Entretien de Mgr Fellay dans National Catholic Register, n° du 22 juillet, Extraits

(…)

- Dans sa lettre d’explication du Motu pro­prio, le pape dit que la connais­sance de l’ancienne litur­gie et celle du latin n’est pas cou­rante chez les prêtres d’aujourd’hui, indi­quant par là que de toute façon l’ancienne litur­gie latine ne sera sans doute pas lar­ge­ment uti­li­sée. Est-​ce que cela vous pose un pro­blème qu’il n’y ait pas cette renais­sance de l’ancien rite que vous escomptez ?

- Nous avons tou­jours consi­dé­ré cela comme un long pro­ces­sus. Il est bien évident que main­te­nant peu de prêtres sai­si­ront l’occasion qui leur est four­nie. Mais c’est nor­mal, parce que comme le pape le dit, beau­coup ne savent pas ce qu’est l’ancien rite ou ne connaissent pas le latin. Aussi il est nor­mal que cela prenne du temps, mais nous sommes cer­tains que si l’occasion leur est don­née d’apprécier ce qu’est l’ancien rite, ils y vien­dront sans aucun doute.

- Et au fur et à mesure que le rite s’étend, l’Eglise devien­dra peut-​être plus encline à entrer dans vos vues. C’est ain­si que vous le voyez ?

- Vous avez tout à fait rai­son. Cette messe apporte un nou­vel esprit, un esprit beau­coup plus pro­fond. Et c’est ce que nous voulons.

- Est-​ce que vous vous sou­ciez d’être la cause de divi­sions possibles ?

- Je n’ai aucune crainte sur ce point. Comme je l’ai dit, pour le moment, cela concerne si peu de monde que l’on ne peut pas vrai­ment par­ler de divi­sion. Si les choses se passent pro­gres­si­ve­ment, cela ne divi­se­ra pas. Je n’ai pas de grandes craintes à ce sujet.

- Est-​ce que vous vous inquié­tez de ce que beau­coup d’évêques y soient opposés ?

- Nous espé­rons que les évêques auront une atti­tude res­pec­tueuse à l’égard du pape. C’est tout ce que je peux dire.

- On dit que la vraie cause de cette dis­pute c’est l’orgueil qui règne par­mi les membres de la Fraternité et qui vous empêche de reve­nir à l’Eglise, en sorte que vous contes­tez à la façon des pro­tes­tants. Que répondez-​vous à cette accusation ?

- La réponse est la sui­vante : le pro­tes­tant conteste parce qu’il défend ses vues propres. Nous, nous n’avons pas de vues propres. Nous par­lons de ce que nous avons reçu, de ce qui nous a été ensei­gné depuis notre enfance. Et donc ce que nous disons est l’enseignement de l’Eglise, de l’Eglise catholique.

Nous disons aux auto­ri­tés de l’Eglise : « Comment pouvons-​nous accor­der cet ensei­gne­ment auquel nous devons adhé­rer avec le nou­vel ensei­gne­ment qui est venu après le concile ? ». C’est cela que nous disons. Ce n’est pas une défense per­son­nelle, mais nous deman­dons la véri­té, et tout catho­lique, je pense, a droit à la vérité.

- Bien sûr, mais les pro­tes­tants diraient la même chose et ils argue­raient du fait qu’ils cherchent la véri­té et qu’ils le font à leur façon. N’adoptez-vous pas la même attitude ?

- Non, nous refu­sons abso­lu­ment cette atti­tude qui dit : « Je veux croire selon mon point de vue ». Si le pape décla­rait infailli­ble­ment un dogme, nous serions immé­dia­te­ment prêts à l’accepter parce que nous croyons au pape, nous recon­nais­sons le magis­tère. Mais nous savons que le concile n’a jamais expri­mé la volon­té de faire une décla­ra­tion infaillible. Aussi, nous savons que le degré d’adhésion à cet ensei­gne­ment conci­liaire est bien infé­rieur à celui qu’exige une décla­ra­tion infaillible.

Au concile, les évêques ont bien deman­dé : « Qu’y a‑t-​il d’infaillible dans le concile ? » ; et il y a eu cette fameuse note, la réponse du secré­taire du concile, dans laquelle il est dit que ce qui est infaillible est ce que le concile déclare être infaillible. Or, vous ne trou­vez nulle part cette infailli­bi­li­té enga­gée. Tout ce que le concile dit, c’est : « Nous vou­lons être pas­to­ral ». Mais si vous êtes pas­to­ral, vous faites des décla­ra­tions qui sont liées aux cir­cons­tances. Et s’il en est ain­si, l’Eglise ne vou­dra abso­lu­ment pas se lier pour des décla­ra­tions pas­to­rales au même degré que pour une décla­ra­tion infaillible, un dogme.

– Pourtant l’Eglise dit que ces docu­ments sont cor­rects, que c’est la façon dont ils ont été inter­pré­tés qui est fautive.

- L’ambiguïté est dans le texte. Nous disons que le texte fait pro­blème parce qu’il mène à une autre inter­pré­ta­tion pos­sible.
Voyez-​vous, le fait même qu’on dise que nous devons « inter­pré­ter » le concile, que le concile doit être inter­pré­té à la lumière de la tra­di­tion telle que la pré­sente le pape actuel, cela veut dire qu’il y a d’autres inter­pré­ta­tions possibles.

Nous disons qu’un texte qui émane d’un concile devrait être suf­fi­sam­ment clair pour ne pas avoir besoin d’une telle inter­pré­ta­tion. Il devrait être suf­fi­sam­ment clair en lui-​même, car si vous avez besoin d’une inter­pré­ta­tion, vous avez besoin d’un second texte. Et alors vous accor­dez plus de valeur au second texte qu’au texte du concile, ce qui est insen­sé à mes yeux.

- Pourtant ne pensez-​vous pas que le sens du texte doit évo­luer avec le temps et deve­nir ain­si plus clair et moins ambigu ?

- Vous avez un texte. Les mots ont été choi­sis à des­sein pour être ambi­gus. Cela est recon­nu par tant d’experts et de théo­lo­giens dans l’Eglise. C’est un fait, nous n’y pou­vons rien. C’est vrai, c’est là !

Cela signi­fie que l’Eglise aura le devoir dans l’avenir d’éclaircir (les textes conci­liaires). Et ce docu­ment qui a été publié hier (« Réponses à quelques ques­tions concer­nant cer­tains aspects de la doc­trine sur l’Eglise »), nous n’en sommes pas contents, mais c’est une ten­ta­tive de rendre plus clair un texte (du concile).[1]

- Auriez-​vous quelques der­nières réflexions à faire sur Summorum Pontificum ?

- Nous en sommes vrai­ment contents, et nous le consi­dé­rons comme l’acte le plus sur­na­tu­rel qui puisse être.
C’est un acte très cou­ra­geux du pape, très sur­na­tu­rel, et nous en espé­rons beau­coup de béné­dic­tions pour l’Eglise, même si ces béné­dic­tions ne sont pas immé­dia­te­ment visibles.

Propos recueillis par Edward Pentin

Notes de bas de page
  1. Un peu plus haut dans l’entretien, Mgr Fellay déclare à pro­pos de ce docu­ment sur la doc­trine de l’Eglise : « C’est une bonne illus­tra­tion de la posi­tion du pape qui essaie de sup­pri­mer toute idée d’opposition entre l’Eglise du pas­sé, d’une part, et Vatican II et ses réformes, d’autre part. Et il fait cela en disant : « L’Eglise ne peut pas être en contra­dic­tion avec elle même, aus­si le pas­sé et le pré­sent doivent être un ». C’est bien beau, mais en est-​il réel­le­ment ain­si ? Mon sen­ti­ment quand je lis cette décla­ra­tion est que ce sont là de belles paroles, mais que la réa­li­té est vrai­ment trou­blante. Je trouve que ce texte est très trou­blant ».[]

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.