La lèpre de l’Eglise de Dieu [1]
Jérusalem a multiplié ses péchés ; c’est pourquoi elle est devenue une chose souillée ; Tous ceux qui l’honoraient la méprisent, car ils ont vu sa nudité ; elle-même gémit et détourne la face. (…) « Vois, Jéhovah, ma misère, car l’ennemi triomphe !
Jérémie, Lamentations, chapitre 1
Avec un rythme pendulaire, les médias annoncent la chute indigne de ministres de Jésus-Christ, dont les déchéances scandalisent légitimement croyants comme non-croyants.
Les semaines dernières, ce ne sont malheureusement plus des cas isolés de pédophilie ou d’homosexualité qui ont été révélés, mais des délits en série, assortis de la dénonciation de réseaux homosexuels sévissant jusqu’au cœur du Vatican. L’honneur de Jésus-Christ, la sainteté de l’Eglise, l’honneur sacerdotal et jusqu’au nom chrétien en ressortent salis. Beaucoup de fidèles, désorientés, attristés voire écœurés, s’interrogent. Ces quelques considérations voudraient leur apporter des éclairages pour eux-mêmes mais aussi pour leurs proches.
1) Les péchés incriminés font partie des fautes les plus graves. L’homosexualité est l’un des quatre péchés qui crient vengeance au Ciel ; quant à la pédophilie, son caractère odieux n’en est que trop révoltant. A fortiori quand ces péchés sont commis par des prêtres que la sainteté de l’état devrait hisser au sommet de la perfection. S’ils ne font pas pénitence, ces hommes s’apprêtent à tomber entre les mains du « Dieu vengeur ». Mais s’ils se repentent et s’efforcent, dans la mesure du possible, de réparer le mal commis, ne doutons pas un instant que la miséricorde infinie de Dieu s’exerce à leur égard. Nulle borne humaine ne saurait arrêter la bonté divine et l’histoire du salut montre assez la puissance de conversion de Dieu capable de convertir instantanément les bons larrons.
2) Si ces fautes et leur pénitence retombent principalement sur leurs auteurs, la prière et l’expiation doivent être le lot de tous les chrétiens, surtout des prêtres, comme le Christ en a donné l’exemple, expiant, lui l’innocent, pour les fautes des pécheurs. Chaque scandale dans l’Eglise doit être une invitation pour ses enfants à une vie de prière et de pénitence. La miséricorde ne consiste pas seulement à pardonner, mais à prendre sa part de l’expiation.
3) Nonobstant cette juste indignation et cette nécessaire expiation, la forte publicité donnée à ces scandales conduit à se demander pourquoi les révélations ne visent que des prêtres catholiques et non les représentants des autres religions, éducateurs laïcs et parents coupables [2] ? Sans doute faut-il rappeler que la faute d’un prêtre est plus grave que celle de tout autre homme. Mais est-ce toujours la souffrance des victimes qui motive l’information ou l’identité du coupable ?
4) Derrière la trop noire réalité et l’étalage indiscret qui en est fait, se distingue l’ombre de Satan, lequel a une haine du prêtre telle qu’il s’acharne à le faire tomber dans la fange afin de mieux le traîner ensuite publiquement dans la boue et avec lui l’honneur du divin maître.
5) S’il est juste de punir les coupables et s’il peut l’être de le faire savoir, il est tout aussi juste de ne pas oublier les nombreux saints prêtres qui ont illustré l’Eglise de leur pureté et de leur dévouement pour la jeunesse. Faut-il rappeler les noms de saint Jean Bosco, de saint Jean-Baptiste de la Salle, de saint Michel Garricoïts, du père Timon David ? Faut-il signaler les myriades de religieux et prêtres qui se sont dévoués toute leur vie, souvent dans une discrétion admirable, à l’éducation de la jeunesse ? La trahison de Judas ne doit pas faire oublier le martyre des onze autres apôtres. Que le scandale de plusieurs, voire de beaucoup, ne soit pas tel qu’il fasse oublier que l’Europe n’a été le lieu de la civilisation la plus élevée que parce qu’elle a été jadis la Chrétienté. L’un de ses plus beaux titres de gloire est justement d’avoir arraché l’enfance à la triste condition dont elle pâtissait dans le paganisme.
6) Si l’on se scandalise avec raison des sévices corporels commis contre des innocents, on devrait s’indigner davantage encore de l’immense majorité de l’enfance dont l’âme est injustement privée de Dieu et de la vie surnaturelle par l’éducation laïque et sans-Dieu.
A l’origine de ces maux
7) Devant ces scandales, l’une des questions lancinantes reste de savoir comment on en est arrivé là. Les causes, nombreuses, sont d’ordre ecclésial et profane.
Au plan de l’Eglise tout d’abord. Au-delà de la malice et de la faiblesse personnelles, il est évident qu’il y avait des failles voire des fautes dans la nomination des supérieurs ecclésiastiques, la sélection et la formation des candidats au sacerdoce, l’absence de sanctions. Il est invraisemblable, par exemple, que de véritables réseaux homosexuels aient pu se constituer et se maintenir, permettant à leurs membres de se coopter aux plus hauts postes.
8) Depuis plusieurs décennies, avant et après le Concile, le libéralisme, le progressisme, le naturalisme, ont produit leurs effets délétères dans nombre d’âmes consacrées. L’expérience désastreuse des prêtres ouvriers en fut l’illustration criante : le prêtre devait être un homme comme les autres ; il devait travailler à l’usine, ne plus porter l’habit ecclésiastique, se mêler aux autres. Le résultat ne s’est pas fait attendre et la plupart de ces malheureux prêtres se sont mariés et ont abandonné le sacerdoce.
A force de dire qu’il ne fallait plus condamner le monde, parler du péché et des fins dernières, ou « insister » sur la morale sexuelle, qu’il fallait au contraire faire preuve d’ouverture et magnifier la dignité de l’homme et du corps humain, que s’est-il passé ? L’humilité chrétienne, la mortification, l’ascèse, les règles de prudence, la confession fréquente, la prière assidue, la pudeur se sont discrètement éclipsées.
Le grand mouvement d’ouverture au monde prôné par Paul VI lors de la clôture du Concile a introduit l’esprit du monde avec ses vices dans le sanctuaire de l’Eglise.
Saint Paul avait averti les Romains : le péché d’infidélité est puni par l’aveuglement qui conduit aux péchés contre-nature [3]. Le phénomène se vérifie tragiquement dans l’Eglise de Dieu : la crise de la foi sans précédents s’accompagne corrélativement d’une crise morale désastreuse. Il est frappant de constater que les pays les plus touchés par ces maux sont ceux qui ont été le plus marqués par le libéralisme et le progressisme.
9) Au plan de la société. Les médias ont beau jeu de révéler les turpitudes des ministres du culte comme si l’origine se trouvait uniquement dans l’Eglise. Le problème est plus complexe. L’Eglise n’est pas du monde mais ses enfants vivent dans le monde. Il y a une influence réciproque qui apparaît dans les scandales actuels. La société contemporaine atteint des sommets de turpitude. Cinéma, Internet, télévision, théâtre, publicité sur tout support, expositions « d’art », médias dans leur ensemble diffusent un message omniprésent et constant de luxure dans les images, les sujets abordés, les « modèles » présentés.
Promue par les médias, la luxure et ses conséquences sont institutionnalisées et légalisées par le pouvoir politique : avortement, promotion de l’homosexualité, « éducation sexuelle » à l’école, pilules du lendemain distribuées à des fillettes, financement de véritables groupes de pression, etc.
Et non seulement la luxure est encouragée – sous presque toutes ses formes – mais ceux qui s’y opposent sont vilipendés, ridiculisés voire condamnés. Combien de fois l’Eglise est moquée parce que seule en ce monde de péché, elle prône une authentique chasteté consacrée et une véritable chasteté dans le mariage !
Faut-il s’étonner outre mesure que dans ce climat hédoniste et pornographe où la moindre dérive est chaudement applaudie, des hommes consacrés et vivant dans le monde soient moralement fragilisés, et que la proportion de « branches pourries » en soit augmentée ? Dans nos milieux de Tradition, on relève souvent les méfaits causés à la société civile par la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Aujourd’hui se manifeste tragiquement l’autre pendant : le tort commis à l’Eglise par cette paganisation du monde.
Vers une réforme de l’Eglise ?
10) La situation de l’Eglise est telle aujourd’hui qu’elle nécessite non pas quelques mesures de redressement, encore moins un relâchement des exigences sacerdotales, mais une véritable réforme.
Sans doute faut-il changer nombre de supérieurs, veiller à l’application des peines, à la formation des séminaristes, à la remise sur pied des mesures de filtrage, mais toutes ces mesures seront frappées de stérilité si elles ne se fondent pas sur une réforme en profondeur, premièrement de la sainteté sacerdotale, deuxièmement des familles chrétiennes au sein desquelles éclosent la plupart des vocations solides.
Dans l’Eglise de Dieu, toute réforme authentique commence par une restauration de la vie théologale, c’est-à-dire des vertus de foi, d’espérance et de charité. Plaise à Dieu que cette corruption des mœurs soit un signe providentiel qui ouvre les yeux de beaucoup afin que les causes profondes et doctrinales de cette crise de l’Eglise soient enfin discernées et traitées. Que la vie de foi, de prière et de pénitence des chrétiens hâte ce jour béni !
Abbé François-Marie Chautard, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Chardonnet n° 341 d’octobre 2018 /La Porte Latine du 21 octobre 2018
- « Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne » Isaïe, 53/3. Si Jésus-Christ a pu être considéré comme un lépreux, l’Eglise est réputée telle par la faute de ses enfants.[↩]
- « Selon l’Église de France, “9 clercs (prêtres et diacres diocésains)” sont actuellement « emprisonnés en France pour des faits de violences sexuelles commises sur des mineurs ». Soit 0,06 % des clercs en exercice (…) qui ferait, en cumul de condamnés (peines en exécution, peines exécutées) et de mis en examens, 72 cas. Soit 0,48 % des clercs en exercice » In Le Figaro. Par ailleurs, 75 % des agressions sexuelles sont des incestes, et 29 % sont commises par des mineurs (données Encyclopedia Universalis, article « pédophilie »). On dénombre 14 796 viols et agressions sexuelles recensées sur mineurs en 2012 (In colosseauxpiedsdargile). 6000 enfants par an sont violés (20 par jour) In Agoravox .[↩]
- « …puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils sont devenus vains dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence s’est enveloppé de ténèbres. (…) Aussi Dieu les a‑t-il livrés, au milieu des convoitises de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils déshonorent entre eux leurs propres corps, eux qui ont échangé le Dieu véritable pour le mensonge (…) C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions d’ignominie : leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature ; de même aussi les hommes, au lieu d’user de la femme selon l’ordre de la nature, ont, dans leurs désirs, brûlé les uns pour les autres, ayant hommes avec hommes un commerce infâme, et recevant dans une mutuelle dégradation, le juste salaire de leur égarement » Rom 1/21 ; 24–27.[↩]