Un journaliste a demandé à la salle de presse du Saint-Siège s’il était exact que le Saint-Père avait envoyé, dans sa récente lettre autographe dont l’existence a été confirmée par ce service, un ultimatum à Mgr Lefebvre et si l’interview donnée par ce dernier à l’Europeo du 3 septembre 1976 doit être considérée comme une réponse à cet ultimatum.
Réponse : On a pris connaissance de cette interview avec la plus grande peine, à cause de son contenu particulièrement grave et vraiment inouï.
Une telle intervention suffit à elle seule, aux yeux de toute personne douée d’un minimum d’objectivité et qui n’entretient pas d’idées préconçues, à démontrer avec la plus grande clarté dans quelle position vraiment insoutenable Mgr Lefebvre en est venu à se trouver. Cette interview est une accusation que l’ancien archevêque-évêque de Tulle a signée contre lui-même de sa propre main.
La position prise désormais par Mgr Lefebvre si ouvertement prouve que le Saint-Siège avait vu juste quand il le convia à deux entretiens d’explication avec les cardinaux Tabera, Wright et Garrone. Ce fut en conclusion de ces entretiens que le Saint-Siège jugea nécessaire d’autoriser Mgr Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, à retirer son consentement à l’existence de la fraternité Saint-Pie‑X.
Cependant, depuis cette douloureuse décision jusqu’aux derniers développements, le Saint-Père n’a jamais cessé de se tourner vers Mgr Lefebvre avec une espérance jamais démentie même si elle a été toujours déçue, afin qu’il accomplisse au moins un geste de bonne volonté.
L’attitude du Pape a toujours été guidée par des intentions précises : respecter profondément l’homme ; respecter plus profondément encore l’évêque ; respecter en même temps le très grave devoir confié par mandat divin au successeur de Pierre de conserver dans sa pureté totale, sans transiger sur aucun point, le patrimoine de la foi catholique et d’être le suprême garant de son authenticité.
C’est dans la fidélité à ces préoccupations que, le 15 août dernier, le Saint-Père a adressé une nouvelle lettre manuscrite à Mgr Marcel Lefebvre. Son contenu comme sa forme parlent d’eux-mêmes et montrent clairement l’attitude, à la fois ferme et inspirée de paternelle affection, qui est celle du Pape en cette douloureuse circonstance.
Cette lettre, comme il a été dit, s’inscrit dans la longue série d’appels à la réconciliation, multipliés par le Siège apostolique et par le Pape personnellement, qui ont été adressés à l’ancien archevêque-évêque de Tulle. Outre deux longs colloques avec trois cardinaux, qui lui ont permis d’exposer sa position, ce furent des visites répétées du nonce apostolique en Suisse ; les lettres du Souverain Pontife en date du 29 juin et du 8 septembre 1975 ; un très long entretien avec le substitut de la Secrétairerie d’Etat ; enfin, la semaine précédant le 29 juin 1976, une mission d’un envoyé spécial du Saint-Père, le R.P. Dhanis, S.J., consulteur de la Congrégation pour la Doctrine de la foi ; et encore plusieurs visite du cardinal Thiandoum, dont une le 28 juin, c’est-à-dire la veille même de l’ordination.
Comment ne pas rappeler ici que le Pape a estimé nécessaire de traiter ce grave problème devant les membres du Sacré-Collège présents à Rome pour le Consistoire du 24 mai dernier ?
Mgr Lefebvre sait, mieux que personne, quel a été le but de cette intervention solennelle, ainsi que de toutes les démarches qui l’ont précédée et qui l’ont suivie : lui offrir l’occasion de se reprendre avant qu’il ne soit trop tard et servir l’unité de l’Eglise qu’il a maintenant l’absurde prétention de « défendre » contre ceux-là qui, seuls, ont mission de Dieu et assistance de l’Esprit pour la garantir. Pour se soustraire à cette sollicitude, qu’il tait devant l’opinion publique, Mgr Lefebvre entend choisir lui-même les voies par lesquelles passerait une composition de sa part : une audience que le Saint-Père devrait lui accorder sans préalable, afin qu’il puisse lui dire en quoi, à son jugement, le Pape et le Concile oecuménique ont failli.
Car l’enjeu du débat est bien là. Mgr Lefebvre, qui n’a jamais contesté, au cours de son déroulement, la validité du Concile, auquel il a pris une part active et dont il a signé la presque totalité des actes – parmi lesquels la Constitution sur la liturgie et le décret sur l’oecuménisme –, se place aujourd’hui au-dessus du Pape et du Concile pour en contester, de façon catégorique et globale, l’esprit et les conclusions (cf. son Manifeste du 21 novembre 1974). Il a été pendant de longues années le serviteur de la papauté, et il s’en fait un titre maintenant pour reprocher au Pape d’avoir, en matière sacramentaire et liturgique notamment, exercé un pouvoir que l’Ecriture sainte, la Tradition et l’enseignement unanime de l’Eglise lui attribuent de façon si claire et si ferme. Après avoir proclamé sa soumission au Saint-Père et laissé entendre que toute l’affaire ne reposait que sur un malentendu, il fait maintenant des déclarations incroyables qu’il est particulièrement douloureux d’entendre de la bouche d’un évêque. De quelle tradition, de quel « Evangile » s’inspire-t-il pour tenir pareil langage ?
Sa grave infraction aux lois canoniques et à une défense expresse du Pape, en conférant illégitimement des ordinations le 29 juin dernier, a entraîné pour Mgr Lefebvre l’application d’une censure dont il sait bien qu’elle vise avant tout à la résipiscence de celui qui en fait l’objet.
Le Pape ne perd pas l’espérance. Il guette le retour du fils prodigue, dans l’intérêt du salut de celui-ci, dans l’intérêt aussi des âmes qu’il égare en cherchant à les persuader gratuitement que Rome a failli à sa mission. Les bras du Pape sont grands ouverts. Le Saint-Père a cependant le droit et le devoir de connaître, au préalable, les dispositions dans lesquelles Mgr Lefebvre viendrait à lui : une telle assurance est indispensable à la rencontre désirée. A ne pas maintenir fermement cette exigence, on s’exposerait à de nouveaux malentendus que le bien de la communauté ecclésiale ne peut plus supporter.
L’heure est à la souffrance et à la prière. Le Pape le dit en conclusion de sa lettre : c’est une heure « grande et amère ». Puisse-t-elle, au plus tôt, faire place à la lumière et à la réconciliation.
Osservatore Romano du 28 août 1976