Excellence,
Votre lettre datée du 15 décembre 1980 m’a été fidèlement remise le 27 suivant. Je n’ai pas manqué d’en étudier le contenu avec attention. Comme c’était aussi mon devoir, je l’ai portée sans retard à la connaissance du Saint-Père, qui du reste savait déjà par la lettre que vous lui aviez directement adressée le 16 octobre 1980, quelles étaient vos propres positions en vue d’une solution. C’est avec son plein accord que je vous fais la présente réponse.
Je me suis réjoui de l’espoir que vous exprimez d’une normalisation prochaine, et je vous remercie des nouvelles explications que vous me donnez dans votre lettre. Il me faut cependant noter que celle-ci ne répond pas à deux points précis de ma propre lettre du 20 octobre, à savoir la demande d’une « claire manifestation de regrets », et de la demande d’une acceptation du Droit ecclésiastique commun pour tout ce qui concerne votre ministère pastoral et vos œuvres.
Je désire ajouter une autre observation qui me paraît importante. Même si, comme vous le dites, l’interprétation du deuxième concile du Vatican selon le critère de la Tradition et du Magistère constant de l’Église fait naître pour vous personnellement de graves réserves au sujet de certains de ses documents, cela ne peut vous autoriser à tenir oralement ou par écrit des propos qui attaquent et discréditent ce Concile ; cela doit plutôt vous inciter à chercher à comprendre et à intégrer les enseignements de ces documents dans la Tradition séculaire de l’Église.
Enfin je dois vous communiquer que le « projet de déclaration » que vous vous dites prêt à signer ne paraît pas suffisamment explicite eu égard à la situation qui s’est créée ; il est trop en deçà de ce que vous demande le Saint-Père et que la deuxième partie de ma lettre du 20 octobre 1980 vous a fait connaître. Les termes de l’accord proposé par des cardinaux et experts lié à la déclaration ne peuvent pas non plus être acceptés tels quels.
La plupart font sérieusement difficulté sous leur forme actuelle : ainsi la liberté d’utiliser les seuls livres liturgiques publiés par le Pape Jean XXIII équivaut au rejet de l’ensemble de la réforme liturgique, pourtant décidée par un Concile œcuménique légitime ; l’érection de paroisses personnelles pour les utilisateurs de ces livres est une chose sans précédent au plan ecclésiologique et canonique ; la déclaration de nullité de la suspensio a divinis portée contre vous équivaudrait à dire que les motifs objectifs qui sont à l’origine de cette mesure n’étaient pas valables ; enfin la reconnaissance immédiate du droit pontifical pour la Fraternité Saint-Pie‑X constituerait une faveur qui n’est pas habituellement accordée à une pieuse union avant son passage par le stade d’institut religieux de droit diocésain. D’une manière plus générale, ce projet d’accord anticipe trop évidemment sur ce qui serait l’objet propre de la mission du délégué pontifical, ainsi que je l’indiquerai plus loin, et sur le résultat de ses entretiens avec vous.
Pour clarifier la situation, permettez-moi de vous proposer ici d’une manière précise les points que le Saint-Père estime indispensables dans votre déclaration ; pour la plupart d’entre eux, je ne puis d’ailleurs que reprendre l’essentiel de ma lettre précédente :
1 – Claire manifestation de regrets pour la part que vous avez eue dans la situation de rupture objective qui s’est créée (notamment du fait des ordinations) et pour vos attaques excessives, dans le contenu et dans les termes, contre le Concile, contre de nombreux évêques et contre le Siège Apostolique.
2 – Adhésion aux enseignements du deuxième concile du Vatican « compris à la lumière de toute la sainte Tradition et du magistère constant de l’Église », et compte tenu de la qualification théologique de ce Concile a voulu donner à ses enseignements ; reconnaissance du « religiosum voluntatis et intellectus obsequium » dû au magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, et à l’enseignement sur la foi et les mœurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife Romain ; cessation de toute polémique qui viserait à discréditer certains des enseignements du deuxième concile du Vatican.
3 – Acceptation sans restrictions non seulement de la validité de la Messe selon le nouvel Ordo dans son édition latine originale, mais encore de la légitimité de la réforme liturgique demandée par le deuxième concile du Vatican – aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège apostolique –, et abandon de toute polémique tendant à jeter la suspicion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ, promulgué par le Pape Paul VI.
4 – Acceptation des normes du droit ecclésiastique commun pour tout ce qui concerne votre ministère pastoral et vos œuvres ainsi que pour la Fraternité Saint-Pie‑X.
Le délégué pontifical, nommé comme vous le souhaitez pour un temps limité et pour un but bien déterminé, aura pour mission de traiter avec vous des problèmes concrets découlant d’une normalisation des rapports entre vous-même et la Fraternité Saint-Pie‑X d’une part et le Siège Apostolique de l’autre. D’une manière plus précise, il devra régler avec vous les questions de la levée officielle des censures, des rites liturgiques pour la Fraternité, enfin du statut juridique futur de la Fraternité. Il est dans les intentions du Saint-Père de désigner comme son délégué un membre du Sacré Collège connu de vous, et dont les bonnes dispositions à votre égard sont assurées. Cette désignation pourra intervenir dès que vous aurez bien voulu donner une réponse positive à la présente lettre.
Dans l’attente de cette réponse, dans l’espérance aussi qu’elle ouvre la voie à une solution définitive, je vous assure de ma prière fraternelle, et vous prie d’agréer, Excellence, l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués en Notre Seigneur.
Franc. Card. Seper, Préf.