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Le style oral a été conservé
A la onzième heure du 11e jour du 11e mois, dans une terre désolée qui fumait encore de l’odeur acre de la poudre, dans un ciel hier traversé d’orages d’aciers, il se fit un étrange silence : les armes se turent dans l’Europe ensanglantée. Car telles les trompettes de l’Apocalypse, le clairon venait d’annoncer la fin du conflit et avec lui la fin d’un monde, la fin d’une époque et le temps du jugement.
Après la liesse de la paix retrouvée, le décompte se fit, implacable. Pour la seule France, 1.400.000 morts.
Après le compte de tant de pertes humaines, de tant de blessés, de tant d’âmes meurtries, de tant de familles brisées, de sacrifices endurés, un autre bilan se dessina : celui du contraste entre, d’une part, l’héroïsme des soldats et la valeur de ses chefs, Foch, Gallieni, Pétain, et, d’autre part, ce mélange d’incompétence et de vilenie chez tant de ses dirigeants politiques.
Après le bilan des hommes, celui du pays. Que restait-il de la France ? Sa partie septentrionale avait été envahie, occupée, retournée, labourée, flagellée, laminée, déchiquetée. Son visage en avait été durablement altéré. A vrai dire, c’est l’âme même de la France qui avait changé ; allons plus loin : l’Europe, la vieille Europe, venait de se suicider.
Cinquante ans après la fin de ce carnage, une autre génération, jeune et assoiffée de plaisir, se souleva en mai 68 pour clamer à tue-tête l’amour et la paix. L’héritage des pères, la patrie charnelle, les clochers de nos églises de France, le sacrifice des aïeux, tout cela était oublié, méprisé, jeté aux orties.
Aujourd’hui, cent ans après la fin de cette conflagration mondiale, tandis que badauds et officiels s’inclinent devant la tombe du soldat inconnu, ce dernier n’est-il pas de plus en plus méconnu ? Que comprend-on de ses motivations ? que retient-on de l’exemple de sa mort ? à quoi, à qui a servi sa mort ? Ce soldat inconnu nous serait-il devenu étranger ? d’un autre monde parce que d’une autre patrie ?
Porter un regard de foi
Il ne m’appartient pas, ici, de répondre à des questions que les historiens pèsent et soupèsent. Il est nécessaire cependant de porter un regard surnaturel sur cette guerre, tout particulièrement sur l’esprit de sacrifice.
Sacrifice versus hédonisme
L’héroïsme de nos soldats de 14, l’héroïsme intemporel des vrais soldats et non des soudards, apportent à l’homme une leçon si salutaire, surtout en ces temps de décrépitude mentale et morale, d’avilissement des caractères, qu’il serait regrettable de ne pas la relever.
« …sans l’héroïsme du soldat, notait le P. Calmel, la société des hommes n’a plus le moyen de savoir pratiquement, concrètement, qu’elle est établie pour autre chose que la production et la consommation ; au mieux pour les plaisirs de l’esprit, pour les grâces florentines d’une intelligence déliée, ou pour les raffinements abominables d’une sensualité hypocrite qui se cache et se dissimule derrière les prétendues recherches de la pensée et de l’art. (…) une cité qui méprise le soldat perd le sens de l’honneur, devient indigne de l’homme, ne sait plus en pratique que l’établissement sur la terre n’est pas le bien suprême.
– Du fait que la mission du soldat tient de fort près à la vie de l’âme et à la vie surnaturelle, on comprend que la société moderne infestée de matérialisme entretienne à l’égard du soldat une solide aversion. » [1]
Le souvenir de cette guerre rappelle à nos sociétés décadentes la vanité, la caducité et la fragilité de nos cités terrestres.
Un héroïsme chrétien
Mais qu’on prenne bien garde à ce sacrifice des soldats de 14. Au-delà et au-dessus de l’héroïsme naturel se tient l’héroïsme chrétien.
« C’était, note encore le P. Calmel, le devoir des bien-pensants et des prêtres de montrer le visage chrétien de tant de sacrifices et de mettre en accusation le système qui était à l’origine de ces hécatombes. Le jacobinisme d’État imposé à la France (…) par la Révolution de 89, la conception totalitaire de l’État a rendu possible la conscription universelle, la mobilisation de peuples entiers et des tueries sans précédent. Tout cela était impensable sous une monarchie chrétienne. – Il ne suffisait pas d’ailleurs de dénoncer la Révolution ; il fallait aussi, et plus encore, dire hautement que la mort héroïque de tant de soldats que Jeanne d’Arc eût avoués comme ses compagnons avait une signification chrétienne : signification obscure chez beaucoup et très consciente chez les meilleurs. Chez les meilleurs, la mort sur le champ de bataille avait la portée d’une immolation volontaire pour les iniquités de la France et d’une intercession auprès de Dieu pour que la patrie se détourne de ses maîtres d’erreur et de péché et qu’elle fasse pénitence.
Péguy, Psichari, Pierre Dupouey, Augustin Cochin (…) et des frères d’armes par centaines de mille, qui étaient baptisés et portaient dans leurs veines quinze siècles d’hérédité chrétienne, avaient donné leur vie pour que chrétienté continue. Mais les rhéteurs officiels qui péroraient sur l’estrade pavoisée de drapeaux, lors des inaugurations de monuments aux morts, n’hésitaient pas à déclarer que tant de sang noblement, chrétiennement versé devait hâter le triomphe des plus froides abstractions et de la dévorante idéologie laïciste : démocratie, progrès, liberté. » [2]
Réalité de l’esprit de sacrifice chrétien
Cet héroïsme chrétien qui a illustré cette guerre fut le fait d’innombrables hommes, célèbres ou ignorés. « Nous savons bien, nous autres, écrivait Psichari, dans Les Voix qui crient dans le désert, que notre mission est de racheter la France par le sang ».
« Joseph H., chef de bataillon au 114e régiment d’infanterie, mourut au combat le 10 mai 1915. La veille de sa mort, le 9 mai 1915, il écrivait à sa femme la lettre suivante :
« « 9 mai – 2 h 30
« Ma chère petite Germaine,
« Nous allons attaquer. Il se peut que Dieu veuille que je tombe. Dieu sait que c’est me sacrifier, à cause de mon profond amour pour toi et mes enfants. Mes parents aussi pleureront.
« Mais, vois-tu, chère petite, il est bon que les hommes sachent mourir ; nous vivons à une époque bien triste pour la France car elle renie Dieu. J’espère que notre mort apaisera la colère divine et qu’elle reviendra à la belle doctrine du Christ.
« Ne te désole pas trop, ma pauvre petite Germaine, élève bien tes fils, sois énergique avec eux, n’en fais pas des poupées mais des hommes » [3].
Tout est dit : la lucidité du soldat sur le châtiment qui s’abat sur la France, pécheresse de l’impiété de ses chefs, la beauté du sacrifice chrétien réparateur et rédempteur, la nécessité enfin de transmettre à la génération orpheline les traditions de ses pères.
Sacrifier une génération chrétienne
Mais il ne faudrait pas non plus se méprendre sur la nature concrète de ce sacrifice. Même s’il fut offert chrétiennement avec un héroïsme qui force l’admiration et qui certainement obtenu à la France d’innombrables grâces, il n’en reste pas moins que ce sacrifice des chrétiens servit à la destruction du dernier empire catholique d’Europe, à la destruction de deux autres empires chrétiens, et à l’ensevelissement d’une génération de catholiques :
« La jeunesse catholique, disait un de ces politicards de la guerre, nous l’enterrerons dans les tranchées ». Et le cardinal Baudrillard de noter dans ses Carnets de 1915 : « On se réjouit publiquement (et même chez Poincaré) de la mort de tant de braves catholiques assez naïfs pour se faire tuer » [4].
On se servit d’un culte extrêmement vif de la patrie voire de la mort, chez les chrétiens, pour l’utiliser à des fins qui n’étaient pas toutes pures et légitimes.
Le combat continue
Enfin, mort pour sauver la terre de ses pères, mort pour racheter les péchés de la patrie révolutionnaire, le soldat chrétien de 14 a une autre leçon à nous donner, nous hommes du 21e siècle. Cette France, et cette France chrétienne ou ce qu’il en reste, il faut continuer à la défendre.
Le 11e jour du 11e mois à la 11e heure, une guerre s’arrêtait, mais une autre, à peine interrompue, allait reprendre : une autre guerre contre la France et la France chrétienne. Comme on le constate aujourd’hui avec le grand remplacement et la corruption de l’âme de la France « On la voit s’acharner simultanément à dépersonnaliser l’homme individuel et à détruire les cellules de base de toute société : famille, école, profession. La première guerre mondiale qui savait encore distinguer entre civils et combattants, qui n’aspirait point à remodeler les âmes, se tenait en-deçà du seuil sacré, n’avait point tenté de franchir la porte de la vie intérieure. La guerre subversive ne connaît plus aucun interdit. » [5]
Derrière cette guerre visible se tient en toile de fond la réalité d’une autre guerre, celle des deux cités. Cette guerre insidieuse, artificieuse, astucieuse, exige un esprit viril, persévérant, industrieux, mais elle ne se livre pas avec des fusils et des canons.
C’est un combat des idées, un combat des mentalités, un combat des mœurs, un combat des lois, des institutions, de la culture : en un mot, un combat de civilisation.
L’IUSPX
C’est précisément ce combat de civilisation que nous entendons mener à l’IUSPX.
- Parce qu’il ne faut pas que le sang de nos aïeux ait été versé en vain ;
- Parce qu’il ne faut pas que la France de nos pères disparaisse ;
- Parce qu’il faut que chrétienté continue,
« l’Institut Universitaire Saint-Pie X entend œuvrer à la restauration de l’enseignement supérieur catholique, conformément à la mission éducatrice de l’Eglise, à sa doctrine et à sa morale. Il s’efforce de transmettre, pour l’honneur et la défense de la foi catholique et pour le bien de la société, le trésor de la culture occidentale, de la véritable civilisation chrétienne, et de promouvoir la fidélité à la France catholique en suscitant l’amour de son patrimoine intellectuel, moral et artistique. À la lumière de la devise de son saint patron, « instaurare omnia in Christo », l’Institut Universitaire Saint Pie X veut former les intelligences dans l’amour du vrai, du bien et du beau » [6].
Nous citions Péguy, Psichari, Cochin, Jeanne d’Arc, Foch, le père Calmel ; ces héros incarnent notre programme littéraire, historique, philosophique, religieux. Ces auteurs illustrent l’élévation d’âme à laquelle nous nous efforçons de hisser nos étudiants.
Cette belle jeunesse de l’Institut, qui n’hésite pas à braver un certain respect humain en franchissant les murs d’un authentique institut catholique, quand d’autres de leur âge préfèrent l’anonymat d’une faculté publique et républicaine au renom estampillé, cette belle jeunesse attend qu’on lui transmette un héritage et un héritage vivant.
Parce que cette jeunesse a compris au fond d’elle-même, sans peut-être pouvoir l’exprimer, que ce patrimoine inégalé des Grecs, des Latins et surtout des Chrétiens, est irremplaçable pour avoir un esprit structuré, clair, nourri des pensées les plus profondes, les plus élevées et en même temps les mieux exprimées de l’humaine nature.
Parce que cette jeunesse sait que cet héritage jeune de 30 siècles lui donnera un trésor dans lequel elle pourra puiser toute sa vie, tant sur le plan intellectuel, familial, religieux que professionnel.
Parce que cette jeunesse réalise jour après jour que cette lumière qui est lui est transmise est comme un flambeau à porter haut et clair qu’elle devra elle-même transmettre à la génération future.
Cependant, cette formation, vous vous en doutez, exige elle-même des sacrifices, des efforts, des dépenses, et même parfois des luttes.
Mais comment baisser les bras lorsqu’on vit de cet héritage, comment se décourager lorsque l’on constate les progrès visibles de cette jeunesse et les échos reconnaissants de nos anciens ?
C’est pourquoi, une nouvelle fois, je viens solliciter votre générosité si fidèle. Je ne vous demanderai pas de verser votre sang comme ces soldats que nous honorons ce jour, mais d’ouvrir vos cœurs et vos bourses et de contribuer par votre offrande à cet effort de guerre de civilisation, pour que jeunesse chrétienne continue.
Que sainte Jeanne d’Arc, cette jeune et ardente vierge casquée, que saint Martin, ce catéchumène soldat qui donna la moitié de sa cape, en la fête duquel l’armistice a été signé, veillent sur nos vivants soldats de France, qu’ils prient pour le repos de ses soldats endormis, qu’ils soient des modèles pour la jeunesse, et qu’ils sauvent et christianisent une nouvelle fois notre cher pays de France.
Abbé François-Marie Chautard, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, recteur de l’Institut Saint Pie X
- R.P. Calmel, « Les héros et les saints »Itinéraires n° 129, p. 188 et 189[↩]
- R.P. Calmel, « Le prêtre et la Révolution (1918–1968) »,Itinéraires n° 127, p. 39 et 40[↩]
- Cité par le Père Jean-Dominique Fabre, Le Père Roger-Thomas Calmel, Clovis, 2012, p. 35–36.[↩]
- Citations tirées de Jean de Viguerie, Les deux patries, DMM, 1998, p. 189.[↩]
- R.P. Calmel, « Le prêtre et la Révolution (1918–1968) »,Itinéraires n° 127, p. 47[↩]
- Charte de l’Institut Universitaire Saint-Pie X[↩]