Conférence de Mgr Fellay à Bruxelles le 13 juin 2005

Chers fidèles,

Il est bien sûr tout à fait nor­mal qu’à l’avènement d’un nou­veau pape, vous vous posiez la ques­tion : « Alors, qu’est-ce qui va se pas­ser ? ». Et cette ques­tion, emplie d’espérance, se fonde avant tout sur la pro­messe de Notre Seigneur : « Les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre l’Église ». Cela nous le savons tous, nous le croyons tous. Reste l’application concrète.

Je n’ai pas besoin, je pense, de vous dire que les choses ne vont pas bien dans l’Église, que c’est même une tra­gé­die, une catas­trophe incom­men­su­rable. J’irai plus loin : il me semble que les théo­lo­giens du début du XXme siècle nous auraient consi­dé­rés comme des héré­tiques s’ils avaient enten­du ce que nous disons et qui n’est pas une théo­rie per­son­nelle, mais la simple des­crip­tion de la situa­tion pré­sente. Je veux dire par là que les théo­lo­giens consi­dé­raient naguère comme impos­sible, incon­ce­vable ce qui se passe dans les faits aujourd’hui. Souvenez-​vous des paroles de saint Pie X dans sa pre­mière ency­clique, décri­vant la situa­tion de son époque, il dit qu’« on peut avec rai­son se poser la ques­tion de savoir si le Fils de per­di­tion n’est pas déjà arri­vé ». Qu’est-ce qu’il dirait aujourd’hui ?

Nous per­ce­vons, d’un côté, une crise ter­rible dans l’Église et, de l’autre côté, nous croyons à la pro­messe de Notre Seigneur. Nous savons que le plus fort, c’est Notre Seigneur, c’est le Bon Dieu. Alors, nous met­tons en marche nos méninges et nous essayons de réflé­chir : com­ment cela pourrait-​il se pas­ser ? Comment Notre Seigneur pourrait-​il réta­blir la situa­tion ? Et il y a une solu­tion toute simple : un nou­veau pape. Un bon pape ; et voi­là, tout va être réta­bli ! D’où cette attente secrète et même incons­ciente : voi­là, c’est lui !

Il y a un nou­veau pape, donc c’est lui ! C’est lui qui doit réta­blir les choses, puisque les choses vont mal, puisque Notre Seigneur a pro­mis qu’on ne pou­vait pas aller trop loin et qu’il fal­lait une reprise en main. Donc c’est lui ! D’ailleurs quan­ti­té d’indices nous sou­tiennent dans cette pers­pec­tive. Par exemple, le Vendredi Saint, juste avant le décès de Jean Paul II, le car­di­nal Ratzinger a fait une des­crip­tion de l’Église très réa­liste. Il a dit que le bateau était en train de cou­ler. Ce qui est bien sûr dra­ma­tique quand on pense à la pro­messe de Notre Seigneur que le bateau ne cou­le­ra pas, – et l’on entend le pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi nous dire que le bateau coule ! Il a eu plu­sieurs expres­sions de ce genre-​là. Il a éga­le­ment cri­ti­qué la nou­velle messe, plu­sieurs fois ces der­nières années. Il a même écrit un livre à ce sujet. Cela semble bien aller dans le bon sens.

Le candidat des conservateurs au conclave

Et puis, on peut le dire, ce n’est pas une sup­pu­ta­tion, Benoît XVI a été élu en oppo­si­tion au pro­gres­sisme. Nous avons quelques ren­sei­gne­ments sur la façon dont s’est dérou­lé le conclave. Vous savez tous que les car­di­naux prêtent le ser­ment de gar­der secret tout ce qui va se pas­ser au conclave. Aussi ne me deman­dez pas com­ment cela se fait qu’on sait, mais on sait qu’il y a une cin­quan­taine de car­di­naux qui ont don­né leurs voix au car­di­nal Ratzinger, que le car­di­nal Martini en avait une ving­taine, que le car­di­nal Bergoglio de Buenos Aires en avait aus­si une ving­taine. Le car­di­nal Sodano en a eu quatre tout le temps du conclave. Bien sûr, le car­di­nal Martini n’est pas un conser­va­teur. C’était mani­fes­te­ment, au pre­mier tour de scru­tin, le chef de fil le des pro­gres­sistes. Avec lui, il y a un groupe d’au moins trois car­di­naux qui consti­tuent le fer de lance du pro­gres­sisme pen­dant le conclave : vous avez le car­di­nal d’Ecosse, le car­di­nal McCormack et le car­di­nal Danneels.

Et de l’autre côté, vous avez aus­si un groupe d’à‑peu-près quatre ou cinq car­di­naux. Là celui qui, semble-​t-​il, a le plus tra­vaillé à l’élection du car­di­nal Ratzinger c’est le car­di­nal Lopez Trujillo, colom­bien, avec le car­di­nal Castrillon, lui aus­si colom­bien, et le car­di­nal Herranz espa­gnol. On dit aus­si que le car­di­nal Medina a oeu­vré en faveur de cette élection.

Très rapi­de­ment, en voyant le peu de voix qu’il avait, le car­di­nal Martini s’est ren­du compte qu’il ne pou­vait pas jouer tout seul, et il a donc fait repor­ter ses voix sur le car­di­nal de Buenos Aires, c’est ain­si qu’au deuxième tour, le car­di­nal Ratzinger a un peu plus de cin­quante voix, et qu’un cer­tain nombre de voix se portent sur le car­di­nal Bergoglio. Ce sont les deux noms qui viennent en tête.

À ce moment-​là, le car­di­nal de Buenos-​Aires prend peur, – le mot est peut-​être un peu fort. Il se rend compte qu’il peut être élu, et qu’il n’est pas prêt pour une telle charge. Il se désiste. Si bien qu’au troi­sième tour, comme il n’y a plus qu’un can­di­dat, à très peu de voix près, on dit à trois voix près, le car­di­nal Ratzinger est presque élu. Immédiatement, le soir même, on fait un qua­trième tour, et cette fois-​ci il est élu avec plus de cent voix. C’était un désastre pour les pro­gres­sistes qui se met­taient la tête entre les mains. Tout cela nous donne de l’espérance. Cela va donc du bon côté, puisque les pro­gres­sistes ont été bat­tus. Et si l’on fait le tour des car­di­naux, cer­tai­ne­ment le car­di­nal Ratzinger compte par­mi l’un des meilleurs de ceux qui étaient là.

Alors, tout va bien ? Ce n’est pas facile de par­ler du futur ! Dieu seul annonce l’avenir. Pour nous, un regard sur le futur est quelque chose de tou­jours bien déli­cat. On peut essayer d’envisager ce qui est pro­bable, tout en sachant que lorsqu’on parle d’hommes, on parle de liber­té, de contin­gences. Et si je vous dis : « cela va se pas­ser comme ça », en même temps je suis obli­gé d’introduire la pos­si­bi­li­té que cela ne se passe pas du tout comme cela. C’est une cer­taine pro­ba­bi­li­té, on ne peut pas aller plus loin.

Sur quoi fon­der cette pro­ba­bi­li­té, ce regard sur l’avenir du pon­ti­fi­cat ? En s’appuyant sur notre connais­sance du pas­sé ! Nous connais­sons assez bien le car­di­nal Ratzinger et nous pen­sons que du car­di­nal Ratzinger au pape Benoît XVI il n’y a pas beau­coup de dif­fé­rence de per­son­na­li­té, ni de traits de carac­tère. Donc, ce que nous pou­vions pen­ser du car­di­nal Ratzinger nous pou­vons aus­si le pen­ser de Benoît XVI. C’est vrai qu’il a des grâces d’état, c’est vrai qu’il béné­fi­cie d’une assis­tance par­ti­cu­lière du Saint Esprit en tant que vicaire du Christ, chef de l’Église, néan­moins sa manière de réagir aux pro­blèmes, sa façon de les trai­ter sera, au moins au plan humain, à peu près du même genre que lorsqu’il était cardinal. 

Une formation non thomiste

Alors, que voyons-​nous dans l’homme qui est main­te­nant Benoît XVI ? Que voyons-​nous dans sa for­ma­tion ? Commençons par le théo­lo­gien. C’est un pro­fes­seur d’université, et dans sa bio­gra­phie, lui-​même va nous dire qu’il n’est pas tho­miste. Et même qu’il n’aime pas saint Thomas, au moins dans la manière dont on l’enseignait au sémi­naire. Il faut donc en conclure qu’il n’est pas un phi­lo­sophe, ni un théo­lo­gien doté de cette arma­ture intel­lec­tuelle que pro­cure le thomisme.

Si on pense que Léon XIII disait que chaque article de la Somme théo­lo­gique de saint Thomas est un miracle, et qu’il affir­mait qu’une seule année au contact de saint Thomas don­nait plus que plu­sieurs années d’études sur les Pères de l’Église… Si on pense que saint Pie X dans son ency­clique Pascendi fait reti­rer tous les titres de doc­teur, dans l’Église, à ceux qui n’ont pas eu une for­ma­tion phi­lo­so­phique sco­las­tique… vous vous ren­dez bien compte : tous les doc­teurs en théo­lo­gie, en droit canon qui n’ont pas fait de phi­lo­so­phie sco­las­tique se voient reti­rer leur titre de doc­teur, dans l’encyclique Pascendi ! Imaginez cela aujourd’hui, il n’y aurait plus beau­coup de doc­teurs dans l’Église ! Ainsi donc le pro­fes­seur Ratzinger n’est pas tho­miste. On ver­ra plus loin dans ses écrits, et même dans sa manière de faire, qu’il y a quelque chose d’hégélien, très for­te­ment hégé­lien : un élé­ment évo­lu­tion­niste, un regard nou­veau sur la vérité.

La théo­lo­gie et la phi­lo­so­phie pérennes, clas­siques, voient dans la véri­té quelque chose qui se situe tout à fait au-​dessus du temps. En effet, la véri­té est liée à l’être, et l’être est au-​dessus du temps. Ce qui est est, c’est tout ! Dieu a don­né comme défi­ni­tion de lui-​même : « Je suis celui qui suis », en réfé­rence immé­diate à l’être ; et l’on sait bien que Dieu est immuable. Il y a donc quelque chose d’immuable, d’inchangé dans tout ce qui regarde l’essence des choses. Le pre­mier homme, Adam, était tout aus­si homme que nous. Et, ce qui au temps d’Adam était bon ou mau­vais, reste aujourd’hui bon ou mau­vais. Ce qui à son époque était ver­tu, est aujourd’hui ver­tu. Ce qui à son époque était péché, défaut, reste aujourd’hui péché, défaut. La neige était blanche comme elle l’est aujourd’hui, le ciel par beau temps était bleu comme il l’est aujourd’hui. Dès que l’on regarde l’essence des choses, on se situe hors du temps.

Une pers­pec­tive comme celle du pro­fes­seur, du théo­lo­gien, du car­di­nal Ratzinger est une pers­pec­tive nou­velle. C’est un regard nou­veau qui admet un mou­ve­ment, une évo­lu­tion de la véri­té. Je don­ne­rai quelques exemples pour illus­trer mon propos.

Lors de la ren­contre en 1987 entre Mgr Lefebvre et le car­di­nal Ratzinger, notre fon­da­teur insiste sur la royau­té sociale de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il insiste et montre cette lutte autour de ce qu’on appelle depuis le concile, la liber­té religieuse.

Mgr Lefebvre : C’est en oppo­si­tion à Quanta Cura de Pie IX.

Cardinal Ratzinger : Mais, Excellence, nous ne sommes plus au temps de Quanta Cura.

Mgr Lefebvre : Alors, j’attends demain, parce que demain nous ne serons plus au temps de Vatican II !

D’ailleurs, entre paren­thèses, un car­di­nal m’a dit un jour que Gaudium et Spes était dépassé…

Un autre exemple de cette idée selon laquelle la véri­té évo­lue. Il se trouve dans l’explication que la Congrégation pour la doc­trine de la foi a don­né au moment où on essayait de jus­ti­fier Rosmini. Vous savez que le pape Jean Paul II vou­lait béa­ti­fier Rosmini, ou au moins ouvrir le che­min de la béa­ti­fi­ca­tion de Rosmini. Déjà Paul VI avait éta­bli une com­mis­sion pour étu­dier son pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion. Le pro­blème de Rosmini c’est qu’il était condam­né par l’Église. Ainsi, vous avez une pre­mière com­mis­sion sous Paul VI qui dit : Non ce n’est pas pos­sible, il a été condam­né ! Mais Jean Paul II qui vou­drait bien voir ce pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion com­men­cer, crée une nou­velle com­mis­sion… mais qui dit comme la pre­mière. Alors, on va empê­cher qu’elle donne un juge­ment défi­ni­tif ; cela va res­ter dans les tiroirs. Et on va essayer de s’en sor­tir autre­ment. On va faire faire un décret par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui ten­te­ra d’expliquer quelque chose d’un peu dif­fi­cile à accep­ter. On nous dit ain­si que la condam­na­tion de Rosmini, si on la regarde avec les yeux du tho­misme en vigueur au moment où il a été condam­né par l’Église, alors cette condam­na­tion vaut tout à fait. Mais aujourd’hui c’est autre­ment, si on regarde les thèses de Rosmini, avec les yeux de Rosmini, sa doc­trine est admis­sible. C’est une approche de la véri­té tota­le­ment sub­jec­tive ! Rosmini a par­lé, son œuvre a été com­prise. L’Église l’a com­prise et a dit que ce qui était com­pré­hen­sible était condam­nable. Mais, un peu plus tard, on nous dit que ce n’est pas comme cela qu’il fal­lait le com­prendre, il fal­lait ren­trer dans la tête de Rosmini pour com­prendre sa vision des choses.

C’est la fin de la véri­té. Notez-​le bien, c’est la fin de la véri­té objec­tive ; et c’est très, très grave. Cela vous montre qui est le car­di­nal Ratzinger, au moins au niveau de sa for­ma­tion théo­lo­gique. Je dis qu’elle est hégé­lienne à cause d’un autre aspect. À côté de l’élément évo­lu­tion­niste, vous avez la fameuse tri­lo­gie thèse-​antithèse-​synthèse. C’est très frap­pant lorsqu’on consi­dère, cette fois-​ci, non plus les véri­tés spé­cu­la­tives, – ces véri­tés sur les­quelles on réflé­chit mais qui n’ont pas une appli­ca­tion direc­te­ment pra­tique –, mais bien lorsqu’on consi­dère une mise en pra­tique selon le car­di­nal Ratzinger. Cette pers­pec­tive dyna­mique thèse-​antithèse-​synthèse veut expli­quer les évè­ne­ments de l’histoire par une ren­contre conflic­tuelle qui se ter­mine par un nou­vel état, sup­po­sé meilleur que les pré­cé­dents, mais qui est le fruit de cette ren­contre, de ce conflit entre la thèse et l’antithèse. En voi­ci une appli­ca­tion tout à fait concrète par le pré­fet de la Congrégation de la foi.

La pre­mière fois que le car­di­nal Ratzinger visite le sémi­naire de la Fraternité Saint-​Pierre à Wigratzbad, il leur dit ceci : « Il faut que vous gar­diez l’ancienne messe pour faire contre­poids à la nou­velle messe ». Vous voyez l’antithèse. Il faut conser­ver une sorte d’équilibre. Actuellement, on vire à gauche, donc il faut mettre plus de poids sur la droite. Il faut un contre­poids. « Et après, dit-​il, on va faire une nou­velle Nouvelle Messe ». Donc quand ce contre­poids aura neu­tra­li­sé la ten­dance pro­gres­siste, car cela se neu­tra­lise plus ou moins, alors on va faire une nou­velle Nouvelle Messe. Plusieurs fois, le car­di­nal Ratzinger, se livre­ra à cette appli­ca­tion pra­tique dans une pers­pec­tive dia­lec­tique, hégélienne.

Expert au concile Vatican II aux côtés des progressistes

Notre pre­mière impres­sion sur le pro­fes­seur Ratzinger est ren­for­cée par l’observation de son atti­tude et de ses rela­tions lors du concile et de l’après-concile. Au concile, il entre comme expert, c’est-à-dire comme théo­lo­gien du car­di­nal de Munich. Il y arrive comme le plus jeune expert du concile. Son com­pa­gnon de jeu­nesse, l’abbé Medina, est aujourd’hui car­di­nal. Ils sont tous les deux de 1927. C’étaient les par­ti­ci­pants les plus jeunes au concile, non pas évêques mais théo­lo­giens experts aidant un des pères du concile.

Ses amis au concile sont Karl Rahner, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar. Ce sont de grands noms du concile, je ne veux pas dire qu’ils ont fait de grandes choses, mais qu’ils ont cau­sé de grands bou­le­ver­se­ments. Ils ont eu une influence très impres­sion­nante sur le concile. De Rahner, on disait pen­dant le concile : « Rahner locu­tus est, cau­sa fini­ta est », il a par­lé, l’affaire est réglée. Toutefois, assez rapi­de­ment après le concile, Ratzinger qui n’est pas encore car­di­nal va se dis­tan­cer de Rahner et se rap­pro­cher d’Henri de Lubac et Hans Urs von Balthasar. Avec eux, il va fon­der le mou­ve­ment Communio, qui est une réunion de théo­lo­giens, avec une publi­ca­tion inti­tu­lée elle aus­si Communio. C’est encore pro­gres­siste, mais cela ne va pas aus­si loin que Rahner. D’ailleurs le pro­gres­sisme du concile, avec les années, passe de plus en plus aujourd’hui pour du conser­va­tisme, alors que ces théo­lo­giens n’ont en rien chan­gé. Urs von Balthasar, une année avant sa mort, en 1987, reçoit le prix Paul-​VI. À cette occa­sion, il déclare : « S’il y a un enfer, per­sonne ne s’y trouve, car la seule chose qu’il y a en enfer c’est le péché, pas les pécheurs ». Et il a man­qué de peu le cha­peau de car­di­nal, il est mort juste avant… En revanche, Henri de Lubac, son ami, a été créé car­di­nal. De Lubac est célèbre pour avoir été condam­né en 1950 à cause de son livre Le sur­na­tu­rel, où il nie pré­ci­sé­ment le sur­na­tu­rel. Il y éta­blit un rap­port entre la nature et la grâce tel que la nature a droit à la grâce. Ce n’est donc plus quelque chose de gra­tuit. Il a soi-​disant cor­ri­gé un peu sa thèse, on peut vrai­ment en discuter.

Et, c’est cette ligne théo­lo­gique du concile qui est celle de celui qui devien­dra bien­tôt le car­di­nal Ratzinger. D’ailleurs, en 1985, quand il se lamen­te­ra sur l’état des choses dans l’Église, il ne l’attribuera pas au concile. Selon lui, ce n’est pas l’esprit du concile qui a pro­duit ces mau­vais fruits, c’est un mau­vais esprit du concile, une mau­vaise inter­pré­ta­tion qui a pro­duit ces mau­vais fruits.

De Munich à Rome

Il y a un évé­ne­ment très inté­res­sant et qui va être, je pense, déter­mi­nant sur un rela­tif chan­ge­ment d’attitude de la part du car­di­nal Ratzinger. C’est sa nomi­na­tion à l’évêché de Munich. Jusqu’à ce jour il est pro­fes­seur, à ce moment-​là il rentre, si on peut dire, dans la lice du concret. Il doit gou­ver­ner un dio­cèse. Et, dans le concret, les idées abs­traites prennent une autre dimen­sion. Tout à coup on se rend compte que cer­taines théo­ries qu’on pou­vait très faci­le­ment tenir dans l’abstrait, dès lors qu’on essaie de les appli­quer concrè­te­ment, ça ne marche plus ! En par­ti­cu­lier, sur les ques­tions d’obéissance et d’exercice du pou­voir dans l’Église, on voit très bien que si ces intel­lec­tuels cher­chaient à les mettre en pra­tique, ils ne seraient pas obéis. Il est remar­quable de consta­ter que même les pro­gres­sistes, lorsqu’ils ont à gou­ver­ner, aiment être obéis… Ils n’aiment guère à ce moment-​là la contra­dic­tion. Cela les fait reve­nir, au moins dans leur gou­ver­ne­ment, à des méthodes assez traditionnelles.

À Munich, Ratzinger va même être obli­gé d’interdire à l’un de ses amis d’occuper une chaire à la Faculté de théo­lo­gie catho­lique de l’Université. Cela va lui valoir l’opposition sévère de ses anciens amis. Je pense que cela lui a ser­vi de leçon. C’est un pre­mier retour, un chan­ge­ment d’attitude jusqu’à un cer­tain point… qui don­ne­ra de lui une cer­taine image de conser­va­teur, image cer­taine sur quelques points.

Lorsqu’il arrive à Rome, en 1982, il est dans cette atti­tude chan­gée qui est en réa­li­té un mélange assez dif­fi­cile à décrire, et encore plus dif­fi­cile à conce­voir. D’un côté, on voit un homme qui a la foi. Comme croyant, il décrit la foi de ses parents lorsqu’il était enfant : comme elle était belle cette foi ! On voit qu’il l’a tou­jours, qu’il aime la foi catho­lique. C’est le croyant, mais lorsqu’on regarde le théo­lo­gien, c’est autre chose. Il aime beau­coup cer­taines idées modernes. Ainsi il explique dans sa bio­gra­phie que lorsqu’il a pré­sen­té sa 2me thèse de doc­to­rat, elle a été refu­sée pour cause de moder­nisme. Mais il s’est ren­du compte que cette thèse avait deux par­ties, l’une était bar­rée de rouge dans tous les sens, tan­dis que l’autre qui était plus his­to­rique, se tenait à peu près. Il a repré­sen­té cette partie-​là. C’est ain­si qu’il a obte­nu son 2me doc­to­rat en théologie.

L’année d’après, en 1983, il adop­te­ra plu­sieurs posi­tions oppo­sées à la ligne géné­rale. Alors qu’il est pré­fet pour la Doctrine de la foi, il don­ne­ra en France deux confé­rences où il rap­pelle aux évêques et aux fidèles fran­çais que la base du caté­chisme, de tout caté­chisme, doit être le caté­chisme romain. C’est-à-dire le caté­chisme du concile de Trente. Et cette obser­va­tion faite deux fois, lui atti­re­ra l’ire de l’épiscopat fran­çais. Pas seule­ment la colère, mais aus­si une contre-​attaque. Et l’on ver­ra ain­si dans la Documentation Catholique une rétrac­ta­tion du car­di­nal… dont on dit qu’il ne l’a jamais écrite. On dit aus­si qu’à ce moment-​là il aurait don­né sa démis­sion au pape. Premier revers. Ce qu’il avait rap­pe­lé était très juste, mais cela ne pas­sait pas.

Un autre fait : Assise. On sait que le car­di­nal Ratzinger n’était pas d’accord. À la pre­mière ren­contre inter­re­li­gieuse de 1986, il n’est pas allé. À la deuxième, en 2002, il était tou­jours aus­si contre, mais on l’a obli­gé à aller. Et il s’y est ren­du. On dit qu’au pre­mier Assise, il aurait de nou­veau don­né sa démis­sion. Personnellement j’ai enten­du quatre fois dire que le car­di­nal Ratzinger avait don­né sa démis­sion. Le car­di­nal Medina, lorsqu’il est pas­sé au Barroux récem­ment, a décla­ré qu’il l’avait don­née deux fois. Il doit y avoir quelque chose de vrai. Il a don­né plu­sieurs fois sa démis­sion comme pré­fet de la Congrégation de la Foi, à cause de son désac­cord avec le pape et en par­ti­cu­lier sur Assise.

Il a aus­si répri­man­dé, condam­né quelques théo­lo­giens, pas très nom­breux mais quand même quelques-​uns. Ce qui ne se fai­sait plus sous Paul VI. C’est à por­ter à son crédit.

Je vous livre ain­si, en forme de mosaïque, quelques aspects de sa per­son­na­li­té en essayant de pro­cé­der chro­no­lo­gi­que­ment, afin de mieux cer­ner cette per­son­na­li­té et d’essayer de voir com­ment il va réagir là où il est aujourd’hui.

Un diagnostic juste, mais pas de remèdes efficaces

En 1989, il y a la fameuse charte de Cologne de cinq cents théo­lo­giens, sur­tout ger­ma­no­phones. Ils avaient signé une décla­ra­tion de pro­tes­ta­tion contre le magis­tère romain, parce que selon eux ce magis­tère entra­vait la liber­té des théo­lo­giens. C’était une pre­mière vague, sui­vie par d’autres. Les Français ont aus­si mani­fes­té leur oppo­si­tion. Il faut se rendre compte de l’impact de la charte de Cologne qui don­na le branle à toute cette contes­ta­tion : cinq cents théo­lo­giens c’est-à-dire cinq cents pro­fes­seurs d’universités, de facul­tés de théo­lo­gie, de sémi­naires, autre­ment dit la grande majo­ri­té des forces intel­lec­tuelles catho­liques du moment qui pro­teste contre Rome et contre le magis­tère. En réponse, le car­di­nal Ratzinger publie une petite étude sur cette théo­lo­gie moderne. – Là, il faut le recon­naître hon­nê­te­ment, le car­di­nal Ratzinger lorsqu’il s’agit de faire une ana­lyse, est remar­quable de finesse. Il fait atten­tion à toutes les nuances pour décrire le plus objec­ti­ve­ment la situa­tion qu’il ana­lyse et, en géné­ral, on ne peut être que d’accord avec ce qu’il affirme.

Sur cette théo­lo­gie moderne il indi­quait trois points. La pre­mière carac­té­ris­tique est la dis­pa­ri­tion de l’idée de créa­tion, rem­pla­cée par l’évolution. Le pro­blème de cette dis­pa­ri­tion c’est que si ce monde n’a pas été créé, on n’a plus de créa­teur. Et par­tant, on n’aura bien­tôt plus de Dieu.

Deuxième point, lorsqu’on parle de Jésus-​Christ on ne parle plus du Fils de Dieu, puisqu’au pre­mier point on avait consta­té qu’il n’existait pas. Alors, qu’est-ce qu’il reste pour Notre-​Seigneur ? Il reste un sur­homme, un révo­lu­tion­naire qui a mal fini, puisqu’il est mort sur une croix.

Dernier point, c’est la dis­pa­ri­tion de l’eschatologie, c’est-à-dire des fins der­nières, ce qui se passe après la mort : le ciel, le pur­ga­toire, l’enfer. Le car­di­nal, d’une façon très inté­res­sante, montre que pour cette théo­lo­gie il n’y a plus d’enfer, le pur­ga­toire on n’en parle pas, mais il n’y a pas non plus de ciel. S’il n’y a pas de Dieu, pas de Dieu per­son­nel, pour­quoi inven­ter un ciel ? Le ciel, ce sera demain, ici-​bas. Ce sera un futur.

Vous com­pre­nez bien qu’après une telle des­crip­tion on attend des conclu­sions. Si je vous deman­dais : « Alors, qu’est-ce qu’on fait de cette nou­velle théo­lo­gie ? » Je crois que vous trou­ve­riez vite des solu­tions assez radi­cales : la pou­belle, l’aspirateur, le bûcher, l’excommunication… On n’en parle plus, on met cela dehors, et c’est fini. Eh bien ! le car­di­nal pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi qui se pose la ques­tion de ce qu’il faut faire, nous donne la réponse sui­vante : Ces théo­lo­giens, il faut essayer de les com­prendre ! Une telle conclu­sion vous laisse comme une impres­sion de pétard mouillé. Vous atten­diez une explo­sion, et puis rien !

On trou­ve­ra la solu­tion de cette énigme dans une petite phrase dite cette année, avant de deve­nir pape, à un ami prêtre : « Vous, vous êtes un com­bat­tant, moi je suis un pen­seur ». Cela révèle beau­coup de choses, je pense même que c’est un trait mar­quant de sa personnalité.

Dans son livre sur la litur­gie, tout récent, il four­nit de nou­veau un bel argu­men­taire contre l’autel face au peuple. Quand on lit cela, on ne peut être que satis­fait. Les argu­ments sont bons. Ce pauvre autel face au peuple, il n’en reste plus grand chose à la fin de la démons­tra­tion ! Vient alors la ques­tion de ce que l’on va faire. Le car­di­nal Ratzinger se pose la ques­tion. Et encore une fois il esquive : Non, on ne va pas reve­nir à l’ancien autel. Pourquoi ? Parce que cela coû­te­rait trop cher, cela cau­se­rait trop de tumulte, trop de trouble. La solu­tion : on met­tra une croix au milieu de l’autel, et ce sera l’Orient mystique.

On reste sur sa faim, mais c’est pour­tant bien la réponse qu’il donne. Pourquoi cela ? On peut bien sûr se dire qu’il n’est pas pape lorsqu’il écrit ce livre. Mais, au fond, il y a un pro­blème, un vrai déca­lage entre l’analyse et la remon­tée aux causes. On voit que la conclu­sion est sans pro­por­tion, que cela ne cor­res­pond pas à la des­crip­tion qu’il fait de la situa­tion. Est-​ce parce qu’il a reçu trop de coups, parce qu’il estime qu’il n’est pas libre, qu’il ne peut pas faire comme il vou­drait ? C’est une inter­pré­ta­tion très bénigne. On pour­ra voir si elle est fon­dée, main­te­nant qu’il est au som­met de l’Église.

Au sujet de la messe, le car­di­nal Ratzinger a fait un plai­doyer pour l’ancienne messe. C’est net et clair. Il est même un des rares à en avoir par­lé. Le car­di­nal Stickler l’a fait d’une manière plus ponc­tuelle. Mais consa­crer un livre, il n’y en a pas beau­coup d’autres qui l’ont fait. Je pense que celui qui, dans l’Église offi­cielle, par­mi les car­di­naux, a le plus par­lé contre la nou­velle messe, en don­nant des argu­ments en faveur de l’ancienne, c’est bien le car­di­nal Ratzinger. Mais allons un petit peu plus loin, et voyons jusqu’où va cette défense de la litur­gie tra­di­tion­nelle. L’année pas­sée, à l’un de nos fidèles qui lui deman­dait la liber­té de la messe pour tous, il écri­vait : On ne pour­ra pas don­ner la liber­té de la messe, parce que les fidèles sont vac­ci­nés contre elle. Cela ne pas­se­ra pas. C’est pour­quoi sa solu­tion consis­te­rait à faire une nou­velle messe : une nou­velle nou­velle messe basée sur l’ancienne. Voilà ce qu’il pro­po­sait l’an der­nier, en tant que car­di­nal. La nou­velle messe telle qu’elle est main­te­nant, ne va pas, l’ancienne non plus. Donc on va « bri­co­ler » une sorte de mixte nouveau-​ancien, ancien-nouveau.

Le cardinal Ratzinger et la Fraternité Saint Pie X

Et main­te­nant, concrè­te­ment par rap­port à la Tradition, par rap­port nous, la Fraternité Saint-​Pie‑X ? Je pense que le car­di­nal Ratzinger est celui qui nous connaît le mieux, celui qui nous a sui­vis depuis le début.

C’est lui qui, en 1982, reprend le dos­sier du car­di­nal Seper et qui va ain­si avoir des rap­ports – offi­ciels et offi­cieux – avec Mgr Lefebvre, avec la Fraternité. C’est lui qui pré­side à la rédac­tion de l’accord de 1988, avant les sacres. Mais aupa­ra­vant il y aura eu deux ou trois ten­ta­tives étranges. Des sémi­na­ristes qui nous avaient quit­tés du fait des opé­ra­tions de gri­gno­tage menées par Rome. Nous sommes ain­si obli­gés de ren­voyer neuf sémi­na­ristes d’Ecône. Neuf sémi­na­ristes qui se pré­sentent à Rome, et on fonde pour eux un sémi­naire, Mater Ecclesiae si je me sou­viens bien, soi-​disant tra­di­tion­nel. On leur pro­met la lune, et cela tourne court assez vite. Un de ceux-​là même qui avaient par­ti­ci­pé à cette triste épo­pée, écri­vait à Mgr Lefebvre, juste avant les sacres, pour expli­quer com­bien notre fon­da­teur avait raison.

C’est le car­di­nal Ratzinger, qui va pra­ti­que­ment fon­der la Fraternité Saint-​Pierre. Pour ceux qui ne le savent pas, elle est fon­dée par Rome direc­te­ment contre la Fraternité Saint-​Pie‑X. Dans le rap­port du car­di­nal Gagnon, ou du moins dans ses esti­ma­tions, il était dit qu’au moment des sacres, il y aurait entre 60 % et 80 % des prêtres et des fidèles qui quit­te­raient Mgr Lefebvre. D’où la tac­tique du coup de mar­teau sur Mgr Lefebvre : l’excommunication. Et puis on ouvre en grand les portes à tous ceux qui n’ont pas été ain­si écra­sés, pour qu’ils entrent dans la Fraternité Saint-​Pierre. Cette œuvre a été conçue contre nous, et c’est encore ain­si aujourd’hui. Dans les dio­cèses, les évêques voient rouge lorsqu’arrive notre Fraternité, et ils essaient de nous neu­tra­li­ser en fai­sant venir la Fraternité Saint-​Pierre. Parfois ils le disent car­ré­ment : « Non, on ne vous donne rien, sauf si la Fraternité Saint-​Pie‑X s’établit chez nous. Alors là, oui, on ouvri­ra une cha­pelle Saint-Pierre ».

Il y a deux ans le car­di­nal Castrillon Hoyos vou­lait se débar­ras­ser du secré­taire d’Ecclesia Dei, Mgr Perl. Mais Mgr Perl a trou­vé un défen­seur, un pro­tec­teur qui s’est oppo­sé à son évic­tion d’Ecclesia Dei. C’était le car­di­nal Ratzinger.

Dans ces cir­cons­tances, quel est le point de vue du car­di­nal Ratzinger sur la Fraternité ? Je pense qu’il est frus­tré de ce que les accords de 1988 n’aient pas abou­ti. Et puis, il est vrai que nous n’avons pas hési­té à l’attaquer de tous les côtés. Ce n’est pas agréable, et je com­prends qu’il n’ait pas trop aimé.

Mais ne consi­dé­rons que le pas­sé récent. Là encore on peut obser­ver d’étranges mélanges. Quelques faits.

L’année der­nière, un groupe de car­di­naux conser­va­teurs s’est réuni avec l’idée de faire quelque chose pour la Tradition. C’est nou­veau, mais il est vrai qu’ils savent par­fai­te­ment que cela ne va pas bien dans l’Église. Face à cette pers­pec­tive désas­treuse, Rome porte les yeux sur les tra­di­tio­na­listes au sens large, tous ceux qui sont atta­chés à l’ancienne messe, pas seule­ment la Fraternité Saint-​Pie‑X. Et ces car­di­naux de se réunir donc pour voir ce que l’on peut faire en faveur de la Tradition. Deux lignes sont appa­rues. Pour l’une, il fal­lait sou­te­nir la Fraternité Saint-​Pie‑X qui est la colonne ver­té­brale de toute cette Tradition – et nous savons quel car­di­nal a défen­du cette thèse. Pour l’autre, en revanche, il fal­lait ren­for­cer Saint-​Pierre, Ecclesia Dei, tout en gri­gno­tant notre Fraternité, là aus­si nous savons quels car­di­naux favo­ri­saient cette thèse.

Cette année, deux car­di­naux vont voir le pape Jean-​Paul II, dont le car­di­nal Ratzinger. Ils vont voir le Saint Père pour lui deman­der de nom­mer secré­taire de la Congrégation de la litur­gie un évêque qui est convain­cu que l’Église ne sor­ti­ra pas de cette crise sans reve­nir à l’ancienne messe. Un évêque qui dit que le prêtre ne peut pas trou­ver son iden­ti­té dans la nou­velle messe. Sa posi­tion est connue à Rome. Et, c’est cet évêque qui est pro­po­sé comme secré­taire de la Congrégation de la litur­gie. Un bon point pour le car­di­nal Ratzinger. Mais l’évêque en ques­tion n’a pas été nom­mé, parce que le secré­taire du pape avait déjà pro­mis le poste à quelqu’un d’autre. C’est ain­si que les choses se passent dans l’Église !

Un autre exemple de ces mélanges trou­blants. Le car­di­nal Medina a expli­qué qu’il avait fait des efforts, lors de publi­ca­tion de la 3me édi­tion typique de la nou­velle messe, pour y inclure en annexe rien moins que l’ancienne messe. Il est remar­quable de voir où en est arri­vé le car­di­nal Medina, lorsqu’on sait qu’autrefois il vou­lait faire mettre dans l’édition typique la condam­na­tion et l’interdiction de l’ancienne messe. Et c’est la secré­tai­re­rie d’État qui le lui a défen­du. Maintenant il veut y intro­duire l’ancienne messe. Et cette fois-​ci ce ne sera pas la secré­tai­re­rie d’État qui va l’en empê­cher. Ni une secré­tai­re­rie, ni une congré­ga­tion. Ce sera un homme, le céré­mo­niaire du pape qui fait une telle scène à Jean-​Paul II qu’il a fal­lu renon­cer. Voyez com­ment se fait l’histoire de l’Église !

Benoît XVI et Vatican II

Et Benoît XVI main­te­nant ? Il est élu mani­fes­te­ment dans un mou­ve­ment de réac­tion. Dans les quelques jours qui ont pré­cé­dé le conclave, il a invi­té les car­di­naux à par­ler libre­ment. Pour la pre­mière fois ils ont par­lé entre eux sérieu­se­ment des graves pro­blèmes de l’Église. Entre eux, ils se sont dit avec fer­me­té que cela n’allait pas. Et l’on peut bien pen­ser que cette vision de la tra­gé­die de l’Église a pous­sé cer­tains car­di­naux à élire Benoît XVI. Il y a une attente de la part de l’Église, de la part même de la hié­rar­chie, devant le désastre de l’Église.

Regardez les effec­tifs des voca­tions, ce n’est pas glo­rieux ! Un dio­cèse comme Dublin est capable de connaître une année sans aucune voca­tion sacer­do­tale. On est tom­bé bien bas. Il y a quelques années, dans tous les novi­ciats d’Irlande, il y avait 150 novices pour la relève de 32 000 reli­gieuses. C’est encore plus frap­pant pour les frères. Pour rem­pla­cer 10 000 frères, dans tous les novi­ciats de toutes les congré­ga­tions d’Irlande, il y avait 5 novices. Les jésuites, l’année pas­sée ou l’année d’avant, pour tout l’ordre, n’ont eu que sept pro­fes­sions per­pé­tuelles ; un ordre qui comp­tait il y a 20 ans 32 000 membres. Ils doivent être aujourd’hui à peu près 25 000. Vous pen­sez bien que ces chiffres tout le monde est capable de les comprendre.

Le car­di­nal Castrillon par­lait un jour de l’état des uni­ver­si­tés romaines. À son inter­lo­cu­teur qui lui disait : « Les uni­ver­si­tés pon­ti­fi­cales à Rome sont truf­fées d’hérétiques », il a ren­ché­ri : « Oui, c’est ter­rible, j’espère que le nou­veau pré­fet aura assez de force pour y mettre de l’ordre ». Et deux ans plus tard le pré­fet de la Congrégation du cler­gé déclare : « On ne peut rien faire ». Voilà com­ment dans la curie romaine on parle des uni­ver­si­tés pon­ti­fi­cales : Nous ne pou­vons rien faire !

Il est cer­tain que le car­di­nal Ratzinger, main­te­nant le pape Benoît XVI, se rend compte de l’état lamen­table de l’Église. Il sait que l’Église est dans une situa­tion ter­rible. Et aus­si il connaît, lui, le 3me secret de Fatima.

Alors que faut-​il attendre ? Il faut le dire : il y a un pro­blème qui vient assom­brir notre espé­rance. Et ce pro­blème est que Benoît XVI reste atta­ché au concile. C’est son œuvre, c’est son enfant. Il recon­naît bien sûr des évo­lu­tions qui ne sont pas accep­tables, – ce qui veut dire qu’il y en a quand même une qui est acceptable.

Pour nous, notre posi­tion sur le concile est très simple : il y a là des erreurs, des ambi­guï­tés qui ouvrent sur d’autres erreurs pires encore. Ce qui a ins­pi­ré ce texte, ce qui le rend inas­si­mi­lable, c’est un esprit qui n’est pas catho­lique. Voilà notre posi­tion sur le concile. Evidemment vous pou­vez y trou­ver des élé­ments qui sont vrais. Mais l’ensemble est inas­si­mi­lable. Et c’est pour cela que nous refu­sons, en regar­dant l’ensemble, de signer une décla­ra­tion sur le concile dans laquelle, d’une manière ou d’une autre, nous lais­se­rions pen­ser que nous adhé­rons à ce concile.

Pour prendre une image de la vie domes­tique, nous nous dis­pu­tons avec Rome, disant les uns aux autres : « C’est de la soupe », « Non, ce n’est pas de la soupe ». « Si ». « Non ». Pour finir, Rome nous dit : « Vous ne la boi­rez pas cette soupe, mais enfin il faut quand même dire que c’est une soupe ». Et nous répon­dons : « Nous savons bien que c’est une soupe, mais elle est empoi­son­née ». Alors on ne peut plus l’appeler soupe, on doit l’appeler poi­son. Et si on l’appelle soupe, on trompe les gens parce qu’ils vont croire qu’on peut la boire. Le pro­blème n’est pas de savoir si c’est une soupe ou pas, c’est de savoir si elle est un poi­son ou non. Si elle va nous faire du bien ou nous tuer. Voilà le pro­blème. Et devant ce problème-​là il ne sert à rien de se dis­pu­ter pour savoir si c’est une soupe ou pas une soupe. Elle fait du mal donc on ne veut pas la boire.

Rome essaie alors de trou­ver une for­mule qui soit « buvable » : « Le concile à la lumière de la Tradition ». Mais dans le contexte où cette for­mule est employée, elle ne nous convient pas. Car qu’est-ce que cela veut dire : « J’accepte le concile à la lumière de la Tradition » ? Qu’est-ce que cela veut dire, quand on nous accuse, nous, d’avoir une fausse idée de la Tradition ? Dans le texte même de l’excommunication de Mgr Lefebvre, il est dit qu’il a com­mis une faute en sacrant des évêques, parce qu’il avait une notion incom­plète de la Tradition. Et on nous pro­po­se­rait de signer une décla­ra­tion comme quoi nous accep­tons le concile à la lumière de la Tradition !

De même au sujet de la messe, les for­mules qui nous sont pro­po­sées par Rome sont justes, mais hors contexte seule­ment. Ainsi, on nous demande main­te­nant de recon­naître que la nou­velle messe est valide, si elle célé­brée avec l’intention d’accomplir le sacri­fice de Notre Seigneur, ce qui est encore plus pré­cis que ce que demande la théo­lo­gie où il n’est ques­tion que de célé­brer avec l’intention de faire ce que veut l’Église. Cette phrase en soi est accep­table, mais c’est comme mon image de la soupe. La nou­velle messe même valide est empoi­son­née. C’est pour cela qu’on ne la boit pas. C’est pour cela qu’on vous dit : N’y allez pas !

Pourquoi cette incom­pré­hen­sion entre les auto­ri­tés romaines et nous ? Parce qu’elles n’arrivent pas à se déga­ger du concile. Du concile et des réformes.

On sent très bien qu’elles ont comme une gêne vis-​à-​vis de nous. Elles recon­naissent que ce que nous fai­sons est catho­lique. Le car­di­nal Castrillon nous l’affirme : « Vous n’êtes ni héré­tiques ni schis­ma­tiques ». Le pro­blème n’est donc pas de notre côté. L’attitude de Rome à notre égard peut se résu­mer ain­si : On vous laisse faire, car ce que vous faites est bon ; mais on vou­drait que vous disiez aus­si que ce que nous fai­sons est bon. Et cela nous ne le pou­vons pas.

Parallèlement, on sent bien une volon­té de nous culpa­bi­li­ser : Vous avez mal fait. Vous avez accom­pli des sacres contre la volon­té du pape. Cela ne peut pas se faire. Vous dites que le concile est mau­vais, que la messe est mau­vaise. Ce n’est pas pos­sible. Cela a été recon­nu par le pape. C’est infaillible. Comme le disait le même car­di­nal Castrillon lors d’une confé­rence à Münster : « La nou­velle messe a été recon­nue par le pape. C’est infaillible. C’est bon ». Au cours d’une dis­cus­sion, le pré­fet de la Congrégation du Clergé m’a dit : « Le pape et moi-​même, nous aimons la nou­velle messe. Nous pen­sons qu’elle est plus apos­to­lique. C’est vrai qu’il manque quelque chose, il faut com­pen­ser par une caté­chèse adé­quate. » J’ai alors repris la défi­ni­tion du mal de saint Thomas d’Aquin : « Le mal, c’est la pri­va­tion d’un bien dû. C’est quelque chose qui doit être là, et qui n’est pas là. Or, vous-​même, Éminence, vous recon­nais­sez qu’il manque quelque chose à cette nou­velle messe. Donc vous recon­nais­sez qu’elle est mau­vaise ». Je n’ai pas eu de réponse du cardinal.

Il fau­drait dire que non pas l’Église, mais des hommes d’Église se sont trom­pés. Or les auto­ri­tés romaines ne veulent pas entrer dans cette logique-​là. Et comme elles ne veulent pas prendre le pro­blème où il se trouve, elles ne peuvent pas prendre les mesures qu’il faut pour sor­tir de cette crise. Voilà le malheur !

La réunification avec les orthodoxes

Si vous regar­dez notre nou­veau pape, vous voyez que les débuts de son pon­ti­fi­cat ne laissent pas beau­coup de place à l’espérance. Dans son ser­mon de prise de pos­ses­sion de la chaire de Saint Pierre, au Latran, il a par­lé de l’évêque de Rome. Le Latran, c’est l’église de l’évêque de Rome. Il y a bien par­lé de la potes­tas docen­di. Cela fai­sait long­temps qu’on n’avait pas par­lé du pou­voir d’enseigner. Mais lorsqu’il s’agit de par­ler de la pri­mau­té, non seule­ment du pou­voir d’enseigner, mais aus­si de régir, de gou­ver­ner, cette pri­mau­té, pour lui, revient à une « pri­mau­té de l’amour ». Et sous ce mot-​là, Dieu sait tout ce qu’on peut mettre.

Benoît XVI a une idée. Il a même annon­cé que ce serait une des idées-​clés de son pon­ti­fi­cat. Sur cette idée, il va concen­trer toute son éner­gie et toute l’énergie de l’Église, c’est la réuni­fi­ca­tion des ortho­doxes. C’est bien. Ce sont les plus proches. Ainsi on réduit sen­si­ble­ment le champ de l’oecuménisme. On ne par­le­ra plus trop du dia­logue inter­re­li­gieux comme à Assise. Oui, mais… l’idée, qui était déjà celle du car­di­nal Ratzinger, est que pour faire cette réuni­fi­ca­tion – puisque les ortho­doxes n’acceptent pas la pri­mau­té de Pierre – il faut reve­nir à la concep­tion que l’on avait du pape lorsque l’on était tous d’accord. Autrement dit reve­nir au concept que l’on avait du pape au pre­mier mil­lé­naire. C’est une idée for­te­ment ancrée chez le car­di­nal Ratzinger, qui main­te­nant s’exprime chez Benoît XVI.

À Bari, lors du Congrès eucha­ris­tique, il a dit très clai­re­ment qu’un des objec­tifs de son pon­ti­fi­cat était la réunion avec les ortho­doxes. Si c’était selon la concep­tion catho­lique, on n’aurait rien à dire. Mais le pro­blème c’est que les auto­ri­tés romaines ont actuel­le­ment un concept d’unité que j’aimerais bien com­prendre. Jean-​Paul II disait que ce ne serait « ni une absorp­tion, ni une fusion ». Qu’est-ce que cela peut être l’unité sans absorp­tion ni fusion de deux êtres qui sont pour l’instant séparés ?

Le car­di­nal Kasper est plus expli­cite : « Ce ne sera pas une agglo­mé­ra­tion d’Églises », parce que c’est une concep­tion trop poli­tique, trop admi­nis­tra­tive. Mais on se demande tou­jours ce que cela pour­ra être. Comme dans cette expres­sion « uni­té dans la diver­si­té » ; uni­té cela veut dire un, diver­si­té cela veut plu­sieurs, alors « l’un dans le plu­sieurs » ? C’est une for­mule très à la mode dans le Nouvel Age, et peut-​être aus­si dans l’Europe d’aujourd’hui, mais au bout du compte c’est ou l’un ou l’autre, mais pas les deux. Ce ne peut pas être les deux à la fois, ou alors il faut dire que les tri­angles sont carrés.

C’est d’ailleurs une image que j’utilise sou­vent pour expli­quer l’oecuménisme d’aujourd’hui : en admet­tant que chaque déno­mi­na­tion ou confes­sion chré­tienne est une forme géo­mé­trique, com­ment va-​t-​on par­ve­nir à rame­ner à l’unité toutes ces formes géo­mé­triques, cha­cune res­tant ce qu’elle est bien sûr, car c’est cela la diver­si­té ! Eh bien ! ce n’est pas si com­pli­qué. Il suf­fit que chaque forme géo­mé­trique admette qu’elle est un cercle. Évidemment cela revient à sus­pendre le prin­cipe de non-​contradiction. C’est là le pro­blème. Mais si on arrive à le résoudre, c’est bon.

Et c’est bien ce qui se passe avec l’oecuménisme. On veut nous faire croire que les car­rés sont des tri­angles ou des losanges, et que toutes ces figures sont des cercles. On nous dit ain­si : Nous avons tous la même foi. C’est ce qu’a affir­mé Jean-​Paul II : « Tous les chré­tiens ont la même foi ». Nous savons bien que ce n’est pas vrai ! Le car­di­nal Kasper explique que, pour avoir la même foi, il n’est pas néces­saire d’avoir le même cre­do. En clair, il suf­fit de savoir arron­dir les angles !

L’enjeu fondamental : la vérité 

Ce faux oecu­mé­nisme nous per­met de tou­cher du doigt la gra­vi­té de la situa­tion. Ce n’est pas une simple ques­tion de rubrique litur­gique – trois coups d’encensoir de plus ou de moins – ici on touche à la ques­tion de la véri­té. « Qu’est-ce que la véri­té ? », cette fameuse ques­tion de Pilate, aujourd’hui on ne se la pose même plus. On vit sans même se la poser. On s’en moque. L’unité, ce sera « tout le monde il est bon, tout le monde il est gen­til ». Et, puis tant pis pour la véri­té. On en est là. Ni la véri­té, ni la ques­tion du bien ne sont un pro­blème pour l’homme moderne.

Combien d’évêques, com­bien de prêtres qui ne croient plus, qui ne croient pas que Notre-​Seigneur est Dieu. Pour preuve je ne cite­rai que le cas du car­di­nal Kasper qui a fait un livre inti­tu­lé Jésus, le Christ, dans lequel il nous dit que quand on aime quelqu’un on a ten­dance à exa­gé­rer. Et c’est pour cela qu’il y a tel­le­ment de miracles dans l’Évangile. Les évan­gé­listes qui aimaient Jésus, ont exa­gé­ré le nombre de ses miracles ! Et Kasper de prendre sa paire de ciseaux pour enle­ver à peu près tout. Il laisse bien quelques gué­ri­sons parce qu’aujourd’hui aus­si on en voit, donc cela pou­vait bien se pro­duire du temps du Christ. Il ose même affir­mer qu’il n’a jamais été dit que Notre Seigneur est le Fils de Dieu. Mais si on lui objecte l’interrogatoire de Caïphe : « Je t’adjure, au nom de Dieu, dis-​nous si tu es le Fils de Dieu », et la réponse de Jésus : « Je le suis », Kasper rétorque : Vous com­pre­nez, à ce moment-​là, Jésus était sous pres­sion ! Il est car­di­nal aujourd’hui, et il n’a pas la foi ! Combien de car­di­naux qui n’ont pas la foi ? Benoît XVI est au milieu d’eux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Qu’est-ce qu’il peut faire ? Qu’est-ce qu’il veut faire ?

Que peut-​on espérer ?

Dans l’état pré­sent de l’Église, com­ment envi­sa­ger le pon­ti­fi­cat à venir de Benoît XVI ? Pour résu­mer en une image, je dirais que si l’on consi­dère le pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II comme une chute libre, il fau­dra pro­ba­ble­ment voir celui de Benoît XVI comme une chute en para­chute. Le pro­blème est de savoir la taille du para­chute. Cela ira dans la même direc­tion, mais moins vite. Il y aura un coup de frein, je pense. Quelle en sera l’efficacité ? Vous savez, quand vous allez vite, vous met­tez les freins, mais on ne sait pas trop ce qui se passe avec la voi­ture. Normalement cela ralen­tit. Mais par­fois, cela part sur le côté… Et puis, cela dépend de la gran­deur du para­chute. S’il est petit, on ne ver­ra pra­ti­que­ment pas de dif­fé­rence. S’il est assez grand, cela peut assez bien ralentir.

Je crois que Benoît XVI essaie­ra de frei­ner. Est-​ce qu’il faut espé­rer plus ? Oui, bien sûr qu’il faut espé­rer plus, mais pas des hommes. Encore une fois, notre espé­rance est en Dieu. Les pro­messes de Notre Seigneur valent pour tou­jours ; elles valaient sous Jean-​Paul II, elles valent sous Benoît XVI. Et, le Bon Dieu se sert de tout pour faire avan­cer son Église là où Il veut.

Maintenant un avis per­son­nel, je pense que si – et ce n’est pas du tout à exclure – si Benoît XVI se trouve dans une situa­tion de crise, s’il est mis au pied du mur, par exemple, par une réac­tion vio­lente, mena­çante de la part des pro­gres­sistes, ou bien en rai­son d’une crise poli­tique, par des per­sé­cu­tions, je pense que s’il est pla­cé dans de telles cir­cons­tances, le pape fera le bon choix. Je le crois au vu des réac­tions qui ont été les siennes jusqu’à présent.

Cela veut dire que l’Église est souf­frante bien sûr, mais que les souf­frances sont sal­va­trices. Sans doute on ne sou­haite jamais la per­sé­cu­tion, pas plus qu’on ne sou­haite se cas­ser une jambe. Mais si cette frac­ture vous per­met de sau­ver votre vie, alors on n’hésite plus, n’est-ce pas ?

Je ne dis pas que c’est ce qui va cer­tai­ne­ment se pas­ser. Mais je crois qu’il ne faut pas se faire d’illusion sur la situa­tion du monde, ni sur celle de l’Église. Les lois qui sont votées de par le monde aujourd’hui rendent, len­te­ment mais sûre­ment, la vie catho­lique impos­sible. C’est à dire que tôt ou tard le chré­tien sera dans l’obligation de dire : Non, je ne peux pas ! Et que fait un État quand on lui dit non ? Il vous met en pri­son. Aujourd’hui on met en pri­son des per­sonne qui disent non à l’avortement, ou qui ne font que réci­ter le cha­pe­let à cin­quante ou cent mètres d’un endroit où l’on pra­tique des avor­te­ments. Et cela dans un pays aus­si libé­ral que les États-​Unis. Alors vous voyez, ce n’est pas dif­fi­cile d’aller en pri­son pour la bonne cause aujourd’hui.

Il faut être prêt. Il faut se pré­pa­rer. Vous allez me deman­der com­ment est-​ce que l’on se pré­pare. C’est tout simple. Jésus-​Christ nous a don­né une règle pour se pré­pa­rer aux grandes épreuves. C’est une règle d’or, et pour­tant extrê­me­ment simple : la fidé­li­té aux petites choses. Il y a un autre terme : le devoir d’état. La fidé­li­té aux petites choses, c’est ce qui nous garan­tit la fidé­li­té aux grandes. C’est Notre-​Seigneur lui-​même qui l’a dit.

Conserver des relations avec Rome

Qu’est-ce que nous deman­dons à Rome ? Tout sim­ple­ment, nous vou­lons être et res­ter catho­liques. On ne peut pas deman­der moins : que l’Église soit catho­lique, que notre mère l’Église soit une, sainte, catho­lique et apos­to­lique. Nous ne deman­dons rien de plus, rien de moins. Nous deman­dons toute la foi, tous les sacre­ments, toute la dis­ci­pline. Voilà notre but. Quels sont nos moyens ? Bien sûr, ce n’est pas à nous à conver­tir Rome. En revanche, nous pou­vons y col­la­bo­rer, y coopé­rer. Et nous devons faire tout ce que nous pou­vons. Et dans ce « tout ce que nous pou­vons » il y a d’abord le devoir de gar­der des rela­tions avec Rome. Il ne faut pas cou­per, c’est une erreur que de s’écarter du pape, de la curie et des évêques, pour finir par dire : Il n’y a plus que nous.

Si vous avez besoin d’une preuve, sachez que ceux qui com­mencent ain­si, finissent tou­jours par se don­ner un pape, leur pape. Aujourd’hui il y en a une quin­zaine ! L’un d’entre eux m’a écrit. Il se fait appe­ler Pierre II. Et il m’a deman­dé la per­mis­sion de conser­ver le Saint-​Sacrement dans son garage ! Voilà où on en arrive ! Il y en a un autre, Pie XIII, un capu­cin qui s’est dit : « Maintenant que je suis pape, il me faut des car­di­naux ». Et il a nom­mé car­di­nal un Australien. Quelques jours après, il l’a sacré évêque alors qu’il n’était lui qu’un simple père capu­cin ! Et trois jours après, il s’est fait sacré évêque par celui qu’il venait de sacrer évêque ! C’est ridi­cule. C’est affli­geant. Ce sont de fausses solu­tions qui ne mènent à rien. Des évêques par­tout ! Un évêque dans chaque garage ! Et puis des papes ! Cela ne va pas.

On voit très bien que dans l’Église offi­cielle, aujourd’hui encore, il y a des âmes, il y a des prêtres, des évêques qui ne se montrent pas trop, mais qui sont sans aucun doute catho­liques. Sans l’ombre d’un doute. En revanche on peut dire qu’il n’y a plus que nous, fidèles à la Tradition, qui gar­dons l’ensemble de la doc­trine en vie, et qu’il y a mal­heu­reu­se­ment beau­coup de catho­liques qui ne le sont plus. C’est bien cela qui fait toute la difficulté.

Dans un can­cer, si vous avez une tumeur qui est bien déli­mi­tée, on peut essayer de vous l’enlever. Si vous avez un can­cer géné­ra­li­sé, si la mala­die est par­tout, on n’essaie même plus d’enlever. Car on ne sait plus ce qu’il faut lais­ser et ce qu’il faut enle­ver. Les méde­cins sont impuis­sants. C’est bien là l’état de l’Église. Il s’agit d’un can­cer géné­ra­li­sé à tel point qu’on ne peut même plus prendre le bis­tou­ri pour ôter les tumeurs. Autrefois, il y avait ici un prêtre héré­tique, là un évêque héré­tique, on les fai­sait sau­ter, et c’était réglé. Aujourd’hui, le mal est tel­le­ment répan­du que même Rome n’ose plus prendre le bis­tou­ri. Ne me deman­dez pas com­ment c’est pos­sible. Cela fait par­tie du mys­tère de l’Église. On peut voir là une asso­cia­tion entre le Corps mys­tique et les souf­frances du Christ sur la croix. On voit bien que l’Église passe par le même état que son fon­da­teur, celui d’une Passion inouïe. Est-​ce que cela peut aller jusqu’à la mort comme pour Notre Seigneur ? Est-​ce qu’il y aura une mort appa­rente, comme une dis­pa­ri­tion de l’Église ? Je me demande si la par­tie publiée du 3è secret de Fatima ne concerne pas cette Passion. Il y est ques­tion, à la fin, d’un mas­sacre : une pro­ces­sion qui suit le pape, avec les évêques, les reli­gieux, les fidèles de toutes condi­tions, et ils sont tous tués. Cette vision se ter­mine sur des anges qui pré­sentent ce sang à Dieu, et ce sang va retom­ber en grâces sur ceux qui res­tent. C’est comme s’il y avait une dis­pa­ri­tion appa­rente de l’Église. Cette inter­pré­ta­tion n’est pas exac­te­ment celle qui a été don­née à Rome, mais je ne fais que vous décrire la vision pure­ment et simplement.

Le devoir de témoigner

C’est bien une situa­tion inouïe que celle que nous vivons. Néanmoins, vous voyez vous-​mêmes qu’avec du cou­rage, des efforts, des larmes et des peines, on arrive encore à vivre en chré­tien aujourd’hui. On y par­vient parce que la grâce du Bon Dieu est encore effec­tive. La preuve : cette petite Fraternité qui conti­nue de pous­ser, là, au milieu de tout

Le témoi­gnage, voi­là notre tâche très simple. Nous sommes dans ce monde et ceux qui sont autour de nous le voient bien. Vous ne vous ren­dez pas compte de l’effet que pro­duisent ces familles catho­liques avec des enfants qui se tiennent à peu près comme il faut. Vous ne vous ren­dez pas compte com­bien cela impres­sionne les gens qui sont autour de nous. Un petit fait à ce sujet : c’est une soeur, une reli­gieuse ensei­gnante ita­lienne. Elle vient aux ordi­na­tions à Écône. À la fin de la messe, elle est en pleurs, bou­le­ver­sée. Pourquoi ? Elle a vu une quan­ti­té de petits enfants, une ribam­belle dans toute cette foule, sous un soleil écra­sant, et ils sont res­tés sages comme des images pen­dant cinq heures. Elle nous dit : « Moi, je n’arrive pas à les gar­der dix minutes. Et là c’est toute une foule d’enfants qui sont sages ». Elle a été mar­quée. Elle a quit­té sa congré­ga­tion pour nous rejoindre.

C’est ce qui s’est pro­duit éga­le­ment lors de notre pèle­ri­nage à Rome. Nous avons don­né tout sim­ple­ment l’exemple de la vie catho­lique. On n’a rien fait d’extraordinaire. On était là. On a prié à genoux le cha­pe­let, à peu près une heure. Mais cela ne se voit plus. Autrefois c’était par­fai­te­ment nor­mal. C’est cela qui les marque. Des choses aus­si simples que cela. Il ne faut pas cher­cher midi à qua­torze heures. Cela les oblige à réflé­chir, y com­pris les théo­lo­giens et les évêques. Un chef de dicas­tère à Rome, lorsqu’il a vu ces pro­ces­sions, a dit : « Mais ils sont catho­liques, nous devons faire quelque chose pour eux ». Comme s’il tom­bait du ciel ! Parce que, vous le savez, nous sommes fran­che­ment dia­bo­li­sés par tous les journaux.

On peut encore faire beau­coup. Bien sûr, c’est avec les croix que nous avan­çons, mais nous devons mon­trer que la reli­gion catho­lique existe, qu’elle est pos­sible dans ce monde, et qu’on peut pro­gres­ser ainsi.

Eclairer les évêques et les prêtres

Notre tâche est jus­te­ment de main­te­nir ce mini­mum de rela­tions pour pou­voir faire pas­ser ce mes­sage par l’exemple. C’est pour­quoi il ne faut pas tout cou­per. Il faut conver­tir. Encore une fois, ce n’est pas nous qui conver­tis­sons, c’est le Bon Dieu. Mais nous pou­vons appor­ter notre petite pierre. Nous pro­fi­tons ain­si de ces rela­tions pour four­nir à Rome des études théo­lo­giques qui montrent qu’il y a réel­le­ment de sérieux pro­blèmes dans les textes du concile, et après le concile. C’est un tra­vail de longue haleine… avant que les auto­ri­tés romaines ne consentent à y réflé­chir, à en par­ler ! Mais on ne perd rien à dire la véri­té, même quand elle fait mal.

Il y a aus­si tout un tra­vail auprès des évêques et des prêtres. Cela les agace, vous ima­gi­nez bien. Et puis tout d’un coup, il y a un évêque fran­çais qui vous dit : « Je suis très content que vous visi­tiez mes prêtres. Ils en ont besoin. Continuez ! ». Un autre, tou­jours en France : « L’Église a besoin de vous. Mais je vous en sup­plie, res­tez tels que vous êtes. Ne chan­gez pas ! ». Parallèlement, on conti­nue à ramas­ser des coups de la part des autres évêques, et on les ramasse bien volon­tiers si cela peut les aider à voir clair, un jour. Ceux qui com­mencent à com­prendre ne sont pas trop cou­ra­geux. Ils savent bien que s’ils ouvraient la bouche on leur cou­pe­rait la tête. Certains nous disent même : « Priez pour moi parce que je dois parler ».

Je crois que Rome se trompe sur l’état de l’Église. Les pro­gres­sistes font beau­coup de bruit. Ils sont un cer­tain nombre, mais il y a encore des fidèles qui sont tout prêts à reprendre l’ancienne messe. Il faut cer­tai­ne­ment les pré­pa­rer, mais il y en a beau­coup plus qu’on croit.

Les prêtres, c’est plus dif­fi­cile. Notre expé­rience montre qu’il y a une cer­taine caté­go­rie qui ne veut plus rien entendre. C’est la caté­go­rie des 60–75 ans, ceux qui ont l’âge du concile, qui ont dû tout lâcher de ce qu’il y avait avant. Ils se sont lan­cés dans ces nou­veau­tés, aujourd’hui ils n’arrivent plus à reve­nir. C’est impres­sion­nant. Cela fait mal. C’est la tranche d’âge la plus tou­chée. Les plus anciens, au des­sus de 75 ans, n’ont pas de pro­blème, pour la plu­part. Les plus jeunes d’une manière tout à fait éton­nante sont très ouverts. Ils ne savent rien, c’est vrai. Mais ils sont néan­moins ouverts.

Ainsi, ce vicaire qui vient me voir en disant : « Ecoutez, quand je visite les fidèles, ils me disent pour­quoi avez-​vous chan­gé l’Église. Pourquoi vous avez chan­gé la messe ? Nous vou­lons l’autre, l’ancienne ». Et ce prêtre d’avouer : « Moi, je vou­drais bien, mais je ne la connais pas. Je ne l’ai jamais vue. J’ai 28 ans. Quand j’essaie de deman­der aux prêtres anciens, je me fais rabrouer. Est-​ce que vous vou­lez m’enseigner l’ancienne messe ? L’Église d’avant, c’était com­ment ? Je sais depuis Vatican II, mais avant je ne sais pas ».

Autre exemple édi­fiant. C’est un gar­çon qui va à la nou­velle messe. Un beau jour, il apprend qu’il y a des mar­tyrs qui sont morts pour la messe. Et il se dit : « Non cela n’est pas pos­sible ». Il a été tra­vaillé par ce fait his­to­rique, car, à ses yeux, on ne pou­vait pas mou­rir pour la messe ; ce n’était pas pos­sible. Jusqu’au moment où il a appris qu’il y en avait une autre. Cela l’a inté­res­sé. Il a cher­ché et il nous a trou­vés. Il est main­te­nant séminariste.

Il faut savoir que dans les sémi­naires modernes des groupes de can­di­dats au sacer­doce se réunissent la nuit pour étu­dier saint Thomas. Pour rece­voir le contre­poi­son de ce qu’ils ont appris pen­dant la jour­née. Il nous arrive même de rece­voir des appels télé­pho­niques de sémi­na­ristes qui nous inter­rogent : « Notre pro­fes­seur d’Ecriture sainte nous a dit qu’il y avait trois Isaïe. Cela me semble un peu bizarre. Que dit l’Église ? » C’était en Autriche. Même demande d’un sémi­na­riste en Australie.

Vous avez dans cette nou­velle géné­ra­tion de prêtres quelque chose de très éton­nant qui laisse pan­tois les res­pon­sables des voca­tions dans les sémi­naires modernes. Tout d’un coup ils se rendent compte qu’il y a dans leurs sémi­naires des mou­ve­ments sou­ter­rains de sémi­na­ristes qui veulent être conser­va­teurs. Bien sûr quand on le découvre, on les met dehors. Car c’est un péché aujourd’hui que d’être conservateur.

Alors, vous com­pre­nez pour­quoi on est obli­gé de dire que cela ne va plus. Nous avons le devoir de dire à Rome : Nous ne vou­lons pas de com­pro­mis, d’accords à moi­tié. Non, nous vou­lons être catho­liques, un point c’est tout. Et nous n’attendons rien de moins de Rome.

Le car­di­nal Castrillon me disait, en 2004, par­lant de nous : « Je suis décou­ra­gé ». Mais, moi, je ne suis pas décou­ra­gé du tout. On voit bien que le Bon Dieu tra­vaille. Bien sûr on ne peut pas dire que le renou­veau de l’Église est réa­li­sé, mais c’est comme ces toutes petites pousses vertes au milieu du désert. On en voit une ici, une là, et l’on sait bien lorsqu’on voit cela au milieu du désert, que le Bon Dieu fera qu’il y ait un jour de l’herbe verte partout.

Vers un renforcement de la Commission Ecclesia Dei ?

Dans la situa­tion pré­sente, que va-​t-​il se pas­ser pour nous ? D’après les infor­ma­tions dont nous dis­po­sons, le car­di­nal Ratzinger déjà l’an pas­sé – et il n’était pas seul – tra­vaillait au ren­for­ce­ment d’Ecclesia Dei. On peut bien pen­ser que main­te­nant pape, il pour­sui­vra ce tra­vail de ren­for­ce­ment d’Ecclesia Dei. Il don­ne­ra plus de poids à cette com­mis­sion, il y met­tra plus de per­son­nel. Par là même, il sou­tien­dra plus encore ceux qui veulent l’ancienne messe. Mais cela res­te­ra cir­cons­crit aux socié­tés recon­nues par Ecclesia Dei : Saint-​Pierre, Christ-​Roi, etc… Paradoxalement tout cela nous aide, car le Bon Dieu se sert de la Fraternité Saint-​Pierre comme d’un trem­plin vers la Fraternité Saint-​Pie‑X.

Au final, le bilan de l’indult est bien celui-​là. Rome a fait un faux cal­cul. En ouvrant les portes, les auto­ri­tés pen­saient qu’elles amè­ne­raient les fidèles à la nou­velle messe. En fait, c’est le contraire qui se passe, en sorte qu’on ne peut que se réjouir de toute ouver­ture en faveur de l’ancienne messe.

Pourquoi cette liber­té favorise-​t-​elle un mou­ve­ment dans ce sens-​là et pas dans l’autre ? Parce que l’ancienne messe, en tant que telle, a une puis­sance extra­or­di­naire. Elle exige la foi et elle donne la foi. Et quand on a goû­té à la foi tra­di­tion­nelle, on en veut toutes les impli­ca­tions. Il y a des prêtres qui ont dit la nou­velle messe et qui ont redit l’ancienne, une, deux, trois fois. Et ils ont décla­ré : « Plus jamais la nou­velle ». À contra­rio, je connais un prêtre qui n’ose pas redire l’ancienne, parce qu’il recon­naît qu’après il ne pour­ra plus redire la nou­velle. On a envie de lui dire : « Allez, courage ! »

Cette messe nour­rit. C’est vrai­ment le cœur de l’Église. Le cœur qui envoie le sang dans tout le corps. Et le sang apporte la vie, l’oxygène, la res­pi­ra­tion. Le cœur est la pompe de notre corps, et la pompe sur­na­tu­relle de l’Église, celle qui apporte la vie à tout le Corps mys­tique, c’est la messe. En ali­men­tant la pompe on régé­nère tout le corps. C’est pour cela que nous deman­dons la liber­té de la messe. On sait bien que tout ne se limite pas à cela, qu’il y a bien des héré­sies à com­battre. Mais il faut com­men­cer quelque part. Et d’abord par du concret.

Il faut pour l’instant chan­ger de cli­mat, com­men­cer par faire dire aux auto­ri­tés, dans les faits, que la Tradition n’est pas une curio­si­té archéo­lo­gique, pré­his­to­rique. C’est l’état nor­mal. C’est même le seul état nor­mal de l’Église. Évidemment cela ne se fera pas en un jour.

Rome tra­vaille­ra donc à ce ren­for­ce­ment des com­mu­nau­tés Ecclesia Dei. On peut pen­ser qu’ils nous igno­re­ront. Aussi, pen­dant un temps, notre situa­tion pour­ra être plus dif­fi­cile que sous Jean-​Paul II, parce que beau­coup seront trom­pés qui se diront : « Voilà c’est fait, c’est bon, tout est gagné ». Alors que ce n’est pas encore gagné.

Le ren­for­ce­ment d’Ecclesia Dei se tra­dui­ra pro­ba­ble­ment, à un cer­tain moment, par la créa­tion d’entités plus ou moins exemptes de la juri­dic­tion des évêques dio­cé­sains. Les auto­ri­tés romaines seront obli­gées d’accorder une cer­taine exemp­tion mal­gré une vio­lente oppo­si­tion des évêques. Pour l’heure, elles évitent d’aller contre cette oppo­si­tion, mais elles se rendent bien compte que cette situa­tion est injuste. Elles savent que les fidèles qui veulent l’ancienne messe, y ont droit. Oui, Rome sait par­fai­te­ment que cette messe ne peut pas être inter­dite. Et l’un ou l’autre des car­di­naux com­mence à le dire. Parmi eux, l’ancien pré­fet de la Congrégation de la litur­gie, le car­di­nal Medina qui a décla­ré : « J’ai fait des recherches. Et il n’y a pas de texte qui inter­dise l’ancienne messe ». Or dire qu’elle n’est pas inter­dite, revient à recon­naître qu’elle est permise.

Rome le sait – par Rome, j’entends la curie, Jean-​Paul II et main­te­nant Benoît XVI – ; ils savent que la messe tri­den­tine n’a jamais été inter­dite et qu’on ne peut pas l’interdire, qu’il n’y a aucun argu­ment juri­dique ou théo­lo­gique qui per­mette l’interdiction de cette messe. Ils le savent, et donc un jour cette injus­tice faite à l’Église et à la messe ancienne va dis­pa­raître. Prions pour que cela arrive le plus vite pos­sible. Prions pour que cela se passe sous ce pon­ti­fi­cat, car il est tout à fait pos­sible que cela se pro­duise sous ce pontificat.

Tout ce que l’on peut faire en faveur de la Tradition est béné­fique. Quel est le bilan depuis les sacres jusqu’à main­te­nant ? Aux États-​Unis – ce sont les chiffres offi­ciels de la messe à indult –, 150 000 fidèles peuvent avoir la messe tri­den­tine. Et ces fidèles, s’il n’y avait pas eu les sacres, ne l’auraient pas aujourd’hui.

La victoire après la bataille

Pour conclure, quelles sont nos dis­po­si­tions actuelles ? L’espoir, et un espoir cer­tain. Pourquoi cer­tain ? Parce ce qu’il ne se fonde pas sur un homme mais sur le Bon Dieu qui est fidèle à ses pro­messes. Et qui, néan­moins, veut uti­li­ser ses créatures.

Prions pré­ci­sé­ment pour que la grâce du Bon Dieu soit tel­le­ment forte qu’elle sur­monte toutes les défaillances de ceux qui ont des charges dans l’Église. Dieu peut le faire et peut-​être même qu’Il a lié l’obtention de cette grâce à nos prières et à nos sacri­fices. Car il y a une éton­nante soli­da­ri­té dans le Corps Mystique. Gardons-​nous de l’oublier.

Au lieu de vitu­pé­rer contre ces pauvres évêques ou ces prêtres qui ont des vies scan­da­leuses, prions pour eux. Ainsi on leur fait beau­coup plus de bien, beau­coup plus de bien à l’Église que quand on les insulte. On demande au Bon Dieu de faire des­cendre sa grâce sur eux.

Je crois à la Sainte Vierge. Fatima, ce n’est pas fini ! Nous sommes à l’époque de la Sainte Vierge. Je suis per­sua­dé, en voyant tout ce qui se passe depuis le XIXme siècle, que nous vivons l’époque de la Sainte Vierge. À la fin, mon Cœur imma­cu­lé triomphera.

Mais ce qui pré­cède le triomphe, c’est la bataille. La vic­toire vient à la fin de la bataille. Pas avant. Comme la résur­rec­tion vient après la mort. Aujourd’hui on ne veut prê­cher que Jésus res­sus­ci­té. Mais avant de res­sus­ci­ter, Il est mort.

Souvenons-​nous que la vic­toire vient après la bataille. Et n’oublions pas que main­te­nant nous sommes en plein dans la bataille. Demandons à la Sainte Vierge d’être bien sous son man­teau, sous sa pro­tec­tion, dans son armée pour contri­buer à cette vic­toire en met­tant toutes nos éner­gies dans la bataille présente.

Courage ! On conti­nue de se battre. Ce n’est pas fini. La vic­toire sera le triomphe du Cœur immaculé.

+ Bernard Fellay , Supérieur Général de la FSSPX 

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.