Intéressante révélation concernant Jean XXIII, Jean Madiran – Itinéraires novembre 1980

Malgré quelques appa­rences contraires qu’il avait pro­di­guées no­tamment lorsqu’il était nonce à Paris, Jean XXIII était en réa­li­té un admi­ra­teur de Marc Sangnier et un dis­ciple du Sillon.

Révélation ? Oui. Comme le disait Henri Rambaud, le véri­table « inédit » c’est… l’imprimé, celui que l’on n’avait pas remar­qué au moment de sa parution.

La lettre du nonce Roncalli que nous repro­dui­sons ci-​après avait pour­tant été publiée déjà en 1965 dans le livre d’Ernest Pezet : Chrétiens au ser­vice de la cité, de Léon XIII au Sillon et au MRP (NEL). Elle était pas­sée inaper­çue, du moins de nous. Voici qu’elle est repu­bliée dans L’âme popu­laire, organe tou­jours vivant du « Sillon catho­lique » fon­dé par Robert Pigelet en 1920, 60e année, numé­ro 571 d’août-septem­bre 1980.

Cette lettre a été adres­sée par le nonce Roncalli à Mme Marc Sangnier, le 6 juin 1950, à l’occasion de la mort de Marc Sangnier, son conte­nu, sa por­tée dépassent de beau­coup un simple mes­sage de condo­léances, comme on va le voir :

« Paris, le 6 juin 1950

Madame,

J’avais enten­du par­ler Marc Sangnier pour la pre­mière fois à Rome vers 1903 ou 1904, à une réunion de Jeunesse Catholique. La puis­sante fas­ci­na­tion de sa parole, de son âme, m’avait ravi, et je garde de sa per­sonne et de son acti­vi­té poli­tique et sociale le sou­ve­nir le plus vif de toute ma jeu­nesse sacerdotale.

Son humi­li­té noble et grande à accep­ter plus tard, en 1910, l’admonition, du reste bien affec­tueuse et bien­veillante du Saint Pape Pie X, donne à mes yeux la mesure de sa véri­table grandeur.

Des âmes capables de se tenir aus­si fidèles et res­pectueuses que la sienne de l’Évangile et de la Sainte Église sont faites pour les plus hautes ascen­sions qui assurent la gloire d’ici bas auprès des contem­porains et de la pos­té­ri­té, à qui l’exemple de Marc Sangnier res­te­racomme un ensei­gne­ment et un encouragement.

A l’occasion de sa mort, mon esprit a été bien récon­for­té de consta­ter que les voix les plus auto­risées à par­ler au nom de la France offi­cielle se sont ren­con­trées, una­nimes, à enve­lop­per Marc Sangnier comme d’un man­teau d’honneur, du dis­cours sur la Montagne. On ne pou­vait rendre hom­mage et éloge plus élo­quent à la mémoire de cet insigne Français, dont les contem­po­rains ont su appré­cier la clar­té d’une âme pro­fon­dé­ment chré­tienne et la noble sin­cé­ri­té du cœur.  »

Par l’effet magique d’une sorte de « réin­ter­pré­ta­tion » impli­cite des textes, – qui annonce les pro­diges que réa­li­se­ra en ce domaine l’évo­lution conci­liaire, – Marc Sangnier et son Sillon ne reçurent donc du « saint pape Pie X » rien d’autre qu’une « admo­ni­tion bien affec­tueuse et bien­veillante » ; il ne reste le sou­ve­nir d’aucune erreur qui aurait été condam­née, d’aucun ensei­gne­ment qui aurait été for­mu­lé à l’encontre du Sillon. Le seul « ensei­gne­ment » dont se sou­vienne à ce pro­pos le futur Jean XXIII, c’est celui de… Marc Sangnier lui-​même !
Sans doute saint Pie X recon­nais­sait dans les chefs du Sillon « des âmes éle­vées, supé­rieures aux pas­sions vul­gaires et ani­mées du plus noble enthou­siasme pour le bien » ; mais il décla­rait aus­si : « Nous avons eu la dou­leur de voir les avis et les reproches glis­ser sur leurs âmes fuyantes. » Les gens du Sillon sont « empor­tés dans une voie aus­si fausse que dan­ge­reuse ». Le Sillon « bâtit sa cité sur une théo­rie con­traire à la véri­té catho­lique et il fausse les notions essen­tielles et fonda­mentales qui règlent les rap­ports sociaux » ; il « sème des notions erro­nées et funestes » ; il a « une fausse idée de la digni­té humaine » ; « son esprit est dan­ge­reux et son édu­ca­tion funeste » ; et désor­mais « il ne forme plus qu’un misé­rable affluent du grand mou­ve­ment d’apostasie orga­ni­sé dans tous les pays ».

Qui le soup­çon­ne­rait, à lire la réin­ter­pré­ta­tion léni­fiante de Roncalli ? Qui pour­rait sup­po­ser qu’en réa­li­té, dans sa Lettre sur le Sillon, saint Pie X avait doc­tri­na­le­ment défi­ni et dénon­cé cette DÉMOCRATIE RELIGIEUSE qui, un demi-​siècle plus tard, à tra­vers la soi-​disant ÉVOLUTION CONCILIAIRE, entraî­ne­rait la socié­té ecclé­sias­tique dans l’APOSTASIE IMMANENTE ?

Au demeu­rant le nonce Roncalli aimait en 1950 se sou­ve­nir qu’il avait été « fas­ci­né » et « ravi » par Marc Sangnier : sou­ve­nir qui demeure « le plus vif de toute (sa) jeu­nesse sacerdotale ».

Le même nonce Roncalli, avec d’autres inter­lo­cu­teurs, arri­vait à se faire pas­ser plu­tôt pour un admi­ra­teur et un dis­ciple du car­di­nal Pie nous en avons le témoi­gnage pré­cis. Malheureux Jean XXIII, sur qui l’abbé Berto avait eu ce mot ter­rible : – C’est un sceptique.

Un scep­tique, oui ; mais non point, pour autant, impar­tial entre les doc­trines, ou indif­fé­rent devant elles. Comme tous les scep­tiques de tem­pé­ra­ment, il incli­nait acti­ve­ment du côté des anti-​dogmatiques ; des moder­nistes ; des sillo­nistes. Son admi­ra­tion pour le car­di­nal Pie, c’était de la frime ; ou disons : un res­pect pro­to­co­laire ; dont il jouait habile­ment. Son cœur était pour le Sillon.

Le plus frap­pant, c’est l’audace tran­quille avec laquelle le nonce Roncalli se per­met­tait de par­ler de la lettre de saint Pie X sur le Sillon en la « réin­ter­pré­tant » de manière à lui enle­ver toute sa signifi­cation morale et doc­tri­nale. Qu’on relise cette lettre Notre charge apos­tolique du 25 août 1910, et l’on aper­ce­vra aus­si­tôt à quel point la ma­nière dont en parle le nonce Roncalli mani­feste une totale effronterie.

En 1950, le sub­sti­tut Jean-​Baptiste Montini trai­tait exac­te­ment de la même manière l’encyclique Humani gene­ris de Pie XII : on en trouve le récit dans l’un et l’autre des deux livres que Jean Guitton a consa­crés à Paul VI. J’avais ana­ly­sé en détail ce phé­no­mène à l’occasion du pre­mier volume : dans le numé­ro 128 d’ITINÉRAIRES, décembre 1968, pages 154 à 159. Je n’y nom­mais pas Montini, j’examinais son pro­pos, je le qua­li­fiais par litote d’ « inat­ten­tion aux textes » et de « rêve­rie gra­tuite », esti­mant que mon com­men­taire « ne chan­ge­rait actuel­le­ment rien à rien et trou­ve­rait sa place nor­male en son temps, avec du recul et dans une pers­pec­tive déjà historique ».

Le nom de Montini n’apparais­sant pas, mon ana­lyse ne retint guère l’attention. On peut s’y repor­ter aujourd’hui, après le second ouvrage de Jean Guitton sur Paul VI, qui est venu confir­mer la teneur authen­tique et l’audace effron­tée des pro­pos mon­ti­niens de 1950.

C’était le 8 sep­tembre. Roncalli, le 6 juin de la même année. L’occasion de l’un et l’autre texte était dif­fé­rente. La sub­stance, la méthode intel­lec­tuelle était iden­tique. Voilà donc en quelles mains l’Église mili­tante était tombée.

Jean Madiran, in Itinéraires n° 247. Novembre 1980.