, en 1983, il adoptera plusieurs positions opposées à la ligne générale. Alors qu’il est préfet pour la Doctrine de la foi, il donnera en France deux conférences où il rappelle aux évêques et aux fidèles français que la base du catéchisme, de tout catéchisme, doit être le catéchisme romain. C’est-à-dire le catéchisme du concile de Trente. Et cette observation faite deux fois, lui attirera l’ire de l’épiscopat français. Pas seulement la colère, mais aussi une contre-attaque. Et l’on verra ainsi dans la Documentation Catholique une rétractation du cardinal… dont on dit qu’il ne l’a jamais écrite. On dit aussi qu’à ce moment-là il aurait donné sa démission au pape. Premier revers. Ce qu’il avait rappelé était très juste, mais cela ne passait pas.
Un autre fait : Assise. On sait que le cardinal Ratzinger n’était pas d’accord. À la première rencontre interreligieuse de 1986, il n’est pas allé. À la deuxième, en 2002, il était toujours aussi contre, mais on l’a obligé à aller. Et il s’y est rendu. On dit qu’au premier Assise, il aurait de nouveau donné sa démission. Personnellement j’ai entendu quatre fois dire que le cardinal Ratzinger avait donné sa démission. Le cardinal Medina, lorsqu’il est passé au Barroux récemment, a déclaré qu’il l’avait donnée deux fois. Il doit y avoir quelque chose de vrai. Il a donné plusieurs fois sa démission comme préfet de la Congrégation de la Foi, à cause de son désaccord avec le pape et en particulier sur Assise.
Il a aussi réprimandé, condamné quelques théologiens, pas très nombreux mais quand même quelques-uns. Ce qui ne se faisait plus sous Paul VI. C’est à porter à son crédit.
Je vous livre ainsi, en forme de mosaïque, quelques aspects de sa personnalité en essayant de procéder chronologiquement, afin de mieux cerner cette personnalité et d’essayer de voir comment il va réagir là où il est aujourd’hui.
Un diagnostic juste, mais pas de remèdes efficaces
En 1989, il y a la fameuse charte de Cologne de cinq cents théologiens, surtout germanophones. Ils avaient signé une déclaration de protestation contre le magistère romain, parce que selon eux ce magistère entravait la liberté des théologiens. C’était une première vague, suivie par d’autres. Les Français ont aussi manifesté leur opposition. Il faut se rendre compte de l’impact de la charte de Cologne qui donna le branle à toute cette contestation : cinq cents théologiens c’est-à-dire cinq cents professeurs d’universités, de facultés de théologie, de séminaires, autrement dit la grande majorité des forces intellectuelles catholiques du moment qui proteste contre Rome et contre le magistère. En réponse, le cardinal Ratzinger publie une petite étude sur cette théologie moderne. – Là, il faut le reconnaître honnêtement, le cardinal Ratzinger lorsqu’il s’agit de faire une analyse, est remarquable de finesse. Il fait attention à toutes les nuances pour décrire le plus objectivement la situation qu’il analyse et, en général, on ne peut être que d’accord avec ce qu’il affirme.
Sur cette théologie moderne il indiquait trois points. La première caractéristique est la disparition de l’idée de création, remplacée par l’évolution. Le problème de cette disparition c’est que si ce monde n’a pas été créé, on n’a plus de créateur. Et partant, on n’aura bientôt plus de Dieu.
Deuxième point, lorsqu’on parle de Jésus-Christ on ne parle plus du Fils de Dieu, puisqu’au premier point on avait constaté qu’il n’existait pas. Alors, qu’est-ce qu’il reste pour Notre-Seigneur ? Il reste un surhomme, un révolutionnaire qui a mal fini, puisqu’il est mort sur une croix.
Dernier point, c’est la disparition de l’eschatologie, c’est-à-dire des fins dernières, ce qui se passe après la mort : le ciel, le purgatoire, l’enfer. Le cardinal, d’une façon très intéressante, montre que pour cette théologie il n’y a plus d’enfer, le purgatoire on n’en parle pas, mais il n’y a pas non plus de ciel. S’il n’y a pas de Dieu, pas de Dieu personnel, pourquoi inventer un ciel ? Le ciel, ce sera demain, ici-bas. Ce sera un futur.
Vous comprenez bien qu’après une telle description on attend des conclusions. Si je vous demandais : « Alors, qu’est-ce qu’on fait de cette nouvelle théologie ? » Je crois que vous trouveriez vite des solutions assez radicales : la poubelle, l’aspirateur, le bûcher, l’excommunication… On n’en parle plus, on met cela dehors, et c’est fini. Eh bien ! le cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui se pose la question de ce qu’il faut faire, nous donne la réponse suivante : Ces théologiens, il faut essayer de les comprendre ! Une telle conclusion vous laisse comme une impression de pétard mouillé. Vous attendiez une explosion, et puis rien !
On trouvera la solution de cette énigme dans une petite phrase dite cette année, avant de devenir pape, à un ami prêtre : « Vous, vous êtes un combattant, moi je suis un penseur ». Cela révèle beaucoup de choses, je pense même que c’est un trait marquant de sa personnalité.
Dans son livre sur la liturgie, tout récent, il fournit de nouveau un bel argumentaire contre l’autel face au peuple. Quand on lit cela, on ne peut être que satisfait. Les arguments sont bons. Ce pauvre autel face au peuple, il n’en reste plus grand chose à la fin de la démonstration ! Vient alors la question de ce que l’on va faire. Le cardinal Ratzinger se pose la question. Et encore une fois il esquive : Non, on ne va pas revenir à l’ancien autel. Pourquoi ? Parce que cela coûterait trop cher, cela causerait trop de tumulte, trop de trouble. La solution : on mettra une croix au milieu de l’autel, et ce sera l’Orient mystique.
On reste sur sa faim, mais c’est pourtant bien la réponse qu’il donne. Pourquoi cela ? On peut bien sûr se dire qu’il n’est pas pape lorsqu’il écrit ce livre. Mais, au fond, il y a un problème, un vrai décalage entre l’analyse et la remontée aux causes. On voit que la conclusion est sans proportion, que cela ne correspond pas à la description qu’il fait de la situation. Est-ce parce qu’il a reçu trop de coups, parce qu’il estime qu’il n’est pas libre, qu’il ne peut pas faire comme il voudrait ? C’est une interprétation très bénigne. On pourra voir si elle est fondée, maintenant qu’il est au sommet de l’Église.
Au sujet de la messe, le cardinal Ratzinger a fait un plaidoyer pour l’ancienne messe. C’est net et clair. Il est même un des rares à en avoir parlé. Le cardinal Stickler l’a fait d’une manière plus ponctuelle. Mais consacrer un livre, il n’y en a pas beaucoup d’autres qui l’ont fait. Je pense que celui qui, dans l’Église officielle, parmi les cardinaux, a le plus parlé contre la nouvelle messe, en donnant des arguments en faveur de l’ancienne, c’est bien le cardinal Ratzinger. Mais allons un petit peu plus loin, et voyons jusqu’où va cette défense de la liturgie traditionnelle. L’année passée, à l’un de nos fidèles qui lui demandait la liberté de la messe pour tous, il écrivait : On ne pourra pas donner la liberté de la messe, parce que les fidèles sont vaccinés contre elle. Cela ne passera pas. C’est pourquoi sa solution consisterait à faire une nouvelle messe : une nouvelle nouvelle messe basée sur l’ancienne. Voilà ce qu’il proposait l’an dernier, en tant que cardinal. La nouvelle messe telle qu’elle est maintenant, ne va pas, l’ancienne non plus. Donc on va « bricoler » une sorte de mixte nouveau-ancien, ancien-nouveau.
Le cardinal Ratzinger et la Fraternité Saint Pie X
Et maintenant, concrètement par rapport à la Tradition, par rapport nous, la Fraternité Saint-Pie‑X ? Je pense que le cardinal Ratzinger est celui qui nous connaît le mieux, celui qui nous a suivis depuis le début.
C’est lui qui, en 1982, reprend le dossier du cardinal Seper et qui va ainsi avoir des rapports – officiels et officieux – avec Mgr Lefebvre, avec la Fraternité. C’est lui qui préside à la rédaction de l’accord de 1988, avant les sacres. Mais auparavant il y aura eu deux ou trois tentatives étranges. Des séminaristes qui nous avaient quittés du fait des opérations de grignotage menées par Rome. Nous sommes ainsi obligés de renvoyer neuf séminaristes d’Ecône. Neuf séminaristes qui se présentent à Rome, et on fonde pour eux un séminaire, Mater Ecclesiae si je me souviens bien, soi-disant traditionnel. On leur promet la lune, et cela tourne court assez vite. Un de ceux-là même qui avaient participé à cette triste épopée, écrivait à Mgr Lefebvre, juste avant les sacres, pour expliquer combien notre fondateur avait raison.
C’est le cardinal Ratzinger, qui va pratiquement fonder la Fraternité Saint-Pierre. Pour ceux qui ne le savent pas, elle est fondée par Rome directement contre la Fraternité Saint-Pie‑X. Dans le rapport du cardinal Gagnon, ou du moins dans ses estimations, il était dit qu’au moment des sacres, il y aurait entre 60 % et 80 % des prêtres et des fidèles qui quitteraient Mgr Lefebvre. D’où la tactique du coup de marteau sur Mgr Lefebvre : l’excommunication. Et puis on ouvre en grand les portes à tous ceux qui n’ont pas été ainsi écrasés, pour qu’ils entrent dans la Fraternité Saint-Pierre. Cette œuvre a été conçue contre nous, et c’est encore ainsi aujourd’hui. Dans les diocèses, les évêques voient rouge lorsqu’arrive notre Fraternité, et ils essaient de nous neutraliser en faisant venir la Fraternité Saint-Pierre. Parfois ils le disent carrément : « Non, on ne vous donne rien, sauf si la Fraternité Saint-Pie‑X s’établit chez nous. Alors là, oui, on ouvrira une chapelle Saint-Pierre ».
Il y a deux ans le cardinal Castrillon Hoyos voulait se débarrasser du secrétaire d’Ecclesia Dei, Mgr Perl. Mais Mgr Perl a trouvé un défenseur, un protecteur qui s’est opposé à son éviction d’Ecclesia Dei. C’était le cardinal Ratzinger.
Dans ces circonstances, quel est le point de vue du cardinal Ratzinger sur la Fraternité ? Je pense qu’il est frustré de ce que les accords de 1988 n’aient pas abouti. Et puis, il est vrai que nous n’avons pas hésité à l’attaquer de tous les côtés. Ce n’est pas agréable, et je comprends qu’il n’ait pas trop aimé.
Mais ne considérons que le passé récent. Là encore on peut observer d’étranges mélanges. Quelques faits.
L’année dernière, un groupe de cardinaux conservateurs s’est réuni avec l’idée de faire quelque chose pour la Tradition. C’est nouveau, mais il est vrai qu’ils savent parfaitement que cela ne va pas bien dans l’Église. Face à cette perspective désastreuse, Rome porte les yeux sur les traditionalistes au sens large, tous ceux qui sont attachés à l’ancienne messe, pas seulement la Fraternité Saint-Pie‑X. Et ces cardinaux de se réunir donc pour voir ce que l’on peut faire en faveur de la Tradition. Deux lignes sont apparues. Pour l’une, il fallait soutenir la Fraternité Saint-Pie‑X qui est la colonne vertébrale de toute cette Tradition – et nous savons quel cardinal a défendu cette thèse. Pour l’autre, en revanche, il fallait renforcer Saint-Pierre, Ecclesia Dei, tout en grignotant notre Fraternité, là aussi nous savons quels cardinaux favorisaient cette thèse.
Cette année, deux cardinaux vont voir le pape Jean-Paul II, dont le cardinal Ratzinger. Ils vont voir le Saint Père pour lui demander de nommer secrétaire de la Congrégation de la liturgie un évêque qui est convaincu que l’Église ne sortira pas de cette crise sans revenir à l’ancienne messe. Un évêque qui dit que le prêtre ne peut pas trouver son identité dans la nouvelle messe. Sa position est connue à Rome. Et, c’est cet évêque qui est proposé comme secrétaire de la Congrégation de la liturgie. Un bon point pour le cardinal Ratzinger. Mais l’évêque en question n’a pas été nommé, parce que le secrétaire du pape avait déjà promis le poste à quelqu’un d’autre. C’est ainsi que les choses se passent dans l’Église !
Un autre exemple de ces mélanges troublants. Le cardinal Medina a expliqué qu’il avait fait des efforts, lors de publication de la 3me édition typique de la nouvelle messe, pour y inclure en annexe rien moins que l’ancienne messe. Il est remarquable de voir où en est arrivé le cardinal Medina, lorsqu’on sait qu’autrefois il voulait faire mettre dans l’édition typique la condamnation et l’interdiction de l’ancienne messe. Et c’est la secrétairerie d’État qui le lui a défendu. Maintenant il veut y introduire l’ancienne messe. Et cette fois-ci ce ne sera pas la secrétairerie d’État qui va l’en empêcher. Ni une secrétairerie, ni une congrégation. Ce sera un homme, le cérémoniaire du pape qui fait une telle scène à Jean-Paul II qu’il a fallu renoncer. Voyez comment se fait l’histoire de l’Église !
Benoît XVI et Vatican II
Et Benoît XVI maintenant ? Il est élu manifestement dans un mouvement de réaction. Dans les quelques jours qui ont précédé le conclave, il a invité les cardinaux à parler librement. Pour la première fois ils ont parlé entre eux sérieusement des graves problèmes de l’Église. Entre eux, ils se sont dit avec fermeté que cela n’allait pas. Et l’on peut bien penser que cette vision de la tragédie de l’Église a poussé certains cardinaux à élire Benoît XVI. Il y a une attente de la part de l’Église, de la part même de la hiérarchie, devant le désastre de l’Église.
Regardez les effectifs des vocations, ce n’est pas glorieux ! Un diocèse comme Dublin est capable de connaître une année sans aucune vocation sacerdotale. On est tombé bien bas. Il y a quelques années, dans tous les noviciats d’Irlande, il y avait 150 novices pour la relève de 32 000 religieuses. C’est encore plus frappant pour les frères. Pour remplacer 10 000 frères, dans tous les noviciats de toutes les congrégations d’Irlande, il y avait 5 novices. Les jésuites, l’année passée ou l’année d’avant, pour tout l’ordre, n’ont eu que sept professions perpétuelles ; un ordre qui comptait il y a 20 ans 32 000 membres. Ils doivent être aujourd’hui à peu près 25 000. Vous pensez bien que ces chiffres tout le monde est capable de les comprendre.
Le cardinal Castrillon parlait un jour de l’état des universités romaines. À son interlocuteur qui lui disait : « Les universités pontificales à Rome sont truffées d’hérétiques », il a renchéri : « Oui, c’est terrible, j’espère que le nouveau préfet aura assez de force pour y mettre de l’ordre ». Et deux ans plus tard le préfet de la Congrégation du clergé déclare : « On ne peut rien faire ». Voilà comment dans la curie romaine on parle des universités pontificales : Nous ne pouvons rien faire !
Il est certain que le cardinal Ratzinger, maintenant le pape Benoît XVI, se rend compte de l’état lamentable de l’Église. Il sait que l’Église est dans une situation terrible. Et aussi il connaît, lui, le 3me secret de Fatima.
Alors que faut-il attendre ? Il faut le dire : il y a un problème qui vient assombrir notre espérance. Et ce problème est que Benoît XVI reste attaché au concile. C’est son œuvre, c’est son enfant. Il reconnaît bien sûr des évolutions qui ne sont pas acceptables, – ce qui veut dire qu’il y en a quand même une qui est acceptable.
Pour nous, notre position sur le concile est très simple : il y a là des erreurs, des ambiguïtés qui ouvrent sur d’autres erreurs pires encore. Ce qui a inspiré ce texte, ce qui le rend inassimilable, c’est un esprit qui n’est pas catholique. Voilà notre position sur le concile. Evidemment vous pouvez y trouver des éléments qui sont vrais. Mais l’ensemble est inassimilable. Et c’est pour cela que nous refusons, en regardant l’ensemble, de signer une déclaration sur le concile dans laquelle, d’une manière ou d’une autre, nous laisserions penser que nous adhérons à ce concile.
Pour prendre une image de la vie domestique, nous nous disputons avec Rome, disant les uns aux autres : « C’est de la soupe », « Non, ce n’est pas de la soupe ». « Si ». « Non ». Pour finir, Rome nous dit : « Vous ne la boirez pas cette soupe, mais enfin il faut quand même dire que c’est une soupe ». Et nous répondons : « Nous savons bien que c’est une soupe, mais elle est empoisonnée ». Alors on ne peut plus l’appeler soupe, on doit l’appeler poison. Et si on l’appelle soupe, on trompe les gens parce qu’ils vont croire qu’on peut la boire. Le problème n’est pas de savoir si c’est une soupe ou pas, c’est de savoir si elle est un poison ou non. Si elle va nous faire du bien ou nous tuer. Voilà le problème. Et devant ce problème-là il ne sert à rien de se disputer pour savoir si c’est une soupe ou pas une soupe. Elle fait du mal donc on ne veut pas la boire.
Rome essaie alors de trouver une formule qui soit « buvable » : « Le concile à la lumière de la Tradition ». Mais dans le contexte où cette formule est employée, elle ne nous convient pas. Car qu’est-ce que cela veut dire : « J’accepte le concile à la lumière de la Tradition » ? Qu’est-ce que cela veut dire, quand on nous accuse, nous, d’avoir une fausse idée de la Tradition ? Dans le texte même de l’excommunication de Mgr Lefebvre, il est dit qu’il a commis une faute en sacrant des évêques, parce qu’il avait une notion incomplète de la Tradition. Et on nous proposerait de signer une déclaration comme quoi nous acceptons le concile à la lumière de la Tradition !
De même au sujet de la messe, les formules qui nous sont proposées par Rome sont justes, mais hors contexte seulement. Ainsi, on nous demande maintenant de reconnaître que la nouvelle messe est valide, si elle célébrée avec l’intention d’accomplir le sacrifice de Notre Seigneur, ce qui est encore plus précis que ce que demande la théologie où il n’est question que de célébrer avec l’intention de faire ce que veut l’Église. Cette phrase en soi est acceptable, mais c’est comme mon image de la soupe. La nouvelle messe même valide est empoisonnée. C’est pour cela qu’on ne la boit pas. C’est pour cela qu’on vous dit : N’y allez pas !
Pourquoi cette incompréhension entre les autorités romaines et nous ? Parce qu’elles n’arrivent pas à se dégager du concile. Du concile et des réformes.
On sent très bien qu’elles ont comme une gêne vis-à-vis de nous. Elles reconnaissent que ce que nous faisons est catholique. Le cardinal Castrillon nous l’affirme : « Vous n’êtes ni hérétiques ni schismatiques ». Le problème n’est donc pas de notre côté. L’attitude de Rome à notre égard peut se résumer ainsi : On vous laisse faire, car ce que vous faites est bon ; mais on voudrait que vous disiez aussi que ce que nous faisons est bon. Et cela nous ne le pouvons pas.
Parallèlement, on sent bien une volonté de nous culpabiliser : Vous avez mal fait. Vous avez accompli des sacres contre la volonté du pape. Cela ne peut pas se faire. Vous dites que le concile est mauvais, que la messe est mauvaise. Ce n’est pas possible. Cela a été reconnu par le pape. C’est infaillible. Comme le disait le même cardinal Castrillon lors d’une conférence à Münster : « La nouvelle messe a été reconnue par le pape. C’est infaillible. C’est bon ». Au cours d’une discussion, le préfet de la Congrégation du Clergé m’a dit : « Le pape et moi-même, nous aimons la nouvelle messe. Nous pensons qu’elle est plus apostolique. C’est vrai qu’il manque quelque chose, il faut compenser par une catéchèse adéquate. » J’ai alors repris la définition du mal de saint Thomas d’Aquin : « Le mal, c’est la privation d’un bien dû. C’est quelque chose qui doit être là, et qui n’est pas là. Or, vous-même, Éminence, vous reconnaissez qu’il manque quelque chose à cette nouvelle messe. Donc vous reconnaissez qu’elle est mauvaise ». Je n’ai pas eu de réponse du cardinal.
Il faudrait dire que non pas l’Église, mais des hommes d’Église se sont trompés. Or les autorités romaines ne veulent pas entrer dans cette logique-là. Et comme elles ne veulent pas prendre le problème où il se trouve, elles ne peuvent pas prendre les mesures qu’il faut pour sortir de cette crise. Voilà le malheur !
La réunification avec les orthodoxes
Si vous regardez notre nouveau pape, vous voyez que les débuts de son pontificat ne laissent pas beaucoup de place à l’espérance. Dans son sermon de prise de possession de la chaire de Saint Pierre, au Latran, il a parlé de l’évêque de Rome. Le Latran, c’est l’église de l’évêque de Rome. Il y a bien parlé de la potestas docendi. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas parlé du pouvoir d’enseigner. Mais lorsqu’il s’agit de parler de la primauté, non seulement du pouvoir d’enseigner, mais aussi de régir, de gouverner, cette primauté, pour lui, revient à une « primauté de l’amour ». Et sous ce mot-là, Dieu sait tout ce qu’on peut mettre.
Benoît XVI a une idée. Il a même annoncé que ce serait une des idées-clés de son pontificat. Sur cette idée, il va concentrer toute son énergie et toute l’énergie de l’Église, c’est la réunification des orthodoxes. C’est bien. Ce sont les plus proches. Ainsi on réduit sensiblement le champ de l’oecuménisme. On ne parlera plus trop du dialogue interreligieux comme à Assise. Oui, mais… l’idée, qui était déjà celle du cardinal Ratzinger, est que pour faire cette réunification – puisque les orthodoxes n’acceptent pas la primauté de Pierre – il faut revenir à la conception que l’on avait du pape lorsque l’on était tous d’accord. Autrement dit revenir au concept que l’on avait du pape au premier millénaire. C’est une idée fortement ancrée chez le cardinal Ratzinger, qui maintenant s’exprime chez Benoît XVI.
À Bari, lors du Congrès eucharistique, il a dit très clairement qu’un des objectifs de son pontificat était la réunion avec les orthodoxes. Si c’était selon la conception catholique, on n’aurait rien à dire. Mais le problème c’est que les autorités romaines ont actuellement un concept d’unité que j’aimerais bien comprendre. Jean-Paul II disait que ce ne serait « ni une absorption, ni une fusion ». Qu’est-ce que cela peut être l’unité sans absorption ni fusion de deux êtres qui sont pour l’instant séparés ?
Le cardinal Kasper est plus explicite : « Ce ne sera pas une agglomération d’Églises », parce que c’est une conception trop politique, trop administrative. Mais on se demande toujours ce que cela pourra être. Comme dans cette expression « unité dans la diversité » ; unité cela veut dire un, diversité cela veut plusieurs, alors « l’un dans le plusieurs » ? C’est une formule très à la mode dans le Nouvel Age, et peut-être aussi dans l’Europe d’aujourd’hui, mais au bout du compte c’est ou l’un ou l’autre, mais pas les deux. Ce ne peut pas être les deux à la fois, ou alors il faut dire que les triangles sont carrés.
C’est d’ailleurs une image que j’utilise souvent pour expliquer l’oecuménisme d’aujourd’hui : en admettant que chaque dénomination ou confession chrétienne est une forme géométrique, comment va-t-on parvenir à ramener à l’unité toutes ces formes géométriques, chacune restant ce qu’elle est bien sûr, car c’est cela la diversité ! Eh bien ! ce n’est pas si compliqué. Il suffit que chaque forme géométrique admette qu’elle est un cercle. Évidemment cela revient à suspendre le principe de non-contradiction. C’est là le problème. Mais si on arrive à le résoudre, c’est bon.
Et c’est bien ce qui se passe avec l’oecuménisme. On veut nous faire croire que les carrés sont des triangles ou des losanges, et que toutes ces figures sont des cercles. On nous dit ainsi : Nous avons tous la même foi. C’est ce qu’a affirmé Jean-Paul II : « Tous les chrétiens ont la même foi ». Nous savons bien que ce n’est pas vrai ! Le cardinal Kasper explique que, pour avoir la même foi, il n’est pas nécessaire d’avoir le même credo. En clair, il suffit de savoir arrondir les angles !
L’enjeu fondamental : la vérité
Ce faux oecuménisme nous permet de toucher du doigt la gravité de la situation. Ce n’est pas une simple question de rubrique liturgique – trois coups d’encensoir de plus ou de moins – ici on touche à la question de la vérité. « Qu’est-ce que la vérité ? », cette fameuse question de Pilate, aujourd’hui on ne se la pose même plus. On vit sans même se la poser. On s’en moque. L’unité, ce sera « tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil ». Et, puis tant pis pour la vérité. On en est là. Ni la vérité, ni la question du bien ne sont un problème pour l’homme moderne.
Combien d’évêques, combien de prêtres qui ne croient plus, qui ne croient pas que Notre-Seigneur est Dieu. Pour preuve je ne citerai que le cas du cardinal Kasper qui a fait un livre intitulé Jésus, le Christ, dans lequel il nous dit que quand on aime quelqu’un on a tendance à exagérer. Et c’est pour cela qu’il y a tellement de miracles dans l’Évangile. Les évangélistes qui aimaient Jésus, ont exagéré le nombre de ses miracles ! Et Kasper de prendre sa paire de ciseaux pour enlever à peu près tout. Il laisse bien quelques guérisons parce qu’aujourd’hui aussi on en voit, donc cela pouvait bien se produire du temps du Christ. Il ose même affirmer qu’il n’a jamais été dit que Notre Seigneur est le Fils de Dieu. Mais si on lui objecte l’interrogatoire de Caïphe : « Je t’adjure, au nom de Dieu, dis-nous si tu es le Fils de Dieu », et la réponse de Jésus : « Je le suis », Kasper rétorque : Vous comprenez, à ce moment-là, Jésus était sous pression ! Il est cardinal aujourd’hui, et il n’a pas la foi ! Combien de cardinaux qui n’ont pas la foi ? Benoît XVI est au milieu d’eux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Qu’est-ce qu’il peut faire ? Qu’est-ce qu’il veut faire ?
Que peut-on espérer ?
Dans l’état présent de l’Église, comment envisager le pontificat à venir de Benoît XVI ? Pour résumer en une image, je dirais que si l’on considère le pontificat de Jean-Paul II comme une chute libre, il faudra probablement voir celui de Benoît XVI comme une chute en parachute. Le problème est de savoir la taille du parachute. Cela ira dans la même direction, mais moins vite. Il y aura un coup de frein, je pense. Quelle en sera l’efficacité ? Vous savez, quand vous allez vite, vous mettez les freins, mais on ne sait pas trop ce qui se passe avec la voiture. Normalement cela ralentit. Mais parfois, cela part sur le côté… Et puis, cela dépend de la grandeur du parachute. S’il est petit, on ne verra pratiquement pas de différence. S’il est assez grand, cela peut assez bien ralentir.
Je crois que Benoît XVI essaiera de freiner. Est-ce qu’il faut espérer plus ? Oui, bien sûr qu’il faut espérer plus, mais pas des hommes. Encore une fois, notre espérance est en Dieu. Les promesses de Notre Seigneur valent pour toujours ; elles valaient sous Jean-Paul II, elles valent sous Benoît XVI. Et, le Bon Dieu se sert de tout pour faire avancer son Église là où Il veut.
Maintenant un avis personnel, je pense que si – et ce n’est pas du tout à exclure – si Benoît XVI se trouve dans une situation de crise, s’il est mis au pied du mur, par exemple, par une réaction violente, menaçante de la part des progressistes, ou bien en raison d’une crise politique, par des persécutions, je pense que s’il est placé dans de telles circonstances, le pape fera le bon choix. Je le crois au vu des réactions qui ont été les siennes jusqu’à présent.
Cela veut dire que l’Église est souffrante bien sûr, mais que les souffrances sont salvatrices. Sans doute on ne souhaite jamais la persécution, pas plus qu’on ne souhaite se casser une jambe. Mais si cette fracture vous permet de sauver votre vie, alors on n’hésite plus, n’est-ce pas ?
Je ne dis pas que c’est ce qui va certainement se passer. Mais je crois qu’il ne faut pas se faire d’illusion sur la situation du monde, ni sur celle de l’Église. Les lois qui sont votées de par le monde aujourd’hui rendent, lentement mais sûrement, la vie catholique impossible. C’est à dire que tôt ou tard le chrétien sera dans l’obligation de dire : Non, je ne peux pas ! Et que fait un État quand on lui dit non ? Il vous met en prison. Aujourd’hui on met en prison des personne qui disent non à l’avortement, ou qui ne font que réciter le chapelet à cinquante ou cent mètres d’un endroit où l’on pratique des avortements. Et cela dans un pays aussi libéral que les États-Unis. Alors vous voyez, ce n’est pas difficile d’aller en prison pour la bonne cause aujourd’hui.
Il faut être prêt. Il faut se préparer. Vous allez me demander comment est-ce que l’on se prépare. C’est tout simple. Jésus-Christ nous a donné une règle pour se préparer aux grandes épreuves. C’est une règle d’or, et pourtant extrêmement simple : la fidélité aux petites choses. Il y a un autre terme : le devoir d’état. La fidélité aux petites choses, c’est ce qui nous garantit la fidélité aux grandes. C’est Notre-Seigneur lui-même qui l’a dit.
Conserver des relations avec Rome
Qu’est-ce que nous demandons à Rome ? Tout simplement, nous voulons être et rester catholiques. On ne peut pas demander moins : que l’Église soit catholique, que notre mère l’Église soit une, sainte, catholique et apostolique. Nous ne demandons rien de plus, rien de moins. Nous demandons toute la foi, tous les sacrements, toute la discipline. Voilà notre but. Quels sont nos moyens ? Bien sûr, ce n’est pas à nous à convertir Rome. En revanche, nous pouvons y collaborer, y coopérer. Et nous devons faire tout ce que nous pouvons. Et dans ce « tout ce que nous pouvons » il y a d’abord le devoir de garder des relations avec Rome. Il ne faut pas couper, c’est une erreur que de s’écarter du pape, de la curie et des évêques, pour finir par dire : Il n’y a plus que nous.
Si vous avez besoin d’une preuve, sachez que ceux qui commencent ainsi, finissent toujours par se donner un pape, leur pape. Aujourd’hui il y en a une quinzaine ! L’un d’entre eux m’a écrit. Il se fait appeler Pierre II. Et il m’a demandé la permission de conserver le Saint-Sacrement dans son garage ! Voilà où on en arrive ! Il y en a un autre, Pie XIII, un capucin qui s’est dit : « Maintenant que je suis pape, il me faut des cardinaux ». Et il a nommé cardinal un Australien. Quelques jours après, il l’a sacré évêque alors qu’il n’était lui qu’un simple père capucin ! Et trois jours après, il s’est fait sacré évêque par celui qu’il venait de sacrer évêque ! C’est ridicule. C’est affligeant. Ce sont de fausses solutions qui ne mènent à rien. Des évêques partout ! Un évêque dans chaque garage ! Et puis des papes ! Cela ne va pas.
On voit très bien que dans l’Église officielle, aujourd’hui encore, il y a des âmes, il y a des prêtres, des évêques qui ne se montrent pas trop, mais qui sont sans aucun doute catholiques. Sans l’ombre d’un doute. En revanche on peut dire qu’il n’y a plus que nous, fidèles à la Tradition, qui gardons l’ensemble de la doctrine en vie, et qu’il y a malheureusement beaucoup de catholiques qui ne le sont plus. C’est bien cela qui fait toute la difficulté.
Dans un cancer, si vous avez une tumeur qui est bien délimitée, on peut essayer de vous l’enlever. Si vous avez un cancer généralisé, si la maladie est partout, on n’essaie même plus d’enlever. Car on ne sait plus ce qu’il faut laisser et ce qu’il faut enlever. Les médecins sont impuissants. C’est bien là l’état de l’Église. Il s’agit d’un cancer généralisé à tel point qu’on ne peut même plus prendre le bistouri pour ôter les tumeurs. Autrefois, il y avait ici un prêtre hérétique, là un évêque hérétique, on les faisait sauter, et c’était réglé. Aujourd’hui, le mal est tellement répandu que même Rome n’ose plus prendre le bistouri. Ne me demandez pas comment c’est possible. Cela fait partie du mystère de l’Église. On peut voir là une association entre le Corps mystique et les souffrances du Christ sur la croix. On voit bien que l’Église passe par le même état que son fondateur, celui d’une Passion inouïe. Est-ce que cela peut aller jusqu’à la mort comme pour Notre Seigneur ? Est-ce qu’il y aura une mort apparente, comme une disparition de l’Église ? Je me demande si la partie publiée du 3è secret de Fatima ne concerne pas cette Passion. Il y est question, à la fin, d’un massacre : une procession qui suit le pape, avec les évêques, les religieux, les fidèles de toutes conditions, et ils sont tous tués. Cette vision se termine sur des anges qui présentent ce sang à Dieu, et ce sang va retomber en grâces sur ceux qui restent. C’est comme s’il y avait une disparition apparente de l’Église. Cette interprétation n’est pas exactement celle qui a été donnée à Rome, mais je ne fais que vous décrire la vision purement et simplement.
Le devoir de témoigner
C’est bien une situation inouïe que celle que nous vivons. Néanmoins, vous voyez vous-mêmes qu’avec du courage, des efforts, des larmes et des peines, on arrive encore à vivre en chrétien aujourd’hui. On y parvient parce que la grâce du Bon Dieu est encore effective. La preuve : cette petite Fraternité qui continue de pousser, là, au milieu de tout
Le témoignage, voilà notre tâche très simple. Nous sommes dans ce monde et ceux qui sont autour de nous le voient bien. Vous ne vous rendez pas compte de l’effet que produisent ces familles catholiques avec des enfants qui se tiennent à peu près comme il faut. Vous ne vous rendez pas compte combien cela impressionne les gens qui sont autour de nous. Un petit fait à ce sujet : c’est une soeur, une religieuse enseignante italienne. Elle vient aux ordinations à Écône. À la fin de la messe, elle est en pleurs, bouleversée. Pourquoi ? Elle a vu une quantité de petits enfants, une ribambelle dans toute cette foule, sous un soleil écrasant, et ils sont restés sages comme des images pendant cinq heures. Elle nous dit : « Moi, je n’arrive pas à les garder dix minutes. Et là c’est toute une foule d’enfants qui sont sages ». Elle a été marquée. Elle a quitté sa congrégation pour nous rejoindre.
C’est ce qui s’est produit également lors de notre pèlerinage à Rome. Nous avons donné tout simplement l’exemple de la vie catholique. On n’a rien fait d’extraordinaire. On était là. On a prié à genoux le chapelet, à peu près une heure. Mais cela ne se voit plus. Autrefois c’était parfaitement normal. C’est cela qui les marque. Des choses aussi simples que cela. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Cela les oblige à réfléchir, y compris les théologiens et les évêques. Un chef de dicastère à Rome, lorsqu’il a vu ces processions, a dit : « Mais ils sont catholiques, nous devons faire quelque chose pour eux ». Comme s’il tombait du ciel ! Parce que, vous le savez, nous sommes franchement diabolisés par tous les journaux.
On peut encore faire beaucoup. Bien sûr, c’est avec les croix que nous avançons, mais nous devons montrer que la religion catholique existe, qu’elle est possible dans ce monde, et qu’on peut progresser ainsi.
Eclairer les évêques et les prêtres
Notre tâche est justement de maintenir ce minimum de relations pour pouvoir faire passer ce message par l’exemple. C’est pourquoi il ne faut pas tout couper. Il faut convertir. Encore une fois, ce n’est pas nous qui convertissons, c’est le Bon Dieu. Mais nous pouvons apporter notre petite pierre. Nous profitons ainsi de ces relations pour fournir à Rome des études théologiques qui montrent qu’il y a réellement de sérieux problèmes dans les textes du concile, et après le concile. C’est un travail de longue haleine… avant que les autorités romaines ne consentent à y réfléchir, à en parler ! Mais on ne perd rien à dire la vérité, même quand elle fait mal.
Il y a aussi tout un travail auprès des évêques et des prêtres. Cela les agace, vous imaginez bien. Et puis tout d’un coup, il y a un évêque français qui vous dit : « Je suis très content que vous visitiez mes prêtres. Ils en ont besoin. Continuez ! ». Un autre, toujours en France : « L’Église a besoin de vous. Mais je vous en supplie, restez tels que vous êtes. Ne changez pas ! ». Parallèlement, on continue à ramasser des coups de la part des autres évêques, et on les ramasse bien volontiers si cela peut les aider à voir clair, un jour. Ceux qui commencent à comprendre ne sont pas trop courageux. Ils savent bien que s’ils ouvraient la bouche on leur couperait la tête. Certains nous disent même : « Priez pour moi parce que je dois parler ».
Je crois que Rome se trompe sur l’état de l’Église. Les progressistes font beaucoup de bruit. Ils sont un certain nombre, mais il y a encore des fidèles qui sont tout prêts à reprendre l’ancienne messe. Il faut certainement les préparer, mais il y en a beaucoup plus qu’on croit.
Les prêtres, c’est plus difficile. Notre expérience montre qu’il y a une certaine catégorie qui ne veut plus rien entendre. C’est la catégorie des 60–75 ans, ceux qui ont l’âge du concile, qui ont dû tout lâcher de ce qu’il y avait avant. Ils se sont lancés dans ces nouveautés, aujourd’hui ils n’arrivent plus à revenir. C’est impressionnant. Cela fait mal. C’est la tranche d’âge la plus touchée. Les plus anciens, au dessus de 75 ans, n’ont pas de problème, pour la plupart. Les plus jeunes d’une manière tout à fait étonnante sont très ouverts. Ils ne savent rien, c’est vrai. Mais ils sont néanmoins ouverts.
Ainsi, ce vicaire qui vient me voir en disant : « Ecoutez, quand je visite les fidèles, ils me disent pourquoi avez-vous changé l’Église. Pourquoi vous avez changé la messe ? Nous voulons l’autre, l’ancienne ». Et ce prêtre d’avouer : « Moi, je voudrais bien, mais je ne la connais pas. Je ne l’ai jamais vue. J’ai 28 ans. Quand j’essaie de demander aux prêtres anciens, je me fais rabrouer. Est-ce que vous voulez m’enseigner l’ancienne messe ? L’Église d’avant, c’était comment ? Je sais depuis Vatican II, mais avant je ne sais pas ».
Autre exemple édifiant. C’est un garçon qui va à la nouvelle messe. Un beau jour, il apprend qu’il y a des martyrs qui sont morts pour la messe. Et il se dit : « Non cela n’est pas possible ». Il a été travaillé par ce fait historique, car, à ses yeux, on ne pouvait pas mourir pour la messe ; ce n’était pas possible. Jusqu’au moment où il a appris qu’il y en avait une autre. Cela l’a intéressé. Il a cherché et il nous a trouvés. Il est maintenant séminariste.
Il faut savoir que dans les séminaires modernes des groupes de candidats au sacerdoce se réunissent la nuit pour étudier saint Thomas. Pour recevoir le contrepoison de ce qu’ils ont appris pendant la journée. Il nous arrive même de recevoir des appels téléphoniques de séminaristes qui nous interrogent : « Notre professeur d’Ecriture sainte nous a dit qu’il y avait trois Isaïe. Cela me semble un peu bizarre. Que dit l’Église ? » C’était en Autriche. Même demande d’un séminariste en Australie.
Vous avez dans cette nouvelle génération de prêtres quelque chose de très étonnant qui laisse pantois les responsables des vocations dans les séminaires modernes. Tout d’un coup ils se rendent compte qu’il y a dans leurs séminaires des mouvements souterrains de séminaristes qui veulent être conservateurs. Bien sûr quand on le découvre, on les met dehors. Car c’est un péché aujourd’hui que d’être conservateur.
Alors, vous comprenez pourquoi on est obligé de dire que cela ne va plus. Nous avons le devoir de dire à Rome : Nous ne voulons pas de compromis, d’accords à moitié. Non, nous voulons être catholiques, un point c’est tout. Et nous n’attendons rien de moins de Rome.
Le cardinal Castrillon me disait, en 2004, parlant de nous : « Je suis découragé ». Mais, moi, je ne suis pas découragé du tout. On voit bien que le Bon Dieu travaille. Bien sûr on ne peut pas dire que le renouveau de l’Église est réalisé, mais c’est comme ces toutes petites pousses vertes au milieu du désert. On en voit une ici, une là, et l’on sait bien lorsqu’on voit cela au milieu du désert, que le Bon Dieu fera qu’il y ait un jour de l’herbe verte partout.
Vers un renforcement de la Commission Ecclesia Dei ?
Dans la situation présente, que va-t-il se passer pour nous ? D’après les informations dont nous disposons, le cardinal Ratzinger déjà l’an passé – et il n’était pas seul – travaillait au renforcement d’Ecclesia Dei. On peut bien penser que maintenant pape, il poursuivra ce travail de renforcement d’Ecclesia Dei. Il donnera plus de poids à cette commission, il y mettra plus de personnel. Par là même, il soutiendra plus encore ceux qui veulent l’ancienne messe. Mais cela restera circonscrit aux sociétés reconnues par Ecclesia Dei : Saint-Pierre, Christ-Roi, etc… Paradoxalement tout cela nous aide, car le Bon Dieu se sert de la Fraternité Saint-Pierre comme d’un tremplin vers la Fraternité Saint-Pie‑X.
Au final, le bilan de l’indult est bien celui-là. Rome a fait un faux calcul. En ouvrant les portes, les autorités pensaient qu’elles amèneraient les fidèles à la nouvelle messe. En fait, c’est le contraire qui se passe, en sorte qu’on ne peut que se réjouir de toute ouverture en faveur de l’ancienne messe.
Pourquoi cette liberté favorise-t-elle un mouvement dans ce sens-là et pas dans l’autre ? Parce que l’ancienne messe, en tant que telle, a une puissance extraordinaire. Elle exige la foi et elle donne la foi. Et quand on a goûté à la foi traditionnelle, on en veut toutes les implications. Il y a des prêtres qui ont dit la nouvelle messe et qui ont redit l’ancienne, une, deux, trois fois. Et ils ont déclaré : « Plus jamais la nouvelle ». À contrario, je connais un prêtre qui n’ose pas redire l’ancienne, parce qu’il reconnaît qu’après il ne pourra plus redire la nouvelle. On a envie de lui dire : « Allez, courage ! »
Cette messe nourrit. C’est vraiment le cœur de l’Église. Le cœur qui envoie le sang dans tout le corps. Et le sang apporte la vie, l’oxygène, la respiration. Le cœur est la pompe de notre corps, et la pompe surnaturelle de l’Église, celle qui apporte la vie à tout le Corps mystique, c’est la messe. En alimentant la pompe on régénère tout le corps. C’est pour cela que nous demandons la liberté de la messe. On sait bien que tout ne se limite pas à cela, qu’il y a bien des hérésies à combattre. Mais il faut commencer quelque part. Et d’abord par du concret.
Il faut pour l’instant changer de climat, commencer par faire dire aux autorités, dans les faits, que la Tradition n’est pas une curiosité archéologique, préhistorique. C’est l’état normal. C’est même le seul état normal de l’Église. Évidemment cela ne se fera pas en un jour.
Rome travaillera donc à ce renforcement des communautés Ecclesia Dei. On peut penser qu’ils nous ignoreront. Aussi, pendant un temps, notre situation pourra être plus difficile que sous Jean-Paul II, parce que beaucoup seront trompés qui se diront : « Voilà c’est fait, c’est bon, tout est gagné ». Alors que ce n’est pas encore gagné.
Le renforcement d’Ecclesia Dei se traduira probablement, à un certain moment, par la création d’entités plus ou moins exemptes de la juridiction des évêques diocésains. Les autorités romaines seront obligées d’accorder une certaine exemption malgré une violente opposition des évêques. Pour l’heure, elles évitent d’aller contre cette opposition, mais elles se rendent bien compte que cette situation est injuste. Elles savent que les fidèles qui veulent l’ancienne messe, y ont droit. Oui, Rome sait parfaitement que cette messe ne peut pas être interdite. Et l’un ou l’autre des cardinaux commence à le dire. Parmi eux, l’ancien préfet de la Congrégation de la liturgie, le cardinal Medina qui a déclaré : « J’ai fait des recherches. Et il n’y a pas de texte qui interdise l’ancienne messe ». Or dire qu’elle n’est pas interdite, revient à reconnaître qu’elle est permise.
Rome le sait – par Rome, j’entends la curie, Jean-Paul II et maintenant Benoît XVI – ; ils savent que la messe tridentine n’a jamais été interdite et qu’on ne peut pas l’interdire, qu’il n’y a aucun argument juridique ou théologique qui permette l’interdiction de cette messe. Ils le savent, et donc un jour cette injustice faite à l’Église et à la messe ancienne va disparaître. Prions pour que cela arrive le plus vite possible. Prions pour que cela se passe sous ce pontificat, car il est tout à fait possible que cela se produise sous ce pontificat.
Tout ce que l’on peut faire en faveur de la Tradition est bénéfique. Quel est le bilan depuis les sacres jusqu’à maintenant ? Aux États-Unis – ce sont les chiffres officiels de la messe à indult –, 150 000 fidèles peuvent avoir la messe tridentine. Et ces fidèles, s’il n’y avait pas eu les sacres, ne l’auraient pas aujourd’hui.
La victoire après la bataille
Pour conclure, quelles sont nos dispositions actuelles ? L’espoir, et un espoir certain. Pourquoi certain ? Parce ce qu’il ne se fonde pas sur un homme mais sur le Bon Dieu qui est fidèle à ses promesses. Et qui, néanmoins, veut utiliser ses créatures.
Prions précisément pour que la grâce du Bon Dieu soit tellement forte qu’elle surmonte toutes les défaillances de ceux qui ont des charges dans l’Église. Dieu peut le faire et peut-être même qu’Il a lié l’obtention de cette grâce à nos prières et à nos sacrifices. Car il y a une étonnante solidarité dans le Corps Mystique. Gardons-nous de l’oublier.
Au lieu de vitupérer contre ces pauvres évêques ou ces prêtres qui ont des vies scandaleuses, prions pour eux. Ainsi on leur fait beaucoup plus de bien, beaucoup plus de bien à l’Église que quand on les insulte. On demande au Bon Dieu de faire descendre sa grâce sur eux.
Je crois à la Sainte Vierge. Fatima, ce n’est pas fini ! Nous sommes à l’époque de la Sainte Vierge. Je suis persuadé, en voyant tout ce qui se passe depuis le XIXme siècle, que nous vivons l’époque de la Sainte Vierge. À la fin, mon Cœur immaculé triomphera.
Mais ce qui précède le triomphe, c’est la bataille. La victoire vient à la fin de la bataille. Pas avant. Comme la résurrection vient après la mort. Aujourd’hui on ne veut prêcher que Jésus ressuscité. Mais avant de ressusciter, Il est mort.
Souvenons-nous que la victoire vient après la bataille. Et n’oublions pas que maintenant nous sommes en plein dans la bataille. Demandons à la Sainte Vierge d’être bien sous son manteau, sous sa protection, dans son armée pour contribuer à cette victoire en mettant toutes nos énergies dans la bataille présente.
Courage ! On continue de se battre. Ce n’est pas fini. La victoire sera le triomphe du Cœur immaculé.
+ Bernard Fellay , Supérieur Général de la FSSPX