Le Figaro Magazine du 31 mars a publié un entretien avec le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, intitulé Bertone : « Foi et raison ne s’opposent pas ». Voici les extraits les plus significatifs sur la liturgie, le motu proprio qui libéraliserait l’usage du missel de Saint Pie V, la crise des vocations et l’islam :
L’application des grandes orientations du concile a malheureusement pu connaître des traductions plus ou moins erronées, conduisant à des appauvrissements notables. Les fruits de la réforme liturgique du concile n’en restent pas moins considérables. Il est vrai que les abus doivent être combattus, car une partie du peuple chrétien a pu s’éloigner de l’Eglise en raison de ces errements. Les erreurs ne sont pas dans les textes du concile, mais dans les comportements de ceux qui ont prétendu interpréter à leur propre guise la réforme liturgique de Vatican II.
Un décret élargissant la possibilité de célébrer la messe en latin selon le rite antérieur à Vatican II (la messe dite de saint Pie V) est-il toujours prévu ?
La valeur de la réforme conciliaire est intacte. Mais tant pour ne pas perdre le grand patrimoine liturgique donné par saint Pie V que pour accéder au souhait des fidèles qui veulent assister à des messes selon ce rite, dans le cadre du missel publié en 1962 par le pape Jean XXIII, avec son calendrier propre, il n’y a aucune raison valable de ne pas donner aux prêtres du monde entier le droit de célébrer selon cette forme. L’autorisation du souverain pontife laisserait évidemment toute sa validité au rite de Paul VI. La publication du motu proprio précisant cette autorisation aura lieu, mais ce sera le pape lui-même qui expliquera ses motivations et le cadre de sa décision. Le souverain pontife donnera personnellement sa vision de l’utilisation de l’ancien missel au peuple chrétien, et en particulier aux évêques.
En Europe occidentale, l’Eglise connaît une crise importante des vocations sacerdotales et religieuses. Comment enrayer la chute ?
Contrairement aux idées reçues, il faut rappeler qu’il y a toujours eu des périodes de crise des vocations, puis des mouvements de reprise. Si la crise actuelle remonte aux années 1965 et suivantes, son amplitude fut très différente d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, nous observons des signes évidents de renouveau. En Italie, de nombreux diocèses connaissent une augmentation certaine des vocations. J’ai par ailleurs le sentiment que les nouvelles vocations sont plus fortes et plus mûres qu’en d’autres temps.
Une des raisons de la baisse du nombre d’ordinations ne réside-t-elle pas dans le manque d’attrait, et peut-être de solidité, de la formation intellectuelle et spirituelle des futurs prêtres dans les séminaires diocésains, en France particulièrement ?
Effectivement, la formation des futurs prêtres est fondamentale. Le cursus des séminaristes doit intégrer une excellente appréhension des vertus sacerdotales, en particulier le célibat, la prière et la consécration inconditionnelle au Christ. Les supérieurs des séminaires ont l’obligation de réfléchir à l’importance de la formation à une vie de prière authentique. Par ailleurs, la promotion des vocations doit être constante. Il y a eu dans ce domaine un certain laisser-aller, totalement inadmissible et pour le moins surprenant. Dans mon ancien diocèse de Gênes, j’ai le souvenir de jeunes qui ont renoncé à de futures carrières professionnelles très brillantes, pour entrer au séminaire avec l’idée d’aider l’Eglise et le pape à changer le monde. Ces jeunes sont des modèles rayonnants, et leur épanouissement au service de l’Eglise doit être donné en exemple.
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Pourquoi Benoît XVI donne-t-il à la lutte contre le relativisme une place aussi importante ?
La dénonciation des ravages du relativisme constitue un défi historique pour l’Eglise. Car une société qui considère que rien n’a vraiment d’importance et que tout se vaut ne peut plus reconnaître une vérité absolue, ni même partager des valeurs universelles. Le pape veut rappeler l’importance du droit naturel, sur lequel se fondent les normes de la communauté internationale. Le procès de Nuremberg n’aurait pu avoir lieu sans les bases d’une morale naturelle reconnue, qui précède les autres lois. Dans la Lettre aux Romains, saint Paul écrit bien que cette morale est inscrite dans le cœur de l’homme. Il faut combattre le relativisme en cherchant à expliciter le véritable lien qui existe entre la foi et la raison : la foi et la raison ne s’opposent pas.
L’introduction d’une nouvelle religion sur le sol européen, avec l’islam, ne représente-t-elle pas un autre défi nouveau pour l’Eglise ?
Le multiculturalisme est aujourd’hui un fait dans un certain nombre de pays européens, en particulier la France. L’Eglise en prend acte, et entend naturellement se mesurer à cette situation. La présence catholique et chrétienne en Europe présuppose une affirmation sans complexe de notre identité. Nous revenons ainsi à l’impérieuse nécessité de la catéchèse et de l’éducation, en particulier l’éducation morale. Les racines chrétiennes de l’Europe sont avant tout des repères spirituels et moraux. La connaissance de ce que nous sommes permet la confrontation et le dialogue avec d’autres cultures et d’autres visions de l’homme. Dans son discours de Ratisbonne, le Saint-Père a bien précisé qu’une saine confrontation avec l’islam n’est pas seulement une nécessité de fait, mais une exigence afin de concevoir les principes qui peuvent nous unir, ainsi que nos différences. Au-delà de la vaine polémique qui a suivi ce discours, de nombreux penseurs de l’islam ont perçu positivement cette invitation du pape à confronter nos deux systèmes.
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Propos recueillis par Nicolas Diat et Jean Sévillia dans le Figaro Magazine du 31 mars 2007, repris sur l’édition en ligne du 2 avril 2007