Comme le dit saint Thomas d’Aquin dans son « de Regno », traité sur le gouvernement des princes de ce monde, à la différence des minéraux, des végétaux et des animaux, l’homme n’est pas déterminé à atteindre sa fin. La pierre, reste immobile tant que personne ne la déplace, le pépin de pomme donnera nécessairement un pommier et l’animal mû par son unique instinct, atteindra immanquablement la fin que le Créateur lui a assignée. Pour l’homme c’est différent, car créé libre, doté d’un libre arbitre, il a le pouvoir de se dérober au plan divin et de s’éloigner du but que Dieu lui a fixé
L’homme n’est pas autosuffisant, il est un « animal social » qui a besoin de la société pour vivre. Afin de le préserver de possibles égarements, une autorité au dessus de lui, un chef exemplaire qu’il admire et qui sera le garant de l’unité et de la prospérité de la société dans laquelle il évolue, l’aidera et le protègera.
De même, parce qu’elle est un corps social immense composée d’individus très différents, appartenant à des cultures diverses, l’humanité a besoin d’une tête parfaite, d’une autorité qui saura faire l’unité autour d’elle. Cette tête c’est le Christ-Roi, Dieu fait homme, Créateur et maître de toutes choses. Il a conquit les âmes au prix de son Sang afin de leur communiquer sa vie ici bas et leur ouvrir le Ciel.
Le Christ-Roi veut régner ! Il exprime cette volonté dans la prière du Notre Père composée par lui-même et que nous récitons chaque jour : « Adveniat regnum tuum, que votre règne arrive ». Il veut conquérir les âmes, les familles, les sociétés et le monde entier. Pour étendre son sceptre sur l’univers, il a envoyé ses apôtres et ses disciples enseigner toutes les nations. Cette mission, les prêtres, les missionnaires la perpétuent depuis plus de deux mille ans et elle ne prendra fin que lorsque le Roi des rois reviendra dans la gloire au dernier jour pour juger les vivants et les morts.
« Oportet illum regnare, dit saint Paul, « il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds ». [1] De la réussite de cette mission dépend la paix et l’ordre du monde entier et le salut de l’humanité dans l’éternité. Le Pape Pie XI l’a exprimé magnifiquement dans son encyclique « Quas primas » :
« Si les hommes venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables – une juste liberté, l’ordre et la tranquillité, la concorde et la paix – se répandraient infailliblement sur la société tout entière. En imprimant à l’autorité des princes et des chefs d’Etat un caractère sacré, la dignité royale de Notre Seigneur ennoblit du même coup les devoirs et la soumission des citoyens ». [2]
Au lendemain de la Révolution française, alors que le règne du Christ était attaqué de toutes parts, alors que les malheurs ne cessaient de fondre sur l’humanité, les papes jusqu’à Pie XII ont unanimement rappelé qu’aucune paix véritable n’était possible hors de Jésus-Christ :
« « La reconnaissance des droits royaux du Christ et le retour des individus et de la société à la loi de sa vérité et de son amour sont la seule voie de salut ». [3]
Saint Pie X affirmait avec une admirable clarté cette même vérité :
« Sans doute, le désir de la paix est dans tous les cœurs, et il n’est personne qui ne l’appelle de tous ses vœux. Mais cette paix, insensé qui la cherche en dehors de Dieu car, chasser Dieu, c’est bannir la justice ; et, la justice écartée, toute espérance de paix devient une chimère. La paix est l’œuvre de la justice). Il en est, et en grand nombre, Nous ne l’ignorons pas, qui, poussés par l’amour de la paix, c’est-à-dire de la tranquillité de l’ordre, s’associent et se groupent pour former ce qu’ils appellent le parti de l’ordre. Hélas ! Vaines espérances, peines perdues ! De partis d’ordre capables de rétablir la tranquillité au milieu de la perturbation des choses, il n’y en a qu’un : le parti de Dieu. C’est donc celui-là qu’il nous faut promouvoir ; c’est à lui qu’il nous faut amener le plus d’adhérents possible, pour peu que nous ayons à cœur la sécurité publique ». [4]
Il est cependant douloureux de constater que ce discours clair ait disparu aujourd’hui de la bouche des autorités de l’Eglise catholique. Au nom de la liberté religieuse exaltée lors du Concile Vatican II, plus personne ne défend les droits de Dieu sur les hommes et la société. Hier, les papes demandaient aux gouvernants de protéger et soutenir l’Eglise ainsi que de conformer les lois civiles à la loi divine exprimée dans les commandements. Aujourd’hui, tout s’est inversé ! Le Saint Siège ne demande plus aux autorités civiles que la liberté pour l’Eglise catholique, celle de coexister aux côtés des autres religions. Lisez ces mots du Pape Paul VI adressés aux gouvernants :
« Que demande-t-elle de vous, cette Eglise, après deux mille ans bientôt de vicissitudes de toutes sortes dans ses relations avec vous (…) elle ne vous demande que la liberté. La liberté de croire et de prêcher sa foi, la liberté d’aimer son Dieu et de le servir, la liberté de vivre et de porter aux hommes son message de vie ». [5]
Hier les Papes demandaient aux états de revenir au Christ pour recouvrer la paix et la tranquillité, aujourd’hui le Pape François propose comme seul remède aux maux de notre époque, le dialogue et la rencontre. Voyez ce qu’il disait lors des dernières Journées Mondiales de la Jeunesse au cours desquelles la liturgie a été massacrée et la sainte Eucharistie outragée :
« L’unique façon de grandir pour une personne, pour une famille, une société, l’unique manière pour faire progresser la vie des peuples, est la culture de la rencontre, une culture dans laquelle tous aient quelque chose de bon à donner et tous peuvent recevoir quelque chose de bon en échange (…) aujourd’hui, ou bien on mise sur la culture de la rencontre, ou bien tous perdent ; parcourir la voie juste rend le chemin fécond et juste ». [6]
Si le Christ, Prince de la paix est banni de ces rencontres, alors elles seront stériles. Ce seront des réunions mondaines comme le sont ces rencontres œcuméniques qui sont une insulte envers le Christ-Roi parce qu’elles mettent la seule et unique Eglise fondée par Jésus-Christ sur le même pied d’égalité que celles que des hérétiques et des schismatiques en rébellion ont fondées durant l’histoire. Dans ces rencontres il n’est jamais question de convaincre ceux qui sont hors de l’Eglise d’y entrer… Seul compte le dialogue ! Cependant, l’Eglise a toujours enseigné que le Christ n’est pas une option, mais La solution pour sauver l’humanité tout entière du chaos vers lequel elle se précipite. Certes, dans certains de ses discours, le Pape François demande bien aux hommes de revenir à Jésus-Christ, mais « au nom d’une saine laïcité ». Il n’a jamais invité les états et les gouvernants à revenir au Christ-Roi. Le Christ doit-il demeurer dans la sphère privée ? La réponse est : « Non ! ».
Œuvrer à l’extension du Royaume du Christ-Roi, n’est-ce pas une action réservée à ceux qui se consacrent à la politique ? Non, car tout catholique a une vocation politique. La mère de famille qui éduque ses enfants, l’infirmière ou le médecin qui soignent les malades avec patience, le professeur qui enseigne à l’école ou à l’université, le vieillard qui offre ses souffrances pour la persévérance ou la conversion de ses enfants et petits enfants, œuvrent pour la cité et travaillent, chacun à sa place, à la défense et à l’extension du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ pourvu qu’ils le fassent animés de la grâce de Dieu. Qu’est ce que la sainteté sinon le Règne du Christ-Roi réalisé dans une âme en raison de sa fidélité à la grâce.
Les saints, même ceux qui vivaient cloîtrés, par leur sainteté personnelle, leur exemple et leur zèle ont eu un rôle social éminent. Ils ont contribué à l’extension du Règne du Christ-Roi, en étant le levain dans la pâte dont parle l’Evangile. Saint Bernard de Clairvaux, appelant à la croisade ou sainte Thérèse de L’Enfant Jésus, patronne des missions au fond de son couvent ont chacun travaillé à l’extension du Règne du Christ. Saint Pierre Julien Eymard disait « Un saint garde et sauve son pays ; sa prière et ses vertus sont plus puissantes que toutes les armées de la terre ». [7]
N’oublions jamais que toute activité apostolique doit partir du Christ et revenir au Christ. « Sans moi vous ne pouvez rien faire » [8] nous dit-il. Sans cette protection et cette force de la grâce divine que nous obtiendrons par le moyen de la prière, de la pénitence et des sacrements, nous ne pourrons ni agir avec efficacité ni résister efficacement à Satan, à ses pompes et à ses œuvres. C’est spécialement au pied de l’autel que nous recevrons les grâces nécessaires pour nous mettre au service du Christ-Roi. Rien n’est plus apostolique que la messe. Elle répand dans les âmes et sur le monde les bienfaits de la Rédemption, c’est-à-dire la charité du Christ. La civilisation chrétienne en est le fruit. La destruction de la messe catholique avec le Novus ordo Missæ a porté un coup décisif à la chrétienté. La restauration de cette dernière ne se fera pas sans que la messe traditionnelle, qui a sanctifié tant d’âmes et de sociétés, soit remise à l’honneur dans toute l’Eglise. La messe est l’acte suprême du Christ-Roi par lequel il continue quotidiennement d’agir dans le monde.
Que le Christ-Roi règne aussi dans vos familles. Consacrez vos foyers au Sacré Cœur et que les chefs de famille veillent à renouveler cette consécration chaque année. Que la vie de vos familles soit irriguée par la prière commune, le chapelet récité chaque jour et que l’esprit de sacrifice soit bien ancré dans vos âmes, chers parents ainsi que dans celles de vos enfants. Alors vos foyers seront des îlots de sainteté invincibles aux attaques du monde moderne. Parents catholiques, vous avez un rôle capital à tenir dans la chrétienté. Si le Christ-Roi ne règne pas dans vos foyers, alors il est vain d’espérer qu’il règnera dans la société.
Nous voulons aussi que la société retrouve le chemin de la paix et de la justice, mais pour cela elle-même doit revenir au Christ-Roi. Pie XI l’a remarquablement exprimé dans son encyclique « Quas primas » :
« Nous proclamons ouvertement deux choses : l’une, que ce débordement de maux sur l’univers provient de ce que la plupart des hommes ont écarté Jésus-Christ et sa loi très sainte des habitudes de leur vie individuelle aussi bien que de leur vie familiale et de leur vie publique ; l’autre, que jamais ne pourra luire une ferme espérance de paix durable entre les peuples tant que les individus et les nations refuseront de reconnaître et de proclamer la souveraineté de notre Sauveur (…) Pour ramener et consolider la paix, Nous ne voyions pas de moyen plus efficace que de restaurer la souveraineté de Notre Seigneur ». Ces paroles se font l’écho de celles que prononça Saint Pie X vingt ans plus tôt : « Restaurer toutes choses dans le Christ ». [9]
Le Christ est l’âme de toute société. Sans Lui, elle n’est qu’un cadavre qui se décompose lentement. Prions donc pour que les détenteurs de l’autorité relèvent leurs regards vers Celui qui est la source de toute autorité : le Christ-Roi. Ils ont rejeté ce Roi, ils doivent revenir à Lui.
« Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la législation et des affaires publiques, et l’autorité ne tenant plus son origine de Dieu mais des hommes, il arriva que (…) les bases mêmes de l’autorité furent renversées dès lors qu’on supprimait la raison fondamentale du droit de commander pour les uns, du devoir d’obéir pour les autres. Inéluctablement, il s’en est suivi un ébranlement de la société humaine tout entière, désormais privée de soutien et d’appui solides ». [10]
Que les chefs d’états recentrent leur autorité sur le Christ, source de toute autorité sur la terre. Alors ils seront respectés, Dieu bénira les nations dont ils ont reçu la charge et rendra fécond leurs efforts de gouvernement.
L’apostasie générale actuelle des nations à laquelle nous assistons rend cet idéal humainement impossible à réaliser. Cependant, il n’existe pas d’autre recours pour sauver l’humanité qui court à sa perte. La lutte est titanesque et nous dépasse, mais nous devons avoir foi dans les secours divins. Dieu est Dieu ! La société civile ne peut espérer sa guérison que si les hommes d’Eglise et les autorités civiles recouvrent la foi en la Royauté du Christ qui veut régner sur l’univers entier. Toute autre solution ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois. Il faut pour cela que le pape, les évêques et les prêtres se réapproprient la doctrine sociale enseignée jusqu’à Pie XII et persuadent les gouvernants de cette vérité. Sans cette conversion des autorités civiles et religieuses, toute restauration véritable et durable s’avérera impossible.
Monseigneur Lefebvre n’a cessé d’enseigner cette foi dans le Christ–Roi dont il fut le héraut. Voici ce qu’il disait lors d’un sermon :
« Il n’y a qu’un nom sur la terre pour transformer les âmes, la civilisation, et même les corps, la société, et l’économie. C’est le nom de Jésus-Christ. Il n’y a pas à chercher ailleurs. On veut transformer la société ; on veut la rendre vivable, on veut la rendre sainte ; on veut la rendre même économiquement saine, politiquement saine : le moyen, c’est Notre Seigneur Jésus-Christ. Je suis reparti de l’Afrique avec cette conviction qu’il n’y avait qu’un moyen de sauver les âmes et en même temps de leur donner une civilisation chrétienne ici-bas, de les faire participer un peu ici-bas au bonheur du Ciel par le bonheur que donne la grâce : c’est le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ ».[11]
C’est par nos prières, nos sacrifices, par l’exemple d’une vie sainte que les Cœurs de Jésus et de Marie se laisseront toucher et règneront. Alors au travail et que Dieu vous bénisse !
Padre Christian Bouchacourt, Superior de Distrito América del Sur
Source : Iesus Christus n° 143
- I Cor. 15, 25.[↩]
- Pie XI : Encyclique « Quas primas », du 11 décembre 1925.[↩]
- Pie XII : Encyclique « Summi pontificatus », du 23 octobre 1939.[↩]
- Saint Pie X : Encyclique « E supremi apostolatus », du 4 octobre 1903.[↩]
- Paul VI : « Message aux gouvernants », du 8 décembre 1965.[↩]
- Pape François : « Discours aux décideurs politiques, économiques, financiers et religieux du Brésil », le 27 juillet 2013.[↩]
- Saint Pierre Julien Eymard : « La divine eucharistie, première série », La Présence Réelle, p. 35.[↩]
- Saint Jean, 15, 5.[↩]
- Saint Pie X : Encyclique « E supremi apostolatus », du 4 octobre 1903.[↩]
- Pie XI : Encyclique « Quas primas ».[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre : Homélie donnée à Zaitzkofen le 15 février 1987.[↩]