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- Dans sa lettre d’explication du Motu proprio, le pape dit que la connaissance de l’ancienne liturgie et celle du latin n’est pas courante chez les prêtres d’aujourd’hui, indiquant par là que de toute façon l’ancienne liturgie latine ne sera sans doute pas largement utilisée. Est-ce que cela vous pose un problème qu’il n’y ait pas cette renaissance de l’ancien rite que vous escomptez ?
- Nous avons toujours considéré cela comme un long processus. Il est bien évident que maintenant peu de prêtres saisiront l’occasion qui leur est fournie. Mais c’est normal, parce que comme le pape le dit, beaucoup ne savent pas ce qu’est l’ancien rite ou ne connaissent pas le latin. Aussi il est normal que cela prenne du temps, mais nous sommes certains que si l’occasion leur est donnée d’apprécier ce qu’est l’ancien rite, ils y viendront sans aucun doute.
- Et au fur et à mesure que le rite s’étend, l’Eglise deviendra peut-être plus encline à entrer dans vos vues. C’est ainsi que vous le voyez ?
- Vous avez tout à fait raison. Cette messe apporte un nouvel esprit, un esprit beaucoup plus profond. Et c’est ce que nous voulons.
- Est-ce que vous vous souciez d’être la cause de divisions possibles ?
- Je n’ai aucune crainte sur ce point. Comme je l’ai dit, pour le moment, cela concerne si peu de monde que l’on ne peut pas vraiment parler de division. Si les choses se passent progressivement, cela ne divisera pas. Je n’ai pas de grandes craintes à ce sujet.
- Est-ce que vous vous inquiétez de ce que beaucoup d’évêques y soient opposés ?
- Nous espérons que les évêques auront une attitude respectueuse à l’égard du pape. C’est tout ce que je peux dire.
- On dit que la vraie cause de cette dispute c’est l’orgueil qui règne parmi les membres de la Fraternité et qui vous empêche de revenir à l’Eglise, en sorte que vous contestez à la façon des protestants. Que répondez-vous à cette accusation ?
- La réponse est la suivante : le protestant conteste parce qu’il défend ses vues propres. Nous, nous n’avons pas de vues propres. Nous parlons de ce que nous avons reçu, de ce qui nous a été enseigné depuis notre enfance. Et donc ce que nous disons est l’enseignement de l’Eglise, de l’Eglise catholique.
Nous disons aux autorités de l’Eglise : « Comment pouvons-nous accorder cet enseignement auquel nous devons adhérer avec le nouvel enseignement qui est venu après le concile ? ». C’est cela que nous disons. Ce n’est pas une défense personnelle, mais nous demandons la vérité, et tout catholique, je pense, a droit à la vérité.
- Bien sûr, mais les protestants diraient la même chose et ils argueraient du fait qu’ils cherchent la vérité et qu’ils le font à leur façon. N’adoptez-vous pas la même attitude ?
- Non, nous refusons absolument cette attitude qui dit : « Je veux croire selon mon point de vue ». Si le pape déclarait infailliblement un dogme, nous serions immédiatement prêts à l’accepter parce que nous croyons au pape, nous reconnaissons le magistère. Mais nous savons que le concile n’a jamais exprimé la volonté de faire une déclaration infaillible. Aussi, nous savons que le degré d’adhésion à cet enseignement conciliaire est bien inférieur à celui qu’exige une déclaration infaillible.
Au concile, les évêques ont bien demandé : « Qu’y a‑t-il d’infaillible dans le concile ? » ; et il y a eu cette fameuse note, la réponse du secrétaire du concile, dans laquelle il est dit que ce qui est infaillible est ce que le concile déclare être infaillible. Or, vous ne trouvez nulle part cette infaillibilité engagée. Tout ce que le concile dit, c’est : « Nous voulons être pastoral ». Mais si vous êtes pastoral, vous faites des déclarations qui sont liées aux circonstances. Et s’il en est ainsi, l’Eglise ne voudra absolument pas se lier pour des déclarations pastorales au même degré que pour une déclaration infaillible, un dogme.
– Pourtant l’Eglise dit que ces documents sont corrects, que c’est la façon dont ils ont été interprétés qui est fautive.
- L’ambiguïté est dans le texte. Nous disons que le texte fait problème parce qu’il mène à une autre interprétation possible.
Voyez-vous, le fait même qu’on dise que nous devons « interpréter » le concile, que le concile doit être interprété à la lumière de la tradition telle que la présente le pape actuel, cela veut dire qu’il y a d’autres interprétations possibles.
Nous disons qu’un texte qui émane d’un concile devrait être suffisamment clair pour ne pas avoir besoin d’une telle interprétation. Il devrait être suffisamment clair en lui-même, car si vous avez besoin d’une interprétation, vous avez besoin d’un second texte. Et alors vous accordez plus de valeur au second texte qu’au texte du concile, ce qui est insensé à mes yeux.
- Pourtant ne pensez-vous pas que le sens du texte doit évoluer avec le temps et devenir ainsi plus clair et moins ambigu ?
- Vous avez un texte. Les mots ont été choisis à dessein pour être ambigus. Cela est reconnu par tant d’experts et de théologiens dans l’Eglise. C’est un fait, nous n’y pouvons rien. C’est vrai, c’est là !
Cela signifie que l’Eglise aura le devoir dans l’avenir d’éclaircir (les textes conciliaires). Et ce document qui a été publié hier (« Réponses à quelques questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Eglise »), nous n’en sommes pas contents, mais c’est une tentative de rendre plus clair un texte (du concile).[1]
- Auriez-vous quelques dernières réflexions à faire sur Summorum Pontificum ?
- Nous en sommes vraiment contents, et nous le considérons comme l’acte le plus surnaturel qui puisse être.
C’est un acte très courageux du pape, très surnaturel, et nous en espérons beaucoup de bénédictions pour l’Eglise, même si ces bénédictions ne sont pas immédiatement visibles.
Propos recueillis par Edward Pentin
- Un peu plus haut dans l’entretien, Mgr Fellay déclare à propos de ce document sur la doctrine de l’Eglise : « C’est une bonne illustration de la position du pape qui essaie de supprimer toute idée d’opposition entre l’Eglise du passé, d’une part, et Vatican II et ses réformes, d’autre part. Et il fait cela en disant : « L’Eglise ne peut pas être en contradiction avec elle même, aussi le passé et le présent doivent être un ». C’est bien beau, mais en est-il réellement ainsi ? Mon sentiment quand je lis cette déclaration est que ce sont là de belles paroles, mais que la réalité est vraiment troublante. Je trouve que ce texte est très troublant ».[↩]